Je ne sais pas ce qui m'a pris à cet instant précis, probablement un mélange confus de jalousie mal contenue et d'agacement face aux propos déplacés de Luke. Toujours est-il que, dans un geste impulsif et brûlant, j'ai brusquement rattrapé Cassia par le bras pour l'attirer contre moi. Nos lèvres se sont alors effleurées dans un baiser furtif et électrique. Mais ce moment d'intimité inattendu a été presque immédiatement interrompu par Anna, qui nous a rejoints avec une expression d'excuse sincère sur le visage, nous informant qu'elle devait malheureusement écourter la soirée pour une raison qu'elle n'a pas précisée. Après un vague signe d'au revoir, elle s'est prestement éclipsée, nous laissant seuls, Cassia et moi, dans un silence soudain lourd de sens. Cet interlude pour le moins inopiné m'a arrêté net, me ramenant brutalement à la réalité de ma situation. Que venais-je de faire au juste ? Cassia, toujours si perspicace, a semblé percevoir ma confusion grandissante et m'a doucement invité d'un regard à la suivre hors du Sky Lounge afin que nous puissions nous retrouver dans un endroit plus calme.  

Nous nous retrouvons sur le parking désert, un espace neutre où elle peut enfin me poser toutes les questions brûlantes qui doivent lui tordre les lèvres à cet instant. « Dis-moi ce que tu veux. Pour nous », lâche-t-elle d'un ton direct, impatiente de comprendre enfin les réelles intentions qui se cachent derrière mes gestes contradictoires.

Si seulement elle savait...Je prends le temps de réfléchir, l'observant avec attention comme pour graver chaque trait de son visage dans ma mémoire. C'est vrai que mon comportement peut sembler des plus étranges, mais comment pourrais-je agir autrement quand la femme que j'aime plus que tout se tient devant moi ? « Ce que je veux... » dis-je en répétant lentement ses mots, cherchant désespérément mes propres vérités au fond de moi. « Ce que j'aimerais, c'est que tout redevienne comme avant. Que je puisse te prendre dans mes bras, t'embrasser, prendre soin de toi, me réveiller à tes côtés, entendre tes ronflements atrocement mignons, sentir tes pieds froids en pleine nuit contre mes mollets, t'entendre râler parce que je repars en mission, et te regarder avec le même désir ardent qu'avant... » Ma voix s'eteint doucement, chaque tendre souvenir évoqué éveillant une douleur vive et une insoutenable nostalgie dans ma poitrine. Je poursuis, essayant de trouver les mots justes : « Je veux pouvoir un jour t'offrir le monde, Cassia. Ton monde à toi... Un monde dans lequel tu es pleinement heureuse et épanouie, sans que personne ni rien ne menace ton bonheur... » Je laisse échapper un souffle chargé d'émotion contenue, sachant pertinemment que je ne peux pas lui révéler la vérité sur le chantage ignoble qu'Andrew exerce sur moi. « Mais je sais que c'est impossible à présent... Je... Je sais que cette rupture est une véritable souffrance pour toi, crois-moi, elle est tout aussi douloureuse pour moi. »

Je m'arrête un instant, soupire profondément avant de rassembler mon courage pour continuer, pesant chacun de mes prochains mots avec une infinie précaution. « On peut faire une pause, si tu préfères ? Juste le temps d’y voir plus clair… » Ma proposition est teintée d'une certaine hésitation, sachant bien que ce n'est pas une solution idéale. « Nous serions toujours ensemble... Mais plus comme avant. » Ce n'est peut-être pas l'idée du siècle, j'en suis parfaitement conscient, mais c'est la seule chose que je puisse proposer pour essayer de conserver un semblant de relation, une manière de préserver notre lien tout en respectant la cruelle réalité de la situation.

Pendant que Cassia me me regarde, mon regard se perd dans les ombres du parking. La conversation est importante, mais une part de moi reste constamment en alerte, craignant qu'Andrew ne soit là, quelque part, à nous observer. Les phares des voitures garées jettent des éclats lumineux sur l'asphalte, et chaque mouvement que je perçois me fait tourner la tête rapidement. Je scrute les silhouettes qui passent, essayant de distinguer s'il se cache parmi elles. Les voitures éparpillées, certaines illuminées par les lampadaires, d'autres plongées dans l'obscurité, créent un paysage ambigu. Je m'attarde sur chaque recoin du parking, cherchant un signe de sa présence. Mon cœur bat plus fort, chaque battement résonnant dans mes oreilles alors que je scanne chaque détail, chaque ombre, chaque silhouette qui bouge. Je tente de me concentrer sur Cassia, mais l'inquiétude persiste. Je jette un coup d'œil vers l'entrée du bar, guettant les mouvements des gens qui entrent et sortent, craignant de voir surgir le visage d'Andrew. Mon attention revient finalement vers Cassia, essayant de masquer l'anxiété qui m'habite. Je prends une profonde inspiration, prêt à lui répondre, tout en gardant un œil vigilant sur notre environnement. La tension reste palpable, l'angoisse de ne pas savoir si Andrew est là, quelque part, planant au-dessus de nous.

Lasse de cette situation pour le moins très compliquée, j’avais pris mon courage à deux mains et avait proposé à Milo que l’on discute tous les deux. Nous avions alors quitté l’intérieur de l’établissement pour nous rendre sur le parking, à l’abri des regards et des oreilles indiscrètes.  Une fois seuls, je n’y avait pas été par quatre chemin, j’avais clairement demandé ce qu’il voulait pour nous, soulignant au passage que la situation était d’autant plus douloureuse en agissant comme si rien n’avait changé entre nous. Le jeune homme me réponds alors que ce qu’il souhaiterait c’est que tout redevienne comme avant, évoquant au passage de doux souvenirs entre nous, il souhaiterait m’offrir un monde dans lequel je serai pleinement heureuse. Il souligne le fait que tout cela n’était pas possible et  que cette rupture était aussi douloureuse pour lui. « Tout ce dont tu parles est incompatible avec ta volonté de liberté... » dis-je alors afin de lui rappeler une des causes qu’il avait évoqué pour argumenter notre rupture. Milo s’arrête, soupire profondément avant de proposer de faire une pause si je préférais, afin d’avoir le temps d’y voir plus clair. Être toujours ensemble mais plus comme avant ? « Faire une pause... » Je prends le temps de la réflexion mais je ne vois pas quelle différence cela engendrera , mis à part le terme employé pour définir le fait que nous n’étions plus ensemble. «  Être toujours ensemble mais plus comme avant ? Donc, plus de gestes tendres, plus de nuits passées ensemble, plus de moments en tête à tête. C’est comme si on redevenait juste des amis… et encore... » dis-je pour tenter un peu de comprendre sa proposition. Finalement, avoir voulu discuter ne m’aidait pas plus à comprendre « Très honnêtement Milo, je ne vois pas vraiment de différence entre une pause et une rupture mais soit, si tu veux qu’on se mette d’accord là-dessus... » Au moins nous nous étions mis d'accord sur quelque chose.


Mon regard se pose sur lui. J’hésite à lui dire ce que j’ai sur le cœur. Mais il le fallait sans doute malgré tout « J’aimerais juste que… que tu cesses de te comporter comme si il n’y avait pas de rupture ou de pause… A chaque fois que tu t’approches de moi comme tu l’as fait aujourd’hui, à chaque fois que tu poses ta main sur la mienne, à chaque fois que tu me dis que je te manque je ne peux m’empêcher d’oser imaginer que tu t’apprête à me dire que finalement tu souhaites reprendre là où on s’est arrêté… Et à chaque faux espoir, la douleur revient, encore... » avouai-je alors d'une voix douce et presque suppliante.

Au fur et à mesure que j'écoute Cassia exposer son ressenti avec une douloureuse franchise, je réalise que ma proposition d'une « pause » n'était peut-être pas la meilleure solution. La souffrance évidente dans ses yeux magnifiques me transperce le cœur, et je comprends soudain que le moindre rapprochement ne ferait que raviver en elle un désir ardent que je ne suis malheureusement plus en mesure de lui offrir : celui de reprendre notre relation là où nous l'avions laissée, avant que tout ne change. Mon cœur se fait lourd comme une enclume tandis que je prends la parole, pesant chacun de mes mots avec la plus grande précaution pour ne pas la blesser davantage. « Je comprends… Je suis sincèrement désolé pour mon comportement d'aujourd'hui, Cassia. Tu as entièrement raison… C'est peut-être mieux ainsi. » J’admets ces paroles avec une résignation douloureuse, mais sincère.

Je m'arrête un bref instant, remarquant du coin de l'œil Luke qui sort du bar en titubant, visiblement éméché. Il trébuche maladroitement et finit par vomir de manière peu élégante sur le parking, offrant un spectacle désagréable qui me fait grimacer de dégoût. Sa démarche chancelante et son expression hébétée trahissent son état, rendant la scène encore plus pitoyable. Mais je détourne rapidement mon attention de ce spectacle déplaisant pour la ramener vers Cassia. Son visage reflète une douleur profonde et son regard, malgré sa brillance, semble chercher désespérément une réponse. En la regardant dans les yeux, je veux lui montrer que je suis toujours là pour elle, même si notre situation est compliquée et pleine d'incertitudes. Le vent frais balaie doucement le parking, faisant danser les feuilles éparpillées sur le sol, mais l’air semble presque lourd autour de nous, chargé du poids des mots non prononcés. Je vois la lueur des lampadaires se refléter dans ses yeux, et j’essaie de lui transmettre par mon regard toute l’attention que je veux lui offrir, malgré les circonstances. L'ombre des voitures garées crée des motifs sombres autour de nous, ajoutant un sentiment d'intimité à notre conversation. Même au milieu de cette scène ordinaire, je ressens l'importance de ce moment, car chaque mot, chaque geste est chargé de signification. Je veux qu'elle sache que, malgré mes erreurs, mes hésitations et la complexité de notre situation, je suis encore là, prêt à l'écouter, à la soutenir du mieux que je peux, même si cela signifie m'effacer de sa vie pour qu'elle puisse avancer.

Mon cœur est lourd comme une pierre et mon esprit embrouillé par un tumulte de pensées et d'émotions contradictoires, mais je cherche désespérément à rester ancré dans le moment présent, espérant que ma sincérité à vif pourra percer la brume des doutes et des inquiétudes qui pèsent si lourdement sur les frêles épaules de Cassia. « Je vais... Enfin, je vais vraiment essayer de ne plus jamais agir comme je l'ai fait aujourd'hui, Cassia », repris-je d'une voix rendue hésitante par la difficulté de ces prochains mots que je m'apprête à prononcer. « Pour... Enfin, lorsque je viendrai à l'hôpital pour mes soins concernant mon dos, je demanderai désormais à Anna ou Erin de s'occuper de moi à ta place... » J'avoue cette décision avec une pointe de tristesse dans la voix, conscient qu'il s'agit là d'une manière supplémentaire de réduire encore davantage la proximité déjà si ténue qui subsistait entre nous deux, de minimiser autant que possible les rencontres fortuites qui ne feraient que raviver la douleur lancinante de notre séparation à chaque fois. « Une pause... C'est... Simplement un moyen égoïste pour moi de me dire que je ne t'ai pas totalement perdue pour autant... », je continue, essayant d'expliquer au mieux mon raisonnement quelque peu tortueux et éminemment égocentrique. « Même s'il est vrai que le résultat reste malheureusement le même in fine... Si tu préfères que nous en restions définitivement à une véritable rupture, si tu me dis que cela te permettrait d'avancer et de m'oublier pour de bon, alors j'accepterai, Cassia. »

Ma voix est d'une douceur emplie de regrets, mais chaque mot me pèse des tonnes sur la langue et dans la poitrine, chaque phrase marquant un pas supplémentaire vers l'acceptation d'une réalité qui me révolte et me brise un peu plus le cœur. « Pour toi... Je suis prêt à le faire. À disparaître complètement de ta vie si c'est réellement ce que tu souhaites au plus profond de toi. À condition que tu me le demandes expressément toi-même. Si le seul fait de me voir ou même de m'apercevoir te fait souffrir à ce point Cassia, dis-le-moi sans détour... » Ma gorge se serre dans un flot d'émotions contradictoires, mais également intimement résolu à me plier à son choix définitif, quel qu'il soit, aussi douloureux soit-il pour moi. Car son bien-être passe désormais avant tout le reste, même mes propres désirs inavouables.

Finalement, avouer ce que je ressentais m’avait quelque peu soulagé. Je ne voulais pas blesser Milo, en aucun cas mais je devais aussi pour mon bien exprimer ce que je ressentais. Le jeune homme m’annonce qu’il allait essayer de ne plus agir comme il avait pu le faire aujourd’hui. Il évoque alors des sois prochains pour son dos et sa volonté de demander à Anna ou Erin de s’en occuper. « Je ne demande pas ça non plus, qu’on se fuit... » Milo venait de suggérer de faire une pause. Je ne comprenais pas bien l’ampleur de la différence avec une rupture mais j’avais tout de même accepté. Le pilote de ligne m’avoue que cette idée de pause était simplement un moyen égoïste pour lui de se dire qu’il ne m’avait pas totalement perdu. Ce qu’il ajoute ensuite me provoque un intense pincement au cœur. « Tu sais bien que jamais je ne souhaiterais vraiment que tu disparaisse de ma vie...Peu importe ce qui se passe, tu fais partie de ma vie Milo... » Depuis si longtemps d’ailleurs.

Nous décidons alors de retourner à l’intérieur du bar, non sans jeter un regard vers Luke qui semblait assez mal en point mais qui n’était pas seul. Il avait définitivement abusé du vin rouge. Je prends sur moi et me joins à la table de Milo et de Clyde. Nous sommes rejoins et entourés d’autres de ses collègues. La soirée passe, j’écoute, je participe à certaines conversation mais je sens que quelque chose me manque cruellement. Milo. Le voir là assis, à côté de moi sans pouvoir le toucher, ni l’embrasser me procurait une immense peine. Je tente de faire bonne figure mais cela est très compliqué. Si bien que lorsque la soirée se termine et que chacun commence à quitter l’établissement pour rentrer chez soi, je décide de parler à Milo. Sur le parking, l’air frais me faisait frissonner mais je savais aussi que c’est ce que je m’apprêtais à faire ou plutôt à dire qui engendrait aussi cette étrange sensation. Là, près de ma voiture, je lance un regard en direction de Milo. Il n’en faut pas plus pour que le jeune homme comprenne que je souhaitais lui parler. Mes yeux s’humidifiait déjà rien qu’à cette idée. Mon regard se pose sur Milo « Je suis désolée… je… je n’y arriverai pas Milo... Si vraiment tu souhaites rester sur ta volonté de faire une pause… je ne m’en sens pas capable...» avouai-je alors étouffant un léger sanglot dans ma voix. Mon dernier espoir serait qu’il renonce et m’annonce vouloir reprendre notre histoire. « Être là près de toi, sans pouvoir te toucher, sans pouvoir t’embrasser ni même me blottir dans tes bras… C’est trop difficile... En tout cas pour le moment...» dis-je en essuyant une larme qui venait de s’échapper. Contre toute attente je viens me hisser sur la point des pieds pour venir passer mes bras autour de son coup. Une dernière étreinte, j’en avais besoin. « Je regrette vraiment… J’étais persuadée que ça marcherait entre nous... » Je glisse doucement alors mes bras sur son torse, « J’ai besoin de temps, d’assimiler la situation... » Il était de plus en plus difficile pour moi de parler alors je coupe court à la discussion « Prends soin de toi, s’il te plait... » dis-je le plus sincèrement du monde. Puis avant de monter dans ma voiture et de quitter les lieux, nous échangeons alors un dernier au revoir.

Il existe des moments, des lieux, des scènes et des paroles qui s'impriment à jamais dans les méandres de notre mémoire, gravés au fer rouge dans nos cœurs et nos esprits. Cassia s'imprègne peu à peu dans chaque recoin de ce paysage, devenant un élément indissociable, une part intégrante de cette période si particulière de ma vie. Au fur et à mesure que la soirée s'égrène, j'écoute d'une oreille distraite Clyde me parler de je ne sais trop quoi. Ses mots ne sont que des échos lointains, des bruits de fond que je ne parviens pas réellement à saisir. Mes pensées sont entièrement captives des paroles échangées avec Cassia un peu plus tôt, chaque phrase prononcée par sa voix s'ancrant profondément, indubitablement dans les replis de ma mémoire à court terme. Quand Clyde finit par nous laisser seuls, pour se rendre aux toilettes, mes yeux se posent presque machinalement sur ceux de Cassia, comme inexorablement attiré par sa présence si proche et pourtant si lointaine. Nous sommes assis l'un à côté de l'autre sur cette terrasse déserte et pourtant une distance palpable, presque physique, semble s'étendre dans les airs entre nous deux. Son parfum délicat, familier, flotte de manière presque insoutenable dans l'air environnant, venant envahir mes narines et réveiller une myriade de souvenirs à la fois douloureux et merveilleux. Être là, si proche d'elle sans pouvoir la prendre dans mes bras, la serrer contre moi comme avant, est une véritable épreuve émotionnelle insoutenable.

À la fin de cette soirée qui semble n'avoir aucune fin, Clyde finit par nous laisser une nouvelle fois en tête-à-tête. Cassia pose sur moi un regard lourd de sens et de non-dits. Ce regard... Je le connais par cœur. Je le reconnaîtrais même les yeux fermés. Ses prunelles humides de larmes contenues capturent les miennes dans un échange d'une intensité à me couper le souffle, et un pincement douloureux vient m'étreindre la poitrine. Je l'écoute ensuite m'exposer sa décision en un silence respectueux, conscient que chaque mot qui franchit la ligne pure de ses lèvres va résonner longtemps, très longtemps dans les tréfonds de mon esprit et de mon cœur. Suis-je réellement surpris par ce qu'elle m'annonce alors ? Bien évidemment que non. « Être là près de toi, sans pouvoir te toucher, sans pouvoir t'embrasser ni même me blottir dans tes bras... C'est trop difficile... En tout cas pour le moment... », me confie-t-elle d'une voix lourde d'émotions contenues, essuyant d'un geste las une larme qui vient de tracer un sillon brillant sur sa joue pâle. Contre toute attente cependant, elle se hisse alors sur la pointe des pieds et vient se blottir contre moi pour une ultime étreinte. Cette étreinte, aussi fugace et furtive soit-elle, suffit à m'attendrir jusqu'au tréfonds de mon être. Je ressens la douce chaleur de son corps si familier contre le mien, chaque fibre de mon être souhaitant ardemment prolonger ce contact pour l'éternité. Mais je sais au plus profond de moi qu'il me faut la laisser partir, à présent. Je la regarde donc s'éloigner en silence, la gorge serrée, suivant des yeux sa voiture qui disparaît peu à peu au loin dans la nuit, l'obscurité finissant par l'engloutir définitivement. Ce n'est qu'à ce moment précis que je laisse enfin libre cours à l'expression de mes sentiments les plus enfouis, soufflant d'une voix presque inaudible « Je t'aime Cassia... » Ces mots chargés de tout mon amour pour elle flottent un bref instant dans l'air nocturne, aussitôt capturés par le vent marin et dispersés sans laisser la moindre trace, ne trouvant aucun écho dans le silence assourdissant qui m'entoure à présent. Je reste là, figé dans l'obscurité du parking désert, laissant peu à peu le vide laissé par son départ définitif m'envahir tout entier, jusqu'aux tréfonds de mon âme meurtrie.


Deux longues et interminables semaines se sont écoulées depuis cette soirée bouleversante au Sky Lounge, mais le lent passage du temps n'a hélas pas réussi à effacer la douleur lancinante de ma séparation d'avec Cassia. Chaque instant de ma vie semble désormais indéniablement imprégné de son souvenir omniprésent, et la peine que je ressens reste palpable, vivace, à peine atténuée par les tâches monotones et obligations routinières du quotidien. La vie autour de moi avance inexorablement, mais l'ombre étouffante de ma récente rupture avec Cassia plane toujours au-dessus de ma tête, teintant tout sur son passage d'une indéfinissable mélancolie. Après une récente visite de contrôle à l'hôpital, où j'ai insisté avec fermeté pour qu'Erin s'occupe de moi cette fois afin d'éviter à tout prix une nouvelle rencontre fortuite et déchirante avec Cassia, je me prépare ce soir avec bien peu d'enthousiasme pour une soirée de retrouvailles entre anciens étudiants de l'université.

En fouillant distraitement dans mon armoire à la recherche de vêtements décontractés mais suffisamment présentables pour l'occasion, je ne peux m'empêcher de laisser dériver mes pensées vers Cassia, et la façon dont elle me conseillait toujours avec bienveillance sur le choix de mes tenues. Chaque vêtement que je sors semble me rappeler un moment partagé ensemble, un souvenir précieux d'un temps désormais révolu. Je finis par me mettre en route, espérant désespérément que le trajet en voiture réussira à me distraire de ces pensées étouffantes. Mais dès que je me retrouve seul au volant, c'est l'inverse qui se produit : les souvenirs me submergent brutalement comme une vague de tristesse déferlante. La nuit inoubliable au Sky Lounge, ses paroles empruntes d'une franchise déchirante, notre douloureuse séparation, tout cela envahit mon esprit tourmenté avec une violence insoutenable. La route s'étend à n'en plus finir devant moi, mais je ne vois strictement rien, totalement perdu dans un océan de pensées sombres et mélancoliques. L'image limpide de son doux regard devenu soudain fuyant, la voix suave au timbre si familier et apaisant, sa simple présence enveloppante et réconfortante me hantent sans répit, m'accablant de regrets lancinants.

Désespérément absorbé par ce flot de souvenirs obsédants, je ne remarque pas la voiture qui me précède et qui freine soudainement sans prévenir. J'appuie instinctivement sur la pédale de frein dans un geste précipité, mais c'est déjà trop tard pour l'éviter. Le choc est heureusement léger, presque anodin, mais suffisant néanmoins pour me ramener brutalement et violemment à la réalité crue du moment présent. Mon cœur s'emballe aussitôt à un rythme effréné et une vague soudaine de panique familière monte insidieusement en moi. Je prends une profonde inspiration tremblante pour tenter de me calmer, laissant les sensations et bruits de la réalité m'envahir à nouveau et me ramener sur terre de manière abrupte. J'ouvre enfin la portière d'une main fébrile et sors précipitamment, prêt à m'excuser platement pour cette erreur stupide et inattendue, espérant de tout cœur que les potentiels dommages sur les véhicules seront minimes. Mon cœur bat à tout rompre contre mes tempes alors que je m'avance d'un pas mal assuré vers la voiture que je viens malencontreusement de percuter, la nervosité et la tristesse pesant désormais lourdement sur mes épaules rendues soudain voutées par la culpabilité.

Cela faisait à présent deux semaines qu’avec Milo nous avions eu cette ultime conversation sur le parking du Sky Lounge. Deux semaines donc que je n’avais pas eu de nouvelles de lui. Les journées étaient pénibles, les soirées et les nuis l’étaient davantage. C’est bien simple, c’est comme si depuis, on m’avait retiré une part de moi même. Il me manquait quelque chose d’essentiel à ma vie. Ou plutôt quelqu’un, c’était Milo. Alors que j’étais en train de récupérer mes affaires dans les vestiaires, Erin fait son apparition. Je lui jette un bref regard sans dire un mot. « Tu sais que Milo est venu à l’hôpital aujourd’hui ? Pour son dos... » Le simple fait d’entendre son prénom me procurait un vif pincement au cœur « Non je n’en savais rien... » dis-je d’un ton las. « Pas étonnant, il a demandé à ce que ce soit moi qui vienne m’occuper de lui... » dit-elle avec un large sourire sur les lèvres. Je décide de ne pas répondre, continuant de ranger mes affaires avant de pouvoir partir. « Ça veut dire ce que ça veut dire tu ne penses pas ? En tout cas, tu vois, j’avais raison à propos de vous deux… Je t’avais bien dit que votre histoire ne durerait pas et qu’il ne serait pas heureux avec toi. » Je laisse échapper un léger soupire « Tu veux bien cesser de parler s’il te plaît ? Tu ne sais rien du tout, alors arrête... » J’enfile ma veste mais Erin n’avait apparemment pas dit son dernier mot « Tout ce que je sais c’est que d’ici très peu de temps il sera à nouveau dans mon lit. Et il pourra enfin reprendre du plaisir et être à nouveau lui même... » Cette fois, s’en est trop. Je ferme violemment la porte de mon casier et me retourne vers Erin « Arrête ça tout de suite. Je t’interdis de me parler de Milo et de raconter des mensonges sur notre relation, c’est bien compris !? » Fière de son effet, elle esquisse un léger sourire « Oui… J’en connais une qui a du mal à supporter la rupture.. » Lasse de cette conversation je quitte les lieux sans plus attendre.

Je venais tout juste de me mettre en route pour une réception particulière ce soir. Une soirée d’anciens étudiants de l’université. J’avais hésité à m’y rendre au début mais finalement je m’étais convaincu moi même que cela me ferait du bien de sortir un peu. J’avais donc pris le temps de m’apprêter au mieux pour cette occasion. Robe, coiffure et maquillage était de rigueur ce soir. J’avais longuement hésité sur la tenue, et finalement j’avais choisi de porter la robe que Milo m’avait offert pour la saint Valentin. Sur le chemin, un fond de musique dans l’habitacle de la voiture, je reste concentrée sur la route. Soudainement, la voiture devant moi freine brusquement pour une raison inconnue, je suis donc obligée de faire la même chose. Je suis surprise en sentant un léger choc à l’arrière de ma voiture. Je ressens un très léger coup mais rien de très important. Je jette un œil au rétroviseur. Apparemment l’automobiliste derrière moi n’avait pas eu le temps de freiner correctement en temps et en heure. Je détache ma ceinture pour sortir de la voiture. Ma surprise est d’autant plus grande à présent. « Milo... » Je regarde la voiture, en effet c’était bien la sienne. Décidément, quel coïncidence. « Est-ce que ça va ? » demandai-je alors pour m’assurer qu’il n’était pas blessé d’une quelconque manière suite au léger choc.

Fall River est une ville animée, grouillante de vie trépidante. Parmi ses innombrables habitants aux destinées entremêlées, il fallait que j'aie la malchance de percuter légèrement la voiture de Cassia. Je mentirais effrontément si je disais que la revoir ainsi, de manière aussi soudaine et totalement inattendue, ne me fait absolument rien ressentir. Bien au contraire. J'aurais ardemment souhaité que nos retrouvailles se déroulent dans d'autres circonstances, plus sereines et préparées, mais la réalité me force désormais à affronter cette situation de plein fouet, sans aucun avertissement préalable. Le moment du choc m'a coupé le souffle. Ma tête bourdonne, et mes pensées demeurent dans un fouillis de panique. Lorsque je réalise que j’ai percuté la voiture de Cassia, mon cœur rate un battement. Revoir Cassia, l'amour de ma vie, dans ces circonstances si inattendues et inconfortables, me trouble profondément. Un mélange d'anticipation et d'appréhension se dispute en moi, alors que je sors de la voiture et m'avance vers elle, ma gorge sèche et mon estomac noué.
Elle sort prudemment de son véhicule, sa silhouette élancée exposée à mon regard perdu, je ne peux m'empêcher de la détailler avidement, scrutant chaque détail de sa tenue avec une avidité à peine voilée. La vue de la magnifique robe qu'elle porte me frappe soudain de plein fouet, telle une violente décharge électrique fulgurante en plein cœur. Cette robe d'un bleu nuit si délicat... C'est celle-là même que je lui ai offerte avec tant d'amour pour notre première Saint-Valentin en amoureux, il y a déjà plusieurs mois. Ce simple et pourtant si lourd constat ravive en moi une foule de souvenirs précieux enfouis, certains merveilleux m'emplissant de nostalgie, d'autres plus douloureux rouvrant des blessures à peine cicatrisées.

« Cassia... » murmurai-je presque inconsciemment en la contemplant, mon regard remontant lentement de ses pieds à sa tête avec une intensité brûlante que je peine à dissimuler. Un immense soulagement m'envahit néanmoins en constatant qu'elle ne semble heureusement pas blessée par ce léger choc imprévu. « Et toi ? Tu n'es pas blessée au moins ? » lui demandai-je d'une voix légèrement tremblante, ma première pensée se portant instinctivement sur son bien-être, bien avant de m'inquiéter des dégâts matériels sur nos voitures respectives. « Je... Je suis vraiment navré, j'ai malencontreusement oublié de freiner à temps, » lui expliquai-je d'un ton penaud, luttant pour éviter de croiser son regard, de peur d'y replonger. Dois-je vraiment lui exposer sans détour les réelles raisons de ma négligence honteuse ? Lui faire comprendre que c'est encore et toujours à cause d'elle, de son image obsédante, que je perds tous mes moyens à l'instant le plus crucial ? C'est probablement parfaitement inutile et surtout bien trop cruel de la blesser davantage en étalant ainsi mes faiblesses. « Tu... Tu n'as vraiment rien d'autre au moins ? » répétai-je avec une insistance à peine dissimulée, mes yeux revenant sans cesse se poser sur les courbes délicates de sa robe. Un tourbillon de questions brûlantes m'assaille soudain l'esprit, que je dois réprimer de mon mieux. A-t-elle rencontré quelqu'un d'autre depuis notre déchirante séparation ? Est-elle en route pour un insouciant rendez-vous galant avec un nouvel amant ? Mais je retiens ces interrogations lancinantes, les laissant sagement enfermées derrière mes lèvres pour ne pas succomber à la tentation d'une nouvelle confrontation. « Tu veux qu'on fasse... un petit constat à l'amiable concernant l'accrochage ? » lui proposai-je ensuite d'un ton hésitant, la gorge subitement nouée par l'émotion. C'est probablement inutile vu la légèreté du choc, mais je ne peux me résoudre à la laisser repartir si facilement, pas après cette rencontre d'une telle improbabilité désarmante. « Je... J'allais justement à une soirée entre anciens étudiants de notre université... » ajoutai-je dans un murmure à peine audible, ma voix légèrement tremblante trahissant le trouble immense qui m'habite.

Bien sûr... Par un incroyable coup du destin, nous avons tous deux étudié au sein de cette même prestigieuse université par le passé, partageant avec tant d'autres quelques années insouciantes sur les mêmes bancs de certains de ces cours dispensés avec tant de passion par nos professeurs respectés. Un détail qui pourrait sembler anodin, mais qui dans le contexte présent revêt soudain une importance capitale à mes yeux. « Toi aussi ? » ne puis-je dès lors m'empêcher de lui demander dans un souffle à peine audible, mon corps tendu trahissant l'intense lutte intérieure que je mène désespérément contre cette curiosité dévorante qui me pousse à vouloir percer ce mystère à tout prix. Se rend-elle véritablement à cette même soirée de retrouvailles entre anciens camarades de promotion comme moi, ou se dirige-t-elle plutôt, parée de cette tenue si élégante, vers un mystérieux rendez-vous galant avec un nouvel amant ayant déjà pris ma place jadis chérie dans son cœur ?

Chacune de ces deux options possibles, pourtant diamétralement opposées, me transperce l'âme comme une lame acérée à la simple pensée. En un sens, l'imaginer assister comme moi à cet évènement reliant nos parcours universitaires communs raviverait une multitude de doux souvenirs de jeunesse enchanteurs, mais aussi la sourde douleur de constater à quel point elle semble désormais m'avoir quitté, corps et âme. Mais d'un autre côté, la vision d'elle se rendant tout simplement à un galant tête-à-tête avec un autre homme que moi me meurtrirait sans doute d'une jalousie ardente et destructrice, insoutenable. L'incertitude quant à la véritable raison de sa tenue apprêtée ce soir est une véritable torture psychologique pour mon esprit agité, en proie aux tourments et aux doutes les plus cruels. Chaque seconde qui s'écoule dans ce pesant silence, suspendu aux lèvres entrouvertes de Cassia face à moi, semble s'étirer indéfiniment, accroissant mon supplice intérieur. Laquelle de ces deux réalités, si radicalement opposées, dois-je me préparer à affronter ce soir ?

Décidément entre la fin de journée assez mouvementée avec Erin et ce début de soirée mouvementé à cause de cet accrochage en voiture qui venait tout juste d’avoir lieu, on peut dire que je n’avais pas été épargné. Fort heureusement ce léger accrochage était minime. Je venais tout juste de sortir de la voiture pour m’assurer si l’automobiliste de derrière allait bien et constater si il y avait des dégâts matériel. Et à ma grande surprise, je venais de me retrouver nez à nez avec Milo. Drôle de coïncidence. Mon premier réflexe est bien entendu de lui demander si tout allait bien de son côté. Le pilote de ligne semble également très surpris de me voir et me demande à son tour si je n’étais pas blessée. « Non, je n’ai rien du tout... Et toi, ton dos, est-ce que ça va ? » dis-je pour lui répondre et le rassurer immédiatement. Demandant par la même occasion si il n'avait pas reçu, même très légèrement, un choc à son dos si sensible. Le jeune homme s’excuse alors, précisant qu’il avait oublié de freiner à temps. Je suis quelque peu surprise de cette révélation, lui qui avait l’habitude d’être toujours très vigilant et qui avait de très bons réflexes. « Ce n’est pas grave. Il y a eu plus de peur que de mal je pense... » Que ce soit aussi bien nous concernant ou alors concernant nos véhicules respectifs.  Milo me demande à nouveau si je n’avais vraiment rien d’autre. Mon regard qui tentait de fuir le sien avec difficulté, finit par se résigner à le faire « Non je t’assure que je n’ai absolument rien. » Dans la foulée, Milo propose de faire un constat à l’amiable. Je fais quelques pas pour vérifier de plus près l’état de nos voitures. Le choc avait été malgré tout léger, il ne semblait pas y avoir de réel impact. « C’est comme tu veux mais je n’ai pas l’impression que cela soit nécessaire... » dis-je alors  en vérifiant une dernière fois les deux voitures.

Milo m’annonce alors qu’il se rendait à une soirée entre anciens étudiants de notre université. Lui aussi. Mon cœur se serre à l’idée que nous aurions pu nous y rendre ensemble, main dans la main. Cette annonce expliquait la raison pour laquelle il était si élégamment habillé ce soir. Milo me demande si moi aussi, j’étais sur le point de me rendre là-bas. « Oui... » dis-je simplement « Comme toi, j’ai reçu l’invitation... » Il y a quelques semaines déjà.

Cassia... Cassia Henderson... Elle ne changera donc jamais cette habitude de faire ressurgir mes faiblesses rien qu'en effleurant certains sujets sensibles. Elle m'interroge ainsi délibérément sur mon dos, qu'elle sait déjà plus que fragile après mon accident d’avion. Cette simple pensée suffit néanmoins à temporairement panser la violente secousse émotionnelle que j'ai reçue en la revoyant si soudainement. « On verra... Si je me retrouve de nouveau à l'hôpital dans quelques jours à cause de douleurs insupportables... » réponds-je simplement d'un ton faussement léger, tentant de dissimuler mon trouble derrière une plaisanterie de mauvais goût. Cassia me répond d'un air vaguement désolé, m'indiquant qu'il est fort heureusement inutile de faire un constat à l'amiable pour un si léger accrochage. En effet, il ne semble pas vraiment y avoir eu d'impact majeur ni de dégâts conséquents sur nos véhicules respectifs. « Tu as raison... » acquiesçai-je d'un signe de tête, me retenant à la dernière seconde d'ajouter un « comme d'habitude » qui aurait pu sembler déplacé. « Si jamais tu devais malgré tout aller chez le garagiste pour une réparation... Je me ferai un devoir de prendre en charge les frais, tu n'as pas à t'en soucier », lui dis-je poliment en m'efforçant d'adopter un ton détaché. La voir ainsi si proche de moi, malgré l'immense distance qui s'est insidieusement installée entre nous au fil des semaines, ravive pourtant quelque chose d'enfoui au plus profond de mon être. Les souvenirs innombrables partagés auparavant ressurgissent un à un, et avec eux, une indéniable nostalgie douce-amère qui me serre la poitrine comme un étau. Cassia a toujours eu cette incroyable faculté d'apaiser les situations les plus tendues avec une douceur désarmante. Et je dois lutter de toutes mes forces pour réfréner cet élan protecteur qui me pousse désespérément à vouloir effacer le moindre dommage, réel ou imaginaire, subie par elle, juste pour m'assurer que tout va bien.

Lorsque Cassia me révèle finalement qu'elle se rend effectivement, comme moi, à cette traditionnelle soirée de retrouvailles entre anciens étudiants, un large sourire soulagé me gagne irrésistiblement. Elle n'a donc pas de mystérieux rendez-vous galant avec un nouvel amant ce soir. Une réaction peut être égoïste de ma part, mais je suis profondément soulagé de l'apprendre, au point d'en être légèrement honteux. « Je vois... On se retrouve là-bas alors ? A tout à l'heure ! » dis-je d'un ton qui se veut amical en essayant de dissimuler mon immense soulagement derrière un sourire avenant.

Après cet échange aussi inattendu que chargé en émotions, nous remontons dans nos voitures respectives pour nous rendre à la soirée. Le trajet est heureusement court, mais néanmoins chargé d'une étrange tension que je ne parviens pas à dissiper malgré tous mes efforts. Sans m'en rendre compte, je la suis de près, cette fois en prenant bien soin de conserver une distance de sécurité raisonnable pour ne pas une nouvelle fois lui rentrer malencontreusement dedans.

Lorsque j'arrive enfin à la salle où se déroule la grande soirée de retrouvailles entre anciens étudiants, une puissante vague de nostalgie me submerge soudainement de plein fouet. La musique d'ambiance familière, les rires chaleureux et les conversations animées qui remplissent l'espace me replongent instantanément dans les souvenirs les plus marquants de mes insouciantes années universitaires. Mon regard se met instinctivement à chercher Cassia au milieu de la foule compacte et bigarrée, l'espoir tenace de réussir enfin à l'apercevoir et à pouvoir lui adresser la parole grandissant à mesure que j'avance pas après pas. Le souvenir encore vif de notre rencontre des plus inattendues un peu plus tôt dans la journée résonne encore avec une grande intensité au fond de moi, éveillant un singulier mélange d'émotions diverses et contradictoires que j'ai le plus grand mal à pleinement canaliser.

Mais alors que je poursuis sans relâche mes recherches du regard, une silhouette élégante des plus familières finit par se découper nettement dans mon champ de vision. C'est Léa, mon ex-petite amie, désormais une avocate réputée. Son maintien altier et assuré attire instantanément l'attention, de même que sa tenue raffinée, et je ressens soudain comme une désagréable pointe d'appréhension en me remémorant nos derniers échanges tendus peu avant notre séparation définitive. Elle se tient là, discutant avec animation au milieu d'un petit groupe d'autres anciens camarades de promotion, son rire si cristallin que je reconnaîtrais entre mille se détachant subtilement des autres bruits ambiants qui nous entourent. Je sens une hésitation soudaine grandir en moi tandis que je m'approche d'un pas mal assuré. Devrais-je véritablement aller lui adresser la parole pour la saluer ? Après tout ce qu'il s'est passé entre nous ? Mais Léa finit par me remarquer à son tour, et nos regards se croisent inévitablement. Une lueur de reconnaissance indéniable vient alors briller au fond de ses prunelles. Léa s'extrait bien vite du petit cercle de ses interlocuteurs pour venir s'approcher dans ma direction, son sourire si caractéristique et entendu déjà quelque peu retroussé au coin des lèvres. « Eh bien, si ce n'est pas une surprise inattendue de te croiser ici ce soir, » dit-elle, sa voix teintée d'une très légère mais néanmoins perceptible pointe d'ironie narquoise. « Tu as l'air de bien te porter en tout cas ! »

« Salut Léa,» répondis-je avec un sourire des plus forcés, me sentant soudain assez mal à l'aise. « Toi aussi visiblement, on dirait... » Elle laisse alors échapper un rire bref et doux-amer, un rire qui fait immédiatement resurgir en moi une foule de lointains souvenirs passés, et durant l'espace d'un court instant, je me retrouve comme transporté à une époque plus douce et plus simple, où notre histoire n'était pas encore un lamentable échec. Mais je finis cependant par me ressaisir assez rapidement, mon esprit et mes pensées les plus profondes revenant bien vite à ma quête initiale, la raison pour laquelle je me suis rendu à cette soirée. Cassia est quelque part dans l'immense foule des anciens étudiants présents, et c'est bien elle, et elle seule, que je souhaite ardemment retrouver et revoir coûte que coûte ce soir.

Par simple politesse toutefois, j'écoute d'une oreille vaguement distraite Léa me conter son parcours dans sa carrière d'avocate, sa vie trépidante dans un grand cabinet réputé, ainsi que ses nouvelles aventures personnelles et rencontres. Sa seule présence en ces lieux ne peut s'empêcher d'éveiller une vague sensation de nostalgie au plus profond de mon être, mais aussi la ferme certitude que notre histoire appartient désormais définitivement au passé et ne saurait sous aucun prétexte ressurgir. Alors que notre conversation convenue semble bientôt s'essouffler de manière inéluctable, je me décide à l'interrompre d'une voix douce. « Léa, je suis vraiment sincèrement ravi d'avoir eu l'occasion de te revoir et de constater que tu vas bien dans ta vie, mais j'espère que tu comprendras que je dois absolument tenter de retrouver quelqu'un d'autre ce soir... » Elle hausse alors un sourcil intrigué, une rapide lueur de compréhension venant briller dans son regard. « Bien sûr, pas de problème. Va donc accomplir ta quête et rejoins cette personne si importante. Ce fut un plaisir imprévu de te revoir ! » Lui adressant un dernier sourire amical teinté de regrets, je m'éloigne sans attendre et repars dans ma quête pour tenter de débusquer enfin Cassia au cœur de cette immense foule d'anciens étudiants.

Alors que je m'éloigne de Léa, je ressens un mélange d'anxiété et de soulagement. Mon esprit est encore concentré sur la recherche de Cassia dans la foule des anciens étudiants. Je me fraye un chemin parmi les visages familiers, échangeant des sourires et des salutations rapides, mais sans m'attarder. Mais après quelques minutes, je sens une présence familière à mes côtés. Léa m'a rejoint, son sourire espiègle à nouveau présent sur ses lèvres. « Alors, qui est cette personne que tu cherches si désespérément ? » demande-t-elle en croisant les bras, une lueur malicieuse dans les yeux. Je soupire légèrement, sachant qu'elle ne laissera pas cette question en suspens. « C'est compliqué, Léa. » Elle hausse un sourcil, un sourire intrigué se dessinant sur ses lèvres. « Compliqué, hein ? Peut-être un ancien camarade de classe ? » propose-t-elle, sa voix teintée d'ironie. « Ou peut-être une ancienne flamme ? » Je reste silencieux, un sourire nerveux se formant sur mes lèvres. Léa continue, s'amusant clairement à me voir mal à l'aise. « Ou alors, je sais ! Serait-ce Cassia ? » Elle rit doucement, ravie de sa propre intuition. « Je ne suis pas étonnée. Tu as toujours été accro à elle. » Je détourne le regard, sentant mes joues rougir. « Peut-être... » avouai-je à demi-mot, essayant d'esquiver ses taquineries. Léa secoue la tête, un sourire indulgent sur les lèvres. « Oh, tu n'as vraiment pas changé, hein ? Alors, dis-moi, est-ce que tu as enfin trouvé le courage de lui avouer tes sentiments, ou tu comptes encore attendre une décennie ? » Je roule des yeux, gêné par sa franchise directe. « Je travaille dessus, d'accord ? Ce n'est pas aussi simple qu’il n’y paraît » Léa éclate de rire, sa voix s'élevant au-dessus du bruit de la foule. « Tu es incroyable. Mais bon, j'espère sincèrement que tu vas y arriver. Cassia mérite de savoir, et toi, tu mérites de savoir si elle ressent la même chose. » Ses paroles, bien que livrées avec légèreté, frappent un accord en moi. Je la remercie d'un hochement de tête, touché par son encouragement sincère. Elle me donne une tape amicale sur l'épaule avant de s'éloigner, me laissant seul une fois de plus.

Malgré que la situation soit des plus délicates entre nous, je ne peux m’empêcher de m’assurer que Milo aille bien, et que ce choc, aussi minime soit-il, n’ait pas fait souffrir son dos. Le jeune homme répond qu’il verra bien si il se retrouvait à nouveau à l’hôpital à cause de douleurs insupportables. Rien que cette idée me pinçait le cœur. « Oui, apparemment ça été compliqué ces derniers jours... » dis-je naturellement me rendant compte trop tard que je n’aurais peut-être pas du dire cela. Est-ce que ça me regardait encore après tout ? « Erin m’a dit que tu étais venu à l’hôpital... » dis-je pour tenter de me justifier et sous entendre que non je ne le surveillait pas mais que j’étais malgré tout au courant. Pour ce qui était des voitures, je dis à Milo qu’un constat ne me semble pas nécessaire. Milo semble d’accord mais ajoute malgré tout que si javais je devais malgré tout me rendre chez le garagiste pour une quelconque réparation il se ferait un devoir de prendre en charge les frais. Cela ne m’étonnait pas du tout venant de sa part. « Merci, mais ça devrait aller... » dis-je un léger sourire aux lèvres malgré tout. Puis la conversation dévie brièvement sur la soirée. Cette soirée à laquelle nous nous rendions tous les deux. « Oui, à tout à l’heure... » dis-je avant de le laisser retourner dans sa voiture et de faire la même chose.

Finalement, malgré ce léger accrochage en voiture avec Milo, j’étais arrivée à destination en temps et en heure pour la soirée. A peine arrivée, j’avais déjà eu l’occasion de parler avec d’anciens camarades de l’université. J’avais gardé contact avec certains d’entre eux, mais pas tous malheureusement. Et se revoir tous ici ce soir était une merveilleuse idée.  La salle était merveilleusement bien décoré, un immense buffet était dressé avec quelques tables autour. Malgré toute cette joyeuse effervescence, je ne pouvais m’empêcher de me dire que cette soirée aurait été inévitablement meilleur avec Milo à mes bras. Une coupe de champagne à la main, je discute avec une ancienne camarade qui avait eu le même parcours que moi. Nos chemins s’étaient séparées car Grace avait décidé de quitter Fall River pour aller vivre à deux bonnes heures d’ici, afin de suivre son amour de jeunesse avec qui elle avait  présent fonder une magnifique famille. Bien qu’heureuse pour elle, je ne pouvais m’empêcher d’être presque jalouse d’elle. Nous terminons notre conversation, puis je croise Tyler. « Cassia ! Je suis ravi te revoir. Tu es toujours aussi belle... » Je lui adresse un léger sourire. A l’époque il ne s’était rien passé entre nous, nous avions brièvement flirté. « Merci Tyler. C’est gentil… Je suis contente de te revoir aussi. Tu as l’air en forme... » ce dernier m’adresse un léger sourire « C’est le cas… Tu es venue seule ? J’aurais parié te revoir avec Milo... » dit-il en plaisantant quelque peu même si je percevait une touche de sincérité dans ses propos. Et au même moment j’aperçois au Loin Milo discuter avec Léa. Cette image me dérange oui. Parce que sa relation avec la jeune femme avait été une de ses seules relations sérieuses. « Et bien, non comme tu peux le voir… Je suis seule… Tu m’excuses une minute ? Peut-être à tout à l’heure... » dis-je en me dirigeant vers le grand buffet afin de prendre une nouvelle coupe et surtout de fuir cette image de Milo et Léa ensemble.

Alors que je me fraye péniblement un chemin à travers la foule compacte et survoltée des autres convives, Léa refait soudain son apparition devant moi, un léger sourire mutin flottant au coin de ses lèvres. Elle porte deux coupes de champagne fraîchement remplies, et m'en tend poliment une, sa malicieuse lueur espiègle si caractéristique ne quittant pas son regard. « Allez, prends donc ça, » me dit-elle en levant légèrement sa propre coupe dans un geste de toast implicite. « À l'ancienne époque, non ? Comme au bon vieux temps ? » Je ne peux m'empêcher d'esquisser un sourire à mon tour face à son air à la fois taquin et nostalgique, et lève ma coupe à la rencontre de la sienne dans un petit tintement cristallin qui marque une pause furtive dans l'ambiance animée et survoltée de la soirée. Je prends une gorgée délicate du champagne pétillant, appréciant sa fraîcheur vivifiante, pendant que Léa m'observe d'un air faussement innocent dissimulant mal sa curiosité. « Alors, Cassia, hein ? » commence-t-elle d'une voix où perce une évidente curiosité avide d'en savoir davantage. « On dirait que tu es sacrément déterminé à la retrouver quelque part dans cette foule ce soir. Qu'est-ce qui te retient comme ça ? » Je laisse échapper un léger soupir résigné, conscient que je ne pourrai pas éluder bien longtemps ses questions tout en connaissant son entêtement légendaire. « Disons que... C'est plutôt compliqué entre nous en ce moment, Léa. Je ne sais même pas si elle ressent encore la même chose pour moi après tout ce temps... »

Léa secoue la tête d'un air faussement consterné, un sourire indulgent flottant sur ses lèvres. « Ah, tu n'as vraiment pas changé d'un pouce depuis l'époque. Toujours à te poser des milliers de questions existentielles sans arrêt ! » Elle prend une nouvelle gorgée de son champagne avant de poursuivre, une lueur amusée dansant dans ses prunelles espiègles. « Tu te souviens de ce que tu m'as dit lors de notre rupture il y a des années ? Que je n'étais pas Cassia ? » Je ressens une violente pointe de nostalgie, mêlée à une certaine gêne, en entendant ses paroles qui ravivent ce lointain souvenir. Ce simple épisode de notre histoire, pourtant poussiéreux, fait immanquablement remonter à la surface une foule de sentiments complexes difficilement déchiffrables. « Oui, je... je m'en souviens parfaitement, » admets-je avec un sourire d'excuse. « Je suis vraiment désolé si ces mots t'ont blessée à l'époque... » Léa hausse les épaules avec une moue fataliste, un sourire un peu amer venant effleurer brièvement le coin de sa bouche. « Ça m'a pris un certain temps, mais j'ai fini par parfaitement comprendre ce que tu voulais dire. On a tous nos histoires, nos attaches et nos liaisons particulières dans la vie. Certains sont juste... plus forts et indéfectibles que d'autres, c'est tout. » Elle s'approche de moi et vient poser une main légère mais amicale sur mon épaule. « Écoute, tu mérites d'obtenir enfin l'apaisement et la paix de l'esprit par rapport à tout ça. Ne te laisse plus retenir par les fantômes du passé ou les regrets. C'est le moment d'avancer. »

Ses paroles, empreintes d'une grande sagesse et d'une bienveillance que je ne lui soupçonnais pas, résonnent profondément en moi tandis que je prends une nouvelle gorgée de champagne, cherchant mes mots pour lui répondre. « Merci Léa... C'est vraiment gentil et attentionné de ta part de me dire cela. » Elle me gratifie alors d'une dernière tape amicale sur l'épaule avant de prendre une gorgée de sa coupe avant de poser son regard sur moi, une lueur de nostalgie dans ses yeux. « Tu sais, je me souviens à quel point vous étiez inséparables, toi et Cassia, » dit-elle avec un soupçon d'amusement dans la voix. « Même si vous ne suiviez pas le même cursus, on vous voyait toujours ensemble. » Je souris à ce souvenir, le champagne adoucissant un peu la pointe de nostalgie qui m'envahit. « Oui, c'est vrai, » dis-je, mon regard s'éloignant dans le passé. « On trouvait toujours le moyen de se retrouver entre les cours, peu importe à quel point nos emplois du temps étaient différents. » Léa hoche la tête, un sourire indulgent sur les lèvres. « Vous aviez cette complicité qui se voyait à des kilomètres. C'était évident que vous étiez faits l'un pour l'autre. » Elle prend une autre gorgée de champagne, ses yeux brillants d'une lueur amusée. « J'ai toujours admiré ça, même si ça me rendait un peu jalouse, je l'avoue. » Je hausse les épaules, un sourire léger flottant sur mes lèvres. « On a toujours eu un lien spécial, c'est sûr. » Léa me donne une légère tape sur l'épaule, un éclat de rire dans la voix. « Eh bien, je suppose que rien n'a vraiment changé, n'est-ce pas ? À en juger par ta quête ce soir. » Je secoue la tête, riant doucement. « Oui, peut-être bien. Mais tu sais, les choses sont plus compliquées maintenant. » Léa me fixe un instant, un sourire doux sur les lèvres. « Peut-être, mais ça ne veut pas dire que ça ne vaut pas la peine d'essayer. Allez, va la chercher, et dis-lui enfin ce que tu ressens. » Je la remercie avec un hochement de tête, touché par son soutien inattendu. Léa me sourit une dernière fois avant de s'éloigner, me laissant seul avec mes pensées.

Je me tiens là, une coupe de champagne à la main, réfléchissant aux mots de Léa, lorsque Tyler, un ancien ami commun de l'université, apparaît soudainement à mes côtés. Son large sourire et son attitude enjouée me rappellent nos années insouciantes d'étudiants. « Hé, mais c’est toi ! Ça fait un bail, mon pote ! » s'exclame-t-il en me donnant une tape amicale dans le dos. Un sourire s'épanouit sur mon visage en le reconnaissant. « Tyler, ça fait un sacré bout de temps ! Comment tu vas ? » Malgré toutes ces années, il n’a pas changé d’un iota. « Je vais bien, je vais bien ! » répond-il, son énergie débordante éclairant la soirée. « Et toi ? Ça fait plaisir de te revoir. Je te cherchais justement. » Je ris légèrement, prenant une gorgée de champagne. « Oh vraiment ? Et pourquoi donc ? »

Tyler se penche un peu plus près, son sourire se transformant en une expression complice. « Je viens tout juste de quitter Cassia. » Mon cœur s'emballe à la mention de son nom, une vague d'excitation mêlée d'appréhension m'envahit. « Tu as vu Cassia ? » demandai-je, tentant de dissimuler mon trouble. « Oui, elle est là quelque part, » répond Tyler en balayant la salle du regard. « On a discuté un moment, et elle a filé » Un mélange de soulagement et de nervosité monte en moi. « Vraiment ? » Je peine à cacher mon sourire, mon esprit tournant à toute vitesse. Tyler rit doucement, me donnant une tape amicale sur l'épaule. « Oui, vraiment. Alors qu'est-ce que tu attends ? Va la trouver ! » Je hoche la tête, sentant un regain de détermination m'envahir. « Merci, Tyler ! »  dis-je en posant ma main sur son bras.  « De rien, mon pote. J’espère vraiment que tout ira bien pour vous. »  Je lui donne une accolade rapide avant de m'éloigner, mon esprit concentré sur une seule chose : retrouver Cassia.

Je me fraye un chemin à travers la foule animée, mon esprit concentré sur une seule pensée : retrouver Cassia. Les conversations, les éclats de rire, tout devient un bruit de fond alors que j'avance avec détermination, scrutant chaque visage, chaque silhouette. La salle est vaste, remplie de souvenirs d'anciens camarades échangeant joyeusement des anecdotes. Mon cœur bat un peu plus vite, l'anticipation grandissant à mesure que je m'approche du grand buffet, là où Tyler a dit l'avoir vue. Et puis, je la vois. Cassia, debout près du buffet, un verre à la main, discutant avec un petit groupe de personnes. Son rire, que je reconnaîtrais entre mille, me parvient même à travers le brouhaha ambiant. Je prends une profonde inspiration, me préparant mentalement à l'aborder. L'instant semble s'étirer alors que je m'avance, chaque pas m'approchant un peu plus d'elle. Elle finit par tourner la tête, et nos regards se croisent. Pour un moment, tout autour de moi s'évanouit. C'est comme si le temps s'arrêtait, l'intensité de notre regard partagé révélant tout ce que les mots ne peuvent exprimer. « Cassia… » dis-je enfin, un sourire hésitant sur mes lèvres. Je m'approche, un sourire sincère sur le visage. « Tu es magnifique… » lui dis-je les yeux brillants d’admiration.

La soirée avait commencée, et on pouvait aisément sentir une bonne ambiance régner dans cette immense salle qui accueillait tous ces anciens étudiants, c’est à dire nous tous. Je croise et prends le temps de discuter avec de nombreux anciens camarades. Toutefois, lorsque j’aperçois Milo discuter avec Léa, une sensation très étrange s’empare de moi. Sans nul doute une once de jalousie, et la crainte qu’il puisse retrouver sa liberté qu’il chérissait tant avec elle. Et puis, Léa n’avait pas été une conquête parmi tant d’autre, leur relation avait été sérieuse. C’est sans doute donc que Milo avait éprouvé quelque chose pour elle. Voulant fuir cette image à tout prix je tourne les talons et me dirige vers le buffet pour prendre une seconde coupe de champagne. Et si venir ici n’était pas une bonne idée ? Bien que la salle soit immense et que la foule soit présente, je savais pertinemment que j’allais finir par croiser Milo. Ou plutôt le croiser à nouveau. Et bien évidemment si je venais à le croiser, à oser mon regard sur lui, cette vive douleur que je tentais depuis des semaines de dissimuler allait refaire surface aussitôt. A côté de l’immense buffet magnifiquement dressé, je retrouve quelques anciennes connaissances avec qui je commence tout naturellement à entamer la discussion. Mon regard se tourne et je croise le regard de Milo. Il est là, près de moi. Pour la seconde fois de la soirée. On peut aisément sentir une grande intensité dans cet échange de regard. Le pilote de ligne s’approche un peu plus, un sourire sur son visage il me complimente. Ces quelques mots me font chaud eu cœur, mon rythme cardiaque accélère instinctivement. « Merci beaucoup... » Sans nul doute qu’il avait remarqué que je portais la robe qu’il m’avait lui même offert. « La robe y est sans doute pour beaucoup aussi. » dis-je pour tenter de plaisanter un peu et cacher ma gêne. Sur le moment, je craignais que je passe pour une pauvre femme mélancolique au cœur brisé qui ne trouvait rien de mieux à faire que de porter les vêtements achetés par son ancien concubin. Mais qu’importe. Cette robe me plaisait et cela me faisait plaisir de la porter. Etait-ce sans doute le plus important. « Et toi, tu es très élégant... » Il l’était toujours, mais lorsqu’il portait une tenue davantage sophistiqué, telle qu’une chemise, il l’était davantage. Un léger silence s’installe entre nous. Devais-je le fuir en prétextant que quelqu’un m’attendait ? Mais à quoi bon faire une telle chose ? Je prends une gorgée de champagne et finis par me lancer « La soirée est vraiment très réussie. C’est sympa de pouvoir revoir autant de monde. » Sur le moment je trouvais mes paroles complètement inintéressante mais qu’importe, c’était la seule chose qui m’était venue pour briser ce léger silence entre nous.

Je crois que Cassia pourrait me parler de n’importe quel sujet, je serais toujours aussi subjugué par sa présence, sa beauté, son esprit. Elle est magnifique dans cette robe, celle que je lui ai offerte pour notre première Saint-Valentin. Je me souviens de ce jour comme si c’était hier… Un pincement au cœur s’empare de moi en y repensant. « La robe… Ou plutôt celle qui la porte y est pour beaucoup. Tu es magnifique, Cassia… » répétai-je en l’admirant. Son compliment me pousse à acquiescer d’un simple mouvement de tête. « Je te remercie… J’ai… Je me suis dit que ce serait l’occasion de sortir cette chemise… » dis-je en déboutonnant ma veste afin de la lui montrer. Je me souviens du jour où nous nous sommes rendus ensemble dans la galerie marchande de Fall River, je me souviens du moment où les yeux de Cassia se sont posés sur cette chemise que nous avons choisie ensemble.  « Et puis… Je dois dire que la montre que je porte se marie parfaitement avec ma tenue. » ajoutai-je en levant mon poignet pour lui montrer la montre qu’elle m’a précédemment offerte et qui ne me quitte pas. « La personne qui l’a choisie a bon goût… Il faudrait que je la remercie à ce propos. » lançai-je en visant faussement Cassia. Elle sourit à mes propos, un sourire qui me réchauffe le cœur. Nous échangeons un regard complice, comme si le temps n’avait pas pu briser ce lien qui nous unit. « Oui c’est sympa… J’ai déjà pu revoir Tyler et Léa. » ajoutai-je en rebondissant sur ses paroles. Je remarque une légère étincelle de surprise dans ses yeux à la mention de Léa, mais elle ne dit rien, se contentant d’un sourire. « Nous sommes deux vieux amis qui se retrouvent ce soir… » glissai-je en regardant Cassia, espérant que le sous-entendu ne soit pas perdu.

Alors que Cassia et moi continuons de nous remémorer le bon vieux temps, replongés dans une conversation animée emplie de souvenirs partagés, Tyler finit par nous retrouver, accompagné de Léa et Grace. Cette dernière, arborant son éternel sourire chaleureux et lumineux, illumine littéralement la pièce dès son arrivée. Elle s'approche de nous d'un pas conquérant et nous octroie à chacun de franches accolades pleines d'enthousiasme, son énergie communicative provoquant immanquablement des éclats de rire spontanés. « Regardez un peu qui j'ai réussi à débusquer chez moi! » s'exclame soudain Tyler avec sa bonne humeur habituelle, brandissant fièrement une petite boîte métallique d'un air triomphal. « Je crois que ce sera le moment parfait pour ressortir quelques vieux souvenirs enfouis ! » Léa laisse échapper un rire amusé, un sourire espiègle venant étirer ses lèvres. « Oh Tyler, je vois que tu n'as définitivement pas changé d'un pouce ! Toujours prêt à nous replonger dans une époque révolue à la moindre occasion ! »

Tyler ouvre alors la boîte d'un geste théâtral et en sort plusieurs photographies jaunies par les années, chacune d'entre elles racontant une histoire bien particulière de nos jeunes années insouciantes à l'université. Il se met à les feuilleter une à une avec tendresse, riant aux éclats devant certains clichés en les montrant à la ronde. « Regardez un peu cette vieille photo vous autres ! On avait l'air tellement jeunes et naïfs à l'époque... » Nous nous approchons pour mieux voir, les souvenirs enfouis ressurgissant soudain de l'ombre du passé avec une clarté étonnante. Chacune des photos dévoilées se révèle être une véritable capsule temporelle figée dans le temps, nous ramenant avec force à ces instants bénis de camaraderie, d'insouciance et de liens indéfectibles tissés pour la vie. Grace pointe alors du doigt un cliché en riant de bon cœur, souriant de toutes ses dents. « Vous vous rappelez de celui-là vous autres ? C'était la fameuse soirée d'Halloween ! » Je ne peux m'empêcher de rire à mon tour en revoyant nos costumes si extravagants de l'époque, les souvenirs de cette soirée folklorique me revenant en rafale. « Ah oui, c'est vrai ! Je me souviens qu'on avait mis un temps fou à tout préparer... »

Tyler sort alors triomphalement de sa poche un vieil appareil photo Polaroid, le brandissant presque comme un trophée de guerre. « D'accord tout le monde, assez ri ! Maintenant on rejoue la scène. Il est temps de refaire ces poses cultes pour l'éternité, ça fait beaucoup trop longtemps ! » Des rires fusent de toute part devant sa détermination enfantine à vouloir rejouer ces moments improbables. Nous finissons cependant par nous ranger docilement en ligne comme la dernière fois, adoptant avec amusement les poses si caractéristiques qui firent jadis notre gloire sur ces vieilles photographies, en y ajoutant ici et là quelques ajustements pour tenir compte des années qui ont passé entretemps. « Trois...deux...un... Souriez ! » lâche Tyler avant d'appuyer fébrilement sur le bouton de l'antique appareil. L'appareil crache alors la photo dans son bourdonnement si particulier. Tyler s'en saisit et la secoue légèrement d'un geste impatient, attendant que l'image ne se matérialise enfin. Lorsque celle-ci apparaît enfin, nous nous rassemblons tous autour pour l'admirer. Si les années ont évidemment marqué nos traits désormais plus mûrs et burinés par l'expérience, les sourires éclatants et les rires cristallins demeurent en revanche intacts, comme à l'époque insouciante de notre prime jeunesse. C'est un souvenir que nous chérirons à jamais, un rappel vibrant de l'importance des amitiés sincères qui transcendent le temps qui passe.

Tyler continue de fouiller dans sa boîte de photographies, son sourire large et nostalgique. Il sort alors une photo en particulier, et en la voyant, mon cœur s'accélère. C'est une photo de Cassia et moi, prise il y a des années, pendant nos études. Cassia est assise sur mes genoux, et nous nous regardons avec une intensité qui trahit tout l'amour que nous partagions à l'époque. Tyler éclate de rire en la montrant à tout le monde. « Regardez ça ! On ne pourrait pas faire plus romantique, vous deux. » Il se tourne vers nous, une lueur amusée dans les yeux. « Allez, je vous mets au défi de refaire cette pose ! »

Alors que j’étais en pleine discussion avec un petit groupe d’ancien camarades, mon regard avait croisé celui de Milo. Le jeune homme s’était finalement approché de moi, me complimentant sur ma tenue de ce soir. Impossible de ne pas le remercier, soulignant par la même occasion que la robe que je portais y étaient sans nul doute pour beaucoup. Une robe qui ne lui était pas inconnu car c’est lui même qui me l’avait offerte. J’avais à mon tour complimenter Milo qui était très élégant ce soir. Comme toujours, mais cela je ne pouvais pas le dire à voix haute, je ne pouvais uniquement le penser. Milo me remercie et me dit qu’il avait profité de l’occasion pour sortir une certaine chemise. Ouvrant sa veste, les souvenirs reviennent aussitôt. Cette chemise nous l’avions choisi ensemble. « Elle te va très bien... » Comme le jour où il l’avait essayé. Une once de nostalgie s’empare de moi d’ailleurs en repensant à ce moment passé ensemble dans cette galerie marchande. Milo me fait constater que la montre qu’il portait se mariait parfaitement avec sa tenue. Mon regard se pose alors sur la montre en question, celle que je lui avait offerte. Un léger sourire se dessine sur mon visage « Je crois que tu l’as déjà remercié... » dis-je en me souvenant parfaitement de cette soirée. Et un léger silence s’était installé entre nous. Je devais bien avouer que je ne savais pas trop comment agir, ni quoi dire. Alors j’avais simplement commenté la réussite de cette soirée et le plaisir ressenti de pouvoir revoir tous nos anciens camarades de l’université. C’était certes assez platonique comme remarque mais je n’avais trouvé que cela sur le moment pour briser ce léger silence qui pesait sur nous. Le jeune homme semble penser pareil que moi et ajoute avoir déjà revu deux de nos anciens camarades : Léa et Tyler. « Nous sommes deux vieux amis qui se retrouvent ce soir… » Mon regard se pose sur le sien à l’entente de ses mots « Oui... » soufflai-je simplement en guise de réponse.

Soudainement, Tyler prend la parole et attise la curiosité du petit groupe que nous étions. Il propose de ressortir des vieux souvenirs. Il sort alors une boite qui contenait des anciennes photographies de nous tous. Nous les regardons alors une par une avec joie et nostalgie. Puis, Grace porte son attention sur une photographie qui avait eu lieu lors d’une soirée d’Halloween. Chacun observe la cliché et ris de bon cœur « C’était une soirée mémorable... » dis-je nostalgique. Nous avions mis du temps à l’organiser, à tout préparer et nous avions passé une superbe soirée. Puis Tyler finit par proposer de rejouer cette même scène, de refaire les mêmes poses qu’à l’époque. C’était une idée originale et très sympathique. Nous nous mettons tous en place, et Tyler à l’aide de son polaroid prend la photographie avant de nous la montrer. C’était amusant de pouvoir ainsi constater les changements entre les deux clichés. Mais lorsque Tyler sort une photographie de Milo et moi, je trouve soudainement cette idée moins sympathique. Il nous met alors au défi de refaire cette même pose. Je sens l’appréhension me gagner « Tu sais Tyler on n’est pas obligé de toutes les refaire... » Mais ce dernier met en place une chaise et incite Milo à y prendre place « Allez, en place mes amis ! » Sur ses mots je sens la main de Grave attraper délicatement mon bras pour m’approcher de Milo. Un peu gênée, je pose mon regard sur lui, je pourrais presque m’excuser avec ce dernier. Je prends donc place délicatement sur ses genoux, passant mes bras autour de son cou, comme au moment où cette photographie avait été prise. Mon regard se plonge alors dans ce lui de Milo, attendant que Tyler capture ce moment.

Au moment où Tyler attrape une chaise vide et m'invite d'un geste de la main à m'y asseoir, mon regard se tourne presque instinctivement vers Cassia, à la recherche du sien. Si nous étions encore un couple à l'heure actuelle, la situation serait bien différente, une occasion parfaite de recréer la complicité qui fut jadis la nôtre. Mais désormais, tout a changé entre nous. Cassia semble nettement moins bavarde et volubile que d'ordinaire, sûrement quelque peu troublée par ma présence soudaine ce soir. Peut-être devrais-je faire preuve de tact et m'éclipser discrètement pour lui laisser de l'espace et l'opportunité de profiter pleinement de cette soirée entourée de ses proches ? À peine cette pensée m'effleure-t-elle l'esprit que je me retrouve déjà assis sur la chaise, sentant soudain le poids familier du corps de Cassia venir se lover sur mes genoux avec une évidente gêne. « Tous les bras autour de sa taille ! » lance Tyler d'un ton enjoué. Ce simple contact, aussi bref et anodin soit-il, ravive immédiatement en moi un flot de souvenirs enfouis, d'instants d'intimité partagés qui me reviennent avec une violence insoupçonnée. Cassia passe alors ses bras autour de mon cou avec raideur, et à cet instant précis, la seule chose à laquelle j'aspire est de pouvoir à nouveau l'embrasser langoureusement, comme avant. Mes yeux plongent dans les siens avec insistance, à la recherche d'un quelconque écho, d'un signe d'encouragement. Ce soir, nous ne sommes plus que deux vieux amis de longue date, deux anciens amants désormais séparés par les dures réalités de la vie.

Alors que Tyler appuie sur le déclencheur du Polaroid d'un geste sec, je reste encore un bref instant étroitement enlacé avec Cassia, profitant de cette proximité exceptionnelle, de ce moment de grâce passager.  La photo sort finalement dans un cliquetis de l'appareil, et Tyler la brandit aussitôt d'un air fièrement triomphal, nous la tendant avec un large sourire « Vous n'avez pas changé tous les deux ! Enfin, si, un petit peu quand même...Milo, je trouve que tu la regardes avec encore plus d'intensité et de désir qu'avant. Et toi Cassia, on dirait que tu le dévores carrément des yeux maintenant ! » Nous restons assis l'un contre l'autre, côte à côte, dans un silence de plomb seulement troublé par le rire jovial de Tyler. « Vous êtes vraiment trop mignons à vous regarder comme ça ! Vous devrez m'inviter à votre mariage les tourtereaux ! » plaisante-t-il avec un amusement non dissimulé. C'est à ce moment précis que Grace, qui était restée discrètement en retrait jusqu'ici, décide de prendre la parole d'une voix claire. « Et puisqu'on parle justement de mariage... J'ai moi-même une petite annonce très spéciale à vous faire ! » Elle fait régner une pause délibérément théâtrale, créant une tension palpable avant de lâcher d'un trait. « Je vais bientôt me marier avec Kyle. Et...je voudrais vous inviter tous ! » Sur ce, Tyler et Léa se jettent littéralement à son cou pour la féliciter chaleureusement dans une étreinte enthousiaste sous les rires et les applaudissements nourris. Étrangement, une désagréable pointe d'amertume vient soudain me serrer la gorge, un sentiment de regret de ne pouvoir offrir ce même paysage de pur bonheur à Cassia. « Cassy ? Milo ? Je compte sur votre présence à tous les deux ! » annonce Grace tandis que nous finissons par nous relever à notre tour. « Et Cassy, j'aimerais beaucoup que tu sois ma demoiselle d'honneur, ça serait un immense honneur pour moi ! » Mon regard ne peut s'empêcher de suivre et de scruter attentivement chacune des réactions de Cassia face à cette annonce. Après quelques instants d'hésitation, je fais finalement quelques pas en arrière pour m'éclipser discrètement, leur laissant plus d'espace, persuadé que Cassia pourra bien mieux profiter de sa soirée sans ma présence encombrante pour la troubler.

Je m'empare du précieux paquet de vieilles photographies que Tyler a eu la brillante idée de déterrer et d'apporter avec lui ce soir. À mesure que nous nous replongeons avec délectation dans la contemplation de ces images jaunies par les années, d'anciens souvenirs enfouis au tréfonds de nos mémoires refont progressivement surface, ramenant avec eux des éclats lumineux de notre glorieux passé commun. Je me mets à parcourir méticuleusement le tas de photographies d'un regard gourmand, m'attardant sur chacune d'entre elles avec tendresse, certaines que je découvre presque pour la première fois, d'autres que je redécouvre avec une émouvante nostalgie.

Je tombe par hasard sur un cliché de notre toute première soirée sur la plage en groupe, immortalisant un magnifique coucher de soleil en arrière-plan. Nous n'étions alors qu'un petit groupe d'étudiants insouciants, riant aux éclats et chantant à tue-tête autour d'un feu de camp, nous promettant solennellement de rester amis pour la vie. Un tendre sourire vient étirer mes lèvres tandis que je reconnais avec émotion les visages familiers de chacun, remarquant au passage l'éclat si particulier qui brillait ce soir-là dans les yeux rayonnants de Cassia, ce même éclat que j'avais eu tant de fois le privilège de contempler.
Une autre vieille photographie attire mon attention, celle représentant notre fabuleux voyage improvisé en montagne, un week-end de détente spontanée où nous avions décidé sur un coup de tête de nous évader de la ville. Tout n'était que neige immaculée à perte de vue, et nous avions passé des heures à nous lancer joyeusement des bourres de neige et à glisser sur les pentes vertigineuses. L'image capture un instant magique où Cassia se tient immobile, les joues rendues cramoisies par le froid mordant et les efforts, un sourire béat venant aimanter ses lèvres tandis que Tyler tient une tasse de chocolat chaud bienvenue à la main.  
Je poursuis ma plongée nostalgique dans les tréfonds de notre passé en tombant sur un cliché de notre célèbre spectacle de fin d'année à l'université. Le rideau venait à peine de se refermer sur notre prestation quand le cliché fut pris, montrant notre joyeuse troupe réunie sur les planches de la scène, tous bras dessus bras dessous, entonnant un dernier chant de gloire dans un bel ensemble. Et au centre de ce chaleureux attroupement, trônant avec superbe, se tient Cassia elle-même, arborant ce sourire radieux qui, je m'en souviens, illuminait toujours tout sur son passage.
Chaque nouvelle photographie dévoilée apporte dans son sillage son précieux lot de souvenirs, certains plus marquants que d'autres : des pique-niques ensoleillés dans le vieux parc, des soirées interminables à jouer de la musique en cercle entre amis, des anniversaires simplement mais chaleureusement fêtés dans les rires et la familiarité de l'amitié. Chaque image figée n'est en réalité qu'un infime fragment d'une époque révolue désormais, mais empreinte d'une douce-amère nostalgie.

Alors que je feuillette avec une concentration studieuse le précieux paquet de vieilles photographies, Tyler ne tarde pas à se pencher avidement par-dessus mon épaule d'un air intrigué, un large sourire émerveillé venant aussitôt illuminer ses traits burinés. « Ah, ces fameuses vieilles photos de nos années de jeunesse insouciante ! » s'exclame-t-il avec un enthousiasme jubilatoire non dissimulé, jetant un regard gourmand sur les nombreux clichés. Son entrain communicatif est rapidement contagieux, et il ne tarde pas à commenter avec verve chaque photographie qu'il aperçoit d'un œil expert. Il en attrape d'ailleurs quelques-unes au hasard, son rire tonitruant résonnant désormais dans toute la pièce.

« Hé, regarde un peu ça ! » lance-t-il soudain en agitant une vieille photo un peu jaunie où je pose entouré d'un groupe de jolies filles à l'air aguicheur. « Te souviens-tu de cette fameuse soirée arrosée ? Tu étais littéralement entouré d'une véritable ribambelle de jeunes demoiselles ! » poursuit-il d'un ton taquin et moqueur qui attire aussitôt l'attention de tous nos amis présents autour de nous. Il attrape ensuite une autre photo d'une soirée tout aussi mémorable, montrant cette fois-ci mon jeune moi d'alors entouré d'une bonne demi-douzaine de filles à l'air plus ou moins éméchées. « Ah, notre bon vieux Milo le séducteur invétéré de l'époque universitaire ! » plaisante Tyler avec un nouveau clin d'œil gourmand en direction de l'assistance narquoise. « Je me souviens de cette folle soirée comme si c'était hier ! Tu passais de groupe de filles en groupe de filles, toujours avec ce sourire charmeur irrésistible sur les lèvres. »

Des rires fusent de toutes parts autour de nous tandis que Tyler poursuit sans ménagement son implacable déballage, ne ratant pas une seule occasion de me chambrer sur mes anciens succès féminins. « Et celle-ci alors, c'était lors du célèbre gala de printemps ! » Ajoute-t-il en me montrant une autre photographie volée de moi en train d'esquisser quelques pas de danse endiablés au milieu d'un parterre de jeunes filles visiblement sous le charme. « Je me rappelle que tu avais réussi à faire tourner la tête à plus d'une fille ce soir-là ! » conclut-il avec un nouveau regard entendu dans ma direction. Il sort alors triomphalement du paquet une autre photo d'époque immortalisant une excursion de groupe sur une paisible plage ensoleillée, où l'on me voit clairement en train de draguer ouvertement une fille au corps de rêve, jouant négligemment avec une mèche de ses cheveux ondulés. « Sérieux, on avait tous pris des coups de soleil ce jour-là sous le soleil de plomb, sauf toi bien évidemment, trop occupé à courtiser cette jolie demoiselle sans relâche. Si ma mémoire est bonne, tu avais passé toute la sainte journée sous le parasol avec elle, à lui raconter des histoires abracadabrantes de tes voyages supposés à l'autre bout du monde et autres aventures rocambolesques dignes d'un explorateur chevronné ! »

Imperturbable, Tyler enchaîne avec une nouvelle anecdote hilarante, me montrant cette fois une photo d'époque du célèbre bal de fin d'année où je suis entouré de près par un véritable troupeau de jeunes femmes aguicheuses, toutes rivales pour attirer mon attention. « Ah, le bal de promo...Une soirée légendaire qui restera à jamais gravée dans les annales ! Tu avais réussi l'exploit ce soir-là de convaincre une demi-douzaine des plus belles filles présentes de venir virevolter dans tes bras sur la piste de danse rien que pour toi ! On disait à l'époque que tu étais le véritable roi incontesté de la soirée, un véritable aimant à fille ! » Malgré une gêne bien compréhensible à être ainsi impitoyablement mis sur le devant de la scène, je ne peux m'empêcher de sourire de bon cœur aux facéties de ce vieux frère d'armes. Tyler poursuit en effet avec un malin plaisir son défilé de commentaires ciselés et de révélations savoureuses sur chaque image où je me trouve à poser en compagnie de jolies filles différentes, rappelant à tous avec jubilation les succès remportés jadis par mes talents de séducteur chevronné. « Les années passent mais certaines choses restent immuables, n'est-ce pas mon cher Milo ? » conclut-il enfin en posant avec affection une main bourrue sur mon épaule dans un geste d'amicale connivence. « Oh… Il y a des choses qui ne changeront jamais et d’autre qui changent… » répondai-je en désignant Cassia du regard.

Alors que Tyler continue de fouiller avec avidité dans l'imposante pile de vieilles photographies jaunies par les ans, une en particulier semble soudain attirer irrésistiblement son attention. Ses yeux s'écarquillent légèrement d'excitation mal contenue en découvrant l'image longuement oubliée, et un large sourire gourmand et complice se dessine aussitôt sur ses lèvres gourmandes.

« Ah, Milo ! Regarde un peu ça, vieille canaille ! » s'exclame-t-il soudain d'une voix chargée de souvenirs en brandissant triomphalement la précieuse photographie où je suis immortalisé, enlacé amoureusement dans les bras délicats de la jolie Léa, nos deux visages rayonnants de bonheur et trahissant une indéniable connivence. Tyler agite un moment la photo devant nos yeux à tous d'un geste théâtral, visiblement ravi de pouvoir ainsi me mettre dans un léger embarras et ne cachant absolument pas son amusement espiègle. « La preuve vivante et accablante que notre bon vieux Milo savait depuis toujours y faire avec les jolies demoiselles ! » lâche-t-il d'un ton légèrement taquin et moqueur. « Vous étiez tout simplement inséparables et littéralement soudés l'un à l'autre ce soir-là, cela crevait les yeux ! » Son regard gourmand passe de la photographie à moi, cherchant manifestement à susciter une réaction de ma part, tandis que Léa, quelque peu embarrassée, se tient visiblement mal à l'aise dans un coin reculé de la pièce. Grâce, qui écoute attentivement les joyeuses pitreries de Tyler d'une oreille amusée, ne peut s'empêcher de s'approcher pour jeter un œil curieux sur le fameux cliché d'antan. Elle éclate alors d'un rire cristallin en découvrant l'image et lance d'une voix joyeuse et complice « Oh là là, Milo et Léa la bombe atomique ! Vous formiez un duo de choc à l'époque, ça c'est certain ! Je me souviens parfaitement de cette folle soirée arrosée où vous aviez passé la nuit à vous déhancher langoureusement collés serrés sur la piste de danse, à en rendre jaloux un bon nombre d'entre nous ! » Léa rougit légèrement à ce commentaire truculent, se remémorant probablement ce tendre souvenir enfoui, tandis que Tyler enchaîne aussitôt avec un petit rire chargé de sous-entendus. « J'étais persuadé que quelque chose allait se passer entre vous deux ce soir-là, mais le destin en a apparemment décidé autrement... » Son ton reste léger et badin, mais on décèle une certaine pointe de mélancolique nostalgie dans l'intonation rauque de sa voix.

Les photographies continuent de passer de main en main, Grâce tombe sur une photographie qui l'immobilise. Elle l'examine un moment, un sourire plein de malice apparaissant sur ses lèvres. « Milo, regarde celle-là ! » s'exclame-t-elle, agitant la photo sous mes yeux. Je baisse les yeux, et un flot de souvenirs m'envahit aussitôt. Je me souviens comme si c’était hier de cette soirée mémorable, un moment figé où nos lèvres se touchent pour la première fois. La scène se déroule dans l'éclairage tamisé d'une fête animée. Cassia, visiblement un peu éméchée par l'alcool, me serre dans ses bras, et nos visages sont tournés l'un vers l'autre. Je me souviens du goût légèrement amer de la bière sur ses lèvres, du parfum délicat qu'elle portait ce soir-là. Grâce éclate de rire en montrant la photo à tout le monde. « Je me souviens de cette soirée comme si c'était hier ! Cassia était tellement joyeuse, et toi, Milo, tu avais les yeux qui pétillaient. Vous étiez adorables ensembles. » Ses paroles font naître des murmures parmi nos amis, quelques rires discrets se font entendre. Grâce, avec un sourire plein de malice, propose : « Hé, pourquoi ne pas refaire cette pose ? On pourrait en faire une nouvelle photo souvenir. » Son clin d'œil espiègle accompagne sa suggestion, faisant naître quelques exclamations enthousiastes parmi nos amis. « Allez, Milo et Cassia, montrez-nous comment on faisait ça dans le bon vieux temps, » taquine-t-elle.

Nos anciens camarades insistant, j’accepte malgré tout de refaire la même pose qu’il y a plus de dix ans, avec Milo. Je viens donc m’asseoir délicatement sur ses genoux, passant mes bras autour de son cou. Je suis gênée, par cette proximité qui semble soudainement bien fausse. Je prends malgré tout sur moi, tentant de refouler au mieux tous les souvenirs que cette proximité me rappelle. Puis une fois la photographie prise, Tyler brandit la photo d’un air triomphant en soulignant que nous n’avions pas changé mis à part le fait que Milo me regardait avec plus d’intensité et de désir qu’avant et que moi je dévorais littéralement Milo des yeux. Tyler ne s’arrête pas en si bon chemin, pour plaisanter, ou non, il nous demande de l’inviter à notre mariage. A ce moment là cette vive douleur que je ressentais depuis à présent deux semaines refait surface avec une violence incroyable. Pour toute réponse, j’adresse un léger sourire à Tyler. Je me lève ensuite, sachant que Milo non plus ne devait pas être à l’aise dans cette situation. Fort heureusement, Grace en profite pour faire une annonce à tout le monde : son propre mariage avec Kyle. La jeune femme nous invite donc tous à la cérémonie et elle insiste sur notre présence à Moi et à Milo. « Je serais présente Grace, c’est promis. » dis-je le plus sincèrement du monde. Puis la jeune femme m’annonce qu’elle aimerait beaucoup que je sois sa demoiselle d’honneur. Je suis surprise mais très agréablement surprise. « Grace, ça me touche énormément… Bien sûr que j’accepte d’être ta demoiselle d’honneur. C’est moi qui suis honorée par ta proposition... » dis-je alors que l’on échange une étreinte amicale chaleureuse. J’étais vraiment heureuse pour la jeune femme, elle souhaitait tout ce bonheur, vraiment. Et sans attendre une seconde, Grace commence alors à me donner quelques détails sur son futur mariage. La date, le lieu, une discussion alors commence entre nous tandis que du coin de l’œil j’aperçois Milo se retirer.

La discussion avec Grace continue. De temps en temps je jette un regard en direction de Milo et Tyler qui semblent être littéralement plongé dans les vieux souvenirs avec toutes ces photographies. Puis la voix de Tyler se met à porter de plus en plus, attirant alors l’attention de Grace et la mienne par la même occasion. Nous nous approchons alors un peu. Grace comment la photographie où se trouvait Milo et Léa enlacés. Je me souvenais parfaitement de cette soirée évoquée par Grace. J’avais étrangement ce soir là souhaité être à la place de Léa. Puis l’attention de Grace est portée sur un nouveau cliché. Moi enlaçant Milo à une soirée. Notre premier baiser. Ce soir là j’étais un peu éméchée, et je m’étais laissé complètement aller, ne résistant pas à venir embrasser Milo. Ce que je redoutais le plus arriva. Grace propose de refaire cette même pose. L’ensemble de nos camarades semblent enjoués à cette idée. « Je vous rappelle à tout que j’étais un peu ivre ce soir là… Désolé mais ce soir je n’en suis qu’à ma seconde coupe de champagne... » dis-je en plaisantant un peu espérant que cela suffise à leur faire abandonner cette idée. « Oh allez, tu n’as pas besoin de ça ! » répond Tyler qui me prend délicatement par le bras pour me placer devant Milo. Grace fait de même avec le jeune pilote de ligne jusqu’à que nos corps l’un en face de l’autre se frôle. Tyler se met en place, prenant son appareil photo en main. Mon regard se pose sur celui de Milo. Je ne suis pas à l’aise, je pense que lui non plus. En plus de surjouer cela rappelait de trop nombreux souvenirs. Alors finalement je décide d’en finir au plus vite. Je me hisse sur la pointe des pieds, mon visage en face de celui de Milo j’approche mes lèvres des siennes sans pour autant les toucher. Je n’attendais qu’une chose, entendre le petit « clic » de l’appareil photo qui nous indiquerait que le cliché était pris afin de pouvoir reculer et prendre à nouveau mes distances.

Je sens bien que malgré ses efforts pour faire bonne figure, Cassia demeure distante et sur la réserve, et pour être parfaitement honnête, cette froide indifférence affichée me blesse au plus profond de mon être. Je n'ai aucune envie de gâcher sa soirée avec mes états d'âme ni d'imposer ma présence encombrante plus que de raison. Soudain, alors que Cassia se tient immobile face à moi, ses bras vinrent s'enrouler spontanément autour de ma nuque dans une étreinte familière et réconfortante. Ce geste si anodin en apparence, mais teinté d'une indéniable complicité et d'une douceur presque oubliée, me submerge aussitôt d'un flot tumultueux de souvenirs enfouis et de regrets lancinants. J'aimerais tant en cet instant lui crier mon désarroi, lui dire à quel point je suis sincèrement désolé, que je souhaite de tout cœur reprendre là où notre histoire s'était si brutalement et tristement arrêtée des semaines plus tôt. Malheureusement, les mots semblent se coincer irrémédiablement au fond de ma gorge nouée par l'émotion. Sentir ses lèvres si proches, à quelques misérables centimètres des miennes, sans pouvoir céder à l'envie dévorante de les frôler dans un baiser passionné est une véritable torture insoutenable. Chaque fibre de mon être réclame de revenir désespérément vers elle, de recréer les tendres liens d'affection qui se sont rompus dans la douleur et l'incompréhension. Mais le fossé émotionnel béant qui s'est creusé entre nous deux semble hélas plus large et profond que jamais.

Lorsque la photographie immortalisant ce court instant de pure tendresse est prise sur le vif, je ne peux m'empêcher de la contempler longuement du regard, troublé. Le cliché figé dans le temps nous saisit dans cette étreinte suspendue, un bref moment capturé pour l'éternité. Pourtant, cette image évoque autant l'intime complicité de nos souvenirs jadis que la cruelle distance qui s'est insidieusement installée entre nous au fil des années. Ce douloureux contraste me pousse finalement à m'éloigner discrètement du groupe d'un pas lourd. Je ne veux pas compliquer davantage les choses pour elle ni me laisser submerger par ce tumulte d'émotions violentes. En m'éloignant d'un air lugubre, j'espère trouver un peu de répit et de quiétude. Les rires joyeux et les conversations animées de nos vieux amis s'estompent rapidement derrière moi tandis que je cherche désespérément un endroit plus calme et isolé pour me réfugier. Là, enfin seul avec mes pensées intimes, je laisse affluer librement mes souvenirs, me demandant avec angoisse si un jour, Cassia et moi pourrons parvenir à retrouver la précieuse proximité qui fut jadis la nôtre avant de se déliter tragiquement.

Je reconnais quelques visages familiers parmi la foule de nos anciens camarades de promotion, et nous échangeons rapidement quelques banalités convenues sur ce que nous sommes tous devenus au fil des années. La conversation, bien que ponctuée de sourires forcés et de rires un peu creux, reste cependant d'une affligeante superficialité. Mon esprit, lui, est irrémédiablement ailleurs, envahi par un flot tumultueux de pensées confuses et contradictoires toutes tournées vers Cassia. Soudain, une main amicale se pose avec douceur sur mon épaule, me tirant de mes réflexions moroses. C'est Léa, mon ancienne amie de toujours, qui m'aborde d'une voix douce et légèrement inquiète. « Hey... Ça n'a pas l'air d'aller fort toi ce soir ? Quelque chose te tracasse ? » Je hoche brièvement la tête en éludant rapidement. « Si si, je t'assure, tout va bien... » Un premier mensonge éhonté qui ne trompe personne, et surtout pas Léa qui me connaît que trop bien. Elle lève aussitôt un sourcil dubitatif, son regard perçant et franc rencontrant le mien avec insistance. « Oui, bien sûr... Tu sais aussi bien que moi que tu ne sais absolument pas mentir, Milo Davis, surtout pas à moi ! » réplique-t-elle avec une petite moue entendue. « Allez viens, on va prendre un peu l'air, ça te fera du bien ! »

Une fois dehors, l'air frais de la nuit m'apaise quelque peu, dissipant un peu de la lourde tension accumulée. Léa me regarde attentivement pendant quelques secondes, attendant patiemment que je me décide à parler. « Bon alors, tu m'expliques ce qui te tracasse autant ? C'est quoi le réel problème ? » me demande-t-elle soudain en brisant le pesant silence de sa voix directe. Je soupire d'un air légèrement grimaçant. « Tu sais que c'est toujours profondément agaçant quand tu devines qu'il y a un problème ! » dis-je en essayant vainement de gagner un peu de temps. Mais Léa, imperturbable, attend patiemment la suite, son regard insistant et bienveillant fixé sur moi. Je reste muet quelques instants, les mots semblant lutter durement pour sortir de ma gorge serrée par l'émotion. « C'est... c'est compliqué, Léa... » finis-je par lâcher d'une voix rauque. Mon amie reste silencieuse, m'encourageant d'un léger signe de tête compréhensif à poursuivre. « Cassia... » je cherche mes mots, trouvant soudain extrêmement difficile de partager ces sentiments profonds et refoulés depuis si longtemps.

Après avoir passé un long moment dehors, à l'écart du brouhaha de la fête, Léa m'observe attentivement d'un regard bienveillant mais scrutateur, cherchant visiblement à déceler des indices supplémentaires sur la réelle nature de mon état d'esprit contrarié.  « Milo, tu sais, il te faudrait peut-être prendre un peu de recul et de distance par rapport à tout ça, ne serait-ce que quelques jours », me propose-t-elle soudain d'un ton réfléchi après m'avoir à nouveau écouté d'une oreille attentive. Je lève les yeux vers elle, subitement intrigué par cette suggestion inattendue. « Comment ça ? » ne puis-je m'empêcher de demander. Léa m'adresse un sourire compréhensif, bien qu'empreint d'une certaine malice espiègle. « Pourquoi ne pas tout simplement t'éloigner de toute cette agitation l'espace d'un week-end ? J'ai récemment entendu parler d'un endroit charmant, perdu dans la nature près de la plage, qui a l'air sauvage, calme et tranquille à souhait. On pourrait partir tous les deux y passer deux ou trois jours, juste toi et moi, pour te vider un peu l'esprit et te changer les idées ? » Je hoche lentement la tête, considérant sérieusement sa proposition alléchante. « Cela pourrait effectivement être une excellente idée... » Elle pose alors une main rassurante sur mon épaule, m'offrant un sourire réconfortant. « Fais-moi confiance, tu peux compter sur moi. On passera un agréable moment, juste nous deux au calme comme au bon vieux temps. Tu pourras te détendre, profiter des bienfaits de l'air marin vivifiant, et tu auras tout le temps et l'espace nécessaires pour réfléchir tranquillement à ta situation. » Je ressens déjà comme un certain soulagement à l'idée de pouvoir m'évader, ne serait-ce que brièvement, de cette atmosphère pesante. « D'accord, ton idée me semble excellente finalement. Merci infiniment Léa de me proposer cela. » Elle me donne alors une petite tape amicale mais énergique sur l'épaule, accompagnée d'un clin d'œil complice. « C'est tout à fait normal, c'est pour ça qu'on est amis après tout ! Je te promets qu'on fera en sorte que ce soit un week-end que tu te souviendras longtemps, mais pour les bonnes raisons cette fois ! » Son petit air guilleret et son enthousiasme contagieux parviennent subrepticement à insuffler en moi un fragile espoir diffus. Et je commence sincèrement à croire que ce petit week-end improvisé à deux pourrait bien être exactement ce dont j'ai besoin pour essayer de remettre un peu d'ordre dans le tumulte de mes pensées. Qui sait ce que l'avenir me réserve après ça...

Nous restons un bon moment dehors, profitant de l'air frais et apaisant de la nuit, à discuter de tout et de rien dans une ambiance détendue. Nous repassons en revue avec nostalgie quelques vieux souvenirs heureux de notre insouciante jeunesse étudiante et des innombrables moments de franche camaraderie partagée autrefois entre amis. La nuit est fraîche mais agréablement douce, une légère brise marine nous rafraîchissant après l'atmosphère pesante et étouffante qui règne à l'intérieur. Alors que nous poursuivons notre conversation à bâtons rompus, je remarque soudain un mouvement furtif du coin de l'œil à l'autre extrémité du vaste jardin, près du majestueux chêne centenaire. Deux silhouettes féminines se dessinent nettement dans la pénombre, à la lueur dansante des lanternes, chuchotant et riant doucement entre elles. Je les reconnais immédiatement et sens mon cœur rater un battement : il s'agit de Cassia et Grace.
Elles sont là, appuyées négligemment contre le tronc massif de l'antique arbre, visiblement perdues dans une conversation animée et complice, plaisantant et discutant de tout et de rien avec l'entrain d'autrefois, comme au bon vieux temps. La simple présence rassurante de Cassia à quelques mètres de moi me fait ressentir une pointe douloureuse au cœur. Mais la vue réconfortante de Grace à ses côtés me réchauffe intérieurement. Léa suit instinctivement mon regard méditatif et me tapote discrètement le bras pour attirer mon attention. « Tiens, regarde, Cassia et Grace ont aussi eu la bonne idée de venir prendre un peu l'air frais », murmure-t-elle à voix basse.

Je les observe un moment en silence, essayant en vain de deviner le sujet précis de leur aparté confidentiel à leurs mimiques et leurs gestes. Grace semble être dans un de ses instants d'exubérance et d'enthousiasme communicatif, gesticulant avec verve en parlant, tandis que Cassia l'écoute d'une oreille attentive, le visage bienveillant illuminé par un sourire discret et chaleureux. « À ton avis, tu penses qu'elles peuvent bien être en train de parler de quoi ? » me demande Léa d'un ton intrigué en jetant un regard curieux vers les deux jeunes femmes. « De garçons ! C’est ce que vous faites, non ? Nous sommes votre sujet de conversation favori après tout ! » répondis-je non sans un sourire amusé.

Léa hoche pensivement la tête, contemplant la scène avec moi d'un air songeur. Puis, son visage s'illumine d'une idée, et elle me lance un sourire complice. « Tu sais quoi ? Allons les rejoindre et leur annoncer notre petit projet de partir en week-end ensemble. » Je fronce légèrement les sourcils, incertain de la réaction de Cassia, mais je hoche la tête, curieux de voir comment la situation va évoluer. Léa attrape doucement mon bras et m'entraîne vers l'arbre où se tiennent Cassia et Grace. Elles nous regardent approcher, interrompant leur conversation avec des sourires curieux. « Salut, les filles ! » lance Léa joyeusement. « Nous avons une annonce spéciale. » Grace et Cassia échangent un regard intrigué, attendant la suite. Léa continue avec un enthousiasme contagieux. « Nous avons décidé de partir en week-end ensemble ! Milo n’est pas très en forme en ce moment alors je me suis dit qu’un petit week-end en tête à tête devrait lui changer les idées ! »

Fortement incitée par nos camarades, je décide de me prêter au jeu pour une seconde pose. Je suis mal à l’aise mais je ne veux pas non plus refuser catégoriquement un quelconque semblant de complicité avec Milo de peur de blesser le jeune homme. Je me hisse sur la pointe des pieds, mon visage s’approche de celui de Milo, mes lèvres s’approchent des siennes. Il y a encore quelques semaines je l’aurais sans nul doute embrasser passionnément et amoureusement. La photographie prise, je recule légèrement. Du coin de l’œil, j’aperçois Milo s’éloigner. Tout ce que j’espérais c’est que ce genre de séance photo soit terminée.

Les conversations et les rires vont bon train. Si bien, que Grace me propose d’aller prendre un peu l’air. J’accepte alors. Nous prenons le chemin de la sortie continuant à nous raconter nos petits anecdotes du passé mais aussi du présent. Nous marchons un peu avant de nous arrêter sous l’immense chêne centenaire. Cela me faisait extrêmement plaisir de revoir Grace. C’est comme si le temps n’avait rien changé entre nous. Nous étions toujours aussi complices. Cette dernière était en train de me raconter une aventure charnelle catastrophique quelques temps après avoir quitté l’université. Impossible donc de ne pas en rire ensemble, surtout face aux quelques détails que me donnait la jeune femme. Et cela faisait un bien fou de rire. D’oublier cette douleur omniprésente depuis deux semaines. Rapidement, nous apercevons deux silhouettes s’approcher de nous. Il s’agit de Milo et de Léa. Cette dernière nous salue avant de nous annoncer qu’elle et Milo avait une annonce spéciale. Mon regard croise celui de Grace immédiatement. Soudainement, mon sourire disparaît. Je craignais le pire, et si le fait de s’être revu avait raviver la flamme, la passion entre eux ? « Ah oui ? » demande Grace curieuse. Léa nous annonce alors qu’elle et Milo avait décidé de partir un week-end ensemble, soulignant le fait que Milo n’était pas très en forme en ce moment. Ils avaient donc décidé de partir en week-end en tête à tête pour lui changer les idées. J’ai l’impression que mon cœur allait tout simplement exploser. J’avais mal, très mal. Léa et Milo, en tête à tête tout un week-end. « Oh… C’est chouette comme idée… N’est-ce pas Cassia ? » Mon regard se pose sur Milo puis sur Léa, je les imaginais déjà s’embrasser et passer des soirées et des nuits ensemble, leurs corps nus entrelacés. Mais je ne pouvais rien dire ni faire, nous n’étions plus ensemble après tout. « Oui. C’est une très bonne idée. Et puis Milo a toujours eu besoin de liberté, ce week-end lui fera sans doute le plus grand bien... » Bien évidemment chaque mot de ma phrase était pure ironie. Mais seul Milo pouvait le déceler. « C'est très généreux de ta part Léa de te soucier ainsi de Milo... » A nouveau, pure ironie. Je sentais une grande colère en moi. « Tu viens Grace ? Je prendrai bien un autre verre. Et on a dit qu'on irait danser aussi... » dis-je alors en commençant à marcher en direction de la salle où tout le monde se trouvait.

Soit je suis réellement sourd, soit je suis d'une stupidité affligeante pour ne pas saisir le sens des piques à peine dissimulées que Cassia vient de me lancer suite à l'annonce de ce week-end en tête-à-tête avec Léa. « C’est une très bonne idée. Et puis Milo a toujours eu besoin de liberté, ce week-end lui fera sans doute le plus grand bien... » dit-elle d'un ton doucereux où perce une indéniable pointe d'amertume. Cassia surenchérit d'une voix qui lui est propre. « C'est très généreux de ta part, Léa, de te soucier ainsi de Milo... » Est-ce que je viens réellement d'entendre ce que je pense avoir entendu ? Visiblement, oui. Il faudrait vraiment que je sois d'une stupidité abyssale pour ne pas comprendre le sens des paroles doucereuses de Cassia. Il y a quelques semaines à peine, j’ai effectivement utilisé le prétexte fallacieux d'un prétendu besoin de liberté pour rompre avec elle. Et aujourd'hui, elle me le ressort sans la moindre gêne, d'une manière assez transparente. J’ai même l’impression que Cassia me compare à un berger allemand qu’il faut sortir pour le laisser courir à travers champs. Pire encore, elle remercie Léa avec un sarcasme désinvolte de bien vouloir se soucier de moi, sous-entendant certainement que cela devrait être son rôle. Une pure et cinglante ironie dont je saisis instantanément la portée. Cassia sait parfaitement ce que représente Léa à mes yeux et qui elle a été pour moi.

Cassia s'éclipse alors prestement en compagnie de Grace, me laissant perplexe, interdit et méditatif, tandis que j'arque un sourcil dubitatif devant une telle démonstration d'animosité à peine voilée. « Tu veux danser ? Parfait... Tu vas effectivement danser... » marmonnai-je à voix basse tout en réfléchissant déjà à la meilleure manière de riposter par une autre pique. Léa, qui se tient non loin, pense que c'est à elle que je m'adresse et rétorque aussitôt avec entrain « Tu veux danser ? » Je sors brusquement de mes pensées vengeresses à sa question. « Euh... » À cet instant précis, je comprends qu'elle a mal interprété mes paroles. « Oui… Oui, allons danser, cela nous rappellera de vieux et excellents souvenirs… Tu te souviens lorsque je t'emmenais danser chaque week-end ? » Léa me gratifie d'un sourire radieux, un éclat de tendre nostalgie brillant au fond des yeux. « Oh, bien sûr que je m'en souviens ! On s'amusait tellement à cette époque. Allez, viens, ne restons pas plantés là ! »

Elle prend alors ma main avec une délicieuse spontanéité et m'entraîne avec entrain vers la piste de danse un peu plus loin. Tandis que nous nous mêlons aux autres danseurs sur les premières notes de musique, je ne peux m'empêcher de jeter un rapide coup d'œil en direction de Cassia.
Pourtant, une subtile intuition, une sensation diffuse et inexplicable me souffle que la réalité n'est peut-être pas aussi simple qu'elle ne le paraît au premier abord. Qu'importe, la musique entraînante bat son plein désormais et Léa me sourit de son éternel sourire rayonnant et apaisant. Je me concentre sur l'instant présent, savourant pleinement ces moments de détente insouciante, laissant peu à peu les souvenirs du passé se mêler délicieusement au présent. Tandis que je danse langoureusement avec Léa, mes pensées vagabondent ailleurs, flottant avec insistance entre les doux souvenirs enchanteurs du passé et les piques récentes et cinglantes de Cassia, qui ont laissé une plaie béante dans mon ego. Léa me sourit avec tendresse, essayant désespérément de me ramener à l'instant présent que nous partageons, mais je suis comme obsédé par Cassia et ne peux m'empêcher de la chercher frénétiquement du regard.

À chaque fois que mon regard acéré la débusque enfin, je ressens alors comme une vive piqûre au plus profond de la poitrine, une étrange et brûlante envie de la provoquer à mon tour, de la rendre jalouse par tous les moyens. Ses remarques acerbes ont profondément égratigné ma fierté, et un amer sentiment d'orgueil blessé commence à monter insidieusement en moi, telle une sourde colère intérieure. Léa danse avec une grâce naturelle et désarmante, et je m'efforce tant bien que mal de me synchroniser sur ses mouvements aériens, cherchant malgré moi à entrer dans son jeu trompeur. Je ris avec excès, plaisante à tout va et essaie par tous les artifices de lui montrer à elle mais aussi et surtout à Cassia que je suis parfaitement heureux et épanoui, que sa seule présence obstinée ne m'affecte absolument pas. Je resserre un peu plus possessivement mon étreinte autour de la taille gracile de Léa, l'entraînant avec une feinte passion dans une danse de plus en plus échevelée et lascive. Nos mouvements semblent naturels, coulant de source après toutes ces années de tendre amitié, et parfois je capte presque malgré moi le regard furtif et brûlant de Cassia sur nous, même si elle s'efforce visiblement de le dissimuler. Mon cœur bat alors plus vite sous l'effet d'un mélange déstabilisant de satisfaction âcre et d'agitation sourde qui m'enserre la poitrine. « Tu passes un bon moment, Milo ? » me demande Léa d'une voix rieuse, son doux visage rayonnant sous l'effet d'un large sourire éclatant. « Oui, un très très bon moment... » lui mentis-je avec douceur d'un ton qu'il m'a fallu forcer, tentant de masquer au mieux l'étrange agitation intérieure qui bout en moi telle une lave en ébullition. Je fais alors tournoyer Léa de plus belle, feignant de profiter pleinement de l'instant d'insouciance illusoire, mais mes pensées reviennent inlassablement à Cassia, telle une litanie intérieure obsédante. Je me demande avec une sourde angoisse ce qu'elle peut bien ressentir en nous voyant ainsi tous les deux si proches, si elle repense aux mêmes souvenirs enchanteurs que moi.

La musique rythmée se termine enfin sur quelques accords vifs et nous nous arrêtons alors de danser, un peu essoufflés mais Léa arborant toujours un sourire éclatant de bonheur simple. Je lui rends machinalement son sourire, mais mes yeux sont désormais irrévocablement attirés par Cassia, qui semble jeter un furtif coup d'œil empli d'une indéchiffrable émotion dans notre direction avant de détourner prestement le regard d'un air faussement indifférent et blasé. Léa saisit alors délicatement ma main dans la sienne avec une naturelle tendresse et m'entraîne lentement hors de la piste de danse : près du bar. De mon côté, je tente tant bien que mal de garder contenance, mais le désir presque douloureux et étouffant de connaître les véritables pensées de Cassia à cet instant précis me ronge de plus en plus sournoisement de l'intérieur, telle une gangrène dévorante.

Lorsque Léa annonce qu’elle va partir en tête à tête avec Milo le temps d’un week-end pour lui changer les idées afin qu’il aille mieux, mon sang ne fait qu’un tour. Alors il était arrivé, le temps où Milo allait finalement rejoindre les bras d’une autre. Et ce n’était pas n’importe qui. Léa, une relation sérieuse qui avait duré. Et dire qu’il y a deux semaine, il ne cessait de me dire ô combien je lui manquait, ô combien il était amoureux. Finalement, sa liberté lui manquait apparemment beaucoup. Je ne peux d’ailleurs pas m’empêcher de faire une remarque concernant cela à voix haute. Une remarque que seul Milo comprendra. Et pourquoi Léa était-elle venu nous annoncer ce week-end ? Etait-elle au courant pour nous deux ? J’en avais assez entendu. Je propose alors à Grace d’aller boire un verre et d’aller danser un peu.

Nous nous dirigeons alors à l’intérieur de l’immense salle, puis une fois à l’intérieur nous nous dirigeons tout de suite sur la piste de danse. Rapidement nous sommes rejoint par Tyler. Mais malgré tout, je ne peux m’empêcher de chercher Milo du regard. Et je sens le rythme de mon myocarde s’accélérer en voyant que lui aussi a rejoins sur la piste de danse avec Léa. Léa qui était une excellente danseuse, la cousine de Milo avait en effet raison sur ce point. Tout les deux semblait en parfaite symbiose. Cela me rendait dingue. Oui j’étais jalouse mais que pouvais-je faire ? Mis à part accepter que Milo sorte à nouveau avec d’autres femmes. Je continue de me mouvoir et de rire avec Grace et Tyler sur la piste de danse mais mes pensées sont toutes tournées vers Milo. Le pilote de ligne semble apprécier le moment partager avec Léa d’ailleurs. Quand la musique s’arrête, je quitte la piste de danse. Je n’avais aucunement envie de continuer à voir ce spectacle, ces retrouvailles entre Milo et Léa. Je finis par aller prendre une autre coupe de champagne. « Cassia... » je me retourne et me retrouve face à Nolan. « Nolan, ça me fait plaisir de te voir. Comment vas-tu ? » dis-je chaleureusement. C’était un ancien camarade de classe, mais contrairement à beaucoup d’entre eux nous n’avions pas vraiment gardé contact. « Je vais bien merci. Tu es...toujours aussi splendide... » dit-il en prenant appui sur la table à côté de lui. Apparemment il avait déjà un peu trop bu.  A l’époque, Nolan m’avait proposé de commencer une relation mais j’avais décliné l’offre. Nous n’avions décidément pas assez de point en commun. « Je te remercie, tu sais toujours faire de jolis compliments... » Il rit de bon cœur avant de s’approcher de moi, replaçant une mèche de cheveux derrière mon oreille. Un geste intime qui ne me plaisait guère. « Oui mais avec toi ça n’a jamais aboutit à rien... » dit-il avec une fausse moue boudeuse sur le visage. « Tu m’en vois navrée... » dis-je avec un léger air compatissant. « Peut-être que ce soir ce sera différent... » dit-il en se penchant vers moi pour essayer de m’embrasser. Mais je me décale à temps pour esquiver son baiser. « Tu n’as pas changé apparemment, tu ne comprends toujours pas quand on te dit non… Et un conseil, arrête de boire pour ce soir... » dis-je en prenant ma coupe et en me faufilant à travers la foule. J’avais besoin à nouveau d’un peu d’air frais, alors je prends la direction de la sortie et une fois dehors, je prends place sur un petit banc près de l’entrée.

Alors que je savoure tranquillement mon verre de whisky millésimé avec Léa, confortablement installés au bar, je me laisse bercer par le doux bourdonnement des conversations alentours et la musique entraînante qui se joue en agréable arrière-plan sonore. Léa rit aux éclats à une blague un peu graveleuse que je viens de lui narrer d'une voix rauque, et son sourire rayonnant illumine soudain l'instant d'un éclat solaire. Mais malgré ces airs de franche jovialité, mon esprit est en réalité partiellement distrait, comme absent. Mes pensées ne cessent en effet de revenir, telle une litanie intérieure, aux échanges récents et tendus que j'ai eus un peu plus tôt avec Cassia, lorsqu'elle a appris pour ce week-end en tête-à-tête avec Léa. Chassant distraitement cette préoccupation de mon esprit, je tourne légèrement la tête sur le côté, laissant mon regard errer sur la salle animée.

C'est alors que mon regard acéré se pose sur Cassia elle-même. À ma grande et soudaine surprise, je la vois en compagnie de Nolan. Ils sont tous deux debout près d'une table haute, apparemment engagés dans une conversation pour le moins animée à en juger par leurs gestes vifs. Puis, sous mes yeux franchement ébahis, Nolan se penche lentement vers Cassia avec une évidente intention lubrique, réduisant l'espace les séparant à une intime promiscuité. D'où je suis, à quelques mètres seulement, j'ai l'impression abrupte et terrifiante qu'ils s'embrassent goulûment. La scène me frappe de plein fouet, telle une violente onde de choc traversant mon être de part en part. Le sourire de façade qui se dessinait quelques instants plus tôt sur mes lèvres s'efface instantanément, laissant place à une expression de stupéfaction mêlée de confusion la plus totale. Je ne parviens pas à détourner mon regard de ce spectacle troublant, fixant avec une fascination morbide Nolan qui semble se rapprocher toujours plus de Cassia avec une insistance presque indécente.

Je ressens alors une multitude d'émotions violentes et contradictoires m'assaillir la poitrine : un mélange confus de colère sourde, de tristesse indicible et d'une insidieuse pointe de jalousie mordante venant douloureusement piquer mon cœur. Léa, qui remarque aussitôt mon brusque changement d'attitude, fronce les sourcils avec une inquiétude non feinte. « Tout va bien, Milo ? » demande-t-elle d'une voix douce en posant une main réconfortante sur mon bras. J'essaie de me reprendre tant bien que mal, je me râble la gorge mieux dissimuler mon trouble. « Oui...Oui, ça va, ne t'inquiète pas » fis-je d'une voix plus incertaine que je ne l'aurais voulu, en portant mon verre presque plein à mes lèvres d'un geste distrait. Pourtant, le délicat goût boisé et tourbé du précieux whisky me semble soudain terne et fade, et je ne peux désormais m'empêcher de me demander, avec une angoisse sourde, ce que signifie réellement cette troublante scène à laquelle je viens d'assister entre Cassia et Nolan.

Après avoir été le témoin involontaire de cette scène des plus troublantes entre Cassia et Nolan, je ne parviens absolument pas à me reconcentrer pleinement sur ma conversation au bar avec la douce Léa. Mes pensées tournoient en d'incessantes boucles intérieures, alimentées par un mélange confus et étourdissant de jalousie ardente et de sourde frustration. L'image presque indécente de Cassia et Nolan semblant s'embrasser avec fougue me reste profondément ancrée dans l'esprit, même si j'essaie désespérément de me convaincre que ce n'était peut-être pas exactement ce que j'ai cru voir de mes yeux. Finalement, l'envie irrépressible d'obtenir des clarifications l'emporte sur mes vaines tentatives de faire bonne figure. Je m'excuse platement auprès de Léa d'une voix nouée, lui murmurant quelques mots confus et sans queue ni tête, avant de me lever brusquement pour quitter le bar d'un pas décidé afin de rejoindre Cassia au plus vite. Mon allure est rapide, presque précipitée, les battements erratiques de mon cœur résonnant avec une sourde violence dans mes tempes. Plus je m'approche d'elle à grandes enjambées, plus cette jalousie insidieuse et dévorante prend corps, s'intensifiant à chaque pas.

Je finis par trouver Cassia à l’extérieur. Dieu merci Nolan ne la pas suivi. J’éprouve autant de dégoût et de mépris pour lui que pour Andrew. L’air frais ne parvient à apaiser ma colère et mon agacement. Je revois cette terrible image sous mes yeux. Je m'approche alors de Cassia essayant tant que je peux de garder mon calme apparent malgré la tempête de sentiments contradictoires qui fait rage en moi. « Cassia... » lance alors ma voix d'un ton qui se voulait ferme en m'arrêtant à quelques pas d’elle, mon regard se fixant sur elle avec une intensité brûlante. « Je peux te parler une seconde ? » Elle me regarde un bref instant, visiblement surprise, mais accepte finalement d'un rapide hochement de tête. « Je ne sais pas trop ce qui se passe entre toi et Nolan » commençai-je d'une voix mal assurée, une fois que nous sommes seuls, « Mais ce que j'ai vu... » Je laisse volontairement ma phrase en suspens, ne sachant trop comment formuler au mieux ma pensée sans paraître trop accusateur. « Vous étiez vraiment très proches, tous les deux. » Mon ton, malgré tous mes efforts, est teinté d'une indéniable jalousie que je peine à dissimuler. Cassia, ses sourcils désormais légèrement froncés, me regarde un long moment avec une expression indéchiffrable que je ne parviens pas à lire sur ses traits délicats. « Il embrasse aussi bien que moi ? » finis-je par demander d'un ton à la fois interrogatif et manifestement agacé, presque provocateur. Puis, sans réfléchir davantage, cédant à une pulsion intérieure incontrôlable, mes lèvres se posent avec fougue sur les siennes pour un baiser passionné et brûlant...

Après le petit spectacle que nous avait offert Milo et Léa sur la piste de danse, j’avais finis par quitter cette dernière. J’en avais assez vu. Je n’avais envie que d’une seule chose à l’instant présent, boire une autre coupe de champagne. Au buffet, je crois Nolan, un ancien camarade que je n’avais pas revu depuis longtemps. Sa présence ici m’enchantait mais rapidement la conversation cessa lorsque Nolan, sans nul doute déjà éméché, tenta de m’embrasser. Je ne supportais décidément pas ce genre de comportement. Alors, j’esquive bien évidement sa tentative et celle ci devient vaine. Je laisse échapper un léger soupire, un peu déçu par ce comportement avec de prendre ma coupe de champagne et de me diriger à l’extérieur de la salle pour prendre un peu l’air à nouveau.

Une fois à l’extérieur, je prends place sur une petit banc pas très loin de l’entrée. Sirotant ma coupe de champagne, je ne cesse de penser à Milo et à Léa. A plus le temps passait, à plus j’avais la sensation que cette soirée devenait doucement mais sûrement la soirée de leurs retrouvailles. Cela me peinait terriblement et je ne pouvais rien faire contre cela. Finalement, peut-être que venir ici n’était pas une si bonne idée que cela. La fatigue et la tristesse m’incitait à prendre la décision de rentrer chez moi sous peu. Perdue dans mes pensées, j’entends la porte de l’immense salle s’ouvrir et se refermer aussitôt je n’y prête pas trop attention jusqu’à qu’une voix bien familière et ferme à la fois m’interpelle. Milo. Je lève alors le visage vers lui, le jeune homme me demande si on pouvait parler une seconde. Je hoche rapidement la tête en signe d’accord. Le pilote de ligne commence alors à me parler de Nolan et de moi. Il a apparemment vu quelque chose. Je sais très bien ce dont il parle, mais il n’avait du voir qu’une demi seconde de la scène. Milo finit par affirmer qu’avec Nolan nous avions l’air très proche. « Nous ne sommes pas proches, tu te fais des idées. » dis-je simplement. Bien que cette remarque m’agaçait quelque peu. Nous n’étions plus ensemble, alors que je sois proche ou non de Nolan, qu’est-ce que cela impliquait réellement ? Lui partait bien tout un week-end avec Léa. Puis, sur un ton agacé et provocateur, Milo me demande si Nolan embrasse aussi bien que lui. Je n’ai alors pas le temps de répondre que le jeune homme vient poser ses lèvres sur les miennes. Mes mains se posent sur ses épaules voulant d’abord le repousser. Mais ô ce que ses lèvres m’avaient manqué. Le temps d’une seconde ou deux, ce baiser me replonge quelques semaines auparavant, et cela me faisait contre toute attente un bien fou. Mais il fallait que je me reprenne, nous n’étions plus ensemble. Il flirtait avec Léa depuis tout  l’heure. A quoi jouait-il exactement ? Finalement, mes mains descendent jusqu’à ses bras et je le repousse le plus fortement possible. « Non mais qu’est-ce qui te prends !? » demandai-je le ton interrogatif et perplexe. Je tente de reprendre un peu mes esprits. « Milo, à quoi tu joues là ? Je ne sais pas ce que tu as cru voir tout à l’heure avec Nolan, mais tu te fais des idées. Il est simplement déjà un peu éméché et a voulu m’embrasser. Je l’ai repoussé... » dis-je alors pour donner des explications supplémentaires. « Et puis je ne comprends pas… Même si il y avait eu quelque chose, nous ne sommes plus ensemble... » lui rappelai-je la gorgée nouée par l’émotion, le sujet était très sensible. « Tu oses venir vers moi, presque me reprocher d’être proche de quelqu’un alors que toi et Léa vous ne vous quittez déjà plus et vous avez même déjà prévu un week-end ensemble ! » C'était l'hôpital qui se moquait de la charité.

Est-ce que je suis jaloux d'imaginer Cassia dans les bras d'un autre ? Oui, bien sûr que oui, comment pourrait-il en être autrement ? Même si nous ne sommes désormais plus officiellement ensemble, je ressens toujours une indéniable et cuisante pointe d'amertume à la simple idée de la voir au bras de quelqu'un d'autre. La vérité crue, c'est que Cassia me manque terriblement. Elle me manque à un point tel que le simple fait de l'imaginer dans l'étreinte d'un autre homme fait instantanément naître en moi une jalousie dévorante. Dans un geste soudain et impulsif, un brin provocateur, je ne peux m'empêcher de lui demander d'une voix où perce le sarcasme si ce Nolan embrasse aussi bien que moi. Puis, sans même réfléchir davantage, cédant à un désir brûlant trop longtemps refoulé, je pose avec fougue mes lèvres sur les siennes pour un baiser passionné.

Pendant une fraction de seconde à peine, je suis comme grisé de bonheur en sentant à nouveau ses lèvres douces et familières contre les miennes. Mais soudain, Cassia me repousse avec une vigueur que je ne lui connaissais pas, brisant net notre étreinte. Mes yeux s'écarquillent alors, exprimant tour à tour perplexité, incompréhension et même une indéniable pointe de danger latent. Jamais auparavant Cassia ne m'avait ainsi repoussé de cette manière. Je fais alors tout mon possible pour me contenir et ne rien laisser transparaître de la vérité sur cette sordide histoire de chantage d'Andrew à cause de ces photos compromettantes. Ces clichés pourraient en effet gâcher la vie de Cassia et détruire sa brillante carrière s'ils venaient à être rendus publics. Pourtant, comme souvent, la seule personne véritablement capable de m'apaiser dans ces moments de doute est Cassia elle-même. Ses explications parviennent tant bien que mal à calmer quelque peu la tempête qui fait rage en moi lorsqu'elle m'annonce avoir repoussé Nolan. Instinctivement, mon regard change d'expression, même lorsqu'elle me demande d'une voix légèrement ébranlée pourquoi cela semble tant m'importer, étant donné que nous ne sommes désormais plus un couple. Quand Cassia mentionne ensuite d'un ton où perce l'amertume mon futur week-end en tête à tête avec Léa, un léger sourire vient jouer sur mes lèvres. Je ne suis manifestement pas le seul à se sentir jaloux dans cette histoire. « Parce que tu crois sincèrement qu'il va se passer quelque chose avec Léa ? »demandai-je d'une voix lente en la fixant droit dans les yeux. C'est une fausse question bien entendu, et nous le savons tous les deux au plus profond de nos êtres. « C'est avec toi que j'ai envie de passer mes week-ends Cassia. C'est avec toi que j'ai tout simplement envie d'être... » Je laisse volontairement ma phrase en suspens, pensant à toutes ces choses simples que j'aimerais encore partager avec elle. Elle doit bien s'en douter au fond. « Tu sais très bien que je suis profondément malheureux sans toi, Cassia... » ajoutai-je d'un ton plus doux en m'approchant d'elle avec d'infinies précautions, comme pour ne pas l'effrayer. « Je n'ai pas envie d'être avec une autre femme que toi, Cassia... » C'est étrange à dire mais il semble que je lui sois désormais encore plus fidèle depuis notre séparation qu'avant celle-ci. « Allez viens... » lui proposai-je avec un léger sourire en coin. « Je te raccompagne chez toi à la fin de la soirée, si tu l'acceptes ? »

Mais c'est alors que Tyler surgit à son tour prendre l'air frais, et en nous apercevant tous les deux réunis, il vient malencontreusement couper notre précieuse conversation d'un ton goguenard. « Ah, vous êtes là, les deux tourtereaux ! » lance-t-il joyeusement en s'approchant d'un pas claudiquant. « Milo, tu te souviens de la fille que tu avais embrassée à la dernière soirée ? » dit-il un large sourire sur le visage. « Attends, laisse-moi réfléchir... » Je le regarde sans vraiment comprendre de quoi il parle, un léger froncement de sourcils venant rider mon front. « Laquelle ? » demandai-je d'un ton las, alors que Tyler pouffe déjà de rire avec un amusement non feint. « Ah oui, c'est vrai qu'il y en a eu pas mal à l'époque ! » ricane-t-il avec un regard entendu dans ma direction. « La blonde, mince, le véritable canon ! Tu vois de qui je parle ? Eh bien figure-toi qu'aujourd'hui, elle a sacrément pris cher avec le temps ! » dit-il en la désignant du regard. Mes yeux se posent sur cette silhouette et Effectivement, l'apparence de cette ancienne conquête a été bien malmenée par les années. Un sourire narquois étire les lèvres de Tyler tandis qu'il me défie avec une lueur espiègle dans le regard « Je te mets au défi de l'embrasser de nouveau ! » Cependant, je n'ai d'yeux que pour Cassia en cet instant. Repoussant d'un geste las la provocation puérile de Tyler, je réponds d'une voix posée mais ferme, en prenant un soin particulier à bien articuler chaque mot. « Non, non... Je n'embrasse que les belles femmes désormais. Et surtout je n’embrasse uniquement que la femme que j'aime. » Mon regard se fait alors plus appuyé tandis que je tourne la tête vers Cassia. Nos yeux s'accrochent l'espace d'un instant chargé d'une intensité non feinte. Elle comprend parfaitement de qui je parle, j'en suis persuadé. « Roooh c'est pas drôle Milo ! » proteste Tyler d'un ton bougon en croisant les bras d'un air faussement vexé, comme un gamin à qui on viendrait de confisquer son jouet préféré.

Je ne peux réprimer un léger soupir agacé face à son insistance. « De toute manière, j'allais justement inviter Cassia à danser » rétorquai-je en guise de prétexte, tandis que ma main vient saisir celle de Cassia avec une douceur empreinte d'une certaine urgence mal dissimulée. « Tu nous excuses Tyler ? À tout à l'heure ! » lançai-je par-dessus mon épaule à l'intention de notre ami d'un ton qui ne souffre aucune réplique.  Et sur ces mots, entraînant doucement mais fermement Cassia à ma suite, nous pénétrons à nouveau dans la chaleur étouffante du bar bondé. Nous frayant un chemin à travers la foule compacte, nous parvenons enfin sur la piste de danse. Presque instinctivement, mes mains viennent se poser sur les hanches graciles de Cassia, comme mues par une habitude qui n'a rien oublié de nos étreintes passées. « Je crois savoir que tu aimes danser ? » lui demandai-je d'un ton mutin en l'attirant contre moi pour entamer un lent mouvement de valse improvisée. Puis, sans lui laisser le temps de répondre, je la fais doucement tournoyer sur elle-même, savourant par avance l'instant délicieux où elle reviendra se blottir tout contre moi. Nos deux corps se rapprochent progressivement, attirés l'un vers l'autre telle une loi naturelle immuable, jusqu'à ce que nos poitrines se frôlent presque. Autour de nous, la musique assourdissante semble s'évanouir comme par enchantement, ne laissant plus qu'un silence cotonneux propice à notre intimité si chèrement retrouvée. Mes yeux sombres plongent avec une intensité ardente dans le vert infiniment nuancé des siens, cherchant à sonder le délicieux mystère de son âme. « Cassia... » laissai-je échapper dans un souffle rauque, comme pour graver ce prénom tant aimé dans les tréfonds de mon être et me le réapproprier avec une force renouvelée. « Tu me manque... » Une de mes mains remonte lentement le long de son dos pour venir se perdre dans la soie sombre de sa chevelure, effleurant au passage la courbure gracile de sa nuque avec une infinie délicatesse. Un délicieux frisson me parcourt des pieds à la tête tandis que je me penche insensiblement vers son visage pour mieux m'enivrer de son doux parfum, frôlant presque ses lèvres des miennes dans une caresse aérienne pleine de promesses.

 Alors que je prenais l’air tranquillement en solitaire sur un petit banc près de la porte de l’immense salle ou se déroulait la réception, Milo vient me rejoindre. Il semble contrarié de m’avoir trouvé si proche avec Nolan. Je suis quelque peu surprise, après tout il avait voulu rompre et lui même ne s’était pas gênée pour passer la soirée avec Léa et danser langoureusement avec elle pendant un petit moment. Milo me demande alors si Nolan embrassait aussi bien que lui, et sur ces mots il était venu poser ses lèvres sur les miennes. Si pendant quelques secondes je m’étais délecté de cette douce sensation j’avais finalement fini par repousser Milo. Depuis deux semaines j’essayais clairement, en vain, d’aller mieux, d’apprendre à vivre sans lui. Ce baiser me faisait replonger dans de doux souvenirs qui avaient à présent un goût amer. Milo me questionne sur son futur week-end avec Léa me demandant si je pensais sincèrement qu’il allait se passer quelque chose entre eux. Je hausse les épaules. « Je ne sais pas… En ce moment, je ne suis plus sûre de rien... » dis-je en ayant encore vraiment du mal à accepter la rupture ainsi que la raison évoquée par Milo. Puis ce dernier m’avoue que c’est avec moi qu’il avait envie de passer ses week-ends, que c’est avec moi qu’il avait tout simplement envie d’être. Il m’avoue également d’être profondément malheureux sans moi, d’avoir envie d’être avec moi uniquement et pas une autre femme. Les mots de Milo me touchent, le savoir malheureux me blessait profondément « Alors pourquoi tu m’as quitté... » dis-je la voix emplie d’émotions. Ce n’était même pas une question, simplement une pensée dite à voix haute. Encore une fois ses mots étaient en totale contradiction avec sa volonté de rompre. Milo me propose de me raccompagner chez moi à la fin de la soirée, si j’acceptais. Mais nous sommes interrompus par l’arrivée de Tyler qui apparemment avait retrouvé une ancienne conquête éphémère que Milo avait embrassé. Il défi alors Milo de l’embrasser à nouveau, comme à l’époque. Le pilote de ligne refuse, soulignant le fait qu’il n’embrassait que les belles femmes et surtout qu’il n’embrassait uniquement la femme qu’il aimait. Son regard à cet instant est posé sur moi. Mon cœur bat anormalement vite. Ce refus engendre alors un léger mécontentement de la part de Tyler.

Mais Milo ne cède pas et ajoute qu’il comptait de toute manière m’inviter à danser. Mon regard, surpris, se pose sur lui. Et sans rien avoir le temps de répondre, je sens sa main attraper la mienne afin de nous guider à l’intérieur de la salle. Nous nous faufilons à travers la foule jusqu’à arriver sur la piste de danse. Je sens alors les mains de Milo se poser sur mes hanches et ce simple geste me fait doucement frissonner. Le pilote de ligne souligne le fait que j’aimais danser « Oui... » dis-je simplement. Je dois bien avouer que l’envie de fuir en courant était présente mais mon cœur refusait simplement la simple idée de refuser de partager un tel moment avec Milo. Nous entamons alors une danse, nos corps finissent toujours par se rapprocher, se frôler. Le jeune homme prononce mon nom, je lève mon visage et plonge mon regard dans le sien. « Tu me manque... » Les mots prononcés par Milo me font tantôt souffrir tantôt revivre. « Tu me manque aussi... » avouai-je alors. Cela me coûtait de faire un tel aveu. Depuis deux semaines je tentais de paraître forte, mais finalement sans Milo je n’étais décidément pas la même. Puis une de ses mains remonte lentement le long de mon dis avant de venir se perdre dans mes cheveux. Son visage proche du mien, je pouvais presque sentir un léger effleurement de ses lèvres sur les miennes. « Pourquoi est-ce que c'est si compliqué… ? » demandai-je alors dans un léger murmure. Une question purement rhétorique. Je pensais encore que cette rupture était véritablement dû à l'envie de liberté de Milo et à nos projets de vie apparemment non compatibles.

De toutes les femmes qu'il m'ait été donné de fréquenter au cours de ma vie, Cassia est incontestablement celle qui ne cessera jamais de me hanter, quoi qu'il arrive. Depuis notre rupture, il y a quelques semaines à peine, son absence permanente imprègne chaque instant de mes journées comme une ombre lancinante. Je m'endors le soir avec un vide douloureux au creux de la poitrine et me réveille le lendemain matin avec ce même sentiment de manque insidieux. Tout semble subitement si fade, si terne, quand elle n'est plus à mes côtés pour en partager l'éclat. Même le simple fait de lever les yeux au ciel pour en contempler les nuances et la majesté n'éveille plus rien en moi. Depuis que mes lèvres sont privées de la douceur des siennes, j'ai l'impression de ne plus vivre pleinement, de n'être plus que l'ombre mélancolique de l'homme que j'étais auparavant. Hier soir encore, alors que je quittais le bureau d'un pas traînant, l'un de mes collègues m'a lancé une remarque désobligeante dans le dos : « Qu'est-ce que t'es ronchon en ce moment ! » J'ai bien tenté de lui sourire avec une nonchalance forcée, mais la vérité est que je ne suis définitivement plus le même homme insouciant et plein d'entrain sans la présence réconfortante de Cassia à mes côtés. Elle me manque, d'un manque si profond et si total qu'il dépasse la simple présence physique pour embrasser chaque parcelle de mon être. Sa voix, son rire cristallin, jusqu'à la fragrance subtile et si particulière de son parfum, absolument tout me fait constamment défaut.

Et tandis que nous dansons ainsi enlacés sur cette piste de danse animée, nos deux corps se retrouvant brièvement après ces semaines d'absence insupportable, je peux à nouveau sentir son souffle chaud caresser ma peau, rallumant un désir ardent que je croyais pourtant avoir enterré au plus profond de moi-même. En cet instant, je n'éprouve qu'une seule et unique envie : elle. Simplement elle, dans toute sa splendide intégrité. Quand elle me confie à son tour que je lui manque également, je sens mon cœur se serrer douloureusement dans ma poitrine. Dans quelques jours à peine, ce sera son anniversaire, et pour la première fois depuis que nous nous sommes rencontrés, je ne serai malheureusement pas présent à ses côtés pour partager ce jour si spécial avec elle. « J'aimerais tout pouvoir t'expliquer, Cassia... » lui murmurai-je alors d'une voix rauque tout contre son oreille, luttant de toutes mes forces pour contenir les émotions contradictoires qui menacent d'éclater au grand jour. « Laisse-moi juste un peu de temps... pour trouver une solution... » C'en est trop pour moi en cet instant. Je ne supporte pas de voir ainsi la femme que j'aime par-dessus tout souffrir de la sorte par ma faute, aussi impuissant que désemparé à l'idée de ne pouvoir actuellement rien y changer. « Tu sais bien qu'il n'y a jamais eu que toi, Cassia... » repris-je avec une ferveur renouvelée, serrant son corps svelte contre le mien avec une passion mal contenue. « Je m'en fiche complètement de Léa ou de n'importe qui d'autre. C'est avec toi que je veux être, toi et personne d'autre que toi… Ça a toujours été comme ça… et ça le sera toujours… » Nos lèvres se retrouvent alors si proches l'une de l'autre qu'elles s'effleurent presque, dans une caresse aérienne emplie de promesses pour l'avenir. Il me faut rassembler toutes mes forces pour résister à la tentation dévorante de les unir dans un baiser passionné « C'est toi que j'... » ajouté-je dans un souffle avant de m'interrompre, détournant mon visage pour venir déposer un tendre baiser sur son front en une mince consolation face à ses lèvres tentatrices. Ce baiser sur son front n'est que le seul réconfort que je puisse lui offrir pour l'instant. Mais il est aussi la promesse silencieuse que, d'une manière ou d'une autre, je trouverai bien un moyen de surmonter les obstacles qui nous séparent encore et de la retrouver pleinement, comme avant. Car elle est celle que j'aime par-dessus tout, et que j'aimerai toujours, quoi qu'il puisse arriver.

Le revers de mon pouce ébauche sa lèvre, traçant doucement sa courbe avec une tendresse empreinte d'une douceur infinie. Mes doigts effleurent sa joue, savourant la chaleur de sa peau sous mon toucher. Son regard plonge dans le mien, et pendant un instant suspendu dans le temps, tout le reste semble disparaître. Ses yeux reflètent des émotions qui me bouleversent, et je ne peux m'empêcher de ressentir une connexion profonde, comme si nous étions les seuls dans cette pièce. Je me penche un peu plus près, le souffle léger, et murmure, presque hésitant : « J'ai envie de t'embrasser… » Ma voix trahit l'intensité de mes sentiments, chaque mot lourd de désir et de sincérité. Les quelques centimètres qui nous séparent semblent insurmontables, mais l'attraction entre nous est irrésistible. Mes doigts suivent la ligne de sa mâchoire, cherchant un ancrage dans sa proximité. Le silence qui suit ma déclaration est chargé de promesses non dites et d'émotions retenues. Nos souffles se mélangent, et je résiste à l'envie de combler cet espace qui nous sépare, de céder à la tentation qui me hante depuis des semaines.