le travail comme remède à tous mes maux, je laissai comme chaque matin mon fils à sa nounou avant de me rendre au rendez-vous qui m'était posé. l'organisation comme plus fidèle amie, j'en avais fait ma passion et mon travail sans plus y réfléchir, impliquée jusqu'aux plus infimes détails, loin des papotages et bavardages de couloirs que j'entendais parfois et dont j'étais souvent la cible. pas la plus facile des collègues, loin d'être la plus agréable, j'avais au moins le mérite d'être beaucoup demandée. ce n'était pas ma sympathie que l'on jugeait de mon travail, bien mon efficacité.

je retrouvais sans difficulté mon chemin jusqu'à atlantic boulevard où je savais qui était mon client du jour. j'aimais beaucoup passer du temps avec Jay, qui ne jugeait jamais l'absence de sourire ou de tentative de mise à l'aise. il me plaisait à penser que le présentateur m'appréciait sans essayer de me changer. avec Nova, j'avais parfois cette sensation d'avoir besoin d'agir différemment pour ne pas risquer l'incident diplomatique. pourtant ma meilleure amie avait appris à m'adopter avec tous les défauts qui étaient miens et qui, à mes yeux, étaient de véritables qualités. en effet, ces traits qui dérangeaient faisant partie intégrante de ma personnalités, impossible pour moi de changer tout ça.

cheveux tirés en arrière, je fis glisser ma main sur ma queue de cheval en arrivant, vérifiant ainsi vaguement qu'aucun cheveux ne dépassait. puis, quand nous fîmes tous les deux dans le champ de vision de l'autre, je le saluai, profitant du premier meuble à ma portée pour y déposer les dossiers préparés. « j'ai préparé quelques idées par rapport à ce que tu m'avais évoqué précédemment. j'espère qu'il y aura suffisamment d'idées exploitables. »

C’est la dèche, Jay. Cette fois tu l’as vraiment fait.
C’est ça, d’avoir toujours les yeux plus gros que le ventre, après on se retrouve gonflé comme un ballon avec des prétentions à ne plus savoir quoi en faire. Pourtant depuis quelques temps, je me suis fait discret, je n’ai pas accepté de gros contrats, j’ai remis au point la stratégie de l’association pour qu’on n’ait plus ma gueule en pleine séance, je me suis cloîtré dans mon chez moi avec les bichons… Alors qu’est-ce qu’il m’a pris de proposer mon aide pour l’anniversaire de Jordan ?
Et qui c’est, ce Jordan ???
On m’a dit « il est fan de toi ! »
Et j’ai dit « cool ! »
Next thing I know… je me retrouve avec un vieux numéro de portable sur une serviette en papier, et la certitude que je me suis fourré dans de beaux draps.

Je fais les cent pas dans le café, lunettes de soleil en forme de cœur sur le bout du nez, casquette enfoncée sur le crâne et la dégaine d’un sans abri parisien. Il n’y a que quand Ava pénètre dans l’établissement que je m’aperçois que j’étais en train de retenir ma respiration. Mes mains tremblent sur ma tasse de café et force est de reconnaître que j’en ai mis plus à côté que dans ma bouche.
Je la repose, en essayant de contrôler mon stress, ce qui n’est absolument pas probant.

« Ava, j’ai grand besoin de ton aide ! »

Je lance un regard aux dossiers qu’elle a amené et continue :

« Je suis sûr que tes idées sont géniales, je prendrai le temps de les examiner comme elles le méritent. Mais là j’ai besoin de toi pour un truc urgent. »

Je pioche la serviette dans ma poche pour la poser sur la table, ignorant la marque de baiser rouge vif sur le tissu blanc. Les sourcils foncés, l’air sérieux, et j’explique :

« Il s’appelle Jordan, il va avoir huit ans. Il adore le baseball et ABBA. Il faut que tu m’aides. Comment on organise une fête d’anniversaire pour un gamin de huit ans ? »

Je sais bien que c’est un tout petit projet comparé à la soirée caritative de mai, mais c’est tout aussi important pour moi et je n’ai pour seule comparatif que les fêtes lascives que mes parents organisaient et qui finissaient avec des gosses bourrés de valium et des adultes bourrés au champagne.
Je n’ai aucune idée de ce que les gosses de nos jours aiment.

les sourcils froncés, je l’observai sans trop comprendre ce qu’il venait de se passer. surprise de cette réaction de la part de Jay, je n’avais même pas pris la peine de regarder son état global et de constater son stress qui, si j’avais été un tant soit peu regardante, m’aurait contaminée. après avoir respiré pleinement, j’avais réussi à chasser toute faiblesse pouvant accueillir un quelconque stress, rituel quotidien que je m’efforçai d’appliquer chaque fois que je devais retrouver un client, même qu’il fasse partie de mon très restreint cercle d’amis.

je me prêtai au jeu sans vraiment être certaine d’avoir l’envie d’en savoir davantage compte tenu du fait qu’il ne manquait plus que des grosses gouttes de sueur sur le front de Jay pour qu’il ressemble à l’un de ces personnages de dessins animés tant affectionnés de mon fils.

ses explications me tirèrent un sourire gigantesque. j'avais du mal à voir Jay comme le type qu’on piège si aisément mais l’idée était plus qu’amusante. « je suis donc ton dernier espoir, c’est ce que tu me dis là ? » mon index rejoignit mon menton, signe que je me mis à réfléchir, tapotant ma mâchoire avec celui-ci. ABBA, du baseball, un enfant de huit ans. certes Enzo n’en avait que six, mais je n’étais pas en reste pour autant. je lui suggérai : « on priorise ? tu veux brainstormer pour cette fête d’anniversaire en premier lieu ? »

Je suis toujours du genre à me mettre dans des affaires pas possibles. Mon psy dirait qu’il faut que j’arrête de dire oui à tout, mais quand on a une carrière comme la mienne, il faut être prêt à faire quelques sacrifices… Notamment abandonner parfois sa dignité pour faire des choses que l’on est pas certain d’accomplir. Et ça commence par l’anniversaire d’un gamin de huit ans. Qui songerait à donner cette mission à un présentateur télé ? J’ai engagé plus de drag queens dans ma vie que de clowns. Est-ce que les enfants aiment toujours les clowns ???

Ava est mon seul espoir dans cette situation, et je me dis que j’ai vraiment de la chance d’avoir prévu un rendez-vous avec elle aussi rapidement, même si ce n’était pas du tout le sujet de cette réunion. Il faut dire aussi que les soirées mondaines me stressent moins. Les enfants et moi, c’est une longue histoire de « suis moi, je te fuis ». Ils semblent tous m’adorer quand leur présence me met bien mal à l’aise. Je ne sais jamais quoi leur dire et quand ils me regardent avec leurs grands yeux en mode « mon pokémon préféré c’est racacaille ! », je me demande ce que j’ai fait pour mériter ça.
Sans doute que le désespoir doit se lire sur mon visage, quand je vois que l’amusement brille dans les jolis yeux d’Ava.

« Tu es mon seul et unique espoir, Ava. Sauve-moi je t’en prie ! »

Je suis sans doute un peu dramatique, mais l’idée de décevoir ce pauvre gosse m’a littéralement rongé toute la nuit. Quelle idée aussi d’accepter un plan pareil, je n’ai même plus l’excuse d’avoir consommé avant de dire oui. Je me rassois, portant mon café à mes lèvres, comme si j’avais encore besoin d’un excitant alors que je ressemble à un chihuahua sous cocaïne.

« Oui, si tu es ok avec ça, je voudrais qu’on se concentre là dessus… »

Je passe une main sur ma barbe inexistante en essayant de remettre en marche les deux neurones qui se battent en duel dans mon cerveau.

« Tu as un fils, non ? Est-ce que tu sais ce que les enfants aiment de nos jours ? »

Je sais bien que tous les gamins sont différents, mais le baseball et ABBA ça ne m’aide pas vraiment à me faire une réelle image de Jordan. J’ai besoin d’une experte en la question.