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Il lui sourit en lui tendant le reste de son cake alors qu’elle a fait tomber le sien. Charlie. Aîné de presque dix ans, il la protège envers et contre tout depuis qu’elle est toute petite. Elle a trois ans, presque quatre, et lui arrive sur ses treize. Charlie est parfois un peu maladroite, même pour un bébé. Sauf qu’au milieu de tous ces cartons de déménagement, même lui aurait fait tomber le bout de son cake. Le sourire de la gamine lui fait fondre le cœur. Il n’a qu’une seule certitude du haut de ses treize ans, alors que le début de sa crise d’adolescence ne devrait pas tarder, sa petite soeur c’est sa perle.

Fall River. Les Rivière arrivent dans la ville sans grande ambition d’après lui, mais c’est en prenant la direction du théâtre de la ville que son paternel a décidé de déménager toute sa petite famille. À première vue, Romain n’aime pas trop cet endroit. Pas assez grand, pas assez pollué, pas assez de gens, Bref, pas assez Paris à son goût. Lui qui adorait la capitale parisienne fait la grimace quand il s’agit de s’intégrer dans le coin. Pourtant, il trouve vite des copains avec qui jouer, au football, donnant des coups de pieds dans leurs ballons à tout-va, mais aussi dans tout ce qui se trouve sur son passage. C’est à peine un an après s’être installé là qu’il monte sur scène pour la première fois dans le théâtre de son père, plus pour ridiculiser les comédiens et son paternel dans la foulée qu’autre chose.

Véritable passion ou pas. Voir les petits yeux émerveillés de sa sœur et ses petits bras applaudir à chaque fois qu’il monte, c’est ça qui lui plaît tant que ça. Le théâtre c’est peut-être pas sa came initiale, mais c’est là où Romain se sent vivre à peu près correctement, l’endroit où il arrive à se débarrasser de ses a priori sur la ville. On salue ses performances, sans doute parce qu’il est le seul petit con de son âge à s’incruster dans les répétitions qu’on veuille de lui ou non, mais Romain sait très bien qu’il n’a pas le talent de certains ici. En même temps, il commence à peine, et travailler avec acharnement, c’est pas trop son truc. Pourtant, il finit par s’y mettre. Incapable de supporter l’accent américain quand on prononce son prénom, il demande à tout le monde de l’appeler Roman, bien plus facile à prononcer pour tous : au moins il n’y a que son nom de famille qui demeurera écorché.

À presque dix-neuf ans, il rencontre Elliott. Il s’est amélioré, lui, en tant que comédien, et le fait qu’un petit gars de dix ans se mette au théâtre ça lui donne le smile plus que de raison. Romain fait tout pour que le garçon se sente bien, à sa place. Peu importe la différence d’âge, il a le même que Charlie et ça lui suffit à s’attacher à lui. Elliott devient rapidement la meilleure victime de ses farces et les deux garçons ont une dynamique qui semble convenir à chacun d’eux. Et quand ils s’allient ensemble, c’est tout le théâtre, le père de Romain y compris, qui tremble devant les découvertes des idées les plus folles et les plus stupides qu’ils mettent en place. Pas toujours d’accord, s’il y a bien une chose sur laquelle ils s’entendent toujours, c’est trouver les idées les plus folles à mettre en place.

Bon conseiller même pour son âge, c’est grâce à Elliott que Romain rencontre Tamara, sa première vraie petite amie. Romain a toujours été un homme incapable de se fixer, oscillant avec les filles sans jamais s’engager. Le genre de goujat qu’on pardonne en mettant ça sur le fait qu’il est adolescent. Sauf qu’il ne l’est plus quand il se met avec elle. À ce moment-là, Charlie et Elliott deviennent amis, et entre dans l’équation Rose. Si Romain n’a rien à redire sur l’amitié entre sa soeur et l’un de ses plus proches amis, il réprouve autant l’autre demoiselle que ce que son ami peut réprouver la présence de Tamara. Toxique relation qu’il vit, il voit Rose et le mini crush d’Elliott sur elle comme une mauvaise chose : trop effacée, trop discrète, elle n’a rien à voir avec l’hyperactif, ni même avec sa jumelle, moyen fourbe de transvaser ses craintes et ses non-dits à sa copine sur quelqu’un d’autre. Il faut attendre qu’elle s’en aille pour le MIT et que Charlie sorte avec Elliott pour que Romain ouvre sa bouche. Non, Elliott ne va qu’avec Charlie, c’est une certitude complète. Borné et se refusant à quoi que ce soit, Romain reste un soutien hors pair pour ce couple qu’il applaudirait autant que possible si on le lui demandait.

C’est Charlie qui réussit à le libérer de Tamara. Jalouse et acerbe, elle ne s’était jamais intéressée à sa vie, sans savoir qu’il avait une petite soeur pour qui il donnerait un rein s’il le fallait, et sans sourciller. Alors, les voir tous les deux, bras dessus bras dessous en ville, ça l’a rendue folle et Charlie a joué le jeu par elle-même pour qu’elle se méprenne jusqu’au bout et ne rompe avec lui.

Il lui est reconnaissant, mais il n’a pas le temps de l’être longtemps. Le diagnostic tombe et avec l’enthousiasme de Roman. Cancer. Foutu cancer. Stade avancé. Elle lui fait promettre de ne pas en parler autour de lui et il accepte. Ce n’est pas à lui d’en parler. Au lieu de quoi, il essaie d’être présent au maximum, là quand elle a des traitements lourds à prendre. Il se désintéresse un peu plus de la comédie, passe moins de temps sur scène, mais se noie sous le travail pour son père, quand il le lui demande.

Il a trente-trois ans quand on l’enterre. Il n’arrive pas à lui dire au revoir correctement. Sa sœur ? C’était son tout. Depuis le début de sa vie il l’a chérie et protégée, mais il a pas pu le faire de cette putain de maladie. Ni lui, ni Elliott, plongé dans les bouquins de médecine. Il a envie de dire que la comédie, c’est fini pour lui, mais en s’efforçant de sourire et de dire que tout va bien alors que rien ne va, c’est justement ce qu’il fait : jouer la comédie. Pourtant, il se détache un peu alors que son ami de toujours, lui, reprend sa vie dans le milieu, loin de la médecine. Liés par leur amitié mais surtout le deuil d’un amour pour les deux. Celui d’un grand amour comme celui d’une petite sœur pour qui on aurait tout fait.

La tristesse grandit dans le cœur de Romain qui ne parvient pas à remonter la pente correctement. Au début, il se prête à la vie nocturne que vit Elliott, mais rapidement il arrête, se rendant compte que ça ne le rend pas heureux et que ça ne lui rendra pas sa sœur non plus. Au lieu de quoi, il a simplement du mal à s’attacher, peur de souffrir grandissant chaque jour un peu plus au creux de son estomac, lui filant le vertige à chaque fois. Mais il ne tourne son regard sur aucune femme et il ne se sent pas vivant comme il l’a été les premières années de sa vie. Alors, quand Elliott vient lui proposer d’être son agent, il accepte les yeux fermés, en se disant que, peut-être, prendre soin de lui, de sa carrière, ça l’aidera à ne plus penser à tout ça. Et quelque part, ça l’aide. Il n’arrive pas à s’ouvrir comme il l’a été par la suite, mais avec Elliott, les choses redeviennent presque comme avant. Ils recommencent leurs mauvais coups et se victimisent l’un et l’autre. Non, ça ne le rend pas heureux, mais ça le distrait, de penser à quelque chose, quelqu’un d’autre, que sa grandissante peine qui lui arrache le cœur.

Pas prêt pour de nouvelles aventures, c’est vrai, pourtant quand son père exprime son inquiétude, il rencontre Claudia, grande blonde d’un mètre quatre-vingt-dix-neuf, beaucoup trop grande pour lui. Aux yeux de tous, ils forment un couple, et ça l’arrange autant elle, que lui. Pourtant, il n’y a rien entre eux. Pas même une amitié, juste des photos “qui font bien” à montrer autour d’eux. Pas fait pour la vie nocturne, c’est pourtant dans ces seuls moments qu’il se montre à son bras pour rassurer son entourage. Mais il n’y a qu’une chose dont il est sûr : aimer ce n’est pas pour lui et ça ne le sera pas. Charlie lui en voudrait de finir malheureux. Mais, et alors ? Elle n’est plus là, de toute façon.