Troisième fois que tu soupires longuement sans ne jamais perdre de vue la porte d'entrée du commissariat. Regards furtifs lancés de loin avec cet espoir que son visage apparaîtra enfin. Presque une heure complète que tu fais les cents pas à quelques mètres du lieu sans trouver le courage nécessaire pour y entrer. Lutte constante entre ta fierté et la colère qui hante toujours ton esprit d'un côté et l'envie et le besoin presque vital de revoir les traits de son doux visage. Pourquoi est-ce qu'il faut que ce soit toujours aussi compliqué, Nevaeh ? Tu comprends toujours pas pourquoi tout te ramène vers lui, tu comprends pas pourquoi il s'est tant emporté la dernière fois. Tu comprends rien du tout, mais aujourd'hui, tu n'as pas réussi à tenir plus longtemps et te voilà à faire des vas et des viens comme une coupable sur le point de se rendre à la police.

Mais t'es pas coupable, pas vrai ? T'as juste fait ton boulot, tu n'as toujours fait que ça d'ailleurs. Alors pourquoi t'arrives pas à passer outre ? T'y arrives pas, t'oublies pas ce regard dur mélangé à de l'inquiétude qu'il t'a lancé ce soir-là. T'oublies pas ses questions incessantes pour être certain que tu n'es pas blessée. T'oublies pas la crispation de sa mâchoire et de ses poings quand tu lui a dit que tu trouverais quelqu'un d'autre avec qui travailler s'il comptait se comporter de la sorte à nouveau. T'es pas fautive, alors pourquoi tu culpabilises ? Tu devrais rentrer, Nevaeh. Ouais, retourner au journal tout de suite et reprendre la montagne de travail que tu as encore et qui attend sagement sur ton bureau. Mais tes pieds refusent d'aller plus loin. À chaque fois que tu prends la décision de faire demi-tour, tu reviens sur tes pas pour retrouver ta position initiale. Tu ébouriffes tes cheveux, comme si tu allais devenir folle. Tu. veux pas ressentir ces choses, ça te déstabilise, te perturbe et t'as pas besoin de ça.Le gobelet de café en main que tu ramènes jusqu'à tes lippes avant de te rendre compte qu'il est terminé. Putain. Est-ce qu'il travaille au moins aujourd'hui ? Et même si Asher sort de là, tu vas faire quoi ? Aller le voir ? Lui parler comme si de rien n'était ? Des semaines que vous n'aviez plus discuté, chacun trop fiers et blessés de son côté sans vouloir l'admettre. Tu sais pas pourquoi t'es là, tu te sens ridicule et t'es frustrée. C'est pas dans tes habitudes, tu fais jamais ça alors pourquoi lui ? Interrogations multiples qui embrument ton esprit, celui que tu n'arrives pas à vider pour te concentrer sur ton travail. Gobelet que tu lances vers la poubelle à proximité, mais qui n'atteint pas la cible souhaité. Tu fermes yeux et te mordilles la lèvres, décidément, ce n'est pas ta journée.

Reprend toi Nevaeh. Tu peux pas continuer comme ça, ça ne va jamais avancer. Tu peux pas attendre qu'il brise tes murs et hésiter sans cesse lorsque tu trouves enfin le courage de le faire à ton tour. T'es ridicule. Et tu le sais pertinemment. Tu soupires pour la énième fois, une tentative échouée de plus. Ce ne sera pas aujourd'hui que ta fierté va s'effacer pour laisser place à la raison. La frustration et la colère s'emparent de ton corps, tu te détestes toi et ces défauts qui font parti intégrante de toi. Émotions que tu déverses sur ce pauvre gobelet vide qui n'a rien demandé à personne et qui tombe au sol, victime d'un mauvais lancé. Il ne te faut pas longtemps avant de constater que non seulement tu as manqué ta cible, mais qu'en plus tu as failli tâché une personne.

Les yeux qui se lèvent tout de suite pour croiser les siens, cet air familier qui te perturbe dans ses prunelles et qui... te brise le cœur en même temps. Pourtant, sa remarque te fait sourire sans que tu ne le veuilles vraiment, il faut dire qu'il savait faire pour détendre l'atmosphère. "Merde !" que tu lâches un peu trop vite avant de te rendre compte de ta bêtise. "Enfin.. Non, pardon" Tu ne sais plus vraiment où donner de la tête, tout s'enchaîne et tu te sens un peu bête à présent. "Désolé pour ça" que tu reprends te dirigeant vers le gobelet que tu ramasses et que tu délaisse dans la poubelle, là où tu souhaitais qu'il se trouve de prime abord. "Le manque de caféine est pire que tout". Tu tentes de justifier ta mauvaise humeur avec une touche d'humour dont tu n'es pas vraiment fière à vrai dire, même s'il est vrai qu'il ne vaut mieux pas croiser ton chemin si tu n'as pas pris ton café du matin. "Pas de dégâts à déclarer ?". Tu es persuadée que ton gobelet était vide avant de le lancer, mais prise par la tempête que sont tes émotions, le contraire ne t'étonnerait pas.

Décidément, rien ne vas comme tu le veux et même ton lancer raté te rit au nez, quelle mauvaise journée ! De celles qui s'annoncent coriaces dès le réveil et qui donnent envie de retourner sous la couette pour ne pas avoir à les affronter. "Je suis vraiment, vraiment, vraiment désolée". Tu te confonds en excuses devant cette pauvre victime qui n'a absolument rien demandé, la faute à son côté malchanceux d'être tombé sur toi en pleine pseudo crise existentielle. De ton côté, tu t'estimes heureuse d'être tombée sur une personne compréhensive et qui fait visiblement preuve d'humour, lui aussi. Non pas que Fall River ne regorge pas de bonnes personnes, mais tu es persuadée que des comme toi, impulsifs et maladroits, il y en a à la pelle. Sans eux, tu n'aurais sûrement plus de boulot d'ailleurs, mais ça, c'est un autre sujet. Tu reposes tes prunelles sur ta victime que tu scrutes discrètement du regard, un air familier d'abord, puis tu te sens stupide de te dire qu'il ressemble quand même beaucoup à une certaine personne.

Asher. Encore et toujours. Pourquoi fallait-il que tu en reviennes toujours à lui ? C'est fatiguant et lassant alors que tu n'es même pas capable de réduire ces quelques mètres qui te séparent de lui pour enfin entamer cette conversation. Tu te fais des idées, sûrement. "Je suis de celles qui carburent à la caféine, pas de contraintes horaires pour nous" que tu lui réponds sur le ton de l'humour pour masquer la gêne que tu ressens encore suite au petit incident de tout à l'heure. Au moins, tu es soulagée de ne pas avoir détruit les vêtements de l'inconnu par ton incapacité à contrôler tes émotions lorsqu'elles grondent en toi comme une tempête. "Trop longtemps, même". Réponse qui sort peut être plus vite que prévu, mais qui n'en reste pas moins vraie. Il te faut encore quelques secondes avant de réaliser que l'interprétation peut être la mauvaise. "Enfin, je veux dire... C'est compliqué". Pourquoi est-ce que c'est si simple pour toi de raconter l'histoire des autres, animant le moindre détail pour attiser la curiosité des lecteurs, mais que ce soit si difficile lorsqu'il s'agit de lui. "Je ne sais pas si je dois m'excuser, essayer de réparer les choses ou... juste ne rien faire. Il y a une personne aussi têtue que moi là-dedans et visiblement, aucun de nous n'est prêts à faire le premier pas". Réalité évidente, tu te parles davantage à toi-même, puis, tu le réalises et te reprends. "Ouais, c'est compliqué en somme. et en plus je suis là, à vous raconter mes petites histoires...encore désolé pour tout à l'heure et... pour ça" que tu ajoutes en trouvant la situation absurde, comme si te confier à un étranger allait régler tous tes soucis.

"Je suis assez d'accord ! Même si la plupart du temps, c'est moi qui me donne en spectacle". Il faut dire que ta maladresse te pousse à faire des choses que tu ne pourrais même pas imaginer. Un trait de caractère dont tu n'arrives pas à te défaire et qui te suis telle ton ombre. Malgré tout, ça te rassure de savoir que l'inconnu ne t'en tient pas rigueur et tu découvres la facilité avec laquelle tu peux communiquer avec lui. Après tout, tu venais de faire sa rencontre, littéralement il y a à peine quelques minutes et pourtant, le courant passe plutôt bien et plus d'une fois ta langue a tenté de le tutoyer avant de te reprendre.

"Malheureusement les insomnies font aussi partie du packaging". Même s'il faut le dire, c'est une situation qui t'arrange bien dans le cadre de ton travail. Tu n'es pas surhumaine non plus et tout cette activité de la semaine te tombe dessus les week-ends où tu tombes de fatigue. Une autre chose qu'Asher te reproche régulièrement, ne pas assez dormir et te reposer, mais c'est plus fort que toi.
Il n'a pas tort. Il n'a pas tort du tout, d'ailleurs. C'est bien pour cette raison que tu es là après tout, non ? Tenter de le voir, de t'excuser, te réconcilier avec lui. Tu n'es pas bête, au fond, tu sais pertinemment que tu as outrepassé tes fonctions et que tu t'es mise en danger inutilement. Asher ne t'empêche pas de faire ton travail, il fait juste passer ta sécurité avant le reste, ce que tu peux largement entendre. Mais vos personnalités ne cessent de s'entrechoquer si bien que cette fois-ci, tu crains qu'il n'y ait pas de retour possible. C'est surtout pour cela que tu n'oses pas franchir le pas de la porte du commissariat. Et s'il te rejetait définitivement ?
Visiblement, tu n'es pas la seule, l'inconnu fréquente une personne similaire sans que tu ne saches encore que vous parlez de la même personne. Ça remarque te fait sourire et tu t'attends à ce qu'il te parle de sa petite-amie ou d'une femme avec qui il entretient une relation. Mais c'est tout autre chose qui fait son apparition lorsque tu entends ton prénom sortir d'entre ses lèvres. "C'est bien moi... On se connaît ?". Pourtant tu es persuadée de n'avoir jamais croisé sa route puisque son identité ne te dit absolument rien. Situation qui attise pourtant ta curiosité, peut être que ton esprit ne te joue pas de tours et que son air de famille avec Asher n'est pas que dans ta tête.