Uriah avait toujours été l’un des seuls qui ne t’avait pas regardé de façon étrange ou compatissante, comme si t’étais déjà parti avant même d’avoir levé le camp. Ca te démoralisait, t’en pouvais plus de ces regards à la con sur toi. Et Ces infirmières, qui te disaient en permanence de ne pas trop forcer, de ne pas trop marcher, de ne pas fumer. Et respirer alors ? T’en avais le droit ou ça aussi, c’était tendu ? À deux doigts d’imploser, t’avais pris le parti de voir ton frère, l’un des seuls soutiens que tu avais ces derniers temps et que surtout, tu acceptais sans le repousser, à l’inverse de Séraphine. Pourtant, elle avait été irréprochable. Elle avait pris soin de toi, t’avait proposé de venir chez elle le temps de ta convalescence et si l’idée était alléchante sur le papier, tu ne pouvais pas. Tu ne voulais pas, aussi, parce que tu n’avais jamais voulu d’un truc pareil pour vous : une fois encore, c’était toi, qui prenais les décisions. Sans doute mauvaises, certes, mais la vie de Séraphine valait mieux que tout ce que tu avais au monde : elle ne devait pas subir pour toi:solidaires mais pas un seul et même être, Amour dévorant, presque toxique, c’était pas de ça, dont tu voulais. Et aussi dure qu’ait été la décision, t’avais décidé pour votre bien à tous les deux d’arrêter là avant que vous n’en soyez malades. Voilà, pourquoi t’étais là : tu ne l’avouerais probablement pas à Uriah, t’en avais du moins pas l’intention : en fait, t’avais juste besoin de passer du temps avec lui. « ouais. Pas faux. » t’avais ricané, lui adressant un clin d’oeil moqueur « je sais. J’ai toujours raison, t’as oublié ? » tu réprimais un rire et passais une main dans tes cheveux abîmés par ta couleur récente. Rose fluo, façon pour toi de profiter de ton retour parmi les vivants et de le prouver, naguère adepte de ces couleurs plus exubérantes les unes que les autres, façon comme une autre de prouver que t’existais. A la remarque de ton frère, tu grimaçais. Remplir les vides ? Tu voyais très bien de quoi il voulait parler. Lorsque tu étais encore là-bas, avant l’accident, c’était exactement ce que tu faisais, tu faisais parce qu’il fallait faire, sans aucune passion. Il te tardait de rentrer, mais en même temps, quel honneur d’être là pour protéger ton pays ! Nan. C’était là-bas qu’était ta place. Enfin, selon toi, parce que visiblement, les médecins ne voyaient pas ça du même œil que toi. Sourire aux lèvres tandis que ton frère te rejoignait dans le jeu, tu tournais un regard malicieux vers lui « prêt à prendre la pâtée de ta vie ? » la provoc’ ? C’était comme ça que t’avais toujours communiqué ton amour à ta famille, petit con que tu étais.

Tu avais toujours considéré les enfants Newell et ceux qui comme toi avaient été accueillis par la famille comme des frères et sœurs. Des vrais. Pas du même sang, c’est vrai. Mais il n’y avait pas que les gênes qui faisaient les familles. Toujours soudés, t’as pas imaginé ton retour autrement qu’en allant voir Uriah. Même si… t’aurais quand même aimé que les choses se passent différemment. Que ce retour là soit plus heureux. Tu le taquines, un sourire moqueur se dessine sur ton visage et ça te surprend. Depuis que tu es sorti de l’hopital, tu n’as pas le coeur à rire. Tu hoches la tête « Non, t’as raison, j’abuse. Y’a aussi quand j’ai pas tort, que… oh. Attends. » Tu pouffes de rire et lui adresse un clin d’oeil, lui faisant signe de venir s’asseoir : t’as rien dit, mais tu sais. Tu sais qu’Uriah n’a pas toujours des journées faciles. Tu imagines combien il doit être crevé, peut-être même parfois s’imaginer ailleurs, élever des chèvres en Nouvelle-Guinée, ou une connerie du genre. Tu n’es pas pour te comparer, mais tu as souvent été dans une situation similaire. Et pourtant, dieu sait combien tu l’as aimé, ton métier. Combien tu l’aimes même si tu sais que tu n’es pas encore prêt de reprendre. C’est d’ailleurs bien ça, qui te fout la mort. Parce que toi, t’avais clairement d’autres plans, pour ta vie. Et puis qu’on te rappelle tous les jours ce qui t’est arrivé, ça te rend aussi triste qu’en colère. Tu veux qu’on se souvienne de toi comme Ulysses et non comme le mec qui a failli clamser sous les couleurs du pays. Et pour ça, rien de mieux que de squatter chez le frangin : vous avez bien plus en commun que votre pays, tant de choses à aborder pour éviter les sujets qui fachent. À la réponse de ton frère, ton regard glisse, plein d’un faux jugement, sur lui tandis que tu restes immobile « Animal Crossing t’es sûr ? Nan, ça a l’air un peu trop violent pour ta petite tête. Allez, j’suis sympa. On se fait un mahjong ? » tu réprimes un rire et lui tires la langue, clairement en train de le titiller comme le sale gamin que t’as toujours été.

Tu ne sais pas si tu t’es chié ou si c’était pour le faire rire, que tu viens de sortir cette connerie. T’es tellement fatigué, que t’es même plus en état de savoir ce que tu voulais faire, de base. Dans le doute, on dira donc que c’était un dérapage contrôlé. Toi, roi de la mauvaise foi ? Oh !! si peu. Vous discutez du choix de jeu et visiblement, Uriah lui aussi est crevé. vraiment crevé. Parce qu’à côté, tu peux clairement relativiser, avec ta fatigue. Tu lui adresses un sourire amusé, de ceux que tu tires en coin pour agacer ton interlocuteur, et tu attends sa réaction, qui ne tarde pas à arriver « j’ai pas dit que t’étais vieux ! J’ai dit que t’avais une tête à jouer au majhong ! J’suis pas responsable des conclusions que tu peux tirer, moi ! Tu lui adresses un clin d’oeil moqueur et finis par mettre le jeu en route. Tu lui tends la manette, puis tu commences à paramétrer le tout. Un peu gêné, tu finis par lancer avec une petite voix d’enfant [b] « dis… on est bien d’accord qu’on cheat le jeu à trois mille pourcents, hein ? » t’as pas envie de perdre, juste de passer un bon moment avec ton frère. Tu t’en fous du moyen, t’as pas envie de rager. Et tu lui adresses un petit regard entendu « on se met en équipes ? » une lueur de malice s’allume dans ton regard. On pourra dire ce qu’on veut, il n’y a qu’a la maison, qu’on panse les plaies véritablement. En dix minutes avec ton frère, t’avais déjà presque oublié pourquoi t’avais débarqué !

Tu ricanes et tires la langues, te frottant l’oeil d’un fuck discret, digne d’un gamin. Mort de rire, t’as observé ton frère et d’un air désinvolte, t’as tourné la tête vers lui, l’oeil moqueur « effectivement. Je cherche de ouf. En revanche… je ne te permets pas ! J’y joue, moi, au mahjong ! Meilleur jeu de chiottes depuis candy crush ! Un peu de respect, je te prie ! » T’as tendu la manette à Uriah et t’as explosé de rire « arrêtes, tu sais très bien qu’on en est capables. En ce qui me concerne, du moins. J’suis bien plus précis sur counter strike qu’à Mario Kart ! » que t’as avoué. Et pour cause. CS, t’avais fini par en faire un métier. Oupsie. Concentré comme jamais, tu paramètres le tout pour que la partie soit intéressante. Quoique : vous connaissant, tu sais pertinemment que tu n’as pas besoin de faire beaucoup. Tu termines, t’apprêtes à valider… et soupires « t’es bien un Newell, toi ! Quel chieur ! » tu pouffes de rire et reviens sur tes pas, sélectionnes le mode miroir, refais tes réglages… « c’est bon ? Monsieur est content ? On peut y aller, ou t’as besoin d’une pause pipi ? » tu cherches, encore, encore et encore, c’est bien à ça, que servent les frangins. Et puis si ça peut retarder le mode miroir et ta démonstration même de l’expression « n’avoir aucune coordination », tu prends.

Tu le connais assez, Uriah, pour savoir qu’il doit s’en vouloir d’avoir parlé trop vite. Mais tu ne dis rien. En fait, le voir pagayer de la sorte te fait marrer. Tu arques un sourcil moqueur et hoches la tête, incrédule « j’suis pas si vieux que ça ! » que tu lances, faisant volontairement exprès de ne pas te reconnaître dans la catégorie des emmerdeurs… Faisant ainsi la démonstration que … si. T’en es un sacré. Pauvre Uriah. A se demander comment il te supporte depuis toutes ces années.

Amusé, tu réprimes un rire et soupires de lassitude « dans le jeu originel… oui. Mais j’ai l’impression qu’à mesure que le temps passe, elle est de plus en plus imbattable ! À moins que ça ne soit moi, qui deviens de plus en plus éclaté au sol à ce jeu ? » tu regardes la jaquette « 3 ans et plus ??? non, ils se foutent de la gueule du monde je refuse de croire qu’un petit de trois ans pourrait me pulvériser là dessus, c’est impossible ! » que tu lances, parti dans ton monologue tandis que tu finis les réglages du mode miroir. « merci pour le compliment ! » Tu lui tires la langue, un air de sale gosse fiché sur le visage.Tu t’apprêtes à lancer et… bordel, tu regretterais presque d’avoir fait la vanne de la pause pipi « aaah monsieur a peur, hein, c’est ça ? On se ravise ! On fait moins le malin !! » tu éclates de rire et le laisses revenir avec ses chips et autres cochonneries « ok. Pari tenu. » tu lances la partie, tu ne te démontes pas, bien qu’au fond, tu sens le massacre arriver, mais tu sais ce qu’on dit : le ridicule ne tue pas, et heureusement pour toi. Tu lances la partie : 3… 2… 1… T’as déjà oublié le concept : gauche et droite inversées, mais qui a imaginé ce truc aussi tordu ???

« un aveu dans mon silence ? » que tu répètes, dans un entre deux de rire et d’incrédulité. Moqueur, tu pinces sa joue « oh… qu’il est mignon ! Malgré toutes ces années, tu continues à douter que je sois un relou de première ?! Ça me touche Uri’ ! Merci ! J’pouvais pas rêver mieux, en terme de grand frère qui garde la foi ! » tu lui tires la langue et ris de bon coeur : oui, t’es un sacré casse pieds, mais un casse pieds marrant. Enfin du moins, c’est comme ça que tu t’es toujours évertué à te décrire et ça te ferait sacrément suer de réaliser que tu t’es planté depuis le départ. L’oeil malin, tu te recales contre le dossier du canapé et hoches la tête « parce que c’est une connasse ! Voilà, c’est tout ! Pas besoin de chercher plus loin ! » tu éclates de rire « c’est pas ‘probablement’, c’est ‘sans aucun doute ! J’ai pas joué depuis… » mais depuis quand, en fait ? Tu réfléchis. La dernière fois, c’était à la base. Kyle était toujours là, et bien meilleur que toi à ce jeu là, qui plus est. Tu grimaces « ça doit faire cinq ans. Déso, frérot : on va se faire massacrer ! » que tu conclus en ricanant, ta main tapant affectueusement son épaule. Un air malin sur le visage, tu ne réponds pas tout de suite à sa pique et hausses les épaules « nan… j’ai pas dit que j’en mangerai pas ! Je dis simplement qu’il est encore temps de commander, c’est tout ce que je dis ! » on disait quoi, déjà ? Ah oui. Relou de première. Tu réprimes un rire, remarque uniquement balancée pour voir sa réaction. Ce que tu peux être merdeux, quand tu t’y mets ! Tu lui adresses un grand sourire et lances le jeu. Mais la coordination est inexistante. Tu galères, te prends murs, participants et plantes carnivores. Putain, ça va être long ! Mais ça te tue de rire, d’être aussi mauvais !