j'éclate de rire avec lui, quand je l’entends se défendre que ce que je fais n’a aucun rapport avec ce qu’il fait. c'est souvent comme ça avec Alecsy, mais peu importe, moi je vois la ressemblance entre le fait de déterrer des trésors de l’histoire et le fait d’en créer. parce que je suis certaine que, dans quelques centaines d’années, ce qu’il fait actuellement sera largement recherché par les futurs archéologues, si ce métier survit à la technologie.

ma tête oscille positivement à sa réponse. la plupart des étudiants s’arrêtent après les quatre ans pour le diplôme à l’université tandis que d’autres essaient d’avoir un doctorat. c'est mon cas, mais je sais que je vais vite me lasser de l’université. pour l’instant, c’est la chose principale qui me fait tenir face aux tensions dans ma famille depuis la mort de Peter. « normalement, dans deux ans c’est terminé, oui. » c’est long, mais je sais pourquoi je m’entête. mais je ne lâche pas pour autant mon argument, avec un visage qui veut tout dire : j’ai raison et n’en démordrai pas. mon rire continue de faire écho dans ma gorge. « voilà, c’est ce que je voulais entendre, oui, ça me convient. c'est le travail des gens comme toi qu’on déterre le plus. bien entendu, comme toi mais avec plus de siècles dans les dents. »après tout, Alecsy est peut-être plus vieux que moi, je me rends à l’évidence, il n’est pas âgé de plusieurs siècles non plus, ce serait effrayant.

dans l'immédiat, j'ignore comment je dois réagir : sourire, baisser les yeux, éclater de rire, lui assener une petite tape ou un petit coup de poing... mais je n'en fais rien, la violence, même minime, ne suffira pas pour signifier la gratitude que je ressens. parce qu'il ne me félicite pas, pas vraiment, mais il ne me critique pas. dans ma fratrie, le fait que je continue les études malgré mon âge semble déranger plus que nécessaire. après tout, ils ont tous fait les quatre ans règlementaires et ont, depuis, de bons métiers, posés, qui leur permet de bien gagner leur vie là où je suis obligée de compter sur des bourses et des subventions, voire de demander à mes parents de m'aider quand c'est nécessaire. ça ne plaît pas à mes frères et sœurs, mais tant pis.

cette fois, je glousse sans retenue, comme une truie qu'on essaie de mettre à l'eau après un bon bain de boue. « toi, à l'instant.  » il ne l'a pas dit ouvertement, mais sa question coule de source. ma tête oscille doucement alors que mes yeux, eux, expriment une forme de malice qui pourrait bien le mettre dans la sauce si je le décidais. mais je suis de bonne humeur, je préfère rester taquine de la manière la plus simple qui soit. « haut les cœurs, si tu veux, je t'aide à le faire. » ou pas, mais ce serait marrant, comme activité.

« comme d'habitude, c'est toujours tendu et un peu compliqué, je n'existe que lorsqu'il s'agit de me reprocher des choses, à commencer par mes choix. » je déglutis avec difficulté. ce n'est pas exactement la conversation que je rêvais d'avoir, mais Alecsy est déjà bien au courant de ma vie depuis mon arrivée à Fall River, même s'il n'a pas forcément tout suivi en temps et en heure. alors je ne vois pas l'intérêt de faire semblant que tout va bien, il n'y a pas de change à donner, et je suis bien heureuse qu'il existe quelques personnes avec qui ça ne soit pas nécessaire.

je l’écoute sans broncher, une partie de moi apprécie qu’il prenne le temps de m’encourager, mais l’autre, celle qui a appris à ne pas trop espérer, reste un peu sur la réserve. pourtant, c’est bienveillant, je le sais, et venant d’Alecsy, ça a encore plus de valeur. alors je laisse mes lèvres s’étirer dans un sourire presque trop large pour paraître honnête. « oh, arrête un peu, t’es en train de m’émouvoir, là. » je roule des yeux, parce que c’est plus simple de jouer les indifférentes.

mes doigts tapotent distraitement la table, rythmant ainsi le flot de mes pensées. « c’est pas que je me fiche de leur avis, hein. mais... tu sais, parfois, j’ai juste envie de leur crier dessus, de leur dire que c’est pas leur vie, que c’est la mienne. » un soupir m’échappe, un peu plus lourd que prévu, mais je garde ce sourire ironique qui semble dire que tout ça, au fond, ne m’atteint pas vraiment. même si, bien sûr, ce n’est pas totalement vrai.

« et toi, alors, grand philosophe de comptoir ? c’est quoi ton secret pour supporter la pression de tout le monde ? ou t’es juste meilleur que moi pour faire semblant que rien ne t’atteint ? » mon regard se pose sur lui, un peu plus vif, un peu plus curieux. c’est toujours plus simple de détourner la conversation. d'autant que je sais très bien que depuis la mort de ses parents, quand ce n'est pas la colère qui le guette, il est face à plus de pression qu'il ne veut bien le laisser paraître. ça, puis, je suis sincèrement intriguée.