Dire qu’il y en a qui passent leur retraite dans une cabane au bord d’un lac à pêcher toute la journée. A cette pensée, j’avais l’impression de m’être fait avoir. Alors certes, je n’avais pas prévu de mettre fin à ma carrière professionnelle aussi rapidement et en plus j’étais pas un grand fan de pêche. Cependant, j’avais eu l’espoir d’avoir du temps pour m’occuper de mon jardin, faire pousser mes hortensia… Au lieu de quoi, depuis septembre dernier, je passais le plus clair de mon temps au laboratoire des Cries of Hell à superviser les nouvelles recrues. Bon, il fallait bien que quelqu’un s’en charge, puis je le faisais déjà avant, alors pourquoi pas continuer. Mais là, tout de suite, je me faisais bien chier. Chacun bossait sagement à son poste. Vraiment, j’avais l’impression d’être le surveillant d’une classe d’examen.

Oh, ça allait bien capoter à un moment ou un autre, c’était toujours comme ça. Dans quelques minutes, il y en aurait bien un pour manquer à tous nous faire exploser avec un mélange nouveau à la composition bancale. En attendant, j’étais plongé dans la lecture d’un ouvrage des plus intéressant sur la permaculture et comment la mettre en place chez soi dans son potager. J’avais vraiment envie de m’essayer à cette technique de jardinage, peut-être pas cet été, mais j’avais l’intention de faire quelques changements dans mon jardin. J’attendais simplement l’automne pour m’y mettre. Pour le moment, je me contentai de lectures et de vanter la beauté de mes hortensias. Mais en voyant le petit nouveau me passer sous le nez, raccrocher sa blouse et sortir, je me décidais à m’intéresser un peu à ce qu’il se tramait dans la pièce.

Je n’avais rien dit à Peter, il avait le droit de sortir, personne n’avait de contrat de travail ici, donc difficile de les retenir. Chaque étudiant savait qu’il faisait le nombre d’heures qu’il voulait, juste, on les payait à la quantité produite. Moins de dope, moins d’argent, jusque-là, c’était logique. Rapidement, je repérai le poste vide de Finn, lui, il était pas du genre à partir rapidement. Je fus assez peu surpris de le trouver à la place de Peter. Je levai les yeux au ciel, les jeunes, je vous jure. Toujours à essayer de se couvrir les uns les autres. Je regardai par-dessus l’épaule de Finn ce qu’il essayait de tramer jusqu’à ce qu’il remarque ma présence.

- Je vois ça. Putain, mais qu’est-ce qu’il a foutu.

A priori, pour des étudiants en chimie, ce n’était pas si compliqué de suivre une procédure. Tout du moins, c’est ce que je pensais. Mais chaque jour, ces jeunes arrivaient à m’épater avec leurs erreurs et le prof en moi était incapable de leur en vouloir. Je restais encore convaincu que c’était en faisant des erreurs qu’on apprend.

- C’est pas mal ce que t’essayais de faire, enfin, je vois l’idée, mais ça va pas suffire pour ce genre de composant, c’est rattrapable, bon elle va être de moins bonne qualité, ça fait chier, mais c’est toujours mieux que de jeter. Je t’explique…

Finn l’avait sûrement déjà assez entendu, le gâchis n’était pas acceptable dans notre branche, sinon il coûtait cher. Je lui expliquais donc comment rattraper les erreurs de Peter. Quel procédé chimique utiliser et pourquoi. Je mettais peut-être un peu trop d’effort à lui expliquer alors que j’aurais simplement pu dire à Finn de retourner à son poste et me laisser m’en charger.

- C’est toi qui a renvoyé Peter ? Pourquoi t’as fait ça ?

Je crois que je savais pourquoi, mais je préférai en être sûr. Vous pouvez être certain, d’ailleurs que j’allais surveiller le petit nouveau de prêt à son retour. Hors de question qu’il nous foute en l’air toute la dope bêtement. Et je n’aimais pas trop les gens qui n’assument pas leurs erreurs et qui laissent aux autres le soin de réparer derrière eux. j’ai jamais mangé personne putain, Peter pouvait bien venir me demander de l’aider. Surtout que de tous les Cries of Hell qui veillaient sur eux, j’étais sûrement un des plus sympa. C’est d’ailleurs pour cette raison que c’était souvent moi qui encadrait les nouveaux. J’avais moins tendance à les faire fuir, surtout en ce moment, on avait besoin de main d'œuvre.

Heureusement, tous les étudiants n’étaient pas des Peter, on avait quand même des espoirs comme Finn. Il prenait ses responsabilités, il était attentif à mes explications et je savais qu’il aurait aucun mal à reproduire ce que je venais de lui montrer. C’est un gosse intelligent. Ca lui arrivait de faire des erreurs, il était encore jeune après tout, mais il apprenait vite et c’est tout ce qui comptait. Si on pouvait en avoir un peu plus comme lui, le gang se porterai sans doute mieux. Même si bon, ce n’était pas l’efficacité de nos équipes de production qui pêchait le plus chez les Cries of Hell, si vous voulez mon avis. Malheureusement, ce n’était pas moi qui avait le contrôle là dessus.

Bien sûr, je n’avais rien contre jouer les profs, même après ma retraite. Cela ne m’empêchait pas d’être agacé par la situation. J’écoutais les arguments de Finn, le laissant aller jusqu’au bout de son raisonnement. C’est vraiment là que je me demandais si j’étais comme ça aussi il y a trente ans. Non, j’étais un sale gosse dans ma vingtaine. J’aurais sans doute craché sur les chaussures de mon prof s’il s’était permis de me faire une mauvaise réflexion. Le point de vue de Finn se défendait… Enfin il se défendrait si on était dans une salle de classe basique, où on fait des expériences ennuyantes parce que le programme scolaire se contente de ça à cause des “normes de sécurité”.

- Ouais. Je vois. Si tu le recroise, dis lui quand même de bien réfléchir. Parce que même s’il est moins stressé, il faut qu’il comprenne qu’on est pas chez les bisounours ici. Alors s’il se chie dessus au moindre faux pas, c’est pas la peine qu’il remette les pieds chez les Cries. On a pas de budget couches ici.

J’étais dur, mais croyez-moi, Finn avait raison quand il disait que j’étais sympa. Mes camarades de gangs n’étaient pas aussi tendres, ni aussi patients que je pouvais l’être avec nos jeunes recrues. Puis merde, il faut bien leur apprendre à la prochaine génération, on est un gang quoi ! On gère des business illégaux, s’ils s’endurcissent pas un peu, autant signer leur arrêt de mort direct. Même si pas mal de nos jeunes pensent qu’ils sont en sécurité dans le labo, tout peut arriver. Entre descente de flic ou accroc avec un autre gang, rien n’est jamais tranquille dans cette vie.

- Je sais que t’as voulu être sympa avec lui Finn, mais clairement, tu l’as pas aidé là. Donc tu diras ce que tu veux à Peter pour qu’il revienne ou non, mais j’aurais quand même préféré, qu’il soit encore là pour qu’il apprenne quelque chose. Tu vois ce que je veux dire ?

Personne l’aurait bouffé le petit, s’il est pas capable de comprendre ça non plus, ça sert à rien qu’il reste chez les Cries of Hell. Bon, le problème, c’est que maintenant il connaissait l’emplacement du labo, une partie du fonctionnement du gang. Mais je ne m’inquiétais pas trop, Peter était jeune et s’il était aussi trouillard, il n’irait pas cafter parce qu’il sait que s’il le fait on va lui tomber dessus.

- Bon, ce qui est fait est fait. C’est pas si grave. Mais je peux te poser une question Finn ?

J’allais lui poser quand même. Je sais pas pourquoi je lui ai demandé son avis avant :

- Pourquoi t’as rejoint les Cries ?

Ce n’était pas un jugement de valeur. Je n’essayais pas de remettre ses choix en questions non plus. Juste, Finn était un bon gars, il faisait attention à ses camarades, il était intelligent, gentil, clairement, il pouvait trouver mieux à faire que de la dope dans une labo pourri. Enfin je dis ça, j’avais une doctorat en physique-chimie et j’avais passé ma vie à faire ça aussi… Mais j’étais un gosse de Cries, ma vie était toute tracée, ce gang était ma famille. Finn, lui, avait fait le choix de nous rejoindre.