Voir Lidye sur son lit d'hôpital, ça avait totalement bouleversé Ayem. Ses larmes n'avaient eu de cesse de couler, et la culpabilité s'était faite maîtresse chez elle. Tout ce temps à pourrir la vie de sa soeur, juste pour le plaisir et aussi parce qu'elle voulait lui faire comprendre qu'elle s'était sentie rejetée tout ce temps, et désormais, tout ce qu'elle voyait c'était qu'elle n'avait jamais réussi, pas une seule fois, à lui dire qu'elle l'aimait, et à chercher à créer un lien. Elle n'était pas l'ainée, c'était certain, mais rien ne l'empêcher de faire des efforts aussi de temps à autres. Mais tout ce qu'elle avait fait, c'était gangrener la situation, sans jamais rien faire d'autre que se complaire à lui rendre la vie dure.

Elle avait envoyé un message à Alec et à Meg, en leur disant rapidement la situation. Le même message, à tous les deux. Elle avait serré les dents et soupiré en laissant échapper un sanglot, quelques heures auparavant quand elle avait remarqué que Meg avait lu, commencé à écrire, avant de laisser un silence. Elle préférait ne pas connaître le contenu du message qu'elle avait commencé à taper. Car Meg détestait Lidye avant même de connaître le côté conflictuel de sa relation avec Ayem. Alors, évidemment, il ne devait pas y avoir grand chose de positif à dire. Elle préférait savoir qu'elle s'était abstenue, bien que c'était douloureux de remarquer qu'elle n'avait même pas pris la peine d'essayer de la réconforter.

Alec, quant à lui, lui avait répondu qu'il arrivait, et lui avait donné rendez vous dans un parc, pour lui changer les idées de l'hôpital. Elle avait prévenu Noah, qui lui avait juré qu'il la tiendrait au courant de la moindre avancée. Il semblait tout aussi préoccupé pour Jules, alors elle ne pouvait guère lui en vouloir. Elle se disait que ni l'un ni l'autre ne saurait avancer sans une d'entre elles. Enfin, même si Ayem n'avait strictement rien à offrir à Jules, elle prenait conscience de l'ampleur des choses qu'elle voulait faire avec Lidye.

Alors, le cœur serré, Ayem avait quitté l'hôpital, en guettant non stop son téléphone, au cas où on aurait des nouvelles à lui donner. Elle s'était dirigée, difficilement, lentement, d'une façon qu'elle n'avait pas de se déplacer, jusqu'au lieu de RDV. Quand elle le vit, elle se rua vers lui, le laissant la prendre dans ses bras, elle éclatait en sanglot en sentant l'emprise de ses bras. «J'essaie. Je m'en remettrais pas s'il lui arrivait quelque chose... Je me sens tellement nulle, j'ai jamais été là pour elle, en vrai..»

Elle était désemparée, totalement larguée. S'il y avait bien une émotion à laquelle elle n'était pas préparée à faire face, c'était bien celle-ci. Car elle avait toujours eu le contrôle de tout ce qui régissait sa vie. Elle avait toujours pris soin de ne pas se laisser dépasser. Alors, évidemment, elle en souffrait énormément. D'autant que s'il y avait bien une chose qu'elle ne contrôlait pas, là, c'était l'importance de sa soeur dans sa vie, qu'elle n'était pas sûre de savoir gérer correctement.

L'absence de réponse de la part de Megara, qu'elle soupçonnait de ne pas savoir comment répondre était d'autant plus douloureuse. Elle savait que Meg ne portait guère Lidye dans son coeur, mais tout de même. Elle aurait pu faire semblant, le temps d'un instant. Après, elle comprenait parfaitement que Meg n'ait pas envie de mentir. Elle appréciait cela chez sa meilleure amie.. Elle ne mentait pas. Elle ne faisait pas semblant. Et c'était vraiment appréciable. Sauf que pour le coup, elle se serait bien volontiers nourrie d'un peu de mensonges de sa part.

Elle avait de la chance dans la présence d'Alec. Il était là. Il n'avait pas hésité une seule seconde à venir en renfort. Et elle appréciait. Dans les bras de son ami, elle sanglotait. Lui dire qu'il avait toujours eu raison était inutile. «Oui, d'accord...» continuait-elle de sangloter, en se raccrochant à ses bras, salissant au passage sa veste de ses larmes. Elle n'avait pas fait attention à la texture, elle espérait seulement que ce ne soit pas du cuir. «Merci d'être venu si vite... ça me fait du bien que tu sois là.» avoua-t-elle ensuite.

Malgré tout ce qu'il y avait pu avoir de négatif entre Lidye et elle, elle ne pouvait pas se résoudre à accepter une situation aussi difficile. Epaulée par Alec, elle aurait aimé pouvoir en dire autant de Megara. Si son amie ne répondait pas sous prétexte de ne pas savoir comment, l'idée de ne pas avoir de positif de la part de sa meilleure amie était un vrai crève-coeur. Peu importe les mensonges que ça couterait, elle avait besoin de voir qu'il restait de l'espoir pour Lidye et que leurs différends ne resteraient pas la seule chose qui demeurerait entre elles deux.

Ses yeux se levèrent vers son ami, sans aucune vergogne de déverser sa fontaine de larmes sur ses vêtements. Heureusement qu'il était là, Alec, sinon elle aurait l'impression de s'effondrer et de couler plus durement que ce qu'elle aurait pensé. «Merci beaucoup Alec. Je ne sais pas ce que je ferai sans toi» balbutia-t-elle, répétant le même fond de paroles, incapable de faire de plus. Elle le connaissait suffisamment pour savoir qu'il ne lui en tiendrait pas plus rigueur que cela ; c'était Alec, et elle avait confiance en lui et sa bienveillance. Elle tenta de se reprendre. «J'espère que je n'ai pas coupé ce que tu faisais.» Elle espérait que non, pensée égoïste et intrusive qui lui donnait l'envie d'être au centre de ses priorités, sans doute poussée par autre chose que cette amitié, ou peut-être pas. Prise de risque d'entendre quelque chose qu'elle ne souhaitait pas entendre, mais susceptible, comme rares sont les fois, de comprendre et ne pas faire de scène. La vision de Lidye sur son lit d'hôpital suffisait.

La situation la faisait souffrir, c'était une évidence. Et la situation la mettait face à ses vieux démons et à chacune de ses erreurs : si elle avait perdu Lidye, pour l'absence de relation entre elle, elle ne pouvait blâmer quasi qu'elle. Et il n'y aurait pas eu de retour en arrière. C'était aussi ce qui la rendait si fébrile émotionnellement.
C'était l'assurance d'Alec qui lui remontait le moral, et qui lui donnait la sensation que tout irait bien. Il le fallait après, tout. C'était une nécessité, Ayem ne pouvait pas perdre sa soeur, pas comme ça, pas dans ces conditions, pas alors que Lidye était si jeune. Et le fait d'avoir son ami présent, près d'elle, c'était essentiel -certes pour son propre confort- pour qu'elle ne perde pas la tête.

«Quand même. Merci.» répéta-t-elle en s'essuyant les yeux du revers de la manche. Elle aurait pu prendre son téléphone à ce moment très précis, pour envoyer un message amer à Meg, et lui dire ce qu'elle en pensait. Mais non, elle prit le parti de ne pas donner raison à celleux qui pensaient qu'elle pouvait être mauvaise. Ne pas donner raison à la pire version d'elle-même. Elle avait juste besoin  «ça compte vraiment pour moi, tu sais.» redit-elle, plus trop certaine que ces mots soient sortis à haute voix, les idées toujours confuses.

Ayem renifla un peu, comme un petit enfant, les yeux rougis, la frange qui lui tombait dans les yeux, augmentant le phénomène de rougeur et hocha la tête.  «ui» dit-elle doucement, d'une voix fluette. «une glace c'est bien, oui. Enfin, si t'as toujours rien d'autre à faire, d'accord ?» insista-t-elle.