Cette fois, on y est... le début de la fin et étonnement, ça me fait peur... je n'ai pas envie que ça s'arrête même si ce n'est clairement pas le job dont je rêvais à la base, très loin de là même. Bah finalement c'est pas si mal. Au moins je fais de la musique, je partage ma passion avec quelques gamins, certains n'en ont rien à foutre et je les ai vite repérés, mais y'en a qui ont du potentiel et au final... ils ne sont pas si insupportables que ça. Je n'irais pas jusqu'à dire que je suis une excellente prof et que je vais finir ma carrière là-dedans, mais continuer quelques années de plus aurait été cool.
C'est dommage, hein ? Parce que ce connard finit par réussir son coup, à cause de lui je vais me faire virer c'est certain. Il est allé pleurnicher dans le bureau du directeur à ce qu'on m'a dit, complètement outré de s'être reçu un baffé. S'il savait que tout le monde dans la salle de pause semblait ravi de son sort... il n'en reviendrait pas, le petit. Et monsieur Ramos a beau être un directeur assez atypique et particulièrement doux... je sais bien qu'il va être obligé de me renvoyer.
Je ne me fais pas d'illusion, des parents se sont déjà plaints parce que j'ai été un peu trop honnête avec des étudiants sans talents et sans volonté... je ne veux pas perdre mon temps avec ceux qui sont là juste pour profiter du chauffage. Les collègues ne m'apprécient pas spécialement, je ne parle pas beaucoup et je ne suis pas de nature joviale... ce n'est pas moi qui mets l'ambiance à la cantine, quoi... et puis, même si je n’ai jamais été en retard à aucun de mes cours ni à aucune répétition, j'ai du mal à m'intégrer dans le campus... alors je ne vois pas pourquoi il s'encombrerait de moi.
Je pense que c'est pour ça que j'ai été convoqué dans son bureau en fin de matinée... juste après mon deuxième cours de la journée. Alors hier soir, j'ai cherché un potentiel nouveau job... Et bon sang que ça me déprime de me dire que je vais sans doute me retrouver à faire les rayonnages dans une supérette du coin à partir de la semaine prochaine... tout ça pour un salaire qui ne couvrira même pas mon appartement. J'espère que je vais trouver mieux que ça... mais pour le moment, la sentence va tomber, et ça me fait chier. Mais bon, j'ai assez essayé de retarder l'échéance, il est l'heure, et je déteste être en retard. Je toque contre cette grande porte et entre en m'annonçant.
- Monsieur Ramos ? Je suis arrivée.
Il me fait signe d'entrer et met directement les pieds dans le plat, je savais bien qu'il ne m'avait pas convoquée pour partager les derniers potins autour d'un café, mais ça fait bizarre de l'entendre parler de cet événement comme ça... personne n'avait abordé le sujet avec moi, à part Hightower, et pour le coup, ça me donne la sensation que tout ça est bien plus réel que ce que j'ai pu penser. Je m'assois comme il me le demande dans son fauteuil qui lui fait face. Son bureau est à son image, je dois dire, excentrique, coloré, tape-à-l'œil... oui, il lui va bien.
Je hoche la tête quand il me demande si je sais pourquoi je suis là, puis reprends mon souffle... je ne m'étais même pas aperçu que je le retenais. Attend, il ne va pas me virer ? J'ouvre grand les yeux de surprise, surtout quand je l'entends me dire qu'il sait à quel point Alex est insupportable. Je l'écoute attentivement me raconter la suite, les doyens hein ? Ceux-là même qui ne voulaient pas de moi en tant que prof. En giflant ce crétin, je leur avais donné une occasion en or de me mettre à la porte, et pourtant il a réussi à les faire changer d'avis ? Cet homme est officiellement mon héros.
Il continue, le seul témoin hein ? Alors, y'a que Hightower qui lui a parlé ? Ça m'étonne qu'à moitié, pour être honnête, la plupart des autres profs sont assez faux-culs et n'auraient pas voulu prendre parti entre la peste et le choléra. Je suis donc certaine que c'est le prof de piano qui lui a parlé, c'est le seul qui m'a l'air droit dans ses bottes et qui ne mâche pas ses mots. Par contre, le fait que l'hipster au rabais dise que je l'ai frappé sans prévenir ? Pardon ? Je crois que j'ai été plus que patiente avec lui et que s'il avait un minimum connecté les neurones, il l'aurait vu venir cette gifle. Moi qui espérais secrètement qu'elle lui rebranche le cerveau, visiblement c'est loupé.
- Je vous suis très reconnaissante d'avoir sauvé ma place, merci infiniment, mais vous savez, ce qui est fait est fait, et ça ne changera rien de savoir qui a fait quoi. J'assume mon erreur et, à vrai dire, je ne la regrette pas.
Il me regarde avec instance... Visiblement, il veut quand même ma version des faits. Ça ne changera rien, ce gosse de riche est pistonné quand nous, on doit se battre pour obtenir un poste... Certes, il se démerde bien en tant que prof, mais je connais des guitaristes mille fois plus talentueux que lui qui n'auraient jamais pu espérer ce job juste par divergence de style ou de genre. Bon... j'ai pas le choix, il ne lâchera pas l'affaire.
- Vous voulez vraiment mon point de vue ? Et bien... en premier lieu, je suis d'accord avec Hightower, vous savez ? Je sais que c'est lui qui vous en a parlé, y'a qui lui qui aurait osé, Lawson est un con. Le fait qu'ils sont venus vous dire qu'il n'a pas compris pourquoi il s'en est pris à une le prouve. Je passe mon temps à lui dire que je ne l'apprécie pas et que je voudrais qu'il me foute la paix depuis le début de l'année. Il n'en a rien à faire, il me colle... Rien que l'autre jour... Trois fois je lui ai dit de me laisser tranquille.
Les nerfs me reviennent bien vite rien qu'à parler de ce type, c'est dingue comme la simple évocation de son nom me tend, alors repenser à ce jour-là me donnerait presque envie de lui en coller une autre. Je détends un peu mes mains et calme ma respiration avant de reprendre plus doucement.
- Je sais que je n'aurais pas dû lui mettre une gifle comme ça... j'ai perdu mon sang-froid. Pour moi, il est allé trop loin. Comprenez-moi, il passe son temps à faire des remarques désobligeantes, sur les fringues, mes cheveux, ma façon d'être... aussi à dire qu'Hightower et moi on se ressemble vraiment, qu'on pourrait être frère et sœur... déjà ça ne le regarde pas et ce n'est pas la peine de répéter ça trente fois, on a compris... L'autre jour, après nous avoir sorti encore le même numéro, il m'a dit de sourire, que soi-disant je serais mignonne si je le faisais plus souvent. Alors je sais que j'ai dépassé les bornes, et je n'aime pas justifier mes actes, mais il avait franchi toutes les limites des autres bien avant.