Ca y est, une nouvelle fois, c’est fini. Il va falloir aller se rhabiller, s’enlever les paillettes et la pellicule de sueur qui vous macule le front. Tout se fait toujours dans une ambiance bon enfant, ou l’entraide est de mise. On rigole, on se taquine, nous sommes une bande relativement soudée. Il faut dire que dans un métier comme le notre, nous avons vite fait de répéter ensemble et nous avons surtout tout vu les uns des autres pour que cela ne soit plus gênant de nous charrier là dessus. C’est d’autant plus vrai lorsqu’un ou l’une de nous a son crush/copain/copine/mari ou femme qui vient assister au spectacle. Oui, ça arrive parfois, mais il n’y a aucune jalousie à avoir. Ce que l’on fait ici est strictement professionnel, et c’est quelque chose qu’il vaut mieux avoir en tête pour ne pas être blessé ou gêné vis à vis de comportements qui, de loin, pourraient paraitre bizarres ou au pire, choquants. Moi même, j’ai une confiance totale en Iris, et c’est cela qui fait que nous sommes si libres dans notre relation. Son ex lui, voyait d’un mauvais oeil la complicité que nous avions sur scène et il n’avait pas tardé à le lui faire savoir. Résultat, c’était avec moi qu’elle était maintenant, et nous avions trouvé un équilibre satisfaisant dans notre vie à deux.
D’ailleurs, ce soir, nous ne passerions pas la soirée ensemble. J’avais en effet décidé de prolonger au club avec les quelques collègues qui avaient fini leur service ce soir tandis qu’Iris allait vaquer à ses propres occupations. Son téléphone resterait normalement ouvert et elle pouvait m’appeler à tout moment si elle avait un soucis, mais en règle générale, nous nous retrouvions sans encombre à l’appartement quelques heures plus tard sans jamais avoir réellement eu le temps de se manquer. Dans les coulisses, tout à l’heure, mon pote Ricky m’avait indiqué une table à laquelle une jolie fille aux cheveux bleus semblait particulièrement concentrée sur ce qu’elle avait devant elle, presque plus que sur la scène. Sa nouvelle nana m’avait-il dit, avait décidé de venir ce soir, pour se détendre. D’habitude, ceux et celles qui venaient poussaient des cris hystériques ou du moins montraient un intérêt manifeste pour ce qu’elles avaient devant les yeux, ce qui ne m’avait pas paru être le cas de la meuf de Ricky, même si je n’avais pas non plus gardé h24 mon regard sur elle.
Sitôt douché et rhabillé, je glissais un baiser rapide sur les lèvres de ma partenaire avant de remonter pour joindre la fine équipe du soir. Après avoir salué et encouragé ceux et celles pour qui la nuit se prolongerait jusqu’a trois ou quatre heures du matin, nous glissâmes en riant dans la partie publique du club. Des regards se tournèrent immanquablement vers nous, que ce soit depuis les tables de l’enterrement de vie de jeune fille ou de garçon, des couples curieux ou des célibataires adeptes du spectacle. Certains allaient immanquablement être sollicités, et le groupe se partageait entre ceux profitant de leur notoriété pour tenter quelques petites aventures et ceux, plus sérieux, qui se justifieraient par la fin de leur service et donc de leur impossibilité éthique de coucher avec des clients ou juste par la volonté de passer du bon temps avec leurs amis. Je faisais partie de ceux-là, et manifestement, Ricky aussi puisqu’il marcha en avant pour rejoindre sa chère et tendre. « CC, viens, je vais te présenter » insista t-il en se tournant vers moi au passage pour m’indiquer le chemin, comme si je n’avais pas déjà remarqué la spectatrice aux cheveux colorés depuis avant. Je le suivis avec un petit sourire amusé jusqu’a la demoiselle que je saluais avec un signe de la main après les avoir laissé se retrouver. « Frankie, voici Clyde. Clyde, Frankie ». Il semblait ne pas tenir en place, tout heureux de pouvoir présenter cette fille à quelqu’un issu du monde de la nuit, comme si j’avais un quelconque avis à donner sur les couples d’autrui. Tout de suite, il s’enquit de qui voulait boire quoi et alla jouer des coudes, de son charisme et de sa notoriété pour passer devant tout le monde, me laissant seul avec la dénommée Frankie. « Bon et bien… » glissais-je en prenant place à la table.
Immédiatement, je repérais ce qui avait arrêté l’attention de cette fille. Sur la table, en évidence, un dessin. Un beau dessin d’ailleurs, assez réaliste puisque je reconnaissais sans peine la scène que j’avais moi même quitté quelques minutes plus tôt. Celle-ci pouvait bouger au rythme des numéros. Me rendant compte que j’étais peut être un peu trop curieux, je me redressais, tout en sachant qu’il ne serait pas particulièrement poli de faire comme si je n’avais pas regardé et donc de ne rien dire. « Je crois que vous êtes la première à venir ici pour dessiner plutôt que pour regarder des corps se déhancher » plaisantais-je en lui désignant d’un signe de main le papier. Il vaudrait mieux qu’elle le range d’ailleurs, avant que Ricky ne revienne faire son numéro avec ses verres à la main.
Typique de Ricky ça, disparaître au bon moment. Tous les gars et les filles qui bossent ici ont un tempérament énergique et sociable. Je n’ai jamais connu de collègue timide ou qui n’osait pas rester pour prendre un dernier verre avec l’ensemble du groupe. C’est la profession qui veut ça, nous avons vu nos corps dénudés de multiples fois, il n’est donc plus temps de rougir à chaque regard qu’on pourrait nous poser dessus. Je suis moi même plutôt à l’aise avec les relations publiques, surtout les femmes, même si on a tendance à me trouver impressionnant. Alors qu’en fait, pas du tout, je suis doux comme un agneau, et une fois à mon contact, on peut facilement s’apaiser. J’ai des passions et de la conversation, je ne suis pas juste une coquille vide bonne à m’exposer au regard d’autrui. Je pense que c’est l’influence de Ricky qui fait que la dénommée Frankie ne semble pas effrayée de voir que je me retrouve seul avec elle. Son petit-ami reviendra bientôt avec tout ce qu’il faut pour nous sustenter, et nous avons donc l’occasion de nous adresser quelques mots. Après tout, il est possible qu’elle revienne plusieurs fois pour le voir et qui sait, leur relation durerait peut être de nombreuses années. Ce n’était pas parce qu’on était stripteaseur que l’on ne connaissait pas de relation longue et Iris et moi en étions la preuve vivante. Sans doute que notre couple nous laissait une grande marge de liberté qui induisait notre bonheur d’être ensemble lorsque nous nous retrouvions. Frankie et Ricky sont heureux de se retrouver aussi, cela ne fait aucun doute.
Je m’installe donc après lui avoir adressé un sourire face à son compliment. Je ne sais pas si elle m’a bien regardé ou non, mais cela est toujours bon à prendre. Moi même, je me penchais sur son dessin, intrigué. Chacun son art semblait-il, et la demoiselle était apparemment tout aussi douée que moi. En tous les cas, je le trouvais réaliste, d’autant qu’elle m’avoua qu’elle avait réussi à se concentrer dessus tout en nous regardant danser. Evidemment, j’aurai été incapable de peindre une toile tout en exécutant un numéro. Les hommes avaient la réputation de ne pas savoir faire deux choses à la fois et parfois, je me disais que c’était une réalité bien que je connaissais aussi des femmes qui ne tenaient pas en place et étaient incapable de mener déjà une seule activité sans s’éparpiller. Quant à moi, j’aimais m’investir pleinement dans ce que j’étais en train de faire, si bien que j’avais tendance à en oublier complètement mon téléphone quand je répétais par exemple. Mais je pouvais tout autant m’occuper des plantes de la maison en regardant un documentaire à la télé, que faire une séance de sport avec de la musique dans les oreilles. Si Iris avait été douée en dessin et qu’elle s’était retrouvée à la place de Frankie, je pense que la feuille devant elle serait encore blanche à l’heure qu’il est. Ou pleine de gribouillis sans queue ni tête.
D’ailleurs, la demoiselle remballa ses affaires, ce qui était plus prudent. C’était une heure ou les verres avaient tendance à se renverser sur les tables, si ce n’était pas les clients eux mêmes qui renversaient ces dernières après en avoir trop bu. Sa phrase à propos du travail piqua ma curiosité et je l’observais avec un regard nouveau. « Ah oui, moins spectaculaire ? Finalement, on ne fait que tournicoter autour de barres et nous frotter les uns contre les autres » plaisantais-je parce que le monde du strip-tease était loin d’être aussi primaire et étriqué que ça. Il suffisait d’avoir fait une fois un tour dans des coulisses pour se rendre que c’était tout aussi sportif et compliqué qu’un gala de danse classique ou une représentation de théâtre. Certes, c’était fait pour le divertissement, mais derrière, il y avait des heures et des heures d’entrainement pour rendre un travail de qualité. Un numéro qui durait dans le temps, c’était un investissement. « D’ou venez-vous alors ? Et quel boulot vous pousse à venir observer des stripteaser ? J’espère que Ricky sait que vous n’êtes pas là que pour lui, je ne vais pas faire de gaffe hm ? ». Le contraire eut été étonnant, mais je préférais demander, au cas ou je casse l’égo de mon pote et collègue par inadvertance.
La jeune femme semblait à l’aise et nullement incommodée de se retrouver au milieu des danseurs et danseuses qui avaient assuré dans le spectacle. Parfois, certaines personnes ne pouvaient s’empêcher de jeter des regards qui montraient qu’elles étaient en train de revivre l’heure précédente lorsqu’il n’y avait pas de chemise ou de robe pour cacher tout ça. Certains ne s’en cachaient pas, mais il y avait une grosse politique de respect au sein d’un club de strip-tease. Nous n’étions pas de prostitués que l’on pouvait payer pour avoir des faveurs sexuelles. Lorsque nous n’étions plus sur scène, nous étions des personnes comme les autres que les regards lubriques mettaient mal à l’aise. Evidemment, je n’en avais jamais été victime, et il m’arrivait d’entamer un jeu de séduction avec des femmes de cette manière là. Ce soir pourtant, il semblait que l’occasion ne s’y prêtait pas. Frankie ne me regardait pas comme un mec à mettre dans son lit, par contre, elle était très cordiale et même amicale. « Bien sur, pas de soucis ! Et donc oui, cela fait même très longtemps, je dois être un des plus vieux de la troupe maintenant ». Des années de bons et loyaux services. Est-ce qu’il était temps de s’arrêter ? Temps que je ne trouvais pas d’autre projet de vie cela me semblait impossible, mais d’un autre coté, rares étaient ceux qui persistaient dans ce genre de domaine passé la trentaine. « Et toi, avec ton mec, ça fait longtemps ? » questionnais-je parce que je n’étais pas sûr que Ricky me l’ai déjà dit.
Je prenais tous les compliments en provenance du public. A chaque fois, lorsqu’on récoltait les avis à chaud en se mélangeant après le spectacle, on s’apercevait qu’on nous trouvait à chaque fois « géniaux » ou « formidables » alors que nous mêmes avions tendance à nous remémorer la moindre petite erreur de chorégraphie et à craindre que cela ne se soit vu comme le nez au milieu de la figure. Bizarrement non, ou alors personne ne faisait attention à ses petits détails qui nous paraissaient gros comme des maisons. Non pas que je dise que nous étions systématiquement nuls et que nous subissions chaque soir des pertes de mémoire, mais nous avions facilité à nous remémorer ce qui n’était pas parfait pour pouvoir l’améliorer par la suite. Ce soir, cela avait été pas trop mal, en tout cas, je n’avais pour ma part eu aucun cafouillage et de l’avis d’Iris, elle non plus. « C’est notre métier » approuvais-je, pragmatique, en pensant à la gracieuse petite paie de la fin du mois. Et j’en étais plutôt satisfait !
Elle savait ce que je faisais, mais moi non, alors, histoire de briser la glace en attendant Ricky, je lui posais la question. Ce n’était pas anodin de se rendre dans un club de stripease, tout le monde n’en avais pas l’idée ou n’en éprouvait l’envie. Francesca avait manifestement lié l’utile à l’agréable et me confirma qu’elle travaillait aussi dans un domaine artistique, celui de l’illustration. « C’est la première fois que je rencontre quelqu’un qui fait ce métier ! Mais c’est vrai vous étiez à l’endroit idéal pour ça » fis-je avec un petit rire en lui désignant les lieux d’un geste de la main. A vrai dire, à cette heure là, on pensait plus à une boite qu’a une vraie scène de stripease, sauf à remarquer les corps de ceux encore dansant autour des barres installées de ci de là. « Il a eu une très bonne idée ». Je le cherchais des yeux dans la foule, il était au niveau du bar et il serait sûrement servi en priorité, à moins qu’il ne se fasse accoster entre temps par quelqu’un. La compagnie de Francesca n’étant pas déplaisante je ne cherchais pas à me lever de table pour aller faire autre chose.
Je n’avais peut être pas l’air vieux, mais dans ce milieu, la carrière supposait d’être jeune et en bonne santé, athlétique et souvent imberbe, ce qui rajoutait au coté jeunot de la chose. Peu de mes collègues avaient une pilosité faciale comme la mienne, et c’était justement cela qui me démarquait des autres. Je ne trouvais pas que Ricky fasse particulièrement plus vieux, mais je ne m’étais jamais mis du coté féminin. « Tu trouves ? » sourcils un peu froncés, j’étudiais mon ami, ou plutôt son dos. Francesca elle semblait assez sociable et volubile, me parlant de sa vie sans le moindre problème. Je fus surpris qu’elle parle d’une copine mais je n’étais pas le mieux placé pour parler de couple standard alors je ne rebondis pas sur le sujet. « Moi aussi c'est ma copine qui est une pile électrique entre nous deux, elle est toujours active et elle a du mal à se concentrer. Mais il n’a jamais été posé de diagnostique, j’imagine que c’est comme ça… J’espère que ça ne te mène pas trop la vie dure quand même ». Comme mon ami, je devais moi aussi suivre le rythme. « En réalité, les deux. Je suis en couple avec ma partenaire que tu as du voir, mais on est très libres sur le sujet ». J’étais presque sûr qu’elle comprendrait. Ce n’était pas quelque chose de toujours bien accepté, mais déjà les gens nous regardaient d’un drôle d’air lorsque nous révélions notre métier. Nous ne faisions simplement pas les choses à moitié. Je le vais toutefois ma paume en l’air en déclarant avec un rire : « Mais promis, je ne te dragues pas ! On ne touche pas aux nanas des potes ». Pour l’instant je ne pensais pas avoir donné matière à penser à ça alors c’était plus une plaisanterie qu’autre chose.
L’âge, ce n’était pas vraiment une information que nous donnions à nos partenaires. Je savais juste que le patron ne devait embaucher que des adultes et même si certains faisaient probablement plus jeunes qu’ils ne l’étaient, je n’avais aucun doute sur son respect de la loi. Alors évidemment, aucun de nous n’était réellement vieux. Moi même, je n’en avais que trente, ce qui finalement ne représentait pas grand chose, et peut être était-ce la barbe ou les cheveux, ou bien les multiples rides des soucis que je me faisait pour Iris, j’avais parfois l’impression d’être à la fin de ma carrière. Je devrais songer à une reconversion un jour, et ma passion pour les plantes me dirigeait assez naturellement vers une carrière dans ce domaine, bien que j’ai énormément à me renseigner avant de me lancer dans autre chose d’aussi précis. Surtout si je voulais devenir auto-entrepreneur. Iris elle, avait encore beaucoup d’années devant elle pour danser, et même si je n’étais plus stripteaseur ici, je me ferai un plaisir d’assister encore à ses prestations du point de vue du public. Je n’étais pas jaloux, alors voir d’autres hommes baver devant elle ne me causait aucun soucis, il fallait bien avouer qu’elle faisait un travail de dingue et qu’elle était particulièrement sexy, elle était forcément un atout de taille pour le club ! Peut-être étais-je trop optimiste avec une tendance à l’idéaliser, mais pour l’instant, rien ne m’avait donné tort. Les gens l’adoraient, et j’avais eu de bons retours quant à notre numéro.
Diagnostique ou non, les deux filles étaient comme cela, et il fallait apprendre à vivre avec plutôt qu’a essayer de les changer. J’aimais la personnalité fofolle de ma petite amie (qui à vrai dire ne sauterai jamais le pas de se teindre les cheveux en bleu comme Frankie). Avec une personne plus stricte, peut être que notre couple n’aurait jamais été aussi fort qu’actuellement, d’autant lorsqu’on savait que l’on allait régulièrement voir ailleurs. « Je serai curieux de voir si elle retiens toutes ces astuces, pour l’instant, elle a une mémoire un peu défaillante, surtout quand il s’agit de respecter certaines obligations ». C’était quelque chose qui me tenait à coeur, mais elle faisait des efforts pour cela alors je ne pouvais que la soutenir. Rien de tel que des conseils venant d’une personnalité aussi active que celle de la jeune femme qui me faisait face et qui sait, je pourrais peut être les présenter un jour. Bon pas ce soir, puisque je ne savais pas ou elle était passée et que je comptais bien lui laisser faire sa soirée tranquillement.
Puisque oui, nous étions libres. Pas poly-amoureux par contre, à la différence de Francesca, mais ce n’était pas quelque chose que je jugeais, au contraire. Je comprenais tout à fait cette envie de ne pas limiter ses sentiments à une seule personne, cela signifiait qu’on avait beaucoup d’amour à revendre et cela ne pouvait pas dire que nous étions quelqu’un de mauvais, non ? Je portais une main à mon coeur pour faire semblant d’être choqué quand elle m’indiqua que je n’étais pas son style. Ricky revint à peu près à ce moment là et il fallait dire que, cote à cote, nous n’étions en effet pas vraiment faits du même moule. « Et ta petite amie à toi me disait que tu étais vraiment son style et qu’elle n’avait fait que te mater pendant tout le spectacle ». Un gros clin d’oeil à la jeune femme avant de remercier mon collègue d’être allé chercher nos boissons. « Bien sûr qu’il est cool. Et sa meuf aussi » rétorqua Ricky, parfaitement à l’aise entre nous. Il glissa un bras autour de l’épaule de Frankie et je levais mon verre pour que nous trinquions tous les trois à la soirée qui commençait.
Afin de ne pas dériver sur un commentaire de nos prestations respectives, je lui coupais l’herbe sous le pied en continuant de m’adresser à sa copine, sans avoir peur de monopoliser la parole. « Tu as toujours été dans le domaine de l’art ? Ça t’es venu comment cette idée d’être illustratrice ? J’imagine que tu dois dessiner depuis que tu es petite ? ». Je ne pouvais pas dire que mon métier m’était venu lorsque j’étais tout jeune, je n’avais même pas conscience que des hommes pouvaient vivre en exposant leur corps, alors être moi même une de ses personne, ça, jamais ! « Si je suis plutôt habile pour la botanique, faire des plans, faire un dessin en perspective ou même parfois ne pas dépasser les traits avec un crayon n’est pas toujours chose aisée. Je suis tellement grand qu’il faut que je penche sur ma feuille pour y voir clair et ainsi plier mon bras de sorte qu’il ne m’est pas aisé d’être précis ». Je riais même si ce n ‘était pas vraiment drôle, j’aurai aimé être plus habile. Ceci dit, à voir le regard taquin de Ricky, je savais bien qu’il pensait que j’étais précisé, doué et habile dans des choses plus frivoles que le dessin.
Cela ferait rire ma chère et tendre que j'ai une conversation sur comment améliorer son quotidien et ses petites pertes de mémoire avec une autre fille ayant les mêmes problèmes qu'elle. Si elle n'avait pas eu des plans pour la soirée je lui aurai dit de rappliquer tout de suite et d'ouvrir grand les écoutilles pour échanger avec Francesca, mais je me chargerai de faire le relais sans aucun problème. Il n'y avait aucun reproche à formuler là dedans, le caractère d'Iris faisait son charme, c'était en partie pour cela que je l'avais choisie, ça et son ouverture d'esprit qui avait fait que nous avions su donner cette liberté à notre couple. "Alors elle c'est plutôt le paiement de sa part de loyer, heureusement qu'on a une propriétaire sympathique et pas trop exigeante" souriais-je, bien qu'en théorie cela n'ait pas grand chose de drôle et m'occasione des rides avant l'heure à chaque début de mois. Qui voudrais d'un stripteaser ridé, je vous le demande !
Mais manifestement, ni Ricky ni moi n'étions malheureux dans notre relation, il n'y avait qu'a le voir parader en revenant avec nos verres. Frankie et moi rentrions bien volontiers dans le jeu, même s'il n'avait vraiment aucun soucis à se faire. Partout ou nous passions, nous attirions le regard, même habillés d'un sac poubelle certaines femmes nous auraient trouvé sexy. Cela ne devait pas déranger nos copines, sinon c'était peine perdue ! En tous les cas, les deux semblaient plutôt heureux ensemble à ce que je pouvais constater. Je hochais la tête quand Frankie suggéra que je lui présente un jour ma petite amie, de façon plus formelle qu'en la désignant alors qu'elle était en train de s'exhiber du grand public. J'étais sûr qu'elles pourraient s'entendre, puisqu'elles avaient déjà des points communs. "Avec plaisir" répondis-je alors.
D'après lui, j'avais déclenché quelque chose en commençant à évoquer le dessin. Je vis le visage de la jeune femme s'illuminer alors qu'elle s'apprêtait à me répondre, et j'en conclus directement qu'il s'agissait d'une vraie passion, ce que je ne pouvais que comprendre. Elle dessinait depuis longtemps et pour se perfectionner, elle avait fait une école d'art. C'était impressionnant ! Moi je n'avais pas fait d'études, j'étais rentré directement dans la vie active, apprendre des choses par coeur pendant des heures, très peu pour moi, ou alors uniquement si cela s'accompagnait d'une pratique, comme la danse ou le strip par exemple, là, j'étais capable de rester concentré des heures pour réviser les pas d'une nouvelle chorégraphie. "Tu as pu réaliser ton rêve alors ! Est-ce que tu as des titres, que je puisse retrouver tes oeuvres ?". Non parce que la petite planche dessinée pendant le spectacle ne suffisait pas. J'aurai aimé savoir manier le crayon comme elle, malheureusement, comme je venais de lui expliquer, certaines particularités physiques, très utiles dans d'autres domaines au demeurant, ne me rendaient pas la tache facile. Chacun ses talents manifestement. "Oui ce n'est pas bête cette histoire de table, ceci dit, je pense que c'est trop tard pour moi pour me lancer là dedans, je vais continuer à vivre plutôt de mes plantes. Ce qu'il te faudrait sûrement, ce sont des plantes grasses qui ne nécessitent pas d'être arrosées tous les jours, comme des cactus par exemple". Il y avait de très beaux spécimens, il ne fallait pas s'arrêter à leurs piquants.
Prise dans un élan, Frankie continua à me parler et je tiquais sur le mot singe. "Un singe ? C'est une expression que je ne comprends pas ?" Je jetais un regard interloqué à Ricky qui se mit à rire de mon incrédulité. "Non non, un vrai singe ! Rassure toi, c'est pas un gorille non plus". Il semblait vraiment hilare alors que vraiment, je n'avais jamais entendu que ces animaux pouvaient habiter en pleine ville, dans des maisons. J'aurai dû m'en douter pourtant ! "C'est... et ben dis donc, on doit pas s'ennuyer chez toi Francesca" finis-je par rire de bon coeur en écho à Ricky. Oui, décidément, Iris l'aimerait bien aussi.
C'est vrai que je prenais l'affaire du loyer très à coeur, et cela m'énervait de voir qu'Iris l'oubliait presque systématiquement. La remarque de Frankie n'était pas méchante, mais elle eut le mérite de m'éclairer sur le fait que ce n'était peut être pas totalement de la faute de ma petite amie. Il y avait probablement plus grave dans la vie et j'avais souligné moi même que notre propriétaire s'était toujours montrée arrangeante jusqu'a présent. Je pouvais peut être faire des efforts moi aussi et être plus souple. "Et bien, je n'avais jamais vu cela comme ça, mais maintenant que tu le dis" avouais-je, pensif, même si finalement, je n'étais pas sûr d'arriver à passer outre. Il y avait beaucoup de choses que j'acceptais chez Iris, et je trouvais que cela faisait son charme, mais je ne voulais pas que ses oublis nous causent du tord. J'essaierai, toutefois, de moins lui faire la remarque. "Elle te remerciera de m'avoir fait évoluer sur ce point" ajoutais-je en riant et en levant le verre que Ricky vint apporter avant de boire à la santé de nos femmes bien aimées.
Je m'intéressais au métier de Frankie, non pas par pure politesse, mais que j'aimais beaucoup entendre les gens parler de leurs passions. Moi aussi, si on me lançait sur le strip-tease j'aurai beaucoup de choses à dire pour expliquer ce que je faisais, que cela ne tournait pas uniquement autour des prestations publiques, qui ne représentaient qu'une seule partie de nos taches quotidiennes. Tout l'entrainement derrière, c'était comme n'importe quel sportif ! Il fallait évidemment cultiver ses abdos et son sex-appeal, et entretenir sa mémoire, par exemple. Quoi qu'il en soit, je n'avais pas d'enfant et n'en connaissais pas non plus dans mon entourage proche, ce qui fit que je ne connaissais aucune des propositions que me fit Francesca. Par contre, s'agissant du polar historique, je pouvais bien me laisser tenter, juste pour plaisir de voir les illustrations plus que pour l'intrigue. Non pas que je n'aime pas lire, mais je ne prenais jamais le temps et quasiment jamais de vrais romans. "Oh et bien pourquoi pas. Et il faudra évidemment que tu me recontactes s'il change d'univers et qu'un prochain bouquin tourne autour du monde de la nuit". Je fis un clin d'oeil qui fit aussi se marrer Ricky. Il semblait plutôt fier de sa copine lui aussi, je le voyais à son regard.
Elle ne semblait par contre peu attirée par les plantes. Je comprenais, la main verte n'était pas pour tout le monde non plus et il fallait une certaine patience qu'elle, sans la dénigrer, n'avait sans doute pas. Le cactus était celle qui demandait le moins d'entretien en tout cas. Cependant, elle n'était pas totalement fermée à l'idée de se laisser convaincre et c'était une philosophie de pensée qui me plaisait. "Oui pas de soucis" répondis-je, amusé. Ce n'était pas une sortie que je faisais souvent finalement, mais lorsque c'était le cas je repartais toujours avec quelque chose sous le bras, et là c'était à Iris de me freiner pour ne pas que l'on se retrouve avec trois palmiers sur le mini balcon et des poutres prêtes à craquer sous le poids des pots de fleurs. Je regardais avec surprise les deux amoureux plaisantant sur un singe de compagnie, jusqu'à ce que la jeune femme me mette son téléphone sous le nez pour confirmer ses dires. Effectivement, il y avait bien un petit animal, et je comprenais qu'elle parle de lui comme quelque chose de chou, mais cela restait tout de même surprenant et inhabituel ! "Tu es bien la première personne que je rencontre à avoir un singe de compagnie" fis-je dans un sifflement en lui rendant son bien. Ce n'était pas un reproche au contraire, cela attestait de l'exentricité de Frankie et j'étais très mal placé pour juger.
Finalement, la proposition de se retrouver tous les quatres tomba de sa bouche. Pour moi, cela était évident que les deux femmes ne pouvaient que s'entendre. Elles n'avaient pas exactement la même vie mais elles partageaient des points communs, dont deux hommes exerçant le même métier. "Hum et bien, j'aime m'amuser c'est vrai, même si souvent on me trouve assez sérieux. Mon animal de compagnie à moi c'est une moto, ce n'est pas le même gabarit que ton capucin. Et je suis sûr qu'un resto plaira beaucoup à Iris. Tu as du la voir ce soir, on a un numéro en commun. Je ne sais pas ce qu'elle a fait après le show, elle a du partir avec quelqu'un". Je haussais les épaules. C'était fréquent et absolument pas génant. Je fis une description très sommaire de ma petite amie à la jeune femme au cas où elle ne l'ai pas remarquée, ce qui était fort possible vu le nombre de professionnels sur scène chaque soir. Je sortis également mon téléphone que je posais sur la table pour récupérer le numéro de Francesca et voir si entre temps Iris ne m'avais justement pas écrit, ce qui n'était pas le cas.