NOVEMBRE 2023 - 19h15

Le vent - ou plutôt la brise - est froide mais peu importe. T'es allé chercher Cherry sans le moindre ménagement. Parce que tu t'es dit que c'était plus simple comme ça et parce qu'au moins vous auriez l'opportunité de passer un moment privilégié tous les deux malgré le froid de l'hiver qui commence à doucement s'installer à Fall River. Quelques jours auparavant, t'as spotté un kiosque de fortune près de la Taunton river. Rien de bien ouffissime, si ce n'est que ça se font très bien avec le décor tout en pierres et cailloux autour de vous. Tu tends la main à la jolie brune lorsque tu lui ouvres la portière pour qu'elle sorte de ta voiture.

- Mademoiselle, dis-tu en français tout simplement. Elle s'en saisit et vous avancez de quelques mètres avant d'arriver au dit kiosque. T'as quand même trouvé le moyen de mettre ça en scène joliment. Le truc est un peu abrité du vent et tu as disposé de chauffages d'appoint pour ne pas que vous vous geliez : avec l'arrivée de l'hiver, c'est un véritable luxe que tu t'es permis de prendre. Une table dans un coin avec une bougie mise à rude épreuve de la brise et du froid, dont la flamme chancelle sans s'éteindre et, de l'autre côté du kiosque, une baffle pour diffuser la musique partagée depuis ton téléphone. C'est pas grand chose mais ça me paraissait plus intéressant qu'un restaurant bondé. Quant au dress code, tu lui as dit d'être à l'aise et tu l'es toi-même. Pas en jogging, mais des vêtements suffisamment chauds pour tenir le coup, sans l'être trop si jamais.

T’étais prête à lui gueuler dessus, quand vous avez échangé ces quelques messages. Parce que t’étais certaine de ce que tu avais vu et compris. Et puis, il ne t’avait pas détrompée, alors c’était sûr, t’avais raison ! Ou pas. Parce qu’à mesure qu’il t’a expliqué, tu t’es sentie idiote. La dernière des sales bêtes, à lui faire ce genre de coups bas à grands renforts de jalousie : même toi, t’as pas compris, ça ne te ressemble pas.

Ses explications t’ont rassurée. Toute aussi merdeuse que tu te sens, t’as fini par accepter votre rendez-vous ; il n’a d’ailleurs pas fallu grand-chose pour te convaincre. Sans rechigner, t’avais pris le rendez-vous… et tu t’étais habillée en conséquence : des collants opaques noirs sous une robe lie de vin, au dessus de laquelle tu avais passé un long manteau beige, pour te protéger du froid de l’hiver. Emmitouflée dans ton écharpe, on voir à peine ton nez qui dépasse. Tu lui adresses un sourire et lèves les yeux au ciel, moqueuse, lorsque tu l’entends te lancer ce « mademoiselle » stéréotype en français qui, pourtant, fait son petit effet… Attendre, tu attrapes sa main en souriant et descends de voiture. Ton regard est aimanté par toute la mise en scène du lieu, tu n’oses pas comprendre « Roman, c’est magnifique ! C’est toi qui as fait tout ça ? » que tu demandes aussi stupéfaite que ravie « ça a du te prendre un temps monstre ! » que tu penses à voix haute. Quand tu penses que tu te serais contentée d’un plat chinois commandé et dégusté sur ton lit, dans ta chambre d’hôtel… mais tu vas pas te plaindre : c’est bien mieux que ce que tu aurais jamais imaginé.

T'es bien content qu'elle ait accepté compte tenu du ton un peu froid de votre conversation avant qu'elle ne se rende compte à l'évidence : t'es plus au courant de ta propre vie amoureuse et familiale qu'elle. Mais tu en conviens, les apparences, surtout avec Claudia, portent à confusion. Ce que Cherry n'a pas su avant tes réponses, c'est que Claudia n'est rien d'autre que l'alibi que tu sers à ton père pour être tranquille, de même qu'en soirée, tout comme t'es le sien, à elle, d'alibi. Éviter d'avoir des comptes à rendre, c'est à ça que sert ce "couple" qui n'en est pas un. Et puis honnêtement ? Tu n'as d'yeux que pour Cherry.

Quand elle sort de la voiture, tu es heureux du petit effet que fait absolument tout : ton français qui étire ses lèvres au point d'en faire fondre ton coeur, comme de ses yeux émerveillés devant le kiosque. Sourire en coin, regard ravi, tu es plus que satisfait.

- Ce n'est vraiment pas grand chose, tu sais. Tu n'es pas un homme modeste, mais tu t'es dit qu'il valait mieux le dire ainsi ; après tout, c'est vrai. Alors, tu souffles dans un léger murmure que tu n'es pas sûr qu'elle entende. Puis si ça t'impressionne, c'est tant mieux, après tout. Cherry a touché ton coeur d'une manière que tu n'aurais pas cru possible tant tu t'es renfermé depuis la perte de ta petite soeur. Peu importe le temps que ça m'a pris, tant que ça te plaît...

Voir les étoiles dans ses yeux en met dans les tiens. Complètement mordu de cette jolie brune, c'est l'évidence même. On ne parlera peut-être pas d'amour véritable jusqu'à présent, mais ce que tu ressens pour elle n'a jamais eu aucun égal dans toute ta vie. Ton sourire s'étire doucement, mais sûrement. Parce que tu sais que tu as marqué des points, tu sais que tu as provoqué quelque chose une forme d'émerveillement que tu recherchais ; un peu le même type que tu ressens chaque fois que tu poses tes yeux sur elle. Elle est belle, Cherry. Et d'une manière complètement incompréhensible, elle te redonne l'oxygène qui te manquait tant depuis le décès de ta petite soeur.

Tu te mords la lèvre et acquiesces.

- C'est là que Charlie et moi venions chaque fois qu'elle avait besoin de se vider l'esprit. Autrement dit, c'est un lieu que tu n'as jamais partagé avec personne, pas même Elliott, à vrai dire. Et tu n'y as jamais emmené quelqu'un, comme une preuve qu'elle est étrangement importante pour toi, terriblement spéciale. Mais l'effort ne résulte pas à l'amener ici, plus à tout ce que tu as préparé pour que vous puissiez dîner tous les deux, dans ce kiosque à l'écart de tous, et que vous puissiez vaguement danser. Aussi bête soit-il à penser, t'espères sincèrement pouvoir te rapprocher d'elle ce soir, quitte à être fixé sur un non définitif. Mais tu as besoin de laisser exploser ce qui fait battre ton coeur, peu importe la déception que tu es en mesure de t'infliger.

Tu hoches la tête.

-J'espère ne pas vous décevoir mademoiselle Rivers, dis-tu en prononçant la fin en français, sans même faire l'effort sur la prononciation de son nom de famille. Viens, dis-tu en lui tendant la main, près à ce qu'elle la saisisse et que tu l'emmènes jusqu'à la table, non sans profiter, au passage, de l'avoir tout contre toi.