T’as passé une journée de merde. Une bonne grosse, de celles qui dès le matin te disent « restes chez toiiii annules là, celle là, elle ne vaut pas le coup ! ». D’abord, ton grille-pain avait, aussi paradoxal que ça puisse être, avait grillé, faisant sauter l’intégralité de l’électricité chez toi, peut-être même chez tes voisins. T’es pas sûre, et dans le fond, t’as pas envie de l’être. Ils sauront trouver ton adresse en cas de pépin de toutes façons. Pas de petit dej, donc. T’avais filé, cet intermède comique t’ayant pas mal foutu en retard, quand même. Tu grimaces, attrapes un gâteau que tu jettes dans le fond de ton sac et vas continuer ta v… ah bah non. T’es sortie de ton immeuble en oubliant ta clé à l’intérieur. T’appelles le sérurier et annules ton rendez-vous matinal. Foutu pour foutu, de toutes façons… enfin libérée, tes clés récupérées à l’intérieur de ton appart, tu files, fatiguée, agacée, mais enfin partie : mauvais élan qui ne brisera pas tes efforts. Mais c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase : ton talon se coince dans une bouche d’égoût et se brise instantanément. A.LLEZ. Tu fulmines. Tu entres dans une boutique, tu remarques qu’ils vendent beaucoup de contrefaçons, probablement le genre de magasins à bas prix qu’il te fallait. Tu soupirais, lâchant comme tu pouvais la pression qui te prend, telle la cocotte minute moyenne. Oooooké. Tu trouvais enfin une paire de pompes à cinq balles et filais vers le bar. Ce soir, tu ne dansais pas, tu ferais simplement le service de midi, l’après midi, et puis… Le reste de ta journée, tu l’aurais pour toi. Tu savais déjà ce que tu voudrais y faire. Sans doute pour cette raison que quelques heures plus tard, après ton service, tu te retrouvais devant la porte de Romain, hésitante. Tu ne savais pas vraiment ce que tu attendais, en étant là, mais tu avais envie et besoin de le voir. T’étais pas amoureuse, tu te refusais à ce genre de mièvreries, mais sa présence te rassurait et t’apaisait. Les quelques fois où vous vous étiez croisés, t’avais, assez rare pour être souligné, pu profiter sans te sentir en danger. Déjà bien, tu penses. Très bien, même. Lorsque la porte s’ouvre, tu te sens stupide, tu dois probablement le déranger. Tu t’apprêtes à partir, mais c’est trop tard, il est bien là devant toi. Tu cherches à te donner une contenance, replaçant une mèche de tes cheveux derrière ton oreille « bonjour Roman, je ne te dérange pas, j’espère ? » que tu demandes, un vague sourire sur le visage lorsqu’il te propose presque instantanément de rentrer. Ce que tu fais, mais t’as en réalité presque envie de sortir en courant lorsque tu remarques le petit bout de chou qui sort de derrière son dos. T’as envie de pleurer, mais tu ne dis rien. Comment t’as pu tirer des plans sur la comète ? Il ne t’avait pas parlé de sa famille et après tout, toi non plus. Tu évites le sujet, tu ne peux pas le blamer. Tu prends une inspiration et t’accroupis devant le petit « salut toi ! Je suis Cherry, une amie de Roman ! » que tu dis pour te présenter. Pas la force de parler de « ton papa. » au petit. Faire exister ce qui fait mal ? Plutôt crever. Tu te relèves et souris « j’ai fini mon service et j’me suis dit… que me taper l’incruste chez un ami pourrait être cool ? » tu lui adresses un sourire. L’idée même de le qualifier d’« ami » te perturbe. Quelque chose ne matche pas. Pourtant, c’est exactement ce que vous êtes. Deux amis.

Quand tu te retrouves nez à nez avec ce petit bout, t’es plus aussi certaine que ça d’être au bon endroit… Mais il est trop tard pour faire demi-tour. Tu prends sur toi, te relèves, et ris légèrement à la remarque de Roman qui, inexplicablement, te met le feu aux joues. Tu vas finir par être raccord avec ce pseudo ridicule par lequel tu t’es fait appeler. Et puis tu réalises. Que tu le veuilles ou non, rien ne pourra jamais se passer entre vous. Vos échanges sont basés sur des mensonges trop lourds pour que votre relation s’en sorte indemne, si tu décidais de lui dire la vérité. Pas certaine d’ailleurs que tu t’en sortes sans séquelles. Et quant à lui… tu ne veux pas lui faire de peine. L’idée même de le voir malheureux te déchire le coeur. Mords ta lèvre inférieure et poses ton sac sur le buffet dans l’entrée. A l’écouter rouspéter gentiment contre le petit, tu souris : à deux doigts de fondre ; c’est qu’il s’en sort bien, avec les petits.Tu commences à rêvasser, le coeur au bord des yeux, portant, les papas, ça a jamais été ton créneau : les gosses, comme les odeurs de poubelles, t’avais appris à t’en tenir le plus loin possible. Tu te mets à rire, encore plantée dans l’entrée : tu te sens chez lui comme dans un sanctuaire, t’as presque peur de déranger ses affaires : pour la première fois depuis longtemps, t’es intimidée mais tu finis par hausser les épaules « vous avez déjà mangé ? Te déranges pas pour moi, ça va ! Qu’est ce que vous faisiez, avant que je débarque ? J’espère que je ne vous empêche de rien, au moins ? » tu lui adresses un sourire et lui lance, amusée « tu me tues, si je te dis que finalement, je veux bien boire quelque chose ? N’importe quoi. Ce que t’attrapes. » tu lui lances un clin d’oeil et regardes le petit « c’est qui qui fait le plus de bêtises, ici ? Roman, ou toi ? » taquine, tu finis par oser le rejoindre dans le salon. Si tu n’arrives pas à te l’avouer, force est de constater que tu crushes sévère sur son papa. Autant faire connaissance, non ?

Prise dans tes pensées, tu as mille questions qui te passent en tête, mais aucune envie de les poser : t’aurais bien trop peur des réponses. Tu ne sais pas vraiment si tu fais bien de rester ici, tu appréhendes la rencontre avec la mère de ce gamin, si elle venait à le récupérer pendant que tu es encore ici. Chose qui risque d’arriver, à en écouter les dires de Roman. Enfin, t’en mettrais pas ta main à couper non plus : t’es distraite. Stressée, un peu . Comme si cette visite revêtait un enjeu, chose que tu n’avais pas envisagé, de prime abord. Tu fronces les sourcils. Tu te dis que si le père de Roman savait ce qui se passait sous ta frange, tu serais sans doute démise de tes fonctions. Mais plutôt mourir que de ne plus avoir de raison d’aller voir le brun. Tu essaies de revenir à la réalité, amusée « purée saucisse ? Cet enfant est un fin gourmet ! » tu adresses un sourire moqueur à Roman : tu peux même pas juger, c’est globalement la même alimentation que la tienne : purée jambon, assez similaire, non ? Mauvaise habitude de facilité réconfortante, plat de jeunesse dont tu n’as jamais su te lasser et aussi plat clairement plus économique que d’autres : t’en manges midi et soir, excepté les soirs où tu bosses, parce que les cuisines du bar te gardent toujours une assiette « pour que tu gouttes ». Meilleure équipe s’il en est, pour une galérienne comme toi. A son aveu, tu réprimes un rire et t’approches de Roman « pauvre petit coeur malmené par une terreur. J’fais comment, si le minimoys casse mon copain préféré? » tu lui adresses un clin d’oeil taquin et passes ta main sur sa joue « j’peux peut-être te masser, si t’as toujours mal tout à l’heure … ? » pourquoi pas tout de suite ? Tu gages que rien ne sert de soulager une douleur si c’est pour que le diable de Tazmanie demande un second round. En vérité ? T’as peur de ne pas savoir résister à Roman. Tu reprends une distance correcte avec lui, l’air de rien. Ce n’est pas professionnel. que tu penses. Mais tu te raisonnes comme tu peux, en te disant que gardien de beau gosse en proie à lui même n’existe pas vraiment, comme métier. Tu prends une grande inspiration et hoche la tête en reprenant votre discussion initiale : « Tout me va… Soda ? » que tu réponds avec un air de gamine à qui on donnerait le bon dieu sans confession. Tu finis par rejoindre le petit, histoire de faire connaissance et lève des yeux surprise de voir Roman dans le rôle de celui qui impose les règles. Instinctivement, toi aussi, tu te mets à réagir comme Michael. Tu te montres du doigt, comme si t’avais fait une connerie. Penses à ton père. Flippes. Tu secoues la tête pour revenir ici et maintenant, et te racles la gorge, pour te donner une sorte de contenance « ne t’en fais pas, on fait pas de bêtises. On dit juste tout le mal qu’on pense de toi… Pas beaucoup, donc. T’as du juste entendre ton nom, n’est ce pas ? » tu adresses un léger clin d’oeil à Michael et un petit rire s’échappe d’entre tes lèvres. Tu sors un puzzle de sous la table basse et demandes au petit « tu l’as déjà fait, lui ? » tu t’impatientes presque du retour de ton hôte, parti moins de cinq minutes plus tôt. Et puis, il faut bien dire qu’il est mignon, ce gosse. Tu finirais presque par te prendre au jeu.

Pas son problème avec ce qu’il mange chez lui ? Tu grimaces. Ce genre de discours, tu les as entendus des centaines et des centaines de fois, chez ton père. De là à dire que tous les hommes étaient pareils ? Non, bien évidemment. Tu sais faire la part des choses et tu sais que Roman n’a rien à voir avec ton père. Mais malgré tout, ton mental stupide, lui, ne voit qu’une opportunité de te flanquer des souvenirs tous plus pourris les uns que les autres dans la figure. Tu prends une grande inspiration et lui souris, te disant que ces réminiscences ne sont là que pour te rappeler qu’en prenant la fuite et en te cachant de ta famille, tu n’as que fait le bon choix. Tout ça pour une purée.

Ta main sur sa joue, ton regard se perd quelques microsecondes. Le temps de te faire réaliser que flancher maintenant serait une très mauvaise idée. Tu ne connais pas la teneur de la relation de Roman avec son père, mais t’es certaine de ne pas vouloir te faire surprendre comme une adolescente stupide, ta bouche sur la sienne, lovée dans ses bras : c’était gênant à quinze ans, ça le serait aussi à la trentaine peut-être même plus.

« bien évidemment que ça ne me dérange pas Roman ! Si je te le propose ! » tu lui adresses un clin d’oeil. T’aurais sans doute apprécié que cette scène se passe autrement, dans d’autres circonstances, une chambre, un spa ou n’importe quoi qui permettrait à ton cerveau de s’emballer comme ton coeur est en train de le faire. Mais à défaut, tu te contentes de ce que tu as. Tu n’es pas contrariante.

Dès qu’il le propose, tu te sers et le remercies, avant de remettre la bouteille au frigo, et tu files rejoindre le petit. Tu te hasardes à lui proposer un puzzle. « plus petit » ? tu ne peux pas t’empêcher de lever le regard sur Roman : il se barre ? T’es soulagée. Pas que tu n’aimes pas jouer avec ce gamin, c’est même le contraire. Mais t’avais pas imaginé une seule seconde finir par découvrir une famille cachée à Roman, encore moins l’aider à jouer les babysitter de son fils, blond comme les blés. Ce qui ne suffit pas à te faire comprendre que tu fais fausse route. T’es trop ancrée dans la situation qui a ton sens est lunaire pour penser de façon logique et rationnelle. « Oh… désolée Mike. T’as entendu le chef ? On jouera une autre fois, c’est promis. Tes affaires sont prêtes ? » toi qui faisais des efforts, voilà que maintenant, tu étais à deux doigts de le pousser vers la sortie. T’étais impossible.

T’es confuse. Parce qu’il ne t’a jamais parlé de ce gamin, parce que tu arrives dans un monde auquel tu estimes ne pas appartenir… L’intimité de Roman, le jardin secret dans lequel t’aurais rêvé, un peu naïvement, de faire une balade avec lui. Au lieu de quoi, y’a un gamin qui joue au foot et une femme aussi jolie qu’énervante (du moins tu l’imagines), qui squatte l’Eden. T’es agacée. T’es agacée autant que tu jalouses tout ça. Putain, mais à quoi tu pensais ? Comment t’as cru que tu pouvais débarquer là comme ça et poser tes propres volontés ? T’en deviens jalouse, intérieurement, tu te sens mauvaise. Mais tu ne dis rien. Tu prends sur toi, c’est dur. T’as envie de hurler et de claquer cette connasse. Pas le gamin : lui, il n’y est pour rien. Tu restes pensive, alors que tu demandes finalement à Mike de ranger le puzzle. Aussi déçue que le gamin ? Peut-être, peut-être pas. Tu ne sais pas. Tes sentiments sont partagés et tu détestes ça : l’indécision ? Très peu pour toi. Tu adresses un vague sourire à Roman, le laissant s’occuper du petit et vas fumer ta cigarette menthol à la fenêtre : ce qui est en train de se passer sous tes yeux est tout simplement plus que tu ne puisses supporter. T’entends la porte s’ouvrir. Du fond de la pièce principale, tu lances un « Salut Mike ! » qui masque ton amertume mais sans doute pas ton soulagement : enfin, tu vas pouvoir reprendre tes plans là où tu les as mis de côté : rendre visite à un « « « ami » » ». Ce qu’on ne dit pas ici, c’est que tu l’aimes un peu trop pour que ce soit honnête, ton ami. Mais tu ne l’avoueras jamais. En le voyant débarquer sur le balcon, ne dis rien. Sa façon de gérer l’affaire te fait rire. Tes yeux parcourent sa silhouette, mais tu ne dis rien. Hors de question de regarder en bas : t’aurais trop envie de descendre crêper le chignon de celle qui a osé ramener un moujingue sous le toit de Roman. Jalousie ton nom est pas très joli...

Encore un peu troublée par la situation, tu as besoin d’un temps seule. T’as même pas la force ni l’envie d’y réfléchir. T’as juste l’impression qu’on s’est joué de toi. Et le pire dans tout ça, c’est que tu ne peux même pas lui en vouloir. C’est plutôt contre son père, que t’es en colère. Lui qui te l’avais vendu comme un ado attardé et dépressif, tu trouves qu’il gère très bien sa vie, peut-être même trop bien sa vie, au point d’avoir fondé une famille. Tant pis. Tu gèrerais ça plus tard. Aussi paradoxal que ça puisse paraître, t’étais venue pour passer du temps avec lui, c’est exactement ce que tu vas faire. Tu relèves la tête un peu surprise lorsque tu l’entends t’appeler « mh ? » tu tournes ton regard vers lui puis t’assures que la voiture est bien partie « oui, bien sûr. Désolée. J’étais ailleurs. » tu lui adresses un sourire et écrases ta cigarette dont tu ranges le mégot dans ton cendrier portatif que tu remets dans ton sac à mains au passage, avant de venir t’installer contre lui. C’est si naturel que c’en est déconcertant ; ça t’en ferait presque oublier ta déception, même pas dix minutes plus tôt. A sa remarque, un sourire moqueur se dessine sur ton visage « pauvre homme. Pas encore de cheveux blancs et déjà plus vieux que le père Fourras. » tu lui adresses un clin d’oeil moqueur et soutiens ta tête de ton poing « ma proposition tient toujours, tu sais ? » que tu lances faussement innocente. Tu sais ce que c’est, la sensation d’être cassée. Toi, ce sont tes services, qui te brisent. Alors si tu peux le soulager, tu ne te laisseras pas prier.

Le voir aussi fatigué te fait presque de la peine. Mais tu ne bronches pas. Tu imagines que la journée a du être mouvementée, avec le gamin. Tu serres les dents en pensant à lui. Pas contre lui spécialement, mais t’en reviens toujours pas que Roman ait un enfant. Qu’il te l’ait caché encore moins. Et pourtant il ne te doit rien : vous vous connaissez depuis si peu de temps. Une fois sur le canapé, tu souris en le voyant se poser contre toi. Tu t’installes plus confortablement, caresses maladroitement sa joue de ta main opposée mais abandonnes quelque autre tentative, de peur de manquer de lui mettre ta main dans la figure. Au bout de quelques minutes, le bras endolori par des fourmis, tu accompagnes doucement le mouvement pour qu’il pose sa tête sur tes genoux : t’es sûre que ce sera mille fois plus confortable que ton bras. Tu check : t’es pas certaine, mais tu penses avoir réussi le coup de maître de ne pas le réveiller. Ta main caresse doucement sa joue, cette fois bien plus accessible, puis vient se nicher dans ses cheveux avec lesquels tu joues, doucement, faussement intéressée par la télé… T’as bien compris qu’elle sera ta seule compagnie pour ce soir. Tu n’en veux pas à Roman. Toi aussi, tu commences à baisser ta garde. Entre deux eaux, tu t’amuses à imaginer la dégaine de son père s’il vous voyait ainsi : n’a-t-il pas dit qu’il voulait une surveillance rapprochée ? Cette pensée t’arrache un sourire, t’as pas la force de rire tant tu sens tout ton corps lâcher. Jusqu’à ces quelques mots que tu entends sortir de sa bouche. Tu te tends de nouveau instantanément. Attends, quoi ? Tu restes sidérée. T’oses plus bouger. Tu murmures, surprise « Roman, tu dors ? » pas de réponse. Ah bah oui, il dort. T’es presque rassurée. Il doit parler des fruits. Voilà, c’est ça. He loves cherries.