Tu soupires en regardant ta montre. Cet exercice va durer ce qui te semble être une éternité. Tu sais que t'as pas le choix. Comme d'habitude, de toute façon. Être chef de brigade ne t'exempte pas de ce genre d'événements. Techniquement, il n'exempte personne. Mais c'est pour cette raison que vous n'êtes que trois à être présents. Comme d'habitude. Tu es lassé de cette vérité qui te donne la sensation que tes équipes n'en ont rien à faire : ni de ton autorité ni de leurs obligations. Ça va barder à la prochaine réunion et tu risques d'en sanctionner. Toi qui ne comptais pas le faire de si tôt, voilà que tu n'as plus vraiment le choix. Ça te fout un peu les boules, pour être honnête, mais bon. Pas le choix, de toute façon, c'est comme ça. S'ils ne respectent pas ton autorité, tu vas la leur imposer en leur faisant comprendre que la prochaine fois c'est la porte. T'espères juste qu'ils ont plus d'estime pour leur job que pour leur hiérarchie.

Tu souris gentiment aux nouveaux arrivants, expliquant les règles de sécurité durant leur formation. L'objectif ? Apprendre les gestes de premiers secours pour sensibiliser les gens qui travaillent dans l'aviation. Tu leur demande de se mettre en binôme entre eux ou avec un de tes collègues ici présent, soupirant en réalisant qu'il n'y a pas assez de gens, contrairement à ce que tu as compter. Aaaaah, la journée commence si mal. Alors tu regardes celui qui reste tout seul. Tu lui souris et, tentant tant bien que mal de cacher ton agacement sur absolument tout, tu t'adresses à lui.

- Bon et bien je suppose que nous formerons un binôme tous les deux. Après avoir vaguement expliquer la position latérale de secours et le fait de faire un massage cardiaque, tu choisis de prendre le rôle de la victime ici. L'objectif ? Te mettre en position latérale de sécurité. En comptant que tu n'es pas forcément le type le plus lourd de l'univers : tu fais un petit mètre soixante-quinze et soixante dix-huit kilos. Rien de bien fou ni en taille ni un poids, mais à voir. Prêt ? lui demandes-tu avec un semblant de sourire, espérant juste que tes collègues ici présents s'en sortent convenablement.

@Milo Davis

« Encore une autre journée entièrement dédiée à la formation ? » grommela-t-il, ses mots s'échappant dans un soupir teinté d'un mécontentement profond, tandis qu'il attrapait d'une main nonchalante l'agenda qu'on lui tendait. Sa main semblait peser des tonnes, trahissant une lassitude qui imprégnait chaque fibre de son être. « On pourrait presque croire qu'ils pensent que nous n'avons rien d'autre à faire, là-haut. Quelle idée de me soumettre à une journée entière de formation ? Est-ce que mon visage porte l'inscription « médecin » ou « secouriste » quelque part ? », ronchonna-t-il, le sarcasme perçant à travers ses paroles. « Si c'est une question de manque de personnel qualifié, je suis tout à fait capable de leur fournir une liste d'adresses où ils pourraient en trouver, sans la moindre difficulté. » L'exaspération de Milo était palpable, s'affichant clairement sur chaque trait de son visage alors qu'il avançait avec résignation mais une irritation palpable vers la salle assignée pour cette session de formation apparemment interminable.

Ses pas résonnaient dans le couloir, comme l'écho de son désarroi intérieur, tandis qu'il repassait mentalement sur les multiples tâches qui l'attendaient et qui seraient inévitablement retardées par cette obligation. La perspective de passer encore une journée enfermé dans une salle, à absorber des informations qu'il jugeait à peine pertinentes à son quotidien professionnel, le remplissait d'un sentiment d'impuissance. Le temps lui semblait être une ressource bien trop précieuse pour être gaspillée ainsi, et pourtant, il n'avait d'autre choix que de se plier aux exigences de la formation.

Chaque pas vers la salle de formation était un rappel de la routine et des contraintes qu'imposait son métier, loin de l'image glamour que certains pourraient s'en faire. C'était dans ces moments-là que Milo se rappelait que, malgré les hauteurs atteintes, il restait soumis aux mêmes procédures et formalités que n'importe quel autre employé. Et cette réalité, aussi terre-à-terre soit-elle, pesait lourd sur ses épaules, déjà courbées par le poids de responsabilités bien plus complexes que cette formation ne pourrait jamais l'imaginer.

À chaque pas qu'il franchissait le seuil de la porte, Milo laissait échapper des soupirs d'agacement crescendo, comme si chaque inspiration traduisait un niveau supplémentaire de réticence. Son entrée dans la salle ne passa pas inaperçue, son mécontentement faisant presque écho aux murs nus et austères de l'espace de formation. Ses yeux balayèrent la pièce, s'arrêtant brièvement sur l'instructeur qui se tenait avec une assurance professionnelle devant le tableau blanc, énumérant les objectifs de la journée d'une voix monotone mais claire.

Milo tenta, malgré son irritation palpable, de se concentrer sur les directives énoncées, cherchant à capturer l'essence de ce qu'il était censé apprendre, même si son esprit se rebellait contre l'idée même d'être là. Alors qu'il observait ses collègues, une pointe de déception teinta ses réflexions, constatant l'uniformité presque monotone du groupe assemblé. L'assemblée était un tableau principalement masculin, les quelques femmes présentes se fondant dans l'arrière-plan, ajoutant une note de monotonie supplémentaire à l'ensemble. Cette observation ne fit qu'accentuer son désintérêt, renforçant son sentiment d'isolement au sein de cet environnement étranger à ses aspirations.

Le manque de diversité, tant en termes de genre que de personnalité, lui semblait un reflet de la rigidité et de l'archaïsme des structures en place, un monde où la variété et l'innovation semblaient étouffées avant même d'avoir la chance d'émerger. Cet environnement homogène renforçait chez lui une sensation d'aliénation, exacerbant son sentiment d'être un étranger dans un territoire dénué de la richesse et de la complexité qu'il chérissait dans les interactions humaines. La quasi-absence de présence féminine n'était qu'un symptôme supplémentaire de ce déséquilibre, une note discordante dans la mélodie de sa journée déjà bien sombre.

Dès l'instant où l'injonction de se regrouper par deux fut prononcée, Milo sentit une vague d'irritation monter en lui, son mécontentement se frayant un chemin à travers les murmures mécontents qu'il laissait échapper entre ses dents serrées. La rapidité avec laquelle ses collègues formèrent des paires ne lui laissa même pas l'occasion de manifester son opposition ou de choisir un partenaire. Ainsi, de manière presque comique, il se retrouva délaissé, le dernier homme debout dans un ballet de collaboration forcée. Son regard se posa alors sur l'instructeur, seul autre solitaire de la salle, qui par un hochement de tête tacite, le désigna comme binôme par défaut.

Observant l'instructeur, un homme d’une carrure moins imposante que la sienne, Milo ne put réprimer un sourire narquois. L'idée qu'une manœuvre maladroite puisse finir en visite impromptue aux urgences traversa son esprit, teintée d'un humour noir qui ne parvenait pas tout à fait à masquer sa réticence. « Un poumon perforé, c'est le risque du métier, n'est-ce pas ? » songea-t-il, l'ironie de la situation ne lui échappant pas. La tâche à accomplir, bien que sérieuse dans son objectif de sauver des vies, lui semblait soudainement ponctuée d'une légèreté macabre.

Se rapprochant de l'instructeur avec une résignation théâtrale, Milo ne put s'empêcher de lancer, d'un ton mi-figue mi-raisin : « Bon… Désolé mais vous n’êtes pas la belle au bois dormant, et je ne me sens pas vraiment dans la peau d'un prince charmant ! » Sa tentative de détendre l'atmosphère, bien qu'emprunte d'une sincérité douteuse, reflétait une volonté de faire contre mauvaise fortune bon cœur. « Allons-y, qu'on en finisse avec ça ! » ajouta-t-il, s'efforçant d'injecter un semblant d'enthousiasme dans sa voix

Ce genre de journée de formation, d’ordinaire il ne les supervise pas, et tant mieux. Il ne fait qu’y participer pour la forme. Mais à trois pompiers plutôt que toute la caserne en activité, c’est un peu compliqué. Alors Eamon préfère faire comme si tout allait bien et ne pas s’ajouter plus de tracas en y pensant. Il ne fonctionne pas forcément à la négativité, même s'il n’est pas toujours le plus honnête qui soit ; dans le travail c’est peut-être sa seule vraie exception.

Eamon regarde vaguement sa subordonnée, seule femme ayant accepté de venir sans rechigner. Elle s’en tire mieux que Hilton, qui lui est là plus par punition qu’autre chose. Les autres vont vite comprendre leur malheur. Il en a marre de devoir courir après tout le monde. Si son autorité n’est pas écoutée, il sait très bien que mettre de côté ce souci là ne l’empêchera pas de le faire remonter et de faire en sorte que la hiérarchie, dont l’autorité est respectée à l’atome près, puisse intervenir et sonner un peu les clochettes d’alarmes. Parce que les siennes ne semblent être que des mots, peu importe les blâmes et autres réprimandes qu'il met en place. Clairement, Eamon a parfois la sensation de n’être qu’un fantôme qu’on n’écoute qu’à moitié faute de mieux, transparent dans bien des circonstances. Pas faute de ne jamais baisser les bras.

Binômes formés, il est obligé de faire équipe avec le pauvre délaissé. Obligé ? Non, pas vraiment, sinon il aurait sans doute lui aussi fui ses responsabilités, comme la grande majorité de la caserne, à vrai dire.

Il fronce vaguement les sourcils devant la réflexion faite par le malheureux avant de finalement sourire narquoisement.

- Ça tombe bien, ce n’est pas ce qu’on vous demande.

Il lui sourit plus amusé encore par cette résignation qui teinte ses propos.

- Soyez heureux, parmi tous les pompiers de la caserne, seuls les meilleurs ont répondu présents aujourd’hui, visiblement.

La grosse tête ? Non, certainement pas, mais ça lui donne l’occasion de ne pas s’agacer de la situation plus qu'il ne l’est déjà. Eamon se met au sol dans une position faite pour compliquer la vie de son partenaire d'infortune.

- Je compte sur vous pour ne pas me déboiter l’épaule, ni me casser un bras.

Il a bien capté qu’il était plus imposant que lui et malgré tout, Eamon ne tient pas à finir en petit morceaux, à vraiment devoir être amené à l’hôpital, comme il aurait été nécessaire de le faire s’il avait vraiment été dans la situation de victime et dans cette position déjà bien assez désagréable.

Il n'avait jamais été réellement emballé par cette fastidieuse formation de secouriste obligatoire à laquelle il devait se soumettre. C'était à des années-lumière de l'adrénaline pure qu'il avait connue aux commandes d'un cockpit, virevoltant avec une grâce aérienne entre les nuages à des altitudes vertigineuses. Aujourd'hui, on lui demandait d'apprendre les gestes premiers secours aussi basiques que de placer un individu en position latérale de sécurité, une compétence d'une trivialité presque insultante comparée aux manœuvres de pilotage extrêmes et périlleuses qu'il avait accomplies fièrement par le passé.

Et pour corser l'humiliation ambiante, son partenaire d'entraînement désigné n'était autre que le formateur lui-même, un colosse à la carrure impressionnante et menaçante qui aurait pu aisément rivaliser en taille et en musculature avec un ours des montagnes. Alors qu'il essayait maladroitement de suivre les instructions didactiques, manipulant le mastodonte avec d'infinies précautions malgré leur différence de gabarit aussi évidente que gênante, une plaisanterie acerbe lui échappa dans un souffle, trahissant son malaise grandissant « Vous êtes les meilleurs pompiers de la région on me l'a dit. Je prends donc bonne note au cas où j'arriverais à vous écraser par inadvertance durant cet exercice. Je saurai désormais à qui m'adresser pour porter plainte ! »

L'absurdité même de cette situation rocambolesque le frappa soudain de plein fouet - lui, cet éternel séducteur auréolé d'une aura de conquistador, tentant désespérément de déplacer la masse imposante de ce géant selon un médiocre protocole médical de base. Un rire incontrôlable et presque hystérique, teinté d'une nervosité fébrile, lui échappa avant qu'il ne puisse le réprimer. C'était un rire embarrassé, presque gêné, les trémolos de sa voix manifestant une fragilité insoupçonnée, mais il ne parvenait tout simplement pas à s'en empêcher pour autant. Le spectacle qu'il offrait à l'ensemble du groupe devait paraître si disproportionné, si grotesque...

Son hilarité déstabilisante finit par le distraire au point de créer une courte défaillance, et dans la confusion ambiante où les regards soulevés commençaient à converger vers lui d'un air réprobateur, alors qu'il réussissait enfin à positionner tant bien que mal le formateur selon les préceptes enseignés, sa main vint malencontreusement s'écraser avec une violence inattendue sur celle de son partenaire d'entraînement. « Aïe, ouille ! Navrée, vraiment ! » lâcha-t-il précipitamment d'un ton paniqué où perçait une réelle inquiétude, son sourire incertain et son regard fuyant ne parvenant pas à masquer totalement son trouble manifeste. Il avait désormais l'impression déplaisante et écœurante d'être redevenu un adolescent maladroit et gauche face à ce colosse de la nature à l'air revêche.

Eamon aurait quand même préféré faire autre chose que d’être là, à jouer les pantins alors même que la caserne est sans doute en train de faire n’importe quoi d’autre. Ça l’énerve vraiment que son autorité ne soit pas respectée, mais quoi y faire ?! Alors il essaie de rester le plus neutre possible sur son visage. Il faudra bien agir, de toute façon.

Il ne se voit pas comme très imposant, mais il n’est pas le moins musclé de la caserne, loin de là. C’est peut-être pour ça qu’il ne voit peut-être pas qu’il peut être impressionnant pour son binôme occasionnel, formé juste pour la journée. Il s’amuse à sourire à la réflexion de son interlocuteur. « Meilleurs pompiers de la région », il ignore qui le lui a dit, mais il a clairement voulu faire la publicité. Eamon, lui, n’est pas complètement de cet avis. Il a la sensation qu’ils sont nombreux à être là pour profiter d’une réputation qu’ils mettent à mal.

- Pour porter plainte ?

Il rit, pas certain d’avoir compris la vanne. Mais enregistrer une plainte, il sait pas faire et dieu que, parmi tous les métiers qui soient, il ne voudrait aucunement être flic ! Pour autant, il essaie de rester le plus stoïque possible pour ne pas rendre plus ardue encore sa tâche de le déplacer en position latérale de secours. Ce qui semble bien plus compliqué encore que ce qu’il l’aurait cru. Aurait-il oublié d’écouter … ? Mais il le comprend, Eamon, et il n’irait pas le reprocher. Même lui, il ne comprend pas qu’on donne une journée ou une demi journée de formation à des gens qui n’ont pas été sensibilisés sur le sujet en premier lieu.

Une grimace lui déforme un instant le visage, sans qu’il n’arrive vraiment à la dissimuler, plus surpris qu’endoloris par ce qu’il vient de se passer, pendant que la main de son « sauveur » durant cet exercice s’est lourdement et violemment écrasée sur la sienne.

- Tout va bien, rassurez-vous, assure-t-il alors que sur son visage tout semble aller dans l’autre sens. Est-ce que vous préférez qu’on réinverse les rôles ?

Accroupi dans cette salle de formation aux premiers secours, son esprit était ailleurs. L'ennui l'envahissait à chaque seconde interminable qui s'écoulait. La voix monotone de l'instructeur résonnait dans ses oreilles comme un bourdonnement incessant et soporifique. Franchement, il aurait préféré être n'importe où ailleurs plutôt que d'être coincé ici à écouter ces inepties. Cassia lui avait dit que ce serait utile, mais là, il se demandait vraiment ce qu'il faisait ici, gaspillant son précieux temps libre. Son regard errait dans la pièce, cherchant désespérément quelque chose d'intéressant sur quoi se fixer. Mais il n'y avait rien, rien d'autre que des murs nus et des affiches de secourisme déprimantes. Il commençait même à envier les mannequins de démonstration, du moins eux n'avaient pas à subir cet ennui interminable.

Lorsque l’instructeur demanda si il voulait échanger de rôle pour pratiquer les techniques de la position latérale de sécurité. Milo soupira profondément, levant les yeux au ciel avant de lâcher d'un ton las. « Je n'ai pas vraiment le choix, n'est-ce pas ? » Sans attendre de réponse, il s'allongea par terre devant lui, les bras écartés, prenant une pose dramatique. Un sourire malicieux se dessina sur son visage. Pour ajouter une touche d'humour à cette situation soporifique, il lança d'un air moqueur. « Mais ne vous méprenez pas, je ne suis pas votre princesse endormie attendant son prince charmant. » Les autres participants pouffèrent de rire, même l'instructeur esquissa un sourire malgré lui. Milo regarda le plafond, se demandant combien de temps encore il allait devoir jouer les cobayes pour cette mascarade. Une partie de lui savait que c'était important d'apprendre ces techniques, mais l'autre ne pouvait s'empêcher de trouver tout cela ridiculement exagéré et ennuyeux à mourir. Il espérait sincèrement que cette torture prendrait bientôt fin.

Allongé sur le sol froid, jouant son rôle de mannequin pour les exercices de réanimation cardio-respiratoire. Alors que l'instructeur donnait les instructions d'une voix monocorde, Milo laissa son esprit dériver une fois de plus. Son regard se perdit dans le vague, fixant le plafond d'un air absent. Au bout d'un moment, il tourna légèrement la tête et aperçut la fenêtre. Un rayon de soleil filtrait à travers, offrant un bref aperçu du monde extérieur. Ce simple rayon sembla l'appeler comme un beau mirage au milieu du désert d'ennui. Milo se focalisa sur la fenêtre, observant les arbres qui se balançaient doucement dans la brise printanière. Des oiseaux volaient librement, sans aucun souci ni obligation à remplir. Comme il aurait aimé être comme eux à cet instant, libre et insouciant, au lieu d'être enfermé ici à expirer et inspirer de manière exagérée. Son regard ne quittait plus la fenêtre, espérant pouvoir s'évader ne serait-ce que mentalement de cet endroit morne. Il commença à se demander quand aurait lieu la prochaine pause. Peut-être pourrait-il alors s'éclipser et respirer un peu d'air frais à l'extérieur, loin de cette salle étouffante. Les minutes s'égrenèrent lentement. Milo continuait d'alterner entre fixer le plafond et regarder par la fenêtre avec envie. « On ne serait pas mieux autour d’une bière ? » dit-il d’un air envieux.

Eamon réalise rapidement que le type avec qui il fait binôme pour l’occasion n’est pas exactement le plus attentif qui soit. En même temps, lui-même y met beaucoup de mauvaise volonté. Parce que ce n’est pas lui qui devrait s’occuper de cette journée de formation et parce qu’il voudrait bien être n’importe où ailleurs. Il pense un instant à Echo, puis la chasse aussitôt de son esprit. Qu’elle soit revenue en ville n’importe pas ou n’importe que peu, dirons nous. Il y a un gouffre, entre lui et Eamon, clairement, et ils s’efforcent de le creuser chacun de leur côté. Pourtant, Eamon garde sa sympathie face à lui, parce qu’il le fait marrer, un peu. Surtout sa volonté de ne pas être là, il se reconnaist étrangement dans ce fait. Et il n’a pas besoin de le dire, ça se voit jusque dans sa posture.

Eamon ricane.

- Non, en effet, vous n’avez pas le choix, lui lui assure-t-il avec un petit sourire. Il se demande pourquoi il a accepté cette formation si c’est pour ne pas être motivé. Les autres, eux, semblent déjà beaucoup plus intéressés par ce qu’il se passe. Sans doute aussi parce qu’ils sont avec un binôme qu’ils ont choisi et qu’ils connaissent. Même pour un type qui n’a pas le choix, Eamon note qu’il met plus de bonne volonté qu’il n’y paraît. Etrange quand, quelques secondes auparavant, il analysait le contraire.

Il roule des yeux face à cette remarque mais dissimule quand même son amusant.

- Désolé, je préfère mes princesses moins réticentes et plus, comment dire… femme, oui, voilà.

Puis de toute façon, Eamon n’a qu’une seule princesse en tête et est loin d’être un prince charmant. Il donne quelques instructions en profitant que Milo soit à terre, les autres participants l’écoutant plutôt bien, posant des questions, rendant ce moment particulièrement emmerdant pour Eamon beaucoup plus dynamique et motivant. Pourtant, rapidement, il réalise, une fois de plus, que son binôme ne l’écoute pas. Ces heures de formation vont être particulièrement compliquée et longues…

Il arrive quand même à lui tirer un sourire. Non, pas encore poto.

- Bien que je n’aurais pas dit non, il reste encore plus d’une heure de formation, impossible d’y réchapper, désolé. Votre entreprise a payé pour et nous ne pouvons pas l’écourter.

Milo laissa échapper un soupir las alors que la réponse du formateur résonnait dans ses oreilles. Même s'il savait au fond de lui que l'instructeur avait raison, il ne put réprimer un soufflement d'agacement. La journée s'annonçait interminable, chaque minute s'étirant comme une éternité. Au fil des heures qui s'écoulaient avec une lenteur exaspérante, Milo luttait de plus en plus contre le sommeil qui menaçait de l'emporter. Ses paupières se faisaient lourdes, comme alourdies par des poids invisibles, et ses pensées vagabondaient malgré lui, s'égarant loin de la salle de formation.
Finalement, après ce qui lui parut être une éternité, la formation toucha enfin à sa fin. Milo se tenait debout, le dos légèrement appuyé contre le mur froid, les bras croisés sur sa poitrine dans une posture qui trahissait son ennui profond. Chaque mot prononcé par le formateur avait été une torture, chaque concept expliqué un supplice. Jetant un regard en coin au formateur, Milo constata que ce dernier semblait tout aussi désintéressé que lui par le sujet. Ses paroles, bien que pertinentes, étaient délivrées d'une voix monocorde et soporifique qui ne faisait qu'accentuer la lassitude ambiante. Les pensées de Milo dérivèrent vers ses amis qui l'avaient convaincu, non sans mal, de suivre cette formation de secouriste. Il leur avait promis d'aller jusqu'au bout, et il était bien décidé à tenir parole, même si l'enthousiasme n'était clairement pas au rendez-vous. Il se remémora leurs encouragements, leurs plaisanteries sur l'importance de savoir sauver des vies, mais à cet instant précis, tout ce qu'il ressentait était une profonde fatigue et une impatience croissante.

Lorsque le formateur conclut finalement son interminable discours, Milo ne put retenir un soupir de soulagement. Il attendit patiemment que les autres participants, tout aussi pressés que lui de quitter les lieux, commencent à rassembler leurs affaires avec une lenteur calculée, comme pour retarder l'inévitable retour à la réalité. Imitant leur mouvement au ralenti, Milo se pencha pour ramasser son sac, réprimant un énième soupir. Il sentit la fraîcheur du sol contre ses doigts, contrastant avec la chaleur étouffante de la salle. Puis, d'un pas nonchalant qui trahissait son manque d'entrain, il s'approcha du formateur, un sourire de circonstance plaqué sur le visage. « Salut, merci pour la formation », lança-t-il d'un ton qui se voulait cordial, mais où perçait une pointe d'ironie involontaire. Sa voix avait des accents de politesse forcée, comme s'il s'efforçait d'établir un semblant de connexion humaine malgré son désintérêt manifeste. Milo marqua une pause, son regard se portant brièvement sur les visages fatigués des autres participants. « Ça a été une longue journée pour tout le monde », ajouta-t-il, une lueur espiègle dansant soudain dans ses yeux las. « On va se la boire cette bière ? »

Eamon comprend très bien à quel point l’information qu’il a fournie peut être déplaisante. Après tout, lui qui est chef de brigade, le voilà à jouer les formateurs alors que la pédagogie est une chose qu’il déteste plus que tout. Faire le travail des autres pas très loin dans la liste de ce qu’il hait le plus, c’est un fait. Mais par chance, avec les quelques membres de la brigade qui jouent les binômes des gens qui suivent cette formation accélérée juste pour un diplôme qui ne vaut vraiment pas grand chose mais que les entreprises s’efforcent de faire avoir à leurs employés. Soit, mais Eamon ne trouve pas ça parfaitement logique. Autant faire du bénévolat, ou quelque chose du genre avec les pompiers, non ?

La journée de formation trouva sa fin plus rapidement qu’il ne l’aurait pensé et Eamon était bine heureux de pouvoir enfin mettre fin à tout ça, potentiellement reprendre sa place dans les agents d’astreinte voire d’aller se coucher. Dure journée quand le type avec qui l’on se met en binôme a l’air de s’ennuyer si profondément, peu importe les mises en pratiques - qu’il ne fait même pas vraiment, préférant être la victime qu’appliquer les quelques recommandations faites, comme si c’était utile pour Eamon d’apprendre des gestes qu’il pratique au quotidien - et les échanges autour. Il ne pourrait clairement pas faire ça toute la journée, c’est une certitude.

Il hausse les épaules quand il le remercie. C’est normal, c’est son travail… et pourtant, Eamon ne voit pas en quoi il le remercie, vu la mauvaise volonté mise dedans. Alors son haussement d’épaules fera office de simple réponse. Il lève les yeux au ciel, sans s’empêcher de sourire à cette remarque.

- Pas pour tous les binômes, seulement ceux qui n’ont pas bien matché. Pour une bière, Eamon est sûr que ça passerait volontiers, parce que malgré tout, son sourire est honnête et il y a à peine d’ironie dans ses mots, juste un véritable fait qu’il évoque simplement. Pour autant, l’espièglerie dans les yeux de Milo lui fait tirer un peu plus son sourire. Mais je suis toujours partant pour une bière, même avec le binôme de secourisme le moins secouriste qui soit.

L'ironie dans la voix du formateur se faisait pressentir, surtout lorsqu’il ajouta « Seulement ceux qui n’ont pas bien matché. » Milo comprit immédiatement à qui il faisait référence : lui. Loin de s’en offusquer, il se contenta de hausser les épaules avec une nonchalance calculée. Cependant, ce que son homologue ajouta ensuite le poussa à hausser un sourcil, intrigué par la suite de son discours. « La prochaine fois, j’enfilerai une belle perruque blonde, je me ferai poser de belles prothèses mammaires, » dit-il en mimant le geste sur son torse avec un éclat de rire. « Et je volerai du maquillage à une amie, un beau gloss rouge, du mascara, des faux cils et des boucles d’oreille ! Je pense que là, vous ne pourrez plus me résister ! » ajouta-t-il en riant de bon cœur. Milo observa son interlocuteur avec un mélange de surprise et d’amusement. La scène était si inattendue qu’il ne put s’empêcher de sourire. La description détaillée et les gestes théâtraux du formateur tranchaient avec la monotonie de la journée. La mention de chaque élément de maquillage, le gloss rouge, le mascara, les faux cils, et les boucles d'oreille, peignait un tableau presque comique dans l'esprit de Milo. Il imagina un instant le formateur avec cette apparence exubérante, et l'image mentale fit naître un éclat de rire qu'il ne put contenir. « Ah, je suis sûr que vous seriez magnifique, » répondit Milo en riant. « Et je suis certain que personne ne pourrait résister à une telle transformation ! » L’atmosphère de la salle se détendit légèrement, les rires de Milo et du formateur semblant rompre la tension qui avait imprégné la journée. Les autres participants, en entendant leurs éclats de rire, se joignirent à eux, créant une ambiance plus légère et conviviale. Milo apprécia ce moment de légèreté inattendu. Alors qu’il rangeait ses affaires, il se dit que, malgré la longueur et la monotonie de la formation, cette fin de journée s’annonçait finalement sous de meilleurs auspices. Il se sentait déjà un peu plus léger, prêt à profiter de la soirée qui s’annonçait.


Après avoir échangé quelques plaisanteries et rires, Milo et le formateur quittèrent finalement la salle de formation, leurs sacs jetés négligemment sur leurs épaules. L'air frais de l'extérieur les accueillit avec une bouffée revigorante, balayant la fatigue accumulée durant la longue journée. La ville était animée, les gens se pressaient dans les rues, profitant de la fin de journée pour se détendre. Ils traversèrent la rue et entrèrent dans le bar cosy, une ambiance chaleureuse et accueillante les enveloppant immédiatement. Les lumières tamisées et la musique douce créaient une atmosphère propice à la détente. Ils s’installèrent au comptoir, les tabourets hauts leur offrant une vue dégagée sur les étagères remplies de bouteilles de toutes sortes. « Deux bières, s’il vous plaît, » commanda Milo en s'adressant au barman, un homme jovial aux bras couverts de tatouages colorés. Le barman acquiesça avec un sourire et se mit à tirer deux pintes de bière, le liquide ambré se déversant avec une mousse crémeuse sur le dessus. Milo et le formateur s’échangèrent un regard complice, l’ironie et les plaisanteries de la salle de formation s’estompant pour laisser place à une camaraderie naissante. « À cette formation interminable ! » lança Milo en levant son verre.

Son binôme semble peiner à comprendre l’ironie dans la voix d’Eamon, mais le pompier s’en rend compte aussitôt. Il sait aussi qu’il n’est pas le meilleur des pédagogues avec des gens qui ne sont pas du milieu et que les premiers secours n’intéressent pas forcément tout le monde, c’est un simple fait. Eamon éclate d’un rire sincère.

- Ce n’est pas du tout ce que j’ai dit, mais si ça peut vous faire plaisir ! Les stéréotypes, Eamon n’est pas trop pour parce que dans le métier, il en voit beaucoup et ça lui déplaît. Peut-être est-ce dû à Laly ou, plus encore à Echo, pour qui il aurait vendu son âme, à l’époque, si elle le l’avait demandé. Il ne sait pas exactement, mais, non, même si ça le fait marrer, il ne demanderait ça à personne et grimacerait peut-être même en voyant l’idée être mise en oeuvre et pas juste rester ce que c’est actuellement : une idée. Il secoue la tête, l’air de dire que l’idée est saugrenue sans le matérialiser à haute voix. Il a envie de dire que son coeur est déjà pris mais peut-on encore le dire, des années plus tard, alors qu’Echo a probablement refait sa vie ? Non, de toute façon, il a tourné la page. Et ses collègues se feraient un malin plaisir à stipuler que, non, il est bien célibataire, juste pour défaire son autorité, ou peu importe. Il fronce ses sourcils. Moi ? Comment ça MOI ? Je croyais que c’était vous qui vouliez vous déguiser de la sorte !

Dehors, ni les rires de l’intérieur, ni la fatigue due à cette journée ne semblait vouloir rester, pour le plus grand soulagement d’Eamon qui ne se voyait pas rester dans cette optique négative en allant boire une bière - le meilleur moment de sa journée quand il décide de la terminer de la sorte. Vite installés au comptoir il n’a pas le temps de dire quoi que ce soit que son binôme a déjà pris en charge la commande. En saisissant son verre à son tour il surenchérit. Et au pire duo de secouristes qui soit ! Il fit tinter son verre contre celui de son camarade. Au fait, on se tutoie ? Conscient qu’en plus de ça, il n’a que son nom comme référence et non pas son prénom, qu’il faudra aussi lui communiquer, les autres pompiers à la caserne l’appelant uniquement par son patronyme.

Milo soupira de bonheur en levant sa pinte, savourant pleinement cet instant de libération. Toute la journée, il avait senti chaque minute s'étirer avec une lenteur presque insupportable, mais maintenant, assis confortablement au bar, une bière fraîche à la main, la sensation de s’être enfin débarrassé de cette maudite formation le faisait sourire malgré lui. Ce trinque avec son formateur marquait une fin, un soulagement qu'il n'aurait pas cru ressentir aussi intensément. La mousse crémeuse sur le bord de son verre glissait doucement, et lorsqu’il porta un toast, il ne put s’empêcher d'éprouver une réelle satisfaction. Ses yeux pétillaient d’un mélange de soulagement et d’amusement, comme s'il goûtait à la première vraie liberté de la journée. Le barman avait servi les bières avec une précision experte, et la légère odeur de malt qui s'échappait des verres ajoutait une note réconfortante à l’atmosphère du bar. Autour d’eux, les conversations flottaient dans l’air, brouhaha lointain qui participait à la convivialité de l'endroit. Milo pouvait enfin se détendre, loin des interminables consignes et de l'atmosphère étouffante de la salle de formation. « À cette formation interminable, » lança-t-il avec un sourire qui disait tout. Il leva son verre en direction de son formateur, prêt à sceller cette journée derrière lui. Le formateur, qui semblait partager son sentiment, ajouta avec un éclat de rire « Et au pire duo de secouristes qui soit ! » Ces mots, si bien choisis, firent éclater de rire Milo. Il ne put s’empêcher de hocher la tête en signe d’accord. « T’as raison ! On n’était vraiment pas le duo le plus performant aujourd’hui, c’est clair. » Il leva sa bière pour trinquer à cette complicité née de leur commun ennui.

Une fois l’éclat de rire passé, Milo s’adossa au comptoir, savourant encore une gorgée de bière. C’était l’occasion idéale de se livrer un peu, maintenant que l’ambiance était plus détendue. « Je vais pas te mentir, » avoua-t-il en posant son verre, « Cette formation, elle m’a vraiment ennuyé à mourir. Je sais qu’elle est utile, hein, mais franchement… j’ai rarement vu quelque chose d’aussi soporifique. » Milo accueillit la proposition avec un soulagement à peine dissimulé, un sourire étirant ses lèvres. « Avec plaisir ! Ça rendra la suite beaucoup plus simple. » Ils trinquèrent à nouveau, cette fois avec une complicité renforcée. Le barman revint vers eux pour vérifier si tout se passait bien, et Milo en profita pour reposer son verre après une nouvelle gorgée, se sentant prêt à en savoir plus sur son compagnon de soirée. Maintenant que la conversation était plus détendue, il décida de s'intéresser à son interlocuteur. « Dis-moi, » commença-t-il, curieux, « depuis combien de temps tu es pompier ? »

Eamon esquisse un sourire, amusé par la franchise de Milo. Il sait bien que les formations ne sont pas faites pour captiver l’attention de tout le monde, surtout pas de gars comme eux qui préfèrent l’action au blabla théorique. En entendant la question de Milo, il pose son verre avec un soupir exagéré, théâtralisant un moment de réflexion, comme s’il comptait mentalement les années.

- Depuis combien de temps ? Oh, ça doit bien faire… assez longtemps pour que j’aie déjà arrêté de les compter, répond-il en riant, avant d'ajouter plus sérieusement : J'ai mis les pieds là-dedans un peu par hasard, tu vois. Ça aurait pu être autre chose, mais une fois dedans, j’ai compris que c’était ça. Et puis y’a des moments comme ceux-là, qui rappellent pourquoi ça vaut le coup.

Raconter toute l'histoire serait contre-productif. D'autant qu'il sait pertinemment que son histoire a souvent apporté plus de questions que de réponses. Il lui a suffit de le voir avec Echo. Il lève de nouveau son verre, pour ponctuer sa pensée, un sourire joueur aux lèvres.

- Enfin, si je t’ai pas encore convaincu de retourner dans l’arène, c’est que je manque vraiment de talent en tant que formateur. Mais bon, je peux me consoler en sachant que j’aurai toujours un duo pourri à mes côtés pour animer la prochaine session !

Il éclate de rire en trinquant avec Milo, appréciant cet instant où les barrières tombent, les laissant juste deux gars fatigués de leur journée, profitant du moment sans autre forme de formalité. D'autant qu'il sait très bien que Milo, ou du moins il s'en doute au vu de sa posture toute la journée, préférerait certainement être immolé par le feu plutôt que d'avoir à revivre une seule de ces formations.