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(first) les yeux dans le vide, perdus devant ce spectacle, Ivy pense et repense à cette vie qui se termine si tôt. il n'était pas l'enfant de choeur de la famille, mais Peter y avait une place toute particulière. dernier garçon, avant dernier, il lui a appris à rire et à jouer, à prendre des risques et à toujours penser à s'amuser. lui, il en a abusé, désormais allongé, sans vie, dans cette boite en bois qui sera à jamais sa dernière maison. elle a du mal à pleurer. elle lui en veut. il est parti si tôt... si vite. alors elle repense à tout, toute cette vie passée aux côtés d'un frère qu'elle ne touchera plus jamais, qu'elle ne verra plus qu'en souvenir... (second) cinq ans. cinq ans et déjà elle sait compter, lire, écrire, même multiplier et commence à diviser par les plus petits chiffres. la maîtresse tique. à cet âge là, on apprend où est la droite, la gauche, on commence à colorier sans dépasser, on passe plus de temps à s'amuser en apprenant qu'à apprendre à s'amuser. ce que la maîtresse ignore, c'est qu'Ivy adore ça. aux côtés de ses frères et de sa soeur, elle apprend toujours. elle veut faire comme eux, elle veut faire comme les grands. elle n'a pas peur de tomber parce qu'elle sait qu'ils l'aideront à se relever, à apprendre davantage. curieuse, la gamine n'a pas froid aux yeux. et quand la maîtresse, bien qu'à contre-coeur, le propose, elle ne se démonte pas. elle veut faire comme les grands, elle veut faire avec les grands. et sans passer par la classe préparatoire, la voilà déjà au milieu de grands, de presque deux ans plus âgés qu'elle. elle a cinq ans, et eux sept ans. pourtant, elle compte bien leur prouver que l'âge n'est qu'un chiffre parmi d'autres. (third) être la petite dernière. avoir toute l'attention pour elle mais pas toujours. on ne lui demande ni d'être responsable, ni d'être mature, on n'attend pas qu'elle soit un aimant à problèmes ou même qu'elle ait des mauvaises fréquentations. si elle est d'abord au centre de toute une attention, presque trop protectrice, elle fait vite comprendre que ce n'est pas ce dont elle a besoin. derrière cette naïveté qui ne la caractérise que trop bien, Ivy est fougueuse, elle rêve, encore, toujours, mais surtout elle n'a pas besoin de toute cette attention. elle se détache alors de tout ça, devient plus indépendante et commence à apprendre par elle-même. (fourth) Adèle. cette jeune américaine. sa vie la fait rêver. sa vie lui fait envie. elle a douze ans, adèle quinze. elles sont presque dans le même niveau scolaire. cette idée d'échange est complètement révolutionnaire pour Ivy qui découvre les plaisirs d'écrire et de lire autre chose que de l'imprimé, autre chose que du savoir figé. elle découvre tout autre chose. elle fait son tout premier voyage à cette période-là. Adèle ne juge pas le fait qu'elle soit plus jeune, elles s'entendent à merveille. elles rient de tout, elles pleurent, parfois de tristesse, parfois de rire, elles échangent leurs difficultés, leurs envie. et Ivy découvre l'amérique. ou plutôt cette toute petite ville, fall river, qui n'a pas si bonne réputation, d'après Adèle. et pourtant, elle y voit une ville bien plus merveilleuse que York. (fifth) le programme d'échange cesse subitement. mais pas les lettres entre les deux amies qui continuent. séduite par le voyage et les aventures, Ivy cherche à réitérer. sans l'école, c'est plus compliqué pour elle de se déplacer. elle est jeune, encore trop jeune. on ne laisse pas une adolescente d'un peu plus de quatorze ans prendre seule un vol de plusieurs dizaines d'heures pour un caprice. alors elle supplie, elle pleure et elle larmoie auprès de ses parents, qui cèdent. elle prendra l'avion, oui, mais seulement pour des échanges scolaires, encadrés. (sixth) l'italie est sa première destination. elle n'y reste que huit mois avant de partir directement pour la grèce. les vestiges greco-romains de ces deux pays lui donnent de quoi écrire ses toutes premières histoires. elle détaille à ses frères, sa soeur, mais aussi à Adèle, tout ce qu'elle voit, s'invente des vies, y prend plaisir. elle aimerait pouvoir être de ceux qui font ces belles découvertes de civilisations disparues. naît alors une véritable passion pour l'archéologie. (seventh) son périple continue avec le japon, l'australie, puis le pérou. mais son tour du monde partiel s'arrête subitement en même temps que s'envole son sourire, au travers d'une atmosphère lourde, pesante, qu'elle ne pensait jamais avoir à affronter. Peter est mort. elle savait très bien quelles étaient ses addictions, ses "défauts", comme parfois elle l'entendait. mais jamais elle n'aurait imaginé le perdre alors même que, quelques jours auparavant, elle recevait une réponse à ses lettres manuscrites. Peter est mort. une réalité si difficile à accepter. la mort dans l'âme elle rentre en Angleterre et se confronte à sa famille, aussi dépitée qu'elle. devant tous ces gens qui viennent les saluer, qui la regardent avec curiosité devant son absence de larmes, Ivy repense à tout ça. comment ont-ils pu en arriver là ? au bord du gouffre, la culpabilité l'étouffe, violente ennemie qui l'empêche de fermer l'oeil. tellement détachée de sa famille, une telle issue ne lui a jamais été envisageable. et pourtant... eighth effacée, disparue. on la regarde mais il semble que personne ne la remarque. elle est là, figurante de sa propre vie. Peter est l'enfant dont tout le monde parle, que tout le monde souligne. cet enfant, ce dernier enfant parti trop vite. Ivy est là, véritable dernière de la fratrie, mais elle ne dit pas mot. seule à souffrir ? certainement pas. elle préfère donc s'emmurer dans ce silence, gardant pour elle ses impressions de ne plus exister. elle a besoin d'une échappatoire. une qui la fera se sentir vivante de nouveau. ninth petite lumière, étincelle de désillusion, on parle de Fall River. Aussi suit-elle, tout simplement, dans l'espoir de revoir Adèle, qu'elle a laissée de côté depuis plusieurs semaines, depuis la nouvelle du décès du penultième Blake. très réinscrite à l'université qu'elle a pourtant lâché auparavant sans un mot en même temps que son fabuleux programme d'échange, elle découvre les rouages de l'enseignement américain et devient même l'amie de son "parrain", ce garçon désigné pour lui faire visiter le campus. leur amitié est naturelle, si bien qu'il lui propose de devenir sa colocataire, à peine quelques semaines plus tard. Ivy accepte. plus que tout, elle aime sa famille, mais elle ne supporte plus d'être autour d'eux, décoration murale la plupart du temps si ce n'est tout le temps, d'ailleurs... tenth elle rencontre Soraya. pour la première fois de sa vie, quand ses yeux se posent sur quelqu'un, le coeur d'Ivy bat la chamade, se serre et se déchire à la fois. elle ne connaît pas ce sentiment, habituée à garder le nez dans ses livres ou à apprendre de vieilles histoires en tout genre sur des civilisations, toujours plus curieuse du passé que du présent. mais avec Soraya, elle se surprend même à espérer penser au futur. l'autre jeune femme, cependant, semble moins libérée, moins libre de penser et faire ce qu'elle souhaite. douce folie que de croire que la curiosité de la petite dernière Clarke s'arrêtera par ici, alors même que Soraya représente ce refuge derrière le deuil, cette oasis de tranquillité face à la dure bataille qu'est la vie.