Sans que je n’ai le temps de réellement réagir, Milo nous entraîne tous les deux sur la piste de danse. Etait-ce une bonne idée de partager un moment si proche, si intime ? Sans doute pas. Mais sur le moment, cela me faisait beaucoup de bien dans le fond. Mais cette proximité je le savais d’ores et déjà, je la payerai tout à l’heure quand je me retrouverai chez moi, seule. Alors que nos deux corps se frôlaient légèrement lors de cette danse, je demande pourquoi tout était si compliqué. Il y a a quelques semaines encore, tout semblait si simple, si naturel. A présent tout avait changé. Milo m’avoue alors qu’il souhaiterait pouvoir tout m’expliquer, il me demande de lui laisser un peu de temps pour trouver une solution. Encore une fois, il restait très vague. Ses paroles me laissait dans une totale incompréhension. « J’aimerais tellement savoir de quoi tu parles exactement…Si c’est de ta liberté, de nos projets divergents... » dis-je encore complètement dans le dénis. Milo me rappelle alors qu’il n’y avait jamais eu que moi, qu’il se fichait complètement de Léa ou de n’importe qui d’autre, que c’est avec moi qu’il souhaite être et que ça a toujours été ainsi et que ça le sera toujours. Les mots de Milo me touchent, vraiment. Mais il font aussi mal car je sais que la situation reste la même, nous n’étions à présente que des amis, comme avant. Un retour en arrière que j’avais du mal à accepter. « C'est toi que j'... » Mais Milo ne termine pas sa phrase, peut-être est-ce mieux ainsi après tout. L’entendre me dire qu’il m’aimait en sachant que nous ne pouvions être ensemble serait sans nul doute le pire des châtiments. Milo finit par déposer un baiser sur mon front.

Toujours l’un contre l’autre, les doigts de Milo effleurent avec grande délicatesse ma joue. Puis il m’avoue avoir envie de m’embrasser. Mon regard se plonge dans le sien. Ses doigts suivent la ligne de ma mâchoire. Je sens son souffle chaud. « Milo… ce sera difficile après, pour toi, pour moi, pour nous... » Je le savais, cette proximité ne ferait que rendre le retour à la réalité beaucoup plus rude. Ce n’était pas vraiment un refus plutôt un avertissement. Bien que profitant de cette proximité je pouvais déjà aisément ressentir tout le mal qu’elle pouvait me faire également.

Je ne peux décemment pas avouer à Cassia la véritable raison de notre cruelle rupture. L'excuse fallacieuse de ma prétendue quête de liberté et de nos projets de vie prétendument divergents me permettent encore et toujours de masquer l'atroce vérité que je lui dissimule du mieux que je peux. « Je te promets qu'un jour...un jour Cassia, tu comprendras tout... » C'est la seule réponse, lourde de sous-entendus, que je puisse lui offrir aujourd'hui sans trahir le sombre secret qui me ronge. Lorsque je lui confie avoir terriblement envie de l'embrasser à nouveau, ne serait-ce qu'une fois, sa réaction hésitante mais néanmoins compréhensive ne m'étonne pas réellement. Ce n'est pas un non catégorique mais ce n'est pas non plus un oui inconditionnel. Alors, par respect pour elle, j'honore son souhait implicite et m'abstiens de céder à la tentation dévorante de ses lèvres tentatrices. « Pour nous... » répétai je dans un murmure à peine audible tandis que nos regards s'accrochent avec une intensité nouvelle.  Il existe donc encore un « nous » quelque part au fond de son cœur meurtri. Cette simple prise de conscience fait naître en moi un mélange d'espoir et de culpabilité renouvelée. Nous poursuivons notre danse quelques instants encore, savourant ces précieuses secondes de retrouvailles, avant de finalement nous arrêter, à regret. Ma main ne quitte cependant pas celle de Cassia tandis que je l'entraîne doucement mais fermement à l'écart de la piste de danse animée.

Une fois à l'extérieur du bar, je retire galamment ma veste de costume et la pose sur ses frêles épaules avec un geste d'une tendre familiarité. « Je vais te raccompagner. Quant à ta voiture...Promis, elle t'attendra demain matin devant chez toi et sans aucune rayure » ajoutai-je d'un ton taquin, faisant référence à notre regrettable accrochage de tout à l'heure. « Je t'accompagnerai au travail demain matin... » Même si nous ne formons malheureusement plus un couple, je n'arrive tout simplement pas à lui être pleinement indifférent, et encore moins depuis ces derniers événements. La dernière fois que je suis venu à l'hôpital où elle officie, même si j'ai expressément demandé à Erin de s'occuper de mes soins, mon regard ne cessait de chercher le sien, de guetter sa silhouette familière. À la moindre occasion, je la cherche du regard. Pourquoi ? Parce que sans elle, ma vie ne semble plus avoir aucun sens, aucune saveur. Ma main se glisse naturellement dans la sienne, comme si rien n'avait changé, alors que je sais pertinemment que tout a irrémédiablement changé entre nous. « Nous sommes toujours amis n'est-ce pas ? Tu es ma meilleure amie Cassia. Personne d'autre ne prendra jamais ta place... » Rien ni personne en ce bas monde ne saurait effectivement remplacer Cassia dans mon cœur. Bien sûr, j'ai d'autres amis qu'elle dans ma vie. Bien sûr, je connais certains d'entre eux depuis bien plus longtemps. Mais ce que je partage avec Cassia est d'une nature différente, qui transcende l'amitié pour atteindre une véritable liaison d'âmes sœurs.

Nous montons dans ma voiture garée non loin. L'air frais du début de soirée a considérablement rafraîchi l'habitacle et je sais que Cassia, un peu frileuse, va rapidement avoir froid. Aussi, je m'empresse d'allumer le chauffage et d'activer les sièges massant chauffants que nous avions choisis ensemble lors de notre dernière visite chez le concessionnaire automobile. Ma main trouve de nouveau naturellement la sienne, dans un geste empreint d'une intense familiarité. Je n'ai aucune envie de rompre ce précieux contact, même si je sais pertinemment que je vais amèrement le regretter lorsque viendra l'heure de la quitter ce soir. À moins que...Non, cette idée saugrenue demeure bien trop folle et insensée, même pour moi. Le trajet se déroule dans un silence quasi-religieux, seulement troublé par le ronronnement feutré du moteur. Mon regard ne cesse de se tourner subrepticement vers Cassia, cherchant désespérément à capter le sien pour tenter d'y déceler une once d'espoir.

Une fois parvenus devant chez elle, je prends soin de m'assurer qu'Andrew ne nous surveille pas avant de poursuivre.  Au même moment, de lourds nuages d'orage viennent brusquement obscurcir le ciel nocturne, comme en écho aux ténèbres qui emplissent mon propre cœur. « Attends...Je vais prendre un parapluie pour t'abriter » l'avertis-je sans attendre. Gentleman jusqu'au bout, je m'extirpe précipitamment du véhicule, ouvrant le coffre d'un geste vif pour en extraire un grand parapluie. Je le déplie avec des gestes mesurés avant de contourner la voiture, veillant à ne pas me faire tremper davantage. Puis je m’approche de la portière de Cassia, je l'ouvre galamment, formant aussitôt un cocon protecteur au-dessus de sa tête pour l'abriter des trombes d'eau glacée qui s'abattent avec force. « Il est hors de question que tu tombes malade ! » lui lançai-je d'une voix ferme en la couvant d'un regard déterminé. « Sinon, je vais être obligé de venir chez toi tous les jours pour prendre soin de toi ! » Un sourire mutin vient adoucir la rudesse taquine de mes paroles alors que je tends ma main libre vers elle pour l'inviter à sortir. La pluie redouble d'intensité, martelant le sol dans un vacarme assourdissant, comme si les cieux eux-mêmes pleuraient à l'idée de notre séparation prochaine.

Cassia s'extrait finalement de la voiture avec précaution, se blottissant instinctivement contre moi pour demeurer à l'abri sous le parapluie. Son parfum délicat, presque entièrement recouvert par l'odeur fraîche et épicée de la pluie, vient titiller mes narines. Par réflexe, je passe un bras protecteur autour de sa taille pour la maintenir près de moi. « Prête ? » l'interrogeai-je dans un souffle rauque tout en plongeant mon regard dans le sien avec une intensité brûlante. Sans lui laisser le temps de répondre, je me mets en marche d'un pas mesuré et assuré, tenant fermement le parapluie pour la protéger des violentes bourrasques de vent qui s'engouffrent dans les rues désertes. Les lourdes gouttes ruissellent sur le nylon tendu dans un chuintement apaisant, formant une bulle protectrice tout autour de nous. Chacun de mes pas dans les flaques d'eau déjà formées résonne tel un battement de cœur sourd et lancinant.

Arrivés devant le porche de son immeuble, je m'empresse une nouvelle fois de détourner les yeux, ne souhaitant pas avoir à affronter son regard interrogateur pendant que je lutte intérieurement contre ma conscience. « Je t'accompagnerai jusque devant ta porte pour m'assurer que tu ne sois pas trempée », lui annonçai-je d'une voix rendue légèrement rauque par l'émoi avant d'ajouter. « Après tout, que dirait-on de moi si je te laissais t'enrhumer par un temps pareil ? » Sans lui laisser le temps de protester ou d'acquiescer, je la guide prestement à l'intérieur du bâtiment chaudement éclairé, avec toute la galanterie d'un véritable gentleman soucieux de son bien-être. Une fois parvenus devant sa porte, je me tiens droit, parapluie baissé mais toujours à la main, attendant qu'elle déverrouille d'un geste las. La pluie continue de crépiter sur l'enseigne éclairée de l'immeuble dans un décor des plus romanesques. « Voilà, tu es arrivée saine et sauve », lui déclarai-je avec un léger sourire tout en repoussant une mèche trempée de son visage dans un geste tendre mais empreint d'une mélancolie certaine.  

Pendant une brève seconde insoutenable, nos regards s'accrochent avec une intensité des plus crues, menaçant presque de faire chavirer mes bonnes résolutions. Qu'il est difficile de résister à la tentation de ses lèvres entrouvertes, désireuses d'accueillir les miennes avec une ardeur renouvelée ! Mais je ne peux me permettre un tel écart de conduite ce soir, pour son bien plus encore que pour le mien. Alors je me contente de déposer une simple pression des lèvres sur son front avant de reculer d'un pas. « Passe une bonne soirée Cassia... » ma voix tremble presque malgré moi. « ...et à demain.  » Je repousse d'un geste ferme les mèches trempées qui me tombent sur le front, j'esquisse finalement un salut respectueux avant de me détourner sans attendre, retournant d'un pas vif sous la pluie battante. Cette dernière semble s'être quelque peu calmée, comme si les pleurs mêmes du ciel acquiesçaient à notre séparation avec une sérénité retrouvée.

Sur cette piste de danse, je me sens presque vulnérable. Nous échangeons quelques paroles, mais je ne savais toujours pas ce que pensait exactement Milo. C’était un véritable supplice bien qu’encore une fois, le pilote de ligne me promet qu’un jour je comprendrai tout. Par ailleurs, moi qui m’étais promis de me forger une carapace, de me protéger de la souffrance engendrée par cette rupture, je ne cessais de baisser la garde dès que Milo était à proximité. Toutefois, lorsque le jeune homme évoque le souhait de m’embrasser je ne peux m’empêcher, pour nous, de souligner une douleur certaine après cet échange. Milo semble comprendre, nos regards se croisent à nouveau et finalement il semble vouloir s’abstenir, pour nous.

La danse terminée, ma main reste dans celle de Milo. Nous quittons la piste et nous nous dirigeons à l’extérieur de la salle. Milo retire sa veste de costume pour la poser sur mes épaules, je le remercie d’un léger sourire. Il m’annonce ensuite vouloir me raccompagner, précisant que ma voiture m’attendra demain matin devant chez moi sans aucune rayure et qu’il m’accompagnera demain au travail. J’esquisse un léger sourire. Etait-ce une bonne idée ? Je n’en savais trop rien. « Je te dirais bien que tu n’es pas obligé de faire cela mais je sais que tu le feras quand même... » Milo était très obstiné quand il s’y mettait. « C’est gentil, merci. » dis-je en guise d’acceptation. La main du jeune homme glisse naturellement dans la sienne. Ce geste simple me pince malgré tout le cœur. Il était doux, tendre mais me rappelait toutes ces limites  présentes entre nous maintenant. Lorsque Milo me demande si nous étions toujours amis, rappelant que j’étais sa meilleure amie et que personne d’autre ne pourra jamais prendre ma place, mon regard se pose sur lui. « Je comptais justement te poser la même question... » avouai-je le plus sincèrement du monde. « Nous le sommes encore. Même si c’est devenu compliqué… Je ne veux vraiment pas perdre notre amitié... » Même si nous n’étions plus ensemble, même si cet échec perdurera, notre amitié elle doit pérenniser. C’était mon plus grand souhait.
 
Nous montons alors dans la voiture et Milo se met en route. Je constate qu’il allume le chauffage pour réchauffer l’air ambiant de l’habitacle et qu’il active l’option des sièges massant et chauffant. « C’est en effet une option très agréable... » dis-je simplement un léger sourire aux lèvres. Le reste du trajet se passe en silence, nos mains se trouvent, comme avant, naturellement. Mais je reste malgré tout silencieuse, un peu perdue face à la situation. Une fois arrivés devant chez moi, l’orage gronde et menace. La pluie commence à tomber. Milo me demande d’attendre avant de sortir du véhicule pour lui laisser le temps de prendre un parapluie. Il sort alors en premier et sort un parapluie du coffre avant de venir vers le côté passager. Milo ouvre la portière, tel un véritable gentleman. Ses commentaires quand au fait de devoir prendre soin de moi si je venais à tomber malade me font sourire. Un sourire que nous venons à partager d’ailleurs. Puis je sors du véhicule avec son aide en prenant soin de rester sous le parapluie, me blottissant contre Milo. Ce dernier me demande si je suis prête, je réponds d’un simple hochement de tête avant de suivre son pas rapide et déterminé qui cous conduisait jusqu’au porche du petit immeuble. Arrivés devant le porche, Milo semble décidé à m’accompagner jusque devant ma porte pour m’assurer que je ne sois pas trempée. Sa question, presque rhétorique, sui suit me faire sourire. Je n’ai pas vraiment le temps de répondre, Milo prend les devant et me guide à l’intérieur du bâtiment. Une fois devant la portée d’entrée, Milo constate d’un ton un peu théâtrale au vue de la situation qui n’était autre qu’une grande averse que j’étais arrivée saine et sauve. « Oui, merci... » dis-je presque un peu perturbée par le simple fait qu’il repousse une de mes mèches de cheveux trempée. Nos regards se croisent. Milo dépose un baiser sur mon front et me souhaite une bonne soirée tout en me soulignant le fait que l’on se reverra demain. « Bonne soirée à toi aussi... » Je le regarde alors se retourner, prêt à affronter la pluie battante qui semblait s’être un peu calmé malgré tout. Je fais quelques pas « Milo, attends... » Le pilote de ligne se retourne alors vers moi « Il pleut encore des cordes dehors… Si tu veux, tu peux attendre un peu chez moi, à l’abri. Le temps que l’orage passe... » J'avais du mal à croire que je venais de lui proposer cela. Mais comme dit tout à l'heure nous restions malgré tout ami. Et donc même en tant que simple ami je ne pouvais pas le laisser partir ainsi, avec cet orage intense dehors.

Alors que je m'éloigne d'un pas lourd sous les trombes d'eau ruisselantes, la voix chaude et familière de Cassia s'élève soudain dans mon dos. « Milo, attends… » Je me retourne vivement, les gouttes glacées venant s'écraser sur mon visage avec une vigueur renouvelée. « Il pleut encore des cordes dehors… Si tu veux, tu peux attendre un peu chez moi, à l’abri. Le temps que l’orage passe... » Je demeure un instant interdit, surpris par cette proposition aussi soudaine qu'inattendue. Un large sourire étire alors la commissure de mes lèvres tandis que je hoche la tête avec un soupçon d'espièglerie retrouvée. « C'est toujours aussi énervant lorsque tu as raison...  » réponds-je simplement en revenant sur mes pas d'un pas vif, acceptant son offre sans autre forme de procès. Nous prenons l'ascenseur, disposition que je déteste habituellement par principe, mais ce soir, je prends sur moi car Cassia est là, et c'est désormais tout ce qui compte. L'air confiné est rapidement saturé de la douce fragrance de son parfum capiteux, une délicate senteur musquée et florale qui vient titiller mes narines avec gourmandise. Chaque tressautement de la cabine, chaque mouvement d'à-coup fait battre mon cœur un peu plus vite et plus fort dans ma poitrine, non par peur de l'exiguïté de l'espace, mais bien à cause de la délicieuse proximité de Cassia. Je peux presque sentir la chaleur de son corps irradier vers le mien, comme une invitation muette à franchir les dernières distances qui nous séparent encore.

Une fois la porte de son appartement refermée dans notre dos, un long soupir fait se soulever mes épaules. Mes mains se posent doucement sur celles-ci pour retirer galamment ma veste trempée que je lui avais prêtée un peu plus tôt. Nos regards se croisent alors avec une intensité brûlante et soudaine... Mes yeux s'abaissent presque malgré moi, effleurant d'un lent regard gourmand la courbe tentatrice de ses lèvres finement ourlées. Celles-ci semblent soudain m'appeler comme une invitation des plus tentantes à franchir l'insoutenable distance qui nous sépare encore. À cet instant précis, je n'éprouve soudain plus qu'un unique et irrépressible désir : celui de l'embrasser à en perdre haleine, de retrouver par ce simple geste la douceur qui me manque tant. Cette dernière semble comme magnifiée par l'éclat subtil de sa peau sous la lumière tamisée, chaque délicate rainure de ses lèvres créant de voluptueux reflets dont je ne peux à présent détacher mon regard gourmand.

Je sens le désir croître en moi tel un feu ardent, m'envahissant tout entier avec une force renouvelée, prêt à franchir d'une impulsion cette mince ligne entre le désir et l'action. Mes mains hésitent un bref instant, frémissantes, avant de glisser avec lenteur le long de ses épaules nues. Tandis que je me penche légèrement vers elle, irrésistiblement attiré par cette furieuse envie de goûter à nouveau à la tendresse de ses lèvres tentatrices, la distance entre nous se réduit. Mais au dernier moment, comme frappé par un brutal accès de lucidité, je me retiens, demeurant immobile et tendu comme un arc, pétrifié par la peur soudaine de céder à la tentation dévorante de nos retrouvailles. Peut-être est-ce le souvenir encore trop vif et douloureux de notre rupture qui me retient. Ou bien la crainte de rouvrir des blessures à peine refermées. Je sais pertinemment que l'embrasser maintenant serait succomber à un désir certes irrésistible, mais aussi une véritable épreuve pour nous deux. Une lutte sourde s'engage alors en moi tandis que mes lèvres demeurent immobiles à quelques misérables centimètres des siennes, seule une infime brume de désir palpable les séparant encore.

Dans le silence désormais lourd de cette tension à son comble, je lutte désespérément contre ce violent désir incandescent qui menace de me submerger totalement. Me répétant en boucle que ce n'est définitivement pas le moment, pas après tout ce que nous avons traversé ces dernières semaines. Pourtant, rien que de sentir le souffle chaud et haletant de Cassia caresser ma peau fait dangereusement vaciller ma volonté déjà bien malmenée. Chaque seconde qui s'égrène me rapproche un peu plus de ce point de non-retour dont je ne suis absolument pas certain de vouloir revenir. Le parfum subtil de ses cheveux, la proximité de son corps et la douceur de sa peau ne font qu'accentuer la tension entre nous. Les battements de mon cœur s'accélèrent, chaque instant passant me rapprochant un peu plus d'elle. Mes doigts caressent doucement sa nuque, luttant contre l'envie de la tirer contre moi. Mes lèvres s'approchent encore plus près, presque à toucher les siennes, comme attirées par une force invisible. Et pourtant, malgré cette attraction irrésistible, je lutte pour rester maître de moi-même, essayant désespérément de respecter les barrières que je sais devoir respecter. Mais la tentation est puissante, et le désir de l'embrasser me brûle de l'intérieur.

Mes yeux ne quittent pas les siens, plongés dans cette profondeur où se mêlent des émotions que je ne peux totalement déchiffrer. La tension entre nous est palpable, chaque centimètre de distance entre nos lèvres semble un abîme que je suis prêt à franchir. Mon cœur bat à tout rompre alors que la lutte interne entre la tentation et la raison se déroule dans mon esprit.  Ma main effleure sa joue, la caresse de mes doigts contre sa peau me fait frémir. Je prends une profonde inspiration, sentant le parfum subtil de ses cheveux. Mes lèvres se rapprochent doucement des siennes, le désir de l'embrasser se mêlant à la crainte de rouvrir des blessures encore fraîches. Je veux être sûr et certain qu'elle désire la même chose, qu'elle ne se sente pas poussée par la situation, alors je murmure doucement « Cassia, est-ce que je peux t'embrasser ? » Mes mots s'échappent presque en un souffle, remplis d'un désir intense mais teintés de douceur. Mon pouce trace une ligne le long de sa mâchoire, s'arrêtant au coin de ses lèvres, comme une promesse silencieuse. Je sais que je veux l'embrasser, que chaque fibre de mon être en a envie, mais j'attends, suspendu à sa réponse.

Nous venions tout juste de nous saluer, comme nous avions l’habitude de le faire avant, comme deux amis en soit. Mais en voyant Milo se diriger à l’extérieur du bâtiment alors que l’orage menaçait encore et que la pluie tombait abondamment, je n’avais pas pu me résoudre à le laisser ainsi. Alors je l’interpelle, lui proposant de rester chez moi le temps que l’orage passe. Il serait sans nul doute mieux à l’abri, au sec et au chaud. Milo accepte, non sans faire une petite remarque qui me fait sourire. « Depuis le temps, tu devrais avoir l’habitude... » dis-je en me laçant faussement des éloges, car ce n’était pas du tout mon genre habituellement. Nous nous dirigeons alors vers l’ascenseur pour monter à l’étage où se trouvait mon appartement. Devant la porte d’entrée, je fouille rapidement dans mon sac pour y sortir mon trousseau de clé. Une fois la porte ouverte, j’allume la lumière et nous pénétrons tous les deux à l’intérieur de l’appartement.  

Une fois la porte refermée, Milo se débarrasse de sa veste. Je fais de même, je pose également mon sac et retire mes chaussures. Nos regards se croisent, il est difficile de ne pas vouloir prolonger cet échange mais il est aussi difficile de supporter une telle intensité. Les mains de Milo glissent le long de mes épaules dénudées. Un contact si doux, si délicat qu’il fait frissonner mon corps tout entier. Milo se penche légèrement vers moi. Dois-je lui dire d’arrêter ? Mais aucun mot ne semble vouloir sortir de ma bouche. Les doigts de Milo caressent doucement ma nuque, ses lèvres se rapprochent davantage des miennes à un tel point que je peux sentir son souffle chaud. Mes mains quant à elle viennent se poser sur son torse. Que devais-je faire ? Céder à cette douce tentation ? Fuir ? Le rythme de mon myocarde est anormalement élevé, il l’est davantage quand la main de Milo effleure ma joue. Mon regard est littéralement perdu dans le sien. Finalement, alors que je pensais que Milo allait céder à la tentation, il me demande finalement si il pouvait m’embrasser. « J’en ai vraiment très envie Milo... » avouai-je alors sans gêne. « Mais que signifiera ce baiser ? Est-ce qu’il marquera la fin de notre rupture, le début d’un recommencement… ? » demandai-je alors curieuse, soucieuse de savoir ce à quoi ce baiser nous mènerait tous les deux. Et tout au fond de moi, j'y croyais beaucoup à ce recommencement. Une part de moi espérait toujours que cette rupture cesse, et le comportement de Milo de ce soir me faisait croire que cela était possible.

Je regarde Cassia avec une attente fébrile, espérant que son silence accorde la permission muette que je recherche pour combler cette distance devenue soudain insupportable. Mais dans la profondeur de ses prunelles obscurcies se reflète une complexité d'émotions que je ne peux désormais plus ignorer. Il y a comme une hésitation perceptible, une lueur de doute et d'incertitude mêlée à une indéniable affection qui n'a pourtant pas disparu malgré les semaines. Elle prend une inspiration tremblante, son regard de braise ancré dans le mien, et je sens dans ce silence désormais lourd de non-dits une réponse que je n'attendais pas, que je ne voulais pas voir venir. Ses lèvres s'entrouvrent finalement dans un souffle ténu, et je comprends qu'elle s'apprête à prononcer les mots qui viendront séparer nos deux corps encore frémissants de cette tension à son comble. « Mais que signifiera ce baiser ? » murmure-t-elle d'une voix chargée de douceur et d'espoir tout à la fois. « Est-ce qu'il marquera la fin de notre rupture ? Le début d'un recommencement... » Je demeure immobile, pétrifié, tandis que le poids de ses paroles vient s'écraser sur mes épaules avec la force d'une évidence. Elle ne dit ni « non » ni « oui », mais je lis dans la profondeur de son regard cette peur de précipiter les choses. De rouvrir trop vite des blessures encore à vif et de se retrouver une fois de plus démunis face à l'incertitude d'un avenir commun. Je prends une inspiration profonde pour tenter de calmer les battements erratiques de mon cœur. Mes doigts glissent lentement le long de sa joue avec une tendresse renouvelée tandis qu'une vague de déception vient m'engloutir.  « Je suis désolé... » murmurai-je dans un souffle rauque, cherchant vainement à masquer la frustration dans ma voix. À regret, je m'éloigne d'un pas, essayant de ravaler ce désir encore brûlant qui menace de me submerger à nouveau. L'espace grandissant entre nous semble faire redescendre la tension d'un cran tandis que je m'efforce de prendre du recul, autant physiquement que mentalement. Je lui adresse un pâle mais néanmoins sincère sourire, espérant lui faire comprendre que je respecte son choix, aussi douloureux soit-il pour moi. Pour nous. « Laisse-moi juste le temps de trouver une solution, Cassia... » Mes doigts effleurent une dernière fois sa main avec une tendresse résignée avant de se détacher à regret. « Je te le promets. »

La nuit s'étire en une longue et pénible succession d'heures sombres et silencieuses, tandis que je lutte désespérément contre le flot tumultueux de pensées qui s'entrechoquent dans mon esprit tourmenté. La lourde déception, pesante comme un fardeau de pierre, m'écrase la poitrine à chaque fois que mes pensées reviennent se heurter à Cassia et à nos retrouvailles, si près d'aboutir avant d'être définitivement avortées. Une colère sourde et grandissante gronde en moi telle une lave bouillonnante, dirigée autant contre Andrew et son insidieux chantage que contre moi-même et mon incapacité à trancher ce nœud gordien qui étreint nos vies depuis trop longtemps déjà. Si ce n'était pour lui et ses menaces, rien de tout cela ne serait jamais arrivé...

Après avoir quitté l'appartement de Cassia d'un pas lourd, je m'effondre sur mon lit sans même prendre la peine de me dévêtir, les yeux désormais grands ouverts et rivés vers le plafond d'un air hébété. L'épuisement physique et mental n'a pourtant d'égal que le profond vide émotionnel dans lequel je me noie désormais, incapable de trouver la moindre once de repos salvateur. Les heures défilent avec une lenteur désespérante, chaque minute semblant s'égrener dans un silence glacial et tourmenté. Mes pensées s'éparpillent sans logique aucune, se heurtant aux parois de mon crâne avec la violence de vagues déferlantes sur des falaises abruptes. La colère envers Andrew et son influence délétère sur nos vies ne fait qu'attiser le feu de ma frustration, rendant impossible tout espoir de repos. Quand le petit matin arrive enfin, après cette nuit d'insomnie à me consumer dans les affres de la confusion, j'ai déjà pris ma décision. Je ne peux laisser cette situation infernale s'éterniser plus longtemps. Me levant d'un bond, je passe rapidement une tenue fraîche avant de me rendre à la boulangerie du coin pour récupérer quelques viennoiseries encore tièdes et délicieusement parfumées. Un déjeuner maigre consolation certes, mais j'espère que ces gourmandises parviendront peut-être à réconforter Cassia. De là, la route est directe jusqu'à notre ancienne université pour récupérer la voiture de Cassia comme convenu. Cette dernière étape franchie, je prends la direction de l'immeuble de la jeune femme d'un pas déterminé, bercé par la douce odeur de pâtisseries chaudes s'échappant du sachet en papier. Arrivé sur place, je gravis les escaliers d'un pas pressé, la colère et la tristesse m'accompagnant chaque marche un peu plus lourdement. Une fois devant sa porte, je prends une profonde inspiration pour tenter d'apaiser le tourbillon d'émotions contradictoires qui bouillonne encore en moi. Puis, les viennoiseries fermement serrées dans un poing, je frappe doucement dans le battant de bois.

Depuis que nous avions franchis le pas de la porte, nos regards ne cessaient de se croiser. On ne pouvait pas nier la présence d'une tension électrique palpable entre nous. L'envie, le désir de l'autre était toujours présent, cela se voyait. Rapidement, nos corps se rapprochent, tout comme nos lèvres. Milo me demande la permission de m'embrasser. Mon rythme cardiaque s'accélère à la simple idée de pouvoir échanger un baiser passionné, à en perdre le souffle, avec le pilote de ligne. Toutefois, une interrogation me parvient. Que signifierait ce baiser ? Ce dernier mettrait-il fin à notre rupture ? Annoncerait-il le début d'un recommencement ? Je veux savoir, j'en ai besoin. Ce minime espoir encore présent en moi malgré ces semaines passés me pousse à poser la question à Milo. En guise de réponse, le jeune homme s'excuse. Je comprends alors immédiatement ce que cela signifie. La déception et la tristesse peuvent sans doute se lire aisément sur mon visage. Milo me demande alors de lui laisser le temps de trouver une solution. Une solution à un problème que j'ignorais. A nouveau il me le promet. Lorsque Milo quitte mon appartement, je sens à nouveau cet immense vide dans mon cœur. C'était la même sensation qu'il y a quelques semaines, ce fameux jour où le pilote de ligne m'avait annoncé vouloir rompre. J'avais fais bonne figure devant lui, du mieux que je pouvais. Mais une fois seule, j'avais à nouveau laisser place à la mélancolie, à la colère et à la tristesse. C'est donc seule que je rejoins mon lit avec les yeux encore quelque peu rougis à cause des larmes que je n'avais pas pu m'empêcher de verser.

La nuit est courte, entrecoupée par de nombreux réveils. Je repense à la soirée, à nos échanges avec Milo. A ses promesses, à cette solution dont il ne me cesse de parler et à ce problème dont j’ignore tout. Les interrogations sont nombreuses si bien que cela me réveille plusieurs fois. Lorsque le réveil se met à sonner, je l’éteins immédiatement. J’étais déjà réveillée et déjà perdue dans mes songes. Je me dirige à la salle de bain pour prendre une douche et m’habiller. Une fois prête, je prépare du café. C’est à cet instant là que j’entends quelqu’un frapper à la porte. Si tôt, j’étais étonné. Mais rapidement je me souviens de la conversation que j’avais eu hier avec Milo. Malgré la manière dont la soirée s’était terminée, il était apparemment quand même venu pour me ramener ma voiture et sans nul doute pour m’accompagner au travail. Dans le fond, cela ne m’étonnait pas. Je vais donc ouvrir la porte et tombe donc sans surprise sur Milo. « Salut... » dis-je simplement. Je ne savais pas trop comment agir et la courte nuit que j’avais passée ne m’aidait pas. Je me décale légèrement, l’invitant ainsi à entrer. « J’étais en train de me faire un café. Tu en veux un ? » dis-je en refermant la porte derrière lui. Après tout, il était venu comme il me l’avait dit la veille je ne pouvais décidément pas le renvoyer chez lui. Même si je devais bien l’avouer, je ressentais encore beaucoup de colère, d'incompréhension et de déception en moi.

Une fois que Cassia m'invite à entrer d'un signe de tête hésitant, je pénètre dans la quiétude familière de son appartement, essuyant d'un revers de manche les quelques gouttes de pluie qui perlent encore sur le col remonté de ma veste. J'esquisse un pâle sourire en direction de la jeune femme, bien que je sente le poids encore cuisant de notre dernière conversation malaisée peser lourdement sur mes épaules. Je m'avance d'un pas mal assuré dans son petit salon, posant presque avec précaution le petit sac de viennoiseries sur la table basse de la cuisine dans un froissement de papier. J'espère vainement que le délicat parfum de beurre chaud et de pâte dorée qui s'en échappe parviendra peut-être à alléger quelque peu l'atmosphère pesante qui semble désormais nous écraser.

Le silence entre nous est soudain palpable, presque rendu tangible par la tension qui ne demande qu'à éclater au grand jour. Je cherche furtivement son regard, mais elle semble l'éviter avec application, ses prunelles fuyantes trahissant les tumultes de pensées qui doivent l'assaillir en ce moment même. Le temps s'étire de longues secondes insoutenables tandis que je cherche désespérément les mots justes qui permettraient de briser ce lourd silence. Finalement, je prends une profonde inspiration tremblante et me décide à parler le premier, brisant ce silence assourdissant. « Cassia… Je vais partir. Plusieurs semaines, peut-être même plus… » Ma voix est d'une douceur presque suppliante tandis que j'espère que mes premiers mots ne la surprendront pas trop brutalement.

Comme je m'y attendais, elle lève vivement les yeux vers moi, son regard désormais rempli d'interrogations muettes auxquelles je m'empresse de répondre. « Le colonel… J'ai fini par accepter plus ou moins l'une de ses propositions. Je pars pour un pays du Moyen-Orient, il m'a demandé de l'accompagner. » Je m'arrête un instant, jaugeant sa réaction à mes paroles d'un œil attentif. Mes mains viennent naturellement se poser sur le dossier d'une chaise dans un geste d'appui, tandis que les mots continuent de s'écouler de mes lèvres à un débit plus rapide que je ne l'aurais souhaité. « Cassia, je suis désolé. Mais la vérité, c'est que plus rien ne me retient vraiment à Fall River… » Ma voix s'éteint dans un souffle, se laissant absorber par le silence pesant entre nous deux. Je peux lire la surprise et la tristesse se mêler dans les prunelles de Cassia à mesure que le sens de mes paroles la transperce, et cette vision me serre douloureusement le cœur.

Les semaines passées, tout ce que nous avons traversé ensemble avant d'en arriver là, défilent furtivement dans les tréfonds de mon esprit encore embrumé par les récents événements. Je sens les émotions grandir en moi à une vitesse vertigineuse, ma gorge se nouer sous la pression de ces sentiments contradictoires. Pourtant, je parviens à ajouter d'une voix empreinte d'une conviction peut-être trop fragile. « Je reviendrai ! » J'espère vainement que ces quelques mots suffiront à apaiser un peu l'angoisse que je peux désormais lire dans le regard de Cassia. D'un pas, je comble la distance physique entre nous qui me semble soudain aussi large qu'un océan. « Si je pars, c'est parce que je pense que c'est la meilleure chose à faire pour l'instant. Mais ça ne veut pas dire que je veux laisser tout ça derrière moi pour autant ! » Ma voix s'est faite plus basse, chargée d'une sincérité à laquelle je m'accroche encore désespérément. « Je vais trouver un moyen de revenir, Cassia, je te le promets. Et alors, peut-être que tout ceci aura enfin un sens… » Je laisse mes derniers mots planer dans cette atmosphère surchargée d'émotions contradictoires, essayant vainement de déceler dans les prunelles de la jeune femme une once de compréhension qui m'aiderait un tant soit peu à apaiser ce tourment intérieur qui menace de me submerger à nouveau.

Je n’étais pas réellement étonnée de voir Milo chez moi ce matin et de si bonne heure. Bien que notre conversation d’hier soir est été disons écourtée, Milo avait toujours eu une seule parole. Il était donc venu ce matin, comme convenu la veille, pour me ramener ma voiture et m’accompagner au travail. L’atmosphère était quelque peu pesante. Milo restait mon meilleur ami certes, mais une part de moi en voulait plus malgré tout et ne comprenait pas, n’acceptait pas la situation entre nous. Je vois Milo déposer un sac dans lequel se trouvait sans nul doute des viennoiseries, l’odeur était d’ailleurs des plus alléchantes. « Merci... » dis-je alors pour re remercier de cette petite attention. Je sors alors deux tasses pour y verser du café dedans. Mais je m’arrête soudainement quand Milo m’annonce qu’il allait partir plusieurs semaines, peut-être même plus. Mon visage se lève instinctivement vers lui. Où allait-il bien pouvoir aller si longtemps ? Je n’ai pas le temps de demander davantage de détails puisque Milo ajoute qu’il avait fini par accepter plus ou moins une des propositions du colonel. Je me souviens très bien de cette soirée où il m’en avait parlé, à ce moment là il avait refusé. Mon rythme cardiaque accélère lorsque Milo m’indique sa destination : le Moyen-Orient. « Milo, non... » Qu’il parte à des milliers de kilomètres pour sa compagnie aérienne était une chose mais le faire pour l’armée c’était bien différent. J’observe Milo prendre appui sur l’une des chaises, il s’excuse et m’avoue que la vérité c’était que plus rien ne le retenait vraiment à Fall River. A ce moment là, je ressens une immense vague de colère mais aussi beaucoup de tristesse. «  Et nous alors !? » Pensait-il vraiment ce qu’il était en train de dire ? « Notre amitié... » Hier encore, à défaut de pouvoir être plus,  j’avais déclaré à Milo que nous étions toujours amis. Notre amitié était préservée, du moins c’est ce que je pensais jusqu’à maintenant. Milo souhaitait partir, plus rien ne le retenait en ville, même pas moi. Ses paroles étaient bien difficile à entendre.

Le jeune homme tente de me rassurer en me disant qu’il reviendrait. Il m’annonce que si il partait c’était parce qu’il pensait que c’était la meilleure chose à faire pour l’instant mais que cela ne voulait pas dire qu’il souhaitait laisser tout cela derrière lui pour autant. Milo me promet qu’il trouverait un moyen de revenir. Face à lui, mon regard se plonge dans le sien « Tu penses vraiment que partir est une solution ? Milo tu n’es pas obligé de faire ça… » Je soupire, les émotions étaient intenses et se mélangeaient. « Je sais que la situation est compliquée mais ce n’est pas une raison pour partir risquer ta vie à des milliers de kilomètres… Il y a sans doute d’autres solutions... » Je me sentais à la fois coupable de son départ mais aussi profondément abandonnée.

La réaction de Cassia est sans appel et ne me surprend guère. Un mélange de surprise, de tristesse et de colère s'empare de sa voix et fait trembler ses prunelles lorsque je lui annonce qu'il n'y a désormais plus rien qui me retienne réellement à Fall River.  « Et nous alors ?! » s'exclame-t-elle d'un ton vindicatif avant de préciser d'une voix plus mesurée, mais néanmoins chargée d'émotions : « Notre amitié… »  Un mince sourire nostalgique et désabusé vient effleurer mes lèvres à ces mots. Les souvenirs d'une époque qui me semble désormais si lointaine affleurent dans les tréfonds de mon esprit… Je nous revois alors, main dans la main, l'un contre l'autre, au jour béni où je lui avais annoncé renoncer à cette proposition du colonel. Je lui avais confié ce soir-là que ma place était ici, auprès d'elle, et non à crapahuter à des milliers de kilomètres pour risquer ma vie. Aujourd'hui, la situation a changé du tout au tout. Nous ne sommes plus un couple uni. Plus rien ne me retient donc véritablement ici désormais. « Nous… Notre amitié… » répétai-je dans un murmure amer, comme une litanie que je n'accepte toujours pas. « Je n'ai effectivement plus rien qui me retienne réellement à Fall River, Cassia. » En voyant son regard vaciller, je ressens toute la tristesse qui l’envahit et cette dernière me transperce de part en part. La Cassia que je connais, fière et forte, vacille à ces mots. Je vois son désarroi se mêler à l’incompréhension, comme si elle tentait de trouver un sens à tout cela. Le poids de mes paroles me tombe lourdement sur les épaules. Les souvenirs des moments que nous avons partagés, de nos projets et de nos promesses, me rappellent à quel point j'avais espéré bâtir un futur ici, avec elle. Mais ces derniers temps, ces espoirs se sont transformés en une douloureuse réalité que je peine à affronter. « Plus rien ne me retient ici, Cassia, » répétai-je, ma voix tremblante. « Je ne peux plus rester ici, entouré de tout ce qui me rappelle ce que nous avions. » Je respire profondément, cherchant à trouver la force de continuer. « Notre amitié, notre relation... tout cela sont si important pour moi. Mais aujourd'hui, ça me fait trop mal. Je ne peux plus faire semblant que tout va bien alors que je suis brisé à l'intérieur. » Je vois la douleur dans ses yeux et une partie de moi regrette d'avoir été aussi direct. Mais je sais que je dois être honnête avec elle, pour que nous puissions tous les deux avancer, d'une manière ou d'une autre. « Je suis désolé, Cassia. Mais je dois partir. »

Je m'approche d'un pas supplémentaire, réduisant l'espace nous séparant à sa plus simple expression. Une proximité à la fois rassurante et déchirante après ces semaines de séparation forcée. Je n'ai cependant pas le cœur à lui annoncer que mon départ pour cette mystérieuse mission est programmé dès le lendemain de son anniversaire. De toute façon, je sais pertinemment que nous ne passerons pas cette journée emblématique ensemble cette année, pour la première fois depuis que nous nous connaissons. « Je ne sais pas si c'est la bonne solution, crois-moi... » murmurai-je d'une voix rauque où perce toute la détresse qui m'étreint. « Je pense à toi chaque jour, Cassia. Il n'y a pas une seule nuit où je ne m'endors pas en pensant à ton absence à mes côtés. Je n'ai plus vraiment d'appétit ni de réel sommeil réparateur... » Ma voix se brise un bref instant, les sanglots menaçant d'affluer au grand jour avant que je ne parvienne à reprendre d'une voix éraillée par l'émotion brute qui me submerge. « Je ne peux plus t'embrasser, te toucher comme avant... Et pourtant, j'entends encore ta voix résonner au plus profond de mon être, même si je sais que ce n'est désormais plus qu'un lointain et cruel souvenir. Je me souviens encore de ton odeur enivrante... Certaines de mes chemises en sont encore imprégnées... »

Un sanglot étouffé m'échappe malgré mes efforts pour le contenir. Mon regard se fait plus insistant tandis que je la considère avec une intensité brûlante. « Je ne sais pas si partir est une bonne idée, mais peut-être que je souffrirai un peu moins là-bas... Ici, tout me ramène inlassablement à toi, Cassia. À tout ce bonheur que j'ai irrémédiablement gâché car je n'ai pas su te protéger comme je l'aurais dû et pu... » Je m'arrête un instant, la gorge si douloureusement nouée par les flots de tristesse et de souffrance que je contiens depuis des semaines qu'ils menacent d'exploser au grand jour à tout moment. Puis, presque dans un souffle, je repars d'une voix rendue rauque et brisée. « J'ai tout le temps... Tout le temps envie de te prendre dans mes bras, de t'embrasser comme avant, de pouvoir te dire que c'est fini, que nous pouvons reprendre le cours de notre vie exactement là où elle s'est arrêtée si brutalement... Mais je sais qu'aujourd'hui, c'est désormais impossible, Cassia... »

Mon regard ne cesse d'étreindre le sien avec une intensité brûlante tandis que je livre ainsi mon âme à nu, révélant à quel point cette rupture me dévaste de l'intérieur. Les mots affluent désormais naturellement, presque par flots tumultueux qu'il m'est impossible de contenir plus longtemps. « Tu sais, les ruptures, j'en ai connu d'autres par le passé... Mais aucune comme celle-ci, tu m'entends ? Aucune rupture n'a jamais été aussi dévastatrice, aussi... insupportable que celle-là ! C'est tellement différent de tout ce que j'ai pu connaître auparavant, tellement plus fort, tellement... destructeur... » Un rire nerveux et dépourvu de la moindre once d'amusement véritable vient agiter mes épaules avant que je ne parvienne à reprendre d'une voix frissonnante d'émotions à peine contenues. « Quand je te disais que tout était différent avec toi, Cassia... Je ne me doutais pas à quel point ces simples mots prendraient tout leur sens aujourd'hui. Notre histoire, nos sentiments... Tout était tellement unique, tellement... intense. Et aujourd'hui, la douleur de notre séparation n'en est que plus insoutenable... » Incapable d'en dire davantage sans risquer de m'effondrer complètement, je me tais, laissant le silence chargé de non-dits et d'émotions à vif planer entre nous. Mon regard désarmé ne cesse d'implorer le sien dans l'espoir d'y puiser un peu de cette force qui me fait désormais cruellement défaut.

Je ne pouvais cacher ma déception et mon inquiétude face à la nouvelle que venait de m’annoncer Milo. Lorsque ce dernier évoque le fait que plus rien ne le retenait à Fall River, je me sens presque vexée, abandonnée. Je tente comme je peux de le raisonner, de lui rappeler que notre amitié était encore présente et que donc sa présence ici, à Fall River était nécessaire. Toutefois, mon argument ne semble pas réellement valable aux yeux du jeune homme puisque ce dernier me répète qu’il n’avait effectivement plus rien qui le retenait à Fall River. A l’entente de ces mots, je ressens une immense tristesse et une once de colère m’envahir. « Si tu le dis... » Je n’étais pas d’accord avec cela, mais je savais que Milo pouvait être très obstiné. Apparemment il avait déjà pris sa décision. Le pilote de ligne se lance alors dans une longue tirade, m’expliquant alors qu’il ne pouvait pas rester ici entouré de tout ce qui lui rappelait ce que nous avions. Il souffrait lui aussi. Ce qu’il vient ensuite m’avouer sur le fait qu’il pensait à moi chaque jour, qu’il n’y avait pas une seule nuit où il ne s’endormait pas sans penser à mon absence à ses côtés me brise le cœur. Milo était tout aussi malheureux que moi. Nous souffrons tous les deux. Les confessions de Milo sont profondément touchantes, je sens mes yeux s’humidifier légèrement. « Je comprends ce que tu ressens Milo. Je t’assure… Je ressens exactement la même chose, je suis dans le même état... » avouai-je alors. Je pensais à Milo tout le temps, son manque était omniprésent et difficilement supportable. L’appétit se faisait rare comme les heures de sommeil réparatrices.

J’avais rarement vu Milo aussi ému. Je le sentais démuni face à la situation. Et quand le jeune homme m’avoue qu’il ne savait pas si partir était une bonne idée, cela me confirma ce que je pensais. Milo pensait qu’une fois loin de Fall River, il souffrirait moins, car ici tout le ramenait à moi, à ce bonheur, à notre bonheur perdu. « J'ai tout le temps... Tout le temps envie de te prendre dans mes bras, de t'embrasser comme avant, de pouvoir te dire que c'est fini, que nous pouvons reprendre le cours de notre vie exactement là où elle s'est arrêtée si brutalement... Mais je sais qu'aujourd'hui, c'est désormais impossible, Cassia... » Cet aveu est tellement puissant qu’il en est difficilement supportable. D’ailleurs, je sens à présent quelques larmes couler le long de mes joues. « Mais tu n’es pas obligé de partir… Pas si loin et pas pour l’armée... » dis-je d’une voix plus que fébrile. « Si tu ne restes pas pour moi, fais le pour tes parents... » Je me demande bien comment allait réagir Aaron et Robyn. Milo continue ces aveux, cette fois-ci en me disant qu’il avait connu un bon nombre de rupture mais jamais comme celle-ci. Étrangement, je comprends parfaitement, sans doute parce que je ressentais la même chose. Milo conclu en disant que notre histoire, nos sentiments avait été très intense. Et à présent, la douleur de la rupture était insoutenable. J’essuie d’un geste rapide les larmes coulant sur mon visage « Je sais… J’ai l’impression de ne plus vivre comme avant depuis que c’est terminé entre nous...Je comprends tout ce que tu peux ressentir Milo, je te comprends… Excepté ta décision de fuir...» avouai-je alors au jeune homme. Je soupire légèrement, tentant de reprendre mes esprits « Alors ta décision est vraiment prise… ? » ma question était rhétorique. « Finalement, toi aussi tu finis par partir... » dis-je la voix un peu lasse et marquée par les émotions. A croire que je faisais fuir tous les hommes qui avait une grande importance dans ma vie.

Lorsque Cassia me demande de rester au moins un peu plus longtemps, par égard pour mes parents, un frisson de culpabilité glacée vient étreindre mon âme toute entière. Mes parents ne sont au courant de rien concernant le drame de notre rupture, et cette terrible vérité me ronge de l'intérieur depuis des semaines désormais. Ils ont toujours cru en la solidité de notre amour, considérant Cassia comme la femme providentielle qui saurait m'apporter la stabilité et le bonheur tant espérés. Leur annoncer froidement que tout est désormais terminé entre nous, c'est briser sans ménagement leur douce illusion, les décevoir au plus profond d'eux-mêmes comme jamais je ne l'ai fait auparavant. Je redoute par-dessus tout l'instant fatidique où je devrai leur faire face et affronter leurs regards chargés d'incompréhension. « Reste au moins pour eux... » insiste Cassia d'une voix presque suppliante, son regard pénétrant le mien avec une intensité presque insoutenable. Elle connaît l'affection sans bornes que je porte à mes parents, à quel point leur opinion compte à mes yeux plus que nulle autre. Son appel de détresse quant à leur sort m'atteint en plein cœur tel un coup de poignard acéré, touchant une corde d'autant plus sensible que j'appréhende ce moment depuis des semaines. Je sais qu'elle a raison. Partir sans leur expliquer les véritables raisons de mon départ serait une trahison totale envers eux. Un silence coupable de ma part qu'ils ne mériteraient pas après tout ce qu'ils m'ont apporté. Je prends une profonde inspiration, essayant désespérément de formuler mes pensées d'une voix que je veux la plus assurée possible. « Cassia, je... Je sais que je leur dois de leur exposer les tenants et aboutissants de cette situation. Mais je ne suis tout simplement pas prêt à tout leur révéler. Pas encore du moins... » Je passe une main nerveuse dans mes cheveux déjà en batailles, ressentant de plein fouet toute la pression que cette situation exerce sur mes épaules. « Ils s'attendent à ce que je sois comblé et épanoui, que nous le soyons tous les deux... Leur dire la vérité sur notre rupture, c'est leur imposer une douleur que je... que je ne sais pas comment gérer, ni même apaiser. » Mes parents ne sont même pas informés de ma rupture avec Cassia. Comment leur annoncer ? Je reçois régulièrement des messages de ma mère qui me demande des nouvelles de Cassia. À chaque fois j’évince le sujet. Mais là… Je ne sais pas pourquoi, je sens qu’un jour la colère va lui prendre et elle va débarquer sans prévenir dans l’aéroport, se saisir du micro-central et demander que Milo Davis débarque immédiatement.

Les mots de Cassia me frappent en plein cœur, résonnant dans mon esprit comme les tintements douloureusement assourdissants d'une cloche funèbre. Son regard se noie de larmes amères tandis qu'elle considère la dure réalité de mon départ imminent, et je ne peux alors qu'assister impuissant à cette scène déchirante, figé par l'intensité de l'émotion brute qui nous submerge. Ses larmes commencent à dévaler ses joues rougies en de silencieuses cascades salées, tracées par une douleur bien trop profonde et viscérale pour pouvoir être véritablement exprimée en de simples mots. Chaque gouttelette acide est une muette accusation, et je ressens tout le poids de ma décision se lover au creux de ma poitrine comme une lourde chape de plomb. « Finalement toi aussi, tu finis par partir...   » murmure-t-elle finalement d'une voix brisée par l'affliction.

Ses quelques mots, chargés d'une telle détresse indicible, transpercent la fragile carapace que j'avais vainement tenté d'ériger autour de mon cœur meurtri. Je me sens soudain exposé, nu et vulnérable face à la douleur que je lui inflige malgré moi par ce départ devenu inévitable. Je ne résiste pas plus longtemps à l'appel de mon instinct le plus primaire. J'attire Cassia contre moi dans une étreinte protectrice, la serrant avec force contre mon torse. Je peux sentir les soubresauts erratiques de sa respiration haletante contre ma poitrine, son cœur battant la chamade à un rythme effréné sous l'effet de sa peine. « Je suis tellement désolé...  » murmurai-je d'une voix étranglée par les sanglots qui menacent d'éclater au grand jour. « Je ne veux pas te faire souffrir comme cela Cassia... Jamais je n'aurais voulu en arriver là...  » Je sens ses larmes ruisseler et imbiber peu à peu le tissu rêche de ma chemise, sa peine se faisant plus intense à chaque seconde alors que je resserre davantage mon étreinte dans une vaine tentative de l'apaiser, de panser ces blessures que je ne peux que rouvrir un peu plus à chaque instant. Mais que puis-je bien dire ou faire pour alléger son chagrin déchirant, lorsque je sais pertinemment que c'est ma décision qui la dévaste à ce point ? Je n'ai pas de réponse, seulement ce silence pesant pour unique compagnon.

Alors nous restons là, enlacés au milieu de la cuisine de cet appartement désormais si vide de sens, partageant cette souffrance dans un silence assourdissant, laissant la lourde gravité de cet instant tragique s'imprégner en nos chairs meurtries. Cette étreinte n'est que désespoir et amour indéfectible mêlés, une tentative dérisoire de retenir ce fil ténu qui nous échappe lentement mais inéluctablement... « Écoute… Je vais encore réfléchir à ma décision, d’accord ?  » Finalement, où devrais-je dire, une fois de plus, Cassia réussit à me faire potentiellement changer d’avis. C’est dingue mais même lorsque nous sommes séparés, il suffit qu’elle touche une corde sensible pour que je remette tout en question. « On parle ce soir ? Je t’appelle après ton travail… Et… On en discute ensemble ?  » lui proposai-je comme si nous étions toujours ensemble.

Le départ annoncé de Milo est un nouveau coup dur. Plus rien ne le retenait ici à Fall River selon lui, même pas moi. En plus d’être profondément attristée par cette nouvelle, je me sentais aussi abandonnée. Que Milo ne ressente pas l’envie de rester pour moi, pour ce nous qui apparemment ne pouvait à présent plus exister, il pouvait néanmoins rester pour ses parents. Comment réagiront-ils quand Milo leur annoncera son départ pour le Moyen-Orient ? Je savais qu’évoquer ses parents c’était toucher une corde sensible, il s’entendait très bien avec eux et ils étaient tous très proches. Milo a conscience qu’il doit parler à ses parents, toutefois il dit ne pas être encore prêt. En plus de ne pas savoir pour son départ prochain, Aaron et Robyn n’était apparemment pas au courant non plus pour notre rupture « Tu ne leur a encore rien dit... » J’étais quelque peu étonnée. Effectivement, cela allait faire beaucoup de nouvelles pour les parents de Milo, et pas des plus joyeuses.

Milo allait partir. C’était sa décision. Finalement lui aussi allait partir. La très désagréable sensation d’abandon me submerge. Face à mon désarroi, Milo m’attire contre lui. Et je viens me blottir contre son torse laissant mes chaudes larmes couler sans pouvoir les contrôler. Milo s’excuse, ajoutant qu’il ne voulait pas me faire souffrir et que jamais il n’aurait voulu en arriver là. Et pourtant, malgré lui, malgré nous, nous en étions arrivés là. Nous restons alors enlacés, au milieu de la cuisine. Je devais sans nul doute me faire à l’idée. A l’idée que la rupture était définitive et que Milo allait partir. Finalement, le pilote de ligne m’annonce qu’il allait encore réfléchir à sa décision. Je suis surprise. Mais ne disait-il pas cela pour me réconforter ? Je doutais de tout en ce moment. Milo suggère alors de parler ce soir après le travail, il propose de m’appeler dans la soirée. « C’est d’accord, faisons comme ça. » dis-je pour acté la proposition. Par la suite, comme convenu, Milo m’accompagne jusqu’à l’hôpital. Même si l’atmosphère durant le trajet est un peu pesante je tente malgré tout d’en profiter me disant que ce genre de moment partagé ne se reproduirait pas avant longtemps. Égal à lui même, Milo me tend avant que je quitte la voiture de quoi manger pour ce midi, des sushis et une tartelette aux fraises. Ce genre de petite attention était d’autant plus difficile à supporter avec la situation actuelle et son potentiel départ, mais j’acceptai malgré tout en le remerciant chaleureusement.

Dix-Huit heures.
Je venais tout juste de rentrer du travail. Fatiguée, j’avais pris le temps de prendre une douche bien méritée avant de me changer et de me lancer dans un peu de rangement. Un court instant plus tard, quelqu’un sonne à la porte. Je vais donc ouvrir et je tombe nez à nez avec Robyn, la mère de Milo. « Robyn !? Bonjour... Ça alors… c’est une surprise... » Je ne m’attendais pas du tout à sa visite. « Bonjour Cassia, j’espère que je ne te dérange pas au moins ? » me demande t-elle « Non absolument pas, entrez... » dis-je en me décalant pour la laisser entrer. Je ferme ensuite la porte derrière elle. « Est-ce que tout va bien ? » demandai-je un peu intriguée par sa visite surprise. « Oui ça va. Je suis désolée de venir à l’improviste mais je voulais te parler de Milo... » Je sens mon myocarde accélérer anormalement. Est-ce que Milo avait parlé à ses parents de son départ ? De notre rupture ? « Oh… D’accord. Venez, on va s’installer... Vous voulez boire quelque chose ? » demandai-je tout en l’invitant à venir au salon et à s’installer sur une des chaises autour de la table. « Je prendrai volontiers un thé s’il te plaît. » me demande t-elle « Je vous fait ça tout de suite. » dis-je en allant à la cuisine pour préparer deux tasses de thé avant de revenir au salon. Je pose une des deux tasses devant Robyn qui me remercie aussitôt. Puis je m’installe alors à côté d’elle, prête à avoir une discussion qui je le sentais, allait être riche en émotions.

Après une matinée chargée d'émotions, je dépose Cassia à son travail à l'hôpital. Son regard reste fixé sur moi alors qu'elle descend de la voiture, une étincelle de tristesse reflétant la lourdeur de notre conversation. Je force un sourire rassurant, mais je sais que ce n'est pas suffisant. Je la regarde s'éloigner dans le hall, la tête basse, tandis que je reprends la route en direction de l'aéroport. Chaque minute qui passe me rapproche un peu plus de mon départ, et les pensées me submergent. Ma décision est prise, ou presque, mais l'idée de laisser tout derrière moi, en particulier Cassia, alourdit encore davantage mes pas. Je me concentre sur la route, sur chaque détail du trajet, en essayant de chasser la tourmente qui envahit mon esprit.

L'aéroport est un tumulte d'activité, de gens pressés, et de valises à roulettes qui résonnent sur le sol. Je passe rapidement la sécurité, le processus m'est désormais familier. Je me rends à la porte d'embarquement, mon sac à l'épaule, et je regarde par la fenêtre les avions alignés sur le tarmac. Mon vol court-courrier à destination d'Orlando est affiché en haut des écrans de départs. En attendant de débuter la procédure de décollage, mes pensées reviennent à Cassia. Je me demande ce qu'elle fait en ce moment, ce qu'elle ressent après ce matin. La douleur de notre séparation est encore vive, et je sais que partir n'est pas facile pour elle non plus. Je ferme les yeux, le bruit des moteurs gronde doucement, et je m’active presque par automatisme.  L'avion commencer à rouler. Un dernier regard par le hublot, puis je me laisse emporter par le vol, espérant que la distance m'aidera à trouver un peu de clarté.

Pendant ce temps, ma mère se rend chez Cassia, le cœur lourd et l’esprit préoccupé. Elle se doute que quelque chose ne va pas et qu’il se passe des choses dans la vie de son fils et de Cassia. Elle frappe doucement à la porte, les doigts serrés autour du sac qu’elle tient fermement. Lorsque Cassia ouvre la porte, elle sourit faiblement à ma mère, ses yeux fatigués révélant toute la peine qu'elle tente de cacher. Ma mère lui rend son sourire, le regard empreint de compréhension, et l’enlace doucement. « Bonjour Cassia, j’espère que je ne te dérange pas au moins ? » demande-t-elle avec sollicitude. Cassia l’invite à entrer et referme la porte derrière elles. Ma mère dépose son sac sur la table de la cuisine et s’assoit, ses yeux scrutant le visage de Cassia avec une douceur maternelle. « Je suis désolée de venir à l’improviste mais je voulais te parler de Milo... » dit-elle en hochant la tête, une tristesse visible dans ses yeux. Elle connaît bien son fils et sait qu'il peut être difficile parfois. « Milo n’est pas facile, je le sais », dit-elle d’une voix douce. « Mais il t’aime, Cassia. Et je sais qu’il traverse une période difficile. » Ma mère pose sa main sur celle de Cassia, un geste réconfortant empreint de soutien. « Sache que je suis là pour toi. Pour vous deux. » Elle soupire doucement, le regard triste mais déterminé tout en portant à ses lèvres sa tasse de thé. Les mots de ma mère résonnent dans l’air, remplissant l'espace d'un sentiment de chaleur et de réconfort.

En fin de journée, après un vol retour depuis Orlando, j'atterris à l'aéroport et me dirige vers la sortie. La fatigue de la journée pèse sur mes épaules, et mes pensées tourbillonnent autour des événements récents. Je suis accueilli par la vue familière de mon père, debout près du hall des arrivées. Sa présence m'apaise, mais je décèle une lueur d'inquiétude dans ses yeux. « Comment s'est passé le vol ? » me demande-t-il, en me serrant brièvement l'épaule. « Il s'est bien passé », répondis-je, sans grande conviction. Nous marchons en silence vers le parking, mes pensées se bousculant dans ma tête. Une fois installé dans la voiture, mon père brise le silence. « Ta mère m'a envoyé te chercher », commence-t-il prudemment. « Elle se doute qu'il se passe quelque chose avec Cassia. » Je déglutis difficilement. Je savais que ce moment viendrait, mais l'entendre de la bouche de mon père rend la réalité encore plus dure à affronter. « Je ne sais pas quoi dire », murmurai-je, évitant son regard. Mon père hoche la tête en silence, gardant les yeux fixés sur la route. « Elle t'aime, tu sais. Elle veut juste s'assurer que tu ailles bien. » Nous roulons en direction de l'appartement de Cassia, le silence s'installant entre nous, interrompu seulement par le bruit de la voiture et les clignotants. La tension est palpable. Je sais que mon père veut parler, mais il me laisse l'espace nécessaire pour rassembler mes pensées « Je… » commence-t-il enfin. « Tu sais qu'on sera toujours là pour toi, n'est-ce pas ? » Je hoche la tête. Les mots me manquent. En arrivant devant l'appartement de Cassia, mon père gare la voiture et me regarde, ses yeux emplis d'inquiétude et de compréhension. « Quoi qu'il arrive, Milo, tu as une famille qui t'aime et qui te soutiendra toujours », dit-il doucement. « Bon… Tu sais à quel point ta mère apprécie Cassia donc évite de mettre deux femmes en colère. Crois en mon expérience, c’est une très mauvaise idée. » Je sais qu'il parle pour ma mère autant que pour lui, et cette pensée me réconforte. Je prends une profonde inspiration, prêt à affronter la situation qui m'attend.

Je possède toujours le double des clés de Cassia, alors j'entre dans son appartement, accompagné de mes parents. Ma mère se lève immédiatement, son regard perçant me scrutant avec intensité. À peine ai-je retiré ma veste qu'elle se rapproche, les sourcils froncés, les lèvres pincées, prête à me confronter. Elle inspire profondément avant de prendre la parole d'une voix ferme mais empreinte de sollicitude. « Milo, il faut que l'on parle ! » dit-elle d'un ton catégorique, ses yeux cherchant les miens pour y trouver des réponses. « Qu'est-ce qui se passe ? Pourquoi tu évinces toujours le sujet lorsque je te parle de Cassia ? Vous n'êtes plus ensemble, c'est cela ?! » Ses mots résonnent dans la pièce, laissant un silence pesant s'installer. Mon père pose alors sa main sur mon épaule, un geste réconfortant, et murmure doucement. « Mon pauvre fils... » Son ton compréhensif contraste avec la fermeté de ma mère. Cette dernière ne s'arrête pas là, elle me fixe avec insistance, un mélange de déception et d'inquiétude dans les yeux. « Qu'est-ce que tu as encore fait, Milo ? Tu es avec une femme exceptionnelle, et toi tu... » Sa voix s'étrangle dans sa gorge, incapable de formuler sa pensée. Je laisse échapper un long soupir, réalisant à quel point cette intervention ressemble à un conseil de famille improvisé. Le poids des regards de mes parents se fait lourd, mais je sens aussi leur affection et leur désir sincère de comprendre. Ma mère reprend rapidement ses esprits, cherchant visiblement à en savoir davantage. « Dis-moi ce qui se passe, Milo. Nous sommes ici pour toi, mais tu dois nous expliquer ce qui a pu se passer. » Je ressens une tension croissante dans ma poitrine, mes pensées tourbillonnant dans un tumulte d'émotions. Je prends une inspiration profonde, cherchant mes mots. « Nous avons rompu », avouai-je enfin, ma voix à peine audible. « Mais ce n’est pas de sa faute. » Ma mère s'approche encore, son visage empreint de tristesse. « Milo, pourquoi ne nous as-tu rien dit ? Pourquoi as-tu caché cela ? » Je sens dans sa voix toute la surprise et la tristesse qu’elle ressent. « Je ne voulais pas vous décevoir, » répondis-je, la gorge nouée. « Je ne voulais pas... je ne voulais pas que vous soyez aussi tristes. » Mon père se rapproche alors, sa main toujours sur mon épaule. « Milo, tu es notre fils, nous t'aimons, et tu n'as rien à craindre. Nous sommes là pour te soutenir, peu importe les circonstances. » Je hoche doucement la tête, touché par leur soutien. Je sais que la route sera longue, mais en cet instant, je me sens un peu moins seul dans cette épreuve.

A ma très grande surprise, Robyn, la mère de Milo était passé me voir. C’est donc chaleureusement que je l’avais accueilli dans mon appartement. Surprise de la voir ici à l’improviste je m’étais d’abord assuré que tout allait bien. Robyn me rassure de ce côté là et ne tarde pas à m’avouer que s elle était ici c’était pour parler de Milo. A cet instant là, tous un tas de questions me traversent l’esprit. J’invite alors Robyn à s’installer dans la pièce à vivre et lui propose quelque chose à boire avant tout. J’avais donc rapidement préparé deux thés avant de venir la rejoindre. Posant sa tasse de thé devant elle, je prends ensuite place à ses côtés. C’est Robyn qui brise le léger silence qui s’était installé, cette dernière me dit qu’elle savait que Milo n’était pas facile. Sa voix est douce et rassurante, ce qu’elle ajoute ensuite me fait doucement sourire. Robyn tient à souligner le fait que Milo m’aimait et qu’elle savait qu’il traversait une période difficile. « Je sais Robyn, je sais... » dis-je simplement. La mère de Milo dépose alors délicatement sa main sur la mienne, un geste réconfortant, apaisant qui me montrait qu’elle me soutenait. « C’est très généreux à vous, merci beaucoup... » mais une question me brûlait les lèvres. « Est-ce que vous avez parlé à Milo ces derniers jours ? » J’étais un peu dans l’inconnu et je ne voulais pas risquer d’annoncer notre rupture à Robyn. « Malheureusement non. Cela fait plusieurs semaines qu’il ne donne plus beaucoup de nouvelles et quand moi je lui en demande il reste très évasif... A vrai dire, j’espérais que tu puisses m’aider à comprendre ce qui ne va pas… On est assez inquiets avec Aaron. D’ailleurs, il devrait arriver avec Milo. Je me suis dis que ce serait bien que l’on puisse discuter et que tu sois avec nous… J’espère que ça ne te dérange pas... » Je suis surprise par son initiative, mais Robyn voulait certainement bien faire. « Non, ne vous inquiétez pas... Vous avez bien fait. » dis-je pour la rassurer.

C’est à ce moment là que la porte d’entrée s’ouvre. Milo est là avec son père. Robyn se lève immédiatement et s’approche de son fils, elle est déterminée à lui parler et surtout à avoir des réponses. Rapidement, je salue Aaron alors que Robyn questionne Milo. Puis soudainement, Robyn fait une hypothèse qui s’avère être exacte. Elle devait avoir un sixième sens, sans doute que cela fait parti de son instinct maternelle. La mère de Milo lui pose plusieurs questions, elle semble en effet inquiète. Je retourne m’asseoir à ma place, jouant nerveusement avec la ficelle du sachet de mon thé. Puis finalement, Milo annonce que nous avons rompus, il s’empresse même d’ajouter que ce n’était pas de ma faute. Bien évidemment Robyn ne comprend pas pourquoi Milo a caché cette information. Sa réponse est assez émouvante, il ne voulait pas que ses parents soient tristes, soient affectés par cette rupture. Son père se montre immédiatement rassurant. « Tu aurais du nous en parler Milo… Comme ton père vient de le dire, on t’aime et on sera toujours là pour te soutenir... » Malgré les circonstances, la scène est touchante. Robyn se tourne alors vers moi « Je suis vraiment désolée de ce qui vous arrive à tous les deux...Cassia,  je ne sais pas ce qui s’est passé mais tu sais que tu feras toujours parti de la famille... » dit-elle d’une voix douce et sincère. « C’est gentil Robyn… Mais s’il vous plaît nous vous inquiétez pas pour moi... » Elle se faisait déjà assez de souci avec Milo. D’autant plus qu’elle ne savait pas encore pour son départ prochain pour le Moyen-Orient. D'ailleurs, est-ce que Milo allait décider de parler de cette mission à ses parents ce soir ? J'attendais de voir. Si lui ne le faisait pas de lui même, étais je en droit de le faire ? M'en voudrait-il ? J'étais quelque peu anxieuse quant à la suite de la soirée.

La dernière fois que j'ai dû assister à une réunion de famille d'une telle gravité, j'étais beaucoup trop jeune et insouciant pour en saisir toutes les implications. Je me souviens encore des paroles sévères de ma mère à cette époque, lorsqu'elle me sermonnait sur les fréquentations qu'elle jugeait inappropriées. Avec le recul, elle n'avait peut-être pas complètement tort. Mais aujourd'hui, la situation est d'une tout autre nature et bien plus grave à leurs yeux. « Ce n'est pas la faute de Cassia, c'est... c'est moi », avouai-je d'une voix tremblante, cherchant mes mots. Je ne vais tout de même pas leur révéler qu'Andrew me fait chanter et que j'ai été contraint de quitter Cassia pour la protéger ?

Sans ménagement, ma mère réagit immédiatement à ces mots, avec frustration et incompréhension. « Alors, soit tu n'es pas mon fils, soit j'ai loupé un épisode, mais que dis-je une saison entière, dans ton éducation, Milo... » Ses yeux se tournent vers mon père pour y chercher du soutien, mais n'obtiennent aucune réponse. « Avant que Papa ne l'apprenne par « radio moquette » Je dois vous dire autre chose... » Je marque une pause, tâchant de bien choisir mes prochains mots. Je sais que ce que je vais leur annoncer est plus grave encore qu'une rupture avec Cassia. Je prends une profonde inspiration avant de me lancer. « Je pars bientôt pour le Moyen-Orient... J'ai reçu une proposition de l'armée. » Un silence pesant s'abat alors que ma mère s'assoit brusquement dans le canapé de Cassia, visiblement sonnée par cette annonce. Mon père, lui, baisse les yeux et se pince les lèvres, murmurant d'une voix basse. « Je le savais... » Un lourd silence s'installe entre nous, chacun se murant dans ses pensées. Ma mère prend quelques minutes pour se ressaisir, ses doigts caressant compulsivement le tissu du canapé. « Milo... » commence-t-elle d'une voix tremblante. « Tu sais à quel point nous sommes inquiets pour toi ? Tu ne peux pas prendre cette décision et partir comme ça, sans nous prévenir ? » Elle se lève, se rapprochant de moi avec une détermination presque fébrile dans le regard. « Milo, tu es notre fils, et on veut que tu sois heureux et en sécurité. Mais partir là-bas, c'est... c'est bien trop dangereux ! » Mon père intervient doucement, posant une main rassurante sur l'épaule de ma mère. « Milo, ta mère a raison. Pourquoi vouloir partir si loin et dans de telles circonstances, surtout après ce qui s'est passé avec Cassia ? » Je prends une profonde inspiration, conscient de la gravité du moment. Ils méritent des réponses, même partielles. « Je sais que c'est difficile à comprendre pour vous, mais j'ai besoin de partir. J'ai besoin de prendre du recul, de mettre de la distance entre moi et... tout ici qui me rappelle Cassia. » Ma mère ferme les yeux, visiblement dépassée par la tournure des événements. Mon père la guide doucement pour qu'elle s'asseye à nouveau sur le canapé, tandis que je reste là, impuissant face à leur tristesse et leur inquiétude.

Ma mère, complètement affolée par l'annonce de ce départ pour le moins inattendu, se lève d'un bond du canapé, ses yeux scrutant frénétiquement chaque recoin de la pièce comme à la recherche désespérée d'un soutien, d'une présence réconfortante. Ses mains tremblent légèrement, trahissant son état de stress intense, et sa respiration est rapide, presque haletante. Elle se tourne alors vers Cassia, semblant espérer trouver en elle ce réconfort qu'elle ne parvient plus à puiser en elle-même. « Cassia, tu comprends, n'est-ce pas ? » demande-t-elle d'une voix emplie d'une panique à peine contenue. « Tu sais à quel point cette situation est difficile... D'abord cette rupture qui nous a tous dévastés, et maintenant ce départ pour une zone de conflit ? Comment va-t-il pouvoir s'en sortir seul là-bas dans de telles conditions ? » Elle s'avance de quelques pas mal assurés vers la jeune femme, tendant presque instinctivement les mains comme pour s'appuyer sur son épaule, cherchant désespérément un réconfort dans cette proximité si familière. Des larmes commencent à perler au coin de ses yeux fatigués tandis qu'elle poursuit, sa voix se brisant par moments sous l'effet d'une trop grande émotion. « Comment cela a-t-il pu arriver, Cassia ? Vous étiez si bien ensemble tous les deux, et maintenant... » Elle s'interrompt un court instant, secouant la tête de droite à gauche comme pour essayer, en vain, de chasser cette réalité de son esprit tourmenté. « Je ne comprends tout simplement pas comment les choses ont pu basculer si rapidement dans un tel chaos. Je ne veux pas qu'il reparte loin de nous, pas maintenant, pas après tous ces drames... » Elle essuie nerveusement une larme traitresse qui vient de rouler le long de sa joue rougie, son regard implorant se posant sur Cassia comme pour y chercher un soutien, une compréhension qu'elle ne parvient plus à trouver en elle-même. « Tu dois me comprendre, Cassia... Il ne peut pas simplement prendre la décision de partir si loin, après tout ce que vous avez vécu et traversé ensemble jusqu'ici. C'est beaucoup trop me demander... » Sa voix n'est plus qu'un murmure chargé de détresse infinie, la peur sourde du futur incertain teintant chacune de ses paroles de désespoir et d'impuissance.

En rentrant du travail tout à l’heure, jamais je n’aurais imaginé assister à une réunion de famille improvisée avec Milo et ses parents. Chez moi qui plus est. Mais Robyn et Aaron étaient bien évidemment les bienvenus chez moi. Et j’avais pleinement conscience que c’est l’inquiétude qui avait poussé la mère de Milo à venir me voir aujourd’hui chez moi. Nos discussion en tête à tête est douce, sereine mais aussi évasive. Robyn est inquiète, elle cherche sans nul doute des réponses auprès de moi mais malheureusement je ne suis pas en mesure de lui répondre. D’une part, parce que j’ignore encore beaucoup de choses concernant la situation. Et puis, je ne savais pas si Milo avait prévenu ses parents pour notre rupture. Ce n’était pas le cas ce matin, je doutais fortement qu’il l’ait fait dans la journée. Mais étrangement, je ne me voyais pas annoncer la nouvelle à Robyn. Cela engendrerait sans doute tout un tas de questions. Des questions auxquelles je n’avais pas les réponses. Puis rapidement, Milo et son père arrive à leur tour à leur appartement. Le pilote de ligne est très rapidement questionné par sa mère et il finit par leur annoncer que nous avions rompus. Aaron et Robyn apportent bien évidemment tout leur soutient à leur fils et malgré la situation délicate la scène est très touchante. Comme toujours, Robyn a des mots réconfortants à mon égard. Je ne peux que la remercier de cette gentillesse qui la caractérise tant, elle et son mari.

Les parents de Milo semblent surpris par notre rupture. Robyn ne semble pas comprendre encore moins quand son fils précise que cette rupture n'était pas de ma faute mais qu'elle venait de lui. L'incompréhension pour Robyn est des plus totales. Un léger silence s'installe. Un silence que Milo brise le silence pour annoncer, sans doute non sans mal, son départ prochain pour le Moyen Orient suite à une proposition qui lui avait été faite par l'armée. Rien que d'entendre à nouveau cette nouvelle, mon cœur se serre. La mère de Milo s’assoit brusquement sur le canapé, sans nul doute sous le choc de cette annonce. Elle finit par prendre la parole, soulignant le fait qu’elle et son mari était inquiets et qu’il ne pouvait pas prendre cette décision et partir comme ça sans les prévenir. Robyn se lève, presque fébrile, elle souligne à présent la dangerosité de ce travail pour l’armée. Aaron est bien évidement du côté de sa femme, il demande à Milo la raison qui le pousse à partir si loin et dans de telles circonstances surtout après les derniers évènements avec moi. Le jeune homme leur explique alors son ressenti, son besoin de prendre du recul et de mettre de la distance, soulignant le fait que tout ici lui faisait penser à moi. Entendre à nouveau ses explications me faisait mal au cœur mais je tentais de cacher ma peine. Je me sentais même coupable de son départ. Robyn avait beaucoup de mal à accepter la décision de Milo, au fur et à mesure des explications de son fils, elle semblait devenir de plus en plus fébrile à un point où Aaron décide de la guider doucement pour qu’elle puisse prendre place à nouveau sur le canapé afin de s’asseoir.

Mais Robyn finit par se lever à nouveau du canapé, son regard semblait quelque peu perdu et désespéré. Elle se tourne alors vers moi, elle me demande si je comprenais, elle évoque la situation difficile, notre rupture, et me questionne sur le potentiel départ de Milo dans une zone de conflit. « Je comprends parfaitement Robyn. Et je suis aussi inquiète que vous... » avouai-je alors à la mère du jeune homme. La réaction de Robyn ne m’étonnait pas. Apprendre que son fils unique allait travailler pour l’armée dans une des zones les plus dangereuses du monde la dévastait au plus haut point. La mère de Milo me questionne sur notre rupture, malheureusement je ne peux lui répondre car moi même je ne comprenais pas. « Je suis désolée Robyn... » C’est tout ce que je trouvais à dire sur le moment. J’étais vraiment désolée, peinée de voir que notre rupture l’attristait à ce point. Sentant Robyn très fébrile, et la voyant chercher appui sur moi, je l’aide doucement à s’asseoir sur une chaise près de la table. La mère de Milo exprime alors son ressenti, ses souhaits, ses craintes. Sa voix était emplie de tristesse mais surtout d’inquiétude. « Je sais Robyn… Je ne veux pas non plus le voir partir là-bas... » dis-je en prenant sa main dans la mienne dans un geste de soutient familier et naturel. Milo nous avait déjà fait à tous une belle frayeur il y a quelques années. Sans oublier que dans le passé, Robyn avait eu aussi de belles peurs concernant son mari. « Robyn, Aaron, je sais ce que vous ressentez suite à l’annonce de Milo… J’ai encore moi même du mal à y croire et à accepter son départ… Malheureusement, si vous êtes venus ici pour que je vous aide à le faire changer d’avis, je ne sais pas si je pourrais réellement vous aider ... J'ai déjà essayé... » dis-je d’un ton las et attristé. « Milo, es tu bien sûr de toi ? Si tu veux t’éloigner, prendre du recul vis à vis de tout cela il y a sans doute d’autre manière de le faire... » propose alors son père.

L'inquiétude manifeste de mon père ne me surprend guère. Je devine qu'il se doute déjà en partie de la gravité de la situation, mais contrairement à ma mère, il parvient à mieux camoufler ses angoisses derrière une façade stoïque et une mâchoire crispée. Cependant, malgré cette apparence impassible, je parviens à distinguer cette petite lueur caractéristique de tristesse au fond de son regard, une brève étincelle fugace d'inquiétude paternelle que seuls ceux qui le connaissent vraiment bien peuvent parvenir à discerner. Ce constat de son trouble m'emplit d'un sentiment d'impuissance. Cassia, toujours aussi douce et bienveillante, tente de d’apaiser les inquiétudes de ma mère en prenant délicatement sa entre les siennes dans un geste de réconfort. Quant à moi, je ne peux que baisser les yeux un bref instant, le cœur lourd et les pensées confuses, ne sachant que dire ou faire pour alléger leurs craintes légitimes. Mon père ne tarde cependant pas à m'inviter d'un discret signe de tête à le suivre afin que nous puissions discuter un moment à l'écart, tous les deux, comme il en avait souvent eu l'habitude de le faire lorsque j'étais plus jeune. J'acquiesce silencieusement et l'accompagne hors de la pièce chargée d'émotions pour trouver un peu de calme dans le couloir.
La relation que j'entretiens avec lui a effectivement toujours été différente de celle, plus spontanée et chaleureuse, que j'ai avec ma mère depuis mon plus jeune âge. Avec mon père, les choses ont souvent été plus posées, plus réfléchies entre nous. Il a toujours été pour moi ce pilier central, ce roc calme et solide sur lequel je peux compter en cas de tempête. Durant mon adolescence parfois agitée, il a été cette figure rassurante qui savait tempérer mes orages émotionnels, et même lorsque je commettais des erreurs, il était toujours là pour m'aider avec patience et sagesse à me remettre sur le droit chemin. Je me souviens de ces nombreux moments dans le garage où il passait des heures entières à m'inculquer les bases de la mécanique automobile. Ses précieux conseils pratiques étaient toujours ponctués d'anecdotes amusantes et pleines d'humour, permettant d'alléger les situations les plus tendues ou stressantes. Son calme et sa pondération ont toujours représentés un modèle pour moi.

Il se tourne vers moi, prenant une profonde inspiration avant de poser une main ferme sur mon épaule. « Milo, écoute... » commence-t-il, sa voix grave teintée d'une légère pointe d'inquiétude. « Ta mère a du mal à accepter tout cela, tu le sais bien. Elle s'inquiète pour toi, c'est tout. Mais elle va comprendre, elle a juste besoin de temps. » Je hoche la tête, mais les mots me manquent. Mon père est quelqu'un de posé, et il a souvent été la voix de la raison dans les moments difficiles. Il prend une pause, regardant brièvement autour de lui avant de poursuivre. « Tu sais, Milo, j'ai toujours cru en toi. Je sais que tu fais de ton mieux, mais parfois, ta mère et moi, on a besoin de comprendre ce qui se passe dans ta tête. On s'inquiète, tu comprends ? » Je soupire profondément, tentant d'organiser mes pensées confuses. « Je sais, Papa. Je sais que tout ceci n'est pas facile pour vous. Mais... je dois partir. J'ai besoin de cet espace. » Il hoche la tête lentement, comprenant mes mots. « On sera toujours là pour toi, quoi qu'il arrive, Milo. N'oublie jamais. »

Alors que nous nous éloignons dans le couloir pour trouver un endroit plus calme et confidentiel, l'atmosphère semble soudain chargée de non-dits et de questions muettes qui planent entre nous. Je sens la pression rassurante de la main de mon père se resserrer légèrement sur mon épaule, comme s'il tentait de m'apporter un soutien silencieux en cette période troublée. Mais je sais pertinemment que derrière cette façade de calme qu'il arbore, une tempête de doutes et d'interrogations bouillonne intérieurement. Il s'arrête finalement dans un renfoncement discret du couloir, et nous nous faisons face. Son regard perçant se plante dans le mien, empreint de cette inquiétude discrète mais bien réelle qu'il a toujours su dissimuler aux autres avec tant d'habileté. Sa voix est basse mais ferme lorsqu'il me questionne sans détour. « Milo, dis-moi... Quelle est la véritable raison de ta rupture avec Cassia ? » Son ton est certes plus doux que je ne l'avais imaginé, mais les mots pèsent d'un poids soudain sur mes épaules telle une lourde charge. Je tente un bref instant de détourner le regard, cherchant à échapper à son regard insistant et scrutateur, mais il ne me lâche pas, son visage buriné par les années témoignant d'un homme qui a connu bien des tempêtes dans sa vie, mais qui reste toujours ce pilier solide pour moi « Tu sais que tu peux tout me dire, Milo », poursuit-il de cette voix qui ne souffre aucune réplique, empreinte de cette bienveillance paternelle à laquelle je n'ai jamais vraiment su résister. « Je ne veux pas que tu aies à porter tout ce fardeau tout seul. On s'inquiète énormément pour toi, ta mère et moi. »

Je prends une profonde inspiration pour me donner une contenance, cherchant mes mots avec précaution. Je me mords nerveusement la lèvre inférieure, hésitant sur la meilleure façon d'aborder le sujet épineux. « C'est... C'est vraiment très compliqué, Papa... », finis-je par lâcher dans un souffle. Il hoche lentement la tête, un sourire triste et résigné venant effleurer ses lèvres. « J'imagine bien, oui. Mais tu sais que Cassia est une femme bien, quelqu'un de profondément bon. Es-tu vraiment sûr que cette rupture était la meilleure chose à faire ? Pour vous deux ? » Je hoche la tête à mon tour, mais avec une moue forcée et amère cette fois. « Oui... C'était la seule chose à faire dans ces circonstances, Papa. Crois-moi. Je n’ai pensé qu’a elle, qu’à son bonheur même si… Bref… C'est vraiment le mieux pour elle, à long terme... Elle m’oubliera vite, je ne suis qu’un épisode dans sa vie alors qu’elle… Elle est toute ma vie… » Les mots sont lourds sur ma langue, presque douloureux à prononcer, mais je ne peux me résoudre à lui révéler toute la vérité pour le moment, aussi limpide soit-elle pour moi. Il me regarde longuement, comme pour tenter de sonder mon âme et percer les secrets qui m'oppressent, mais finit par acquiescer d'un air entendu. « J'espère seulement que tu sais vraiment ce que tu fais, mon fils. Et que tu ne le regretteras pas amèrement plus tard... » Je ne peux que baisser les yeux, ne trouvant pas les mots pour le rassurer pleinement. La culpabilité me ronge de l'intérieur, mais je me contente de hocher la tête en silence, le cœur lourd.

Après un long moment de silence tendu, je relève les yeux vers mon père. Sa présence, sa patience et sa capacité à écouter sans juger ont toujours été d’un grand réconfort pour moi. Il sait attendre, me laissant le temps de trouver les mots justes pour exprimer ce que je ressens vraiment. « Je suis prêt à tout pour la protéger, Papa, » dis-je enfin, la voix à peine plus qu’un murmure. « C’est pour ça que je fais tout ceci. Je n’ai pas le choix. » Il fronce légèrement les sourcils, son regard rempli d’inquiétude. « Milo, qu’est-ce que tu veux dire ? » Je prends une profonde inspiration, me rendant compte à quel point la situation est complexe. « Il y a des choses que je ne peux pas te dire, Papa. Mais je t’assure, je fais tout cela pour Cassia. Elle ne mérite pas ce qui lui arrive. »

Mon père reste silencieux un instant, étudiant mon expression, essayant de comprendre ce que je ne lui dis pas clairement. « Tu sais, Milo, je sais que tu as toujours été un homme de parole. Si tu dis que c’est pour la protéger, je te crois. Mais assure-toi que tu fais vraiment ce qui est le mieux pour elle. Parfois, ce que nous pensons être la meilleure chose pour quelqu’un n’est pas forcément ce dont ils ont besoin. » Je hoche la tête lentement. Un silence s’installe de nouveau, pesant et lourd de tout ce qui n’est pas dit. « Mais je ne peux pas rester là à la regarder souffrir plus longtemps. Je préfère partir et lui laisser l’espace dont elle a besoin. » Il prend une profonde inspiration, cherchant ses mots. « Je comprends que tu veuilles lui laisser de l’espace. Mais tu penses vraiment que c’est la bonne solution ? » Ces mots, pleins de compassion et de compréhension, me touchent plus profondément que je ne pourrais l’exprimer. Je sens la chaleur du soutien de mon père, et je réalise à quel point je suis chanceux de l’avoir à mes côtés.

Dans l'appartement de Cassia, l'atmosphère est désormais lourde de tensions et d'incertitudes palpables. Ma mère, assise aux côtés de Cassia sur le canapé du salon, semble chercher ses mots avec la plus grande précaution, comme si elle appréhendait d'aborder ce sujet aussi épineux que le prétexte même de ma rupture avec celle qui fut ma compagne durant ces dernières années. Son regard reflète toute l'inquiétude dévorante et l'amour inconditionnel qu'une mère peut éprouver pour son fils unique. Elle cherche désespérément le moyen de me ramener à la raison, de m'empêcher de prendre une décision trop hâtive qui pourrait me conduire droit dans le mur. « Cassia, je sais que... que les choses sont devenues extrêmement compliquées entre vous deux ces derniers temps... » commence-t-elle d'une voix rendue tremblante par l'émotion. « Mais Milo t'écoute encore, j'en suis persuadée. Même si vous n'êtes désormais plus ensemble, il continuera toujours à t'écouter toi, plus qu'il ne m'écoutera moi. » Cassia la regarde avec gravité, son beau visage marqué par les stigmates encore récents de notre rupture douloureuse. Mais elle reste toutefois parfaitement attentive à chaque parole prononcée par ma mère. « Il... Il n'est plus vraiment dans son état normal en ce moment, tu comprends ? » poursuit cette dernière d'une voix soudain plus ferme. «  Je le connais mieux que personne au monde, et je sais qu'il a tendance à prendre des décisions trop impulsives quand il est perturbé et tourmenté comme il doit l'être actuellement...  » Elle marque une pause, comme pour bien choisir ses prochains mots et tenter de transmettre au mieux toute l'urgence dramatique de la situation actuelle. « Je t'en supplie Cassia... Essaie de lui parler, de le raisonner une dernière fois. De le faire revenir sur un chemin plus sensé. Je ne veux pas, je ne peux pas le laisser partir là-bas, c'est bien trop dangereux ! »

Cassia demeure silencieuse quelques instants, semblant peser le poids de chaque mot prononcé par ma mère. Elle perçoit la détresse dans chacune de ses paroles, ressent au plus profond d'elle-même cette inquiétude dévorante qui n'appartient qu'aux mères prêtes à tout pour protéger leur enfant unique. Ma mère lui prend alors les mains avec une douceur presque implorante, son regard brillant de larmes à peine contenues. « Il t'écoute encore, Cassia. Même maintenant, même après tout ceci qui vous a séparés. Il t'a toujours écoutée, quelle que soit la situation, même dans les pires moments... » Sa voix se brise sous le poids de l'émotion. « Alors si tu arrives à le voir, à lui parler, peut-être que toi seule pourras encore le convaincre de renoncer à ce projet fou et dangereux... » Les yeux de ma mère sont désormais totalement embués de larmes, exprimant avec une clarté déchirante tout l'amour inconditionnel qu'elle me porte et la peur panique qui l'étreint à l'idée de me voir m'engager sur une voie aux risques insensés. « Je sais qu'il t'aime encore au fond de lui, j'en suis intimement persuadée... » poursuit-elle d'une voix rendue chevrotante par le sanglot latent. « Je le vois dans son regard à chaque fois qu'il pose les yeux sur toi... » Elle resserre davantage l'étreinte de ses mains sur celles de Cassia, dans un geste d'une supplique muette désespérée. « Cassia... S'il te plaît... Je t'en conjure, fais quelque chose avant qu'il ne soit trop tard... Avant qu'il ne commette l'irréparable et ne nous le fasse regretter amèrement ensuite... » Les larmes coulent à présent librement sur les joues de ma mère, tandis que ses paroles sont de plus en plus entrecoupées de sanglots étouffés. La peur de me perdre pour toujours semble la dévorer de l'intérieur.

Ma mère serre doucement les mains de Cassia entre les siennes dans un geste apaisant, cherchant à lui transmettre tout son réconfort et sa confiance par ce contact plein de sollicitude maternelle. Une lueur d'espoir, bien que fragile, brille à nouveau dans son regard lorsqu'elle se remémore une anecdote de votre passé commun qui semble lui insuffler un regain d'optimisme. « Tu sais Cassia, je me souviens encore parfaitement du jour où Milo est rentré à la maison après votre toute première grande dispute sérieuse, lorsque vous n'étiez encore que des adolescents à l'époque. Il était tellement perturbé et tourmenté qu'il n'a rien avalé de la journée. Je ne l'avais jamais vu dans un état de détresse aussi profond... » Elle esquisse un tendre sourire à l'évocation de ce souvenir néanmoins douloureux. « Il s'était tout simplement enfermé dans sa chambre pendant des heures, refusant d'adresser la parole à qui que ce soit, son père ou moi. J'étais tellement inquiète à son sujet, tu n'imagines même pas... » Ma mère marque une courte pause, l'émotion semblant soudain l'étreindre à la gorge tandis que les images de cette scène lui reviennent en mémoire. Mais elle poursuit sur sa lancée après quelques secondes. « Finalement, c'est toi seule qui es parvenue à le sortir de cet état Cassia. C'est à toi qu'il a accepté de parler et de se confier. Il t'a écoutée, même dans ses pires moments de doute et de souffrance. Votre relation était déjà si forte... »

C’est sans surprise que l’annonce du départ de Milo n’est pas bien accueillie par ses parents. Aaron lui, semble arriver à prendre un peu sur lui mais son regard trahit malgré tout toute l’incompréhension et l’inquiétude qu’il éprouve face à cette annonce. Robyn quant à elle, ne peut cacher ses émotions et surtout sa vive inquiétude. Je tente de consoler la mère de Milo comme je peux. A demi-mots, j’avoue aux parents de Milo que j’avais déjà essayé de parler avec le jeune homme, en vain, et que donc leur venue chez moi allait peut-être s’avérer infructueuse. En tout discrétion, Aaron s’éclipse un peu plus loin avec Milo.

Assise sur le canapé à côté de la mère de Milo, cette dernière m’avoue savoir que les choses étaient compliquées entre son fils et moi mais elle souligne le fait que malgré tout Milo m’écoutait encore et qu’il continuera à m’écouter même si nous n’étions plus ensemble. Mon regard ne quitte pas le visage de Robyn, je ressens aisément dans sa voix toute sa détresse face à la situation. Mais pouvais-je réellement faire changer d’avis Milo ? Jusqu’à maintenant j’en doutais fortement. Robyn avait parfaitement remarqué que son fils n’était pas dans son état normal en ce moment. Et elle craignait qu’il prenne des décisions trop impulsives comme il avait tendance à le faire quand il n’était pas bien. La mère de Milo vient ensuite me supplier afin que j’essaie de parler à Milo, que j’essaie de le raisonner, une dernière fois. Ma main resserre légèrement son étreinte sur celle de Robyn. « Croyez-moi Robyn je n’ai pas envie de le voir partir là-bas non plus… Cette idée m’est insupportable... » Mon cœur était lourd et meurtri rien qu’en pensant à son éventuel départ. « Je vous promets que je vais essayer de lui parler à nouveau, d’essayer de le faire changer d’avis. Mais vous savez tout comme moi qu’il peut parfois être très obstiné... » Cette remarque la fait esquisser un léger sourire. « Oh ça oui, je le sais bien... » me répond Robyn. La mère de Milo m’avoue qu’elle était intimement persuadée que Milo m’aimait encore, elle arrivait à le voir dans son regard à chaque fois qu’il posait ses yeux sur moi. Elle devait avoir ce sixième sens que possédait toutes les mères. A nouveau, Robyn me supplie de faire quelque chose avant qu’il ne soit trop tard et que Milo ne puisse plus faire marche arrière. « Je vais faire tout ce que je peux, je vous le promets. » Voir la mère de Milo ainsi me faisait beaucoup de peine. Puis cette dernière vient alors me raconter une anecdote, un jour où Milo était rentré à la maison, complètement renfermé, refusant de manger quoi que ce soit de la journée et même de parler à qui que ce soit, tout cela à cause d’une importante dispute que nous avions eu à l’époque. Notre première grande dispute. « Je m’en souviens un peu. J’avais du rentrer chez moi dans le même état que lui... » avouai-je à la mère du jeune homme. Mais finalement, je n’avais pas pu me résoudre à rester ainsi et j’avais été voir Milo pour que l’on puisse parler, s’expliquer puis se réconcilier. « Oui c’est vrai, il y a toujours eu un lien particulier entre nous... » Je ne pouvais pas le nier, tout le monde l’avait remarqué d’ailleurs.

C’est à ce moment là que Milo et son père revienne dans la pièce à vivre. « Chérie ? On va rentrer, qu’en penses-tu ? » Robyn me lancer un dernier regard, je lui adresse un léger sourire confirmant que je tiendrai ma promesse. La mère de Milo se lève et je fais de même. Les parents de Milo saluent chaleureusement leur fils tout en leur demandant de réfléchir encore à cette volonté de partir travailler pour l’armée. Puis Aaron et Robyn me saluent chaleureusement également avant de quitter l’appartement. Je les raccompagne bien évidemment jusqu’à la porte, et après un dernier au revoir je ferme cette dernière.

A présent seule avec Milo, un léger silence pesant s’installe entre nous. Je me mets alors à débarrasser la table sur laquelle se trouvait les deux tasses de thés à moitié vides. Je n’ai pas le cœur à les laver ni à les mettre dans le lave vaisselle, je me contente de les placer dans l’évier. Puis je retourne au salon. « Milo, si tu ne restes pas pour moi, reste au moins pour tes parents… Tu as vu la réaction de ta mère ? Elle est dévastée… Et ton père, bien qu’il ne le montre pas, ressent la même chose... » Je ne savais pas comment le faire changer d’avis. Puis soudainement, une idée me vient. « Et si c’est moi qui partais ? Après tout les hôpitaux ce n’est pas ce qui manque. Je peux facilement trouver du travail ailleurs sans non plus partir à des centaines de kilomètres... » cela n’impactera donc pas trop les relations que j’entretenais ici, y compris avec ma mère et William.

Même si je refuse ouvertement de le reconnaître, je dois bien avouer que la visite inopinée de mes parents m'a fait plaisir au fond. Compte tenu des circonstances actuelles, elle ne s'est certes pas déroulée dans la joie et la bonne humeur. Cependant, je dois admettre que cette discussion avec mon père m'a fait le plus grand bien. Même si je n'ai pas pu tout lui avouer concernant l'odieux chantage d'Andrew, je suis heureux d'avoir pu partager ce moment avec lui. Mes parents s'en vont à présent. Ma mère me supplie une dernière fois de ne pas partir pour cette zone de guerre, ce à quoi je réponds par un simple sourire énigmatique. Mon père me salue également d'un signe de tête avant de suivre ma mère. Une fois la porte de l'appartement de Cassia refermée, un long silence pesant s'installe dans la pièce.J'observe Cassia débarrasser les tasses de thé à moitié pleines, les déposant dans l'évier de la cuisine. Comme je m'y attendais, elle revient vers moi avec son air grave et me demande de bien réfléchir encore, argumentant que ma mère était dévastée par ma décision, tout comme mon père même s'il le montrait moins. Un long soupir las m'échappe. Je suis perdu, complètement perdu dans un océan de doutes et d'incertitudes. Ce matin encore, j'étais pourtant si sûr de ma décision de partir. Maintenant, je ne suis plus sûr de rien du tout. Je m'assois sur le canapé du salon, et une vague de souvenirs encore douloureux m'envahit soudain lorsque je pose ma main sur l'accoudoir. C'est alors que Cassia, d'un air qui se veut confiant, émet l'idée saugrenue que nous pourrions partir ensemble loin d'ici, quitter Fall River pour toujours...

A ces mots, mon sang ne fait qu'un tour et je me relève d'un bond, la colère m'envahit soudain comme une vague déferlante. « Quoi ?! Tu veux partir d'ici, c'est bien ce que tu dis ?! Quitter Fall River ?! Après tout ce que j'ai dû sacrifier pour toi, tout ce que j'ai fait pour toi ?! C'était bien la peine que je rompe avec toi pour te protéger… » Je suis en colère, furieux même. La simple idée que Cassia puisse vouloir partir alors que j'ai cédé au chantage immonde d'Andrew dans le seul but de la préserver m'exaspère au plus haut point. « Si tu veux vraiment partir, alors vas-y ! Qu'est-ce que ça peut bien me faire après tout désormais ?! Nous ne sommes plus un couple de toute façon. Alors pars si tu veux, et qu'on n'en parle plus ! Tu peux même m'oublier complètement, Cassia ! Tout le monde en sera heureux et tu seras enfin débarrassée de moi ! » Sur ce, j'attrape ma veste posée sur le dossier du canapé et l'enfile à la hâte d'un geste vif.  « De toute évidence, Andrew avait raison sur toute la ligne. Je suis vraiment tout à fait incapable de te rendre heureuse... » Mes yeux durcis par la colère la fixent avec une animosité à peine contenue. « Va, oublie-moi une bonne fois pour toutes Cassia. Ce sera bien mieux ainsi pour nous deux ! » Je n'en reviens tout simplement pas. Après tout ce que j'ai dû faire et endurer pour elle, tous les sacrifices que j'ai consentis, toutes les souffrances que j'ai dû taire, Cassia veut partir et me quitter définitivement ! Quand je repense à tout ce que je subis en silence pour la préserver au maximum d'Andrew et de son ignoble chantage, je suis tout bonnement stupéfait... « Quand je pense à tout ce que j'ai fait pour toi… » Je répète ces mots d'une voix lourde de reproches, comme si elle me les arrachait. « Si tu crois vraiment qu'en partant, ça changerait quoi que ce soit à la douleur que je ressens, c'est que tu me connais bien mal. Ou alors, c'est que tu ne me connais plus du tout ! » Je la fixe avec une froideur distante, une expression de colère froide déformant les traits de mon visage. Cette violente dispute dans laquelle nous nous engageons est de loin la pire que nous ayons jamais connue. Et j'ai bien l'impression qu'elle marquera la fin définitive de notre histoire... « J'aurais vraiment tout fait pour toi Cassia...Tout ! Même devenir malheureux pour toi ! » Je finis par lâcher cet aveu en la considérant d'un air las et dépité. « Je crois que nous n'avons définitivement plus rien à nous dire. Je te souhaite une belle vie, et une bonne continuation... »

Les parents de Milo venait de partir. L’appartement semble alors soudainement bien silencieux. Les discussions avec Aaron et Robyn avaient été riches en émotions, vraiment. Il ne restait plus que moi et Milo, pourtant un léger silence lourd et pesant s’installe immédiatement dans la pièce. Mon premier réflexe est de débarrasser la table. Puis, je décide de briser ce silence en disant à Milo que si il ne restait pas pour moi qu’il reste au moins pour ses parents. Il avait vu tout comme moi que sa mère était dévastée par la nouvelle qu’il avait annoncé. Et son père, bien qu’il se soit retenu de montrer ce qu’il ressentait, devait être profondément attristé et inquiet pour Milo.

De peur que Milo ne change pas d’avis, par crainte de décevoir Robyn à qui j’avais fait une promesse, une solution me vient soudainement à l’esprit. Et si c’était moi qui partait ? Milo aurait cette distance dont il avait si besoin tout en restant ici à Fall River et non en allant risquer sa vie à l’autre bout du monde. Je tente d’argumenter mon idée soudaine en précisant que trouver un travail ne serait pas un problème pour moi, après tout des hôpitaux il y en avait partout. Et je ne serai pas obligée de m’éloigner trop non plus de Fall River. Je vois alors Milo se lever subitement. Sa réaction n’est absolument pas celle que j’avais imaginé. J’aurais pensé que suite à ma proposition nous aurions discuté calmement et que au fur et à mesure Milo aurait commencé à reconsidéré sa volonté de partir travailler pour l’armée. « Je n’ai pas dis que je voulais partir d’ici c’est juste que… c’est juste que je préfère partir que de te savoir à l’autre bout du monde... » J’essayais d’expliquer mes motivations, d’argumenter cette proposition qui malgré moi mettait Milo hors de lui. Le pilote de ligne commence même à me faire des reproches, en me disant que c’était bien la peine qu’il rompe avec moi pour me protéger. « Mais me protéger de quoi Milo !? » Cette phrase il ne cessait de la répéter et je n’y comprenais toujours rien. J’avais rarement vu Milo dans une telle colère, je restais même presque stoïque face à cet excès de colère. Milo finit par me dire que si je voulais partir je n’avais qu’à le faire, que nous n’étions de toute manière plus un couple et que je pouvais même l’oublier complètement. Milo attrape d’un geste vif sa veste et ajoute que Andrew avait raison en disant que Milo était incapable de me rendre heureuse. Cette fois-ci c’est chez moi que la colère monte « Comment oses tu dire de telles choses !? Tu sais parfaitement ce que je ressens pour toi, que mon bonheur n’est possible qu’avec toi ! Et je te rappelle que c’est toi qui a voulu rompre Milo, bon sang ! » dis-je en haussant le ton à mon tour.

Milo finit par me demander de y aller, de l’oublier une bonne fois pour toute, que cela sera bien mieux pour nous deux. Ce qu’il dit me blesse profondément. Le jeune homme continue alors à me faire des reproches, soulignant qu’il avait fait beaucoup de choses pour moi. Il me dit que si je pensais qu’en partant cela changerait quoi que ce soit à sa douleur c’est ce que je le connaissais mal ou que je ne le connaissais plus du tout. « Tu ne comprends donc rien ! Tu ne comprends pas que si j’ai proposé de partir c’était pour te protéger, pour t’empêcher de te rendre dans une zone de conflit où tu vas risquer ta vie! Tu ne comprends pas que si j’ai proposé cela c’est parce que je ne sais pas quoi faire pour te faire changer d’avis ! Je n’ai pas envie que tu partes, personne n’en a envie... » Le coup est dur lorsque Milo souligne le fait qu’il aura vraiment tout fait pour moi, même devenir malheureux pour moi. A ses paroles, je ressens un immense pincement au cœur. Ses paroles sont violentes, blessantes. Milo conclu en disant qu’il pensait que nous n’avions définitivement plus rien à nous dire. Il me souhaite une belle vie et une bonne continuation. Tellement surprise et blessée par ses dernières paroles, je reste stoïque, incapable de répondre quoi que ce soit.

Sur ces mots Milo quitte mon appartement. Je suis à présent seule, mais étrangement j’entends encore les échos de ces dernières paroles. Milo avait fait tant de choses pour moi, il était devenu malheureux pour moi, à cause de moi. Peut-être qu’Andrew avait raison finalement, peut-être que j’avais le don pour pousser à bout les gens que j’aime sans m’en rendre compte. Je me sentais complètement dévastée, j’avais l’impression de tout perdre et j’avais l’impression de ne pas avoir été à la hauteur pour Robyn et Aaron. Au plus mal, je décide d’appeler Anna qui je le sais d’ores et déjà sera d’une soutien infaillible. Je lui explique la situation brièvement au téléphone, entre deux sanglots, et cette dernière m’annonce alors son arrivée imminente.


Deux heures plus tard.
Dans un petit bar pas très loin de chez moi, j’étais en train de siroter ma quatrième tequila sunrise, assise sur une banquette devant une table, en pleine discussion avec Anna. « Je persiste à dire que tu devrais vraiment avoir une discussion avec Milo… Quelque chose ne va pas c’est évident... » sirotant mon cocktail, « Oh oui il y a quelque chose qui ne va pas… c’est moi ! » dis-je d’un ton las et d’une manière complètement détachée à cause des effets de l’alcool. « Cassia, ne dis pas ce genre de chose... » me répond Anna « Et pourtant… c’est vrai… J’ai du faire quelque chose de mal… Milo l’a dit lui même, il a tout fait pour moi, il est devenu malheureux… Je rend les gens malheureux… Tout ceux que j’aime finisse part m’abandonner… D’abord mon père… Puis Andrew… Et maintenant Milo... » Les trois situations étaient bien différentes à tout point de vue mais mon ressenti était le même malgré tout.

Anna essaie tant bien que mal de me remonter le moral mais en vain. Nous acceptons ensuite de jouer une partie de billard avec un groupes d’hommes présents dans le bar. En tout bien tout honneur. Nous faisons alors une première partie, non sans mal. J’avais conscience que j’avais déjà trop bu. Et cela ne s’était pas amélioré quand nous avions pris à nouveau un verre avec le groupe d’hommes qui nous avaient invités. Puis Anna avait voulu rentrer. Elle avait insisté pour me raccompagner mais j’avais refusé. « S’il te plat Cassia, tu devrais rentrer. Laisse moi te raccompagner... » me dit-elle une seconde fois. Assise de nouveau sur la petite banquette, ma tête reposant sur une de mes mains « Non, c’est bon... » dis-je simplement « Je termine mon verre et… je rentrerai. Je peux rentrer à pieds... » dis-je d’une petite voix. « Ne tarde pas trop s’il te plaît, et dis moi quand tu seras rentrée, d’accord ? » Je viens alors chaleureusement l’étreindre avant de la laisser s’en aller. A présent seule dans le bar, je termine mon verre, je ne saurais dit à combien j’en étais. Mais peu importe. J’avais besoin de changer d’air, d’oublier. « Ton amie t’as laissé toute seule ? Une belle femme comme toi on ne l’a laisse pas seule… Viens refaire une partie de billard avec nous... » me propose alors un des hommes avec qui nous avions joué tout à l’heure. « Non, c’est gentil… je vais bientôt rentrer…. » dis-je alors simplement. L’homme en question repart dans son coin, mais quelque chose me disait qu’il n’avait pas dit son dernier mot.

Je claque la porte de l’appartement de Cassia avec une violence telle que le bruit résonne dans tout le couloir, comme un écho sinistre de la fureur qui bouillonne en moi. Je suis fou de rage, en proie à une colère noire mais aussi terriblement triste et dévasté. Comment Cassia peut-elle seulement imaginer que partir, fuir Fall River, serait une solution ? Comment peut-elle croire qu’en partant ailleurs cela changerait quoi que ce soit à notre situation ? Les mots durs et cruels que je lui ai crachés au visage dans un accès de colère et de frustration insoutenable continuent de tourner en boucle dans mon esprit, me les ressassant inlassablement. Je ressens un besoin urgent de prendre l’air, de me défouler, d’évacuer d’une manière ou d’une autre cette colère brûlante qui menace de me consumer de l’intérieur. Une partie de moi aspire même à croiser la route d’Andrew pour pouvoir se décharger de cette furie sur lui. Ma rage envers cet homme, envers tout ce qu’il a provoqué, est à ce stade quasiment palpable, ardente. S’il n’avait jamais existé, jamais Cassia n’aurait été malheureuse à ce point, jamais elle n’aurait autant souffert, et je n’aurais jamais eu à me résoudre à la quitter pour assurer sa sécurité… Cette pensée attise encore davantage les flammes de ma colère.

Je me mets à marcher d’un pas vif et énergique dans les rues, scrutant chaque recoin, chaque ombre d’un regard de défi, presque dans l’espoir insensé d’apercevoir Andrews pour pouvoir me défouler sur lui sans retenue. Ma main forme un poing serré à m’en blanchir les jointures, tant la colère et le mépris que je ressens envers lui sont intenses. Ne sachant trop où aller, je me dirige finalement vers ma salle de sport habituelle. Une fois sur place, je m’acharne sur le sac de frappe avec une force et une détermination décuplée par ma rage. Dans mon esprit, c’est le visage d’Andrew que je m’imagine frapper à chaque coup porté avec violence. Plus je frappe, plus les coups deviennent appuyés et puissants, chacun déchargeant une part de cette colère que je dois absolument évacuer avant qu’elle ne m’emporte trop loin. Quelques habitués me remarquent et me taquinent joyeusement. « T’as la patate ce soir Milo ! T’as mangé un lion ou quoi ? » Alors que je continue de m’acharner sur le sac avec une détermination féroce, l’un d’eux ajoute d’un ton amusé. « Je n’aimerais pas être à la place de ce pauvre sac, dis donc ! Bon allez, viens nous rejoindre pour une bière quand t’auras fini de le démolir ! » Je secoue brièvement la tête, le visage ruisselant de sueur. « Non merci les gars, pas ce soir. Je suis d’une humeur trop fracassante, pas la peine de rajouter l’alcool par-dessus ! » Ils acquiescent d’un air compréhensif tout en m’indiquant l’adresse du bar où ils comptent se rendre au cas où je changerais d’avis.

Une fois de nouveau seul, je reprends mon entraînement forcené sur le sac de frappe, m'efforçant d'y canaliser la fureur qui m'habite. Chaque coup porté est une tentative désespérée de libérer cette colère dévorante qui bouillonne en moi. Le dégoût et le mépris que je ressens envers Andrew s'amplifient à chaque impact. Sa présence spectrale plane sur tous ces problèmes, une ombre menaçante que je ne peux ignorer. Je frappe avec rage, avec une force que je ne reconnais plus. Chaque coup porté au sac de frappe est un coup que j'aurais voulu porter à cet homme, responsable de tant de souffrances dans la vie de Cassia et dans la mienne. Chaque impact résonne comme un cri de rage étouffé, chaque mouvement une explosion de frustration. Pourtant, au fond de cette rage brûlante, c'est une tristesse insondable qui me hante. La douleur de la perte de Cassia est un vide insupportable, une absence cruelle qui me ronge. Ses rires, sa voix, ses sourires, tout semble si loin de moi maintenant. Je frappe le sac encore et encore, dans l'espoir illusoire que la douleur physique puisse remplacer celle qui brûle au plus profond de mon cœur meurtri. Mais aucun coup, aucune décharge de rage ne parvient à combler ce vide. La sueur perle sur mon front, mes muscles crient sous l'effort, mais je continue sans relâche. L'image de Cassia flotte dans mon esprit, le souvenir de ses yeux remplis de douleur lorsque je lui ai parlé pour la dernière fois. Cette vision m'accable et m'épuise. Je frappe le sac avec acharnement, cherchant une libération que je sais hors de ma portée. Je finis par m'effondrer à genoux, le souffle court, mon front appuyé contre le sac. Le poids de tout ce que j'ai perdu pèse lourd sur mes épaules, et je laisse échapper un long soupir. Je me laisse aller, ma respiration hachée par l’émotion, la rage et la tristesse se mêlant en moi, me laissant épuisé et vide.

Soudain, je sens une main ferme et rassurante se poser sur mon épaule, une présence apaisante au milieu du chaos de ma rage. « Allez Milo, ressaisis-toi mon grand », murmure une voix familière, à la fois douce et ferme. Dans la brume de fureur qui m'anime, je ne reconnais pas immédiatement ce timbre grave et posant. Quand je relève enfin les yeux, je découvre le visage du gérant de la salle, Mike. Un vieil ami que je connais depuis tant d'années maintenant. C'est ce colosse rougeaud, ancien boxeur professionnel, qui m'a appris à me battre dès mes débuts ici. À encaisser les coups, mais aussi à les rendre avec vigueur et détermination. Sa voix bourrue s'élève à nouveau au-dessus du bruit sourd de mes impacts rageurs sur le pauvre sac de frappe, tandis qu'il saisit les lourdes pattes d'ours d'un geste vif, un sourire de défi aux lèvres.  « Allez, viens par ici mon grand. Défonce-moi ces pattes ! » Je me redresse d'un mouvement, le corps tendu comme un arc par la colère qui pulse en moi. Puis je me mets à frapper avec toute ma force la surface rembourrée, cherchant à canaliser ce flot brûlant à travers chaque coup porté. Les encouragements rocailleux de Mike fusent, m'incitant à redoubler d'efforts. Cette séance d'entraînement intense me rappelle étrangement une autre séance, des années plus tôt. Je revois ce jour à New York où j'ai aidé Cassia à surmonter la terrible trahison et l'infidélité d'Andrew... Encore et toujours cette même ombre menaçante qui s'insinue dans nos vies pour tout empoisonner... À cette pensée, je décharge une nouvelle salve de coups d'une violence redoublée contre les pattes d'ours. Chacun d'eux est comme un cri silencieux, une tentative désespérée d'expulser de mon corps cette colère dévorante qui me ronge. Les souvenirs de Cassia, la peine de la voir malheureuse malgré tout, la rage que je ressens envers Andrew qui a tout déclenché…

Tout se mélange, m'insufflant une vigueur renouvelée. Je frappe encore et encore, le souffle court, les muscles tendus à l'extrême. « Plus fort Milo ! Allez, vide-toi l'esprit ! » rugit Mike, sa voix emplissant la salle vide. Ses vociférations m'exhortent à aller au-delà de mes limites, à donner le meilleur de moi-même pour évacuer ce trop-plein d'émotions brûlantes. Au rythme régulier de nos échanges, frappant et parant tour à tour, je sens peu à peu la colère s'apaiser, comme si chaque coup porté la vidangeait un peu plus. Remplacée par une délicieuse fatigue physique, presque purificatrice. Mon souffle devient plus court, la sueur ruisselle sur mon corps, mes muscles brûlent sous l'effort intense, mais je continue inlassablement jusqu'à l'épuisement total. Porté par l'énergie presque cathartique de cette séance. Quand nous nous arrêtons enfin, je m'effondre sur un banc, les mains tremblantes, le corps douloureux mais l'esprit apaisé. Mike s'approche, une lueur de fierté dans son regard bourru. « Tu vois mon gars, un bon défouloir ça fait un bien fou par moments non ? » Je hoche la tête, reconnaissant. Le poids de la rage s'est allégé, remplacé par un bienfaisant épuisement physique. Cette colère ardente n'est pas tout à fait dissipée, mais au moins calmée pour l'instant. « Merci Mike, j'en avais besoin. » Je murmure d'une voix éraillée en me relevant péniblement, le souffle court et les muscles brûlants d'avoir été poussés jusqu'à l'épuisement. « Pas de problème mon grand », répond-il avec un sourire bourru, ses yeux pétillant d'une lueur de compréhension bienveillante. « C'est fait pour ça. » Je me dirige d'un pas traînant vers les vestiaires, le corps lourd de fatigue après ces efforts intenses. Mais c'est une bonne fatigue, apaisante, qui a permis d'évacuer une partie de cette rage dévorante.

Sous la douche brûlante, je laisse l'eau ruisseler sur ma peau en sueur, détendant peu à peu mes muscles noués. J'appuie mon front contre les carrelages frais, bercé par le bruit apaisant et régulier des jets qui s'écrasent sur le sol. Ce rideau d'eau créé comme un cocon isolant qui recouvre les pensées tumultueuses tourbillonnant encore dans mon esprit. Pour l'instant, je me concentre juste sur la sensation de chaleur qui détend délicieusement chacun de mes muscles, cherchant à laisser le flot emporter loin de moi la colère, les regrets, les images troublées et blessantes. Ce n'est qu'un répit temporaire avant que la tempête ne se déchaîne à nouveau. Mais je savoure ce moment de tranquillité, un bref îlot de calme au milieu du chaos de mes émotions. L'eau brûlante ruisselle sur mon visage, emportant au loin mes dernières pensées avec elle…

En sortant dans la fraîcheur de la nuit, l'air frais me frappe au visage, apaisant quelque peu la fournaise qui brûlait encore en moi. Les muscles courbaturés par l'intensité de l'entraînement, je m'arrête un instant pour prendre une profonde inspiration et savourer la caresse vivifiante de cette brise nocturne.  Mon esprit semble un peu plus léger après m'être défoulé ainsi, même si un noyau de tension subsiste en moi. Mais la réalité se rappelle vite à mon bon souvenir lorsque mon téléphone vibre dans la poche de mon survêtement. C'est Anna qui appelle. J'hésite un bref instant avant de décrocher, curieux de connaître la raison de cet appel à une heure aussi tardive. « Milo, je comprends pas pourquoi tu l'as quittée ! » Me lance-t-elle d'une voix inquiète dès que je décroche, sans même prendre la peine de me saluer. « Cassia va vraiment mal. Elle est malheureuse sans toi », poursuit-elle d'un ton presque implorant, comme si elle espérait que je puisse d'un seul mot arranger les choses. J'encaisse ses paroles en serrant la mâchoire, peinant à trouver une réponse appropriée. Sa détresse est palpable à travers le combiné. « Où est-elle, Anna ? » Je finis par demander d'une voix rauque. Elle ne me laisse pas finir. « Je l'ai laissée dans un bar, mais je ne sais plus lequel. » Elle semble désorientée. « Elle est quelque part sur Elm Street. On a bu, et elle jouait au billard avec un groupe d'hommes. » Un frisson d'inquiétude traverse ma colonne vertébrale. « Un homme en particulier la regardait bizarrement. » Je serre les dents, sentant la colère revenir. « Ok, Anna, je vais la chercher. » J'essaie de garder ma voix calme, mais l'inquiétude bouillonne en moi. « Merci, Milo. » Sa voix est pleine de soulagement. Je raccroche et me mets en direction Elm Street, mon esprit rempli d'images de Cassia, assise seule dans un bar, vulnérable. Ses mots me tombent dessus comme une douche glacée. Dans ma tête, des images de Cassia se pressent, m'assaillant de craintes sur son état. J'essaie de me préparer mentalement à ce que je vais trouver.

En arrivant sur Elm Street, je ne peux retenir un grognement de frustration. Sérieusement, Anna, il doit bien y avoir une dizaine de bars dans cette rue ! Elle aurait au moins pu me donner le nom du bar précis où elle a laissé Cassia. Résolu à les faire un par un malgré mon agacement, je me mets en marche d'un pas vif. Chaque enseigne clignotante semble se moquer de moi sous les réverbères de la rue mal éclairée. Je pousse résolument la porte du premier bar, balayant la salle enfumée d'un regard perçant. Aucune trace de Cassia parmi les buveurs attablés. Mon inquiétude monte. J'entre dans le deuxième bar, effectuant le même manège sous les regards curieux des clients. Mais non, toujours rien. La frustration monte d'un cran. Au troisième bar, je prends une grande inspiration avant d'oser pousser ma recherche jusqu'aux toilettes des femmes. Dès que je franchis la porte, je me heurte aux regards indignés de quelques clientes. « Hé, mais qu'est-ce que vous faites ici ! » s'écrie une jeune femme, les yeux écarquillés de surprise et de mépris. «  Désolé, je cherche quelqu'un,  » marmonnai-je en avançant plus profondément dans les toilettes, vérifiant chaque cabine « Non mais c'est une blague ! » crie la jeune femme, ses mains sur les hanches. « Vous n'avez pas le droit d'être ici ! » Les autres clientes se tournent vers moi, écarquillant les yeux tandis que les murmures s'intensifient. Je me sens submergé par les regards furieux, mais je ne me démonte pas. « Sortez d'ici ! » tonne une autre voix. « Appelons la sécurité ! » Les cris résonnent dans le petit espace, la jeune femme fait un véritable scandale, son visage devenant rouge de colère. Cependant, Cassia n'est nulle part. Je me retourne vers la femme et lui adresse un sourire rapide, tout en restant poli. « Je comprends votre inquiétude, mais je ne suis pas ici pour vous déranger. J'ai un besoin urgent de trouver quelqu'un. » Je laisse un silence s'installer avant d'ajouter doucement. « Merci de votre compréhension. » Elle ouvre la bouche pour répliquer, mais je l'ignore et quitte les toilettes. Je retourne dans la salle principale du bar, espérant que Cassia soit quelque part dans un coin sombre ou peut-être au fond du bar. Je passe entre les tables, cherchant parmi les groupes d’hommes et de femmes qui discutent et rient. Je passe au quatrième, puis au cinquième bar de la rue. Les minutes s'égrènent sans que je ne trouve la moindre trace de Cassia. L'inquiétude commence à prendre le pas sur la frustration. Je me demande où elle peut bien être, si elle va bien, et pourquoi elle est restée seule.

Puis soudain, je me souviens d'un détail que m'a glissé Anna. «  On a joué au billard avec un groupe d'hommes.  » Je me redresse d'un coup, les yeux scrutant la devanture des autres bars avec une attention renouvelée. Mon regard passe d'une enseigne à l'autre, cherchant des signes d'une salle de billard, d'un coin dédié au jeu où Cassia aurait pu se trouver. Je presse le pas, me concentrant sur le souvenir d'un bar qui aurait pu accueillir un jeu de billard. Je tourne la tête vers un bar où une table de billard est visible à travers la vitre. Une lueur d'espoir naît en moi, et je pousse la porte en me précipitant à l'intérieur, mon cœur battant dans ma poitrine.

En poussant la lourde porte du bar, mon regard est immédiatement attiré par la table de billard au fond de la salle enfumée. Les lumières tamisées projettent des ombres dansantes sur les visages des joueurs qui s'agitent dans un joyeux vacarme, leurs voix ponctuées d'éclats de rire gras. Je me fraye un chemin à travers la foule compacte, scrutant désespérément chaque visage à la recherche de Cassia. Alors que j'approche du groupe bruyant attablé près du billard, une voix grasse et railleuse s'élève soudain par-dessus les autres. « Hé les gars, vous savez ce que j'ai entendu ? » Lance l'homme d'un ton gouailleur en se tournant vers ses acolytes, un sourire étalant un mélange de condescendance et de satisfaction malsaine sur ses grosses lèvres. « L'un d'entre nous aurait réussi à coincer une charmante petite brune dans les chiottes. Elle était vraiment bandante paraît-il... » Un rire gras secoue la tablée à cette remarque dégradante. « Ouais, c'est pas tous les jours qu'on a cette chance ! » Renchérit un autre en se rengorgeant d'un air entendu. À ces mots, je sens la mâchoire se crisper tandis qu'une sourde colère commence à monter en moi. Mes poings se serrent d'eux-mêmes, le sang battant aux tempes. Je m'approche d'un pas lourd vers le petit groupe, l'angoisse tordant mon estomac à l'idée de ce qui a pu se passer. « Qu'est-ce que vous avez dit ? » Ma voix basse mais glaciale arrête net leur hilarité doucereuse. L'homme à la voix grasse se tourne vers moi, son sourire se figeant lorsque nos regards se croisent. Ses petits yeux porcins cillent légèrement tandis qu'il semble se dégonfler sous mon air menaçant. Ses acolytes échangent des coups d'oeil furtifs, l'un d'eux jetant un rapide coup d'œil vers la porte des toilettes sans piper mot. « Quoi tu veux partager toi aussi ?! Attends ton tour petit puceau ! Laisse faites les grandes personnes ! » rétorque-t-il d’un ton moqueur en regardant ses amis en désignant ses parties génitales dont il était visiblement très fier. Je plante mon regard brûlant dans celui de l'homme grassouillet, sentant la rage pulser dans mes tempes. « Où est-elle ? » Il ouvre la bouche comme pour parler mais la referme aussitôt, l'air soudain mal à l'aise. « Eh, j'en sais rien moi, c'est juste une rumeur que j'ai entendue... » marmonne-t-il d'une voix mal assurée en cherchant l'appui de ses amis. Mais ceux-ci restent désormais silencieux, détournant prudemment les yeux pour éviter mon regard furieux. Je me tourne vers l'ensemble du petit groupe, les toisant un à un avec une colère froide avant de me dirigées vers les toilettes.

Le cœur battant à tout rompre, je me dirige d'un pas précipité vers la porte des toilettes des femmes, une sensation d'urgence brûlante montant en moi. Derrière, j'entends des murmures hésitants puis le bruit de pas qui me rattrapent rapidement. Je tourne à peine la tête qu'un des compères du gros homme s'avance pour me barrer le passage, se plantant devant moi en écartant les bras d'un air menaçant. « Désolé mec, tu vas nul part par là! » grogne-t-il d'un ton qu'il voulait sans doute autoritaire mais qui sonne creux. Je le jauge un instant du regard, détaillant sa posture et la petite lueur de défi qui brille dans ses yeux. Mais mon attention est vite attirée au-delà de lui, vers l'entrée des toilettes où une silhouette massive semble bloquer Cassia dans un coin. Je peux voir ses larges épaules se pencher vers elle tandis qu'elle tente vainement de se recroqueviller contre le mur, l'air absolument terrifiée. À cette vision, c'est comme si la mèche d'une bombe à retardement venait d'être allumée en moi. Une vague de pure fureur afflue dans mes veines, faisant bouillir mon sang. Je pivote légèrement sur mes talons, faisant mine de reculer comme pour obéir au compère qui me bloque le passage. Mais dans un geste d'une fluidité et calculé, je reviens aussitôt en avant de toutes mes forces, ramenant mon poing droit en un uppercut foudroyant qui vient s'écraser avec une force dévastatrice sous le menton de mon adversaire.  Le coup semble le prendre totalement par surprise. Ses yeux s'écarquillent de douleur et de stupeur tandis que sa tête est violemment rejetée en arrière. Un bruit sourd et désagréable résonne dans le bar lorsque son corps s'effondre au sol, déjà inconscient. Un silence de plomb tombe sur le petit groupe tandis que les autres restent figés, choqués par ma réaction brutale. Mais je n'ai d'yeux que pour Cassia et la menace qui pèse sur elle. Profitant de leur immobilité, je fonce droit vers les toilettes, la colère bouillonnante me brûlant de l'intérieur comme un feu dévorant.

Après avoir neutralisé le premier obstacle d'un coup brutalement efficace, je me dirige d'un pas vif vers l'entrée des toilettes où l'autre homme fait toujours barrage devant une Cassia terrifiée. La brute penche son visage pâteux vers elle, son regard vitreux et menaçant tandis qu'un grognement sourd s'échappe de sa gorge. Je m'approche dans son dos, tendant la main pour tapoter légèrement sur son épaule massivement musclée, cherchant à attirer son attention. Lorsqu'il se retourne à demi, je n'attends pas qu'il comprenne la situation. Mon poing jaillit de façon fulgurante pour s'écraser en plein sur sa mâchoire saillante. L'impact semble lui couper un instant le souffle tandis qu'un bruit écœurant d'os se brisant retentit. Puis ses jambes massives cèdent sous son poids et il s'effondre au sol dans un bruit mat, assommé sur le coup. Le chemin est désormais dégagé. Sans perdre une seconde, je me précipite dans les toilettes, balayant la pièce d'un regard affolé à la recherche de Cassia.

Je la trouve finalement, recroquevillée dans un coin, le visage d'une incroyable pâleur et les traits déformés par la peur. Un hoquet de soulagement m'échappe à sa vue tandis que l'adrénaline bouillonnante dans mes veines semble retomber d'un coup. Je fais les derniers pas qui nous séparent d'une enjambée, ouvrant grand les bras pour l'accueillir contre moi. « Cassia...tout va bien, je suis là maintenant » dis-je d'une voix que j'essaie de rendre apaisante. Son corps toujours secoué de tremblements entre dans mon étreinte protectrice. Je la serre fort contre moi, caressant doucement ses cheveux tandis qu'elle enfouit son visage dans le creux de mon épaule. « Ça va aller, tu es en sécurité. Je suis désolé d'avoir mis autant de temps... » Je murmure, la gorge nouée par le regret et le soulagement mêlés.

Au même instant, alertés par tout ce raffut, les autres hommes qui jouaient au billard se dirigent d'un pas lourd vers les toilettes des femmes. À mesure qu'ils s'approchent, leurs regards en disent long sur leurs intentions belliqueuses envers moi. « Bon...Tu viens de gâcher notre petite soirée là ! » lance l'un d'eux d'une voix bourrue chargée de mépris, tandis qu’un rictus de dédain vient étirer ses lèvres épaisses. Il fait craquer ses poings charnus d'un air menaçant, rapidement imité par ses acolytes qui se massent dans mon dos. Je peux sentir leur présence oppressante, prête à fondre sur moi au moindre signe de faiblesse pour défendre leur « territoire ». Rester immobile ne ferait qu'aggraver les choses. D'un geste calculé, je fais craquer ma nuque de façon audible puis retire ma veste pour dégager mes mouvements. Je la pose délicatement sur les épaules de Cassia, dans une ultime tentative de la protéger de l'inévitable confrontation. « Et vous venez de vous offrir un aller simple pour l’Enfer ». Je réplique d'une voix glaciale, promenant un regard dur sur chacun d'eux tour à tour. Le défi est lancé, chaque camp campant sur ses positions.

Un sourire narquois se dessine sur les traits de deux ou trois d'entre eux, visiblement sûrs de leur supériorité numérique et de leur force brute. Mais je sens l'adrénaline bouillonnante monter en moi, attisée par la colère froide de devoir en arriver là ainsi que par ma détermination inébranlable à défendre Cassia. Lentement, je serre les poings, tendant chaque muscle avec l'énergie d'un ressort prêt à se déchaîner. Mon regard se durcit, toute mon attention focalisée sur l'imminente confrontation. Comme je m'y attendais, l'un d'eux passe le premier à l'attaque, croyant me prendre au dépourvu. Mais d'un réflexe vif, je me décale sur le côté, évitant son coup de justesse. Sans perdre une seconde, je riposte en lui envoyant un terrible crochet du droit dans le ventre, le faisant chanceler en arrière, le souffle coupé. Les autres se mettent aussitôt en garde, resserrant leur demi-cercle autour de moi dans une tentative d'intimidation. Mais rien ne semble pouvoir ébranler ma détermination farouche ce soir. La tension est à son comble, chacun jaugeant les mouvements de l'autre dans un silence de plomb.Puis c'est l'explosion, un véritable corps-à-corps bestial s'engage au milieu des toilettes. Je les affronte un par un, esquivant agilement leurs coups grâce à mes réflexes aiguisés et ripostant avec une précision implacable. Mon souffle se fait de plus en plus court tandis que la sueur dégouline sur mon front. Mais la rage qui bout en moi semble inépuisable, m'alimentant en énergie bestiale. L'un après l'autre, je vois mes adversaires tomber au sol en geignant de douleur, se recroquevillant pour protéger leurs corps meurtris de ma fureur. Les coups pleuvent, distribuant sans compter ma vindicte aux agresseurs de Cassia. Jusqu'à ce qu'il ne reste finalement plus que moi debout au milieu des décombres humains. Essoufflé mais victorieux, je me tourne alors vers Cassia, toujours immobile et recroquevillée dans son coin. D'un pas lourd, je m'approche d'elle et m'accroupis pour être à sa hauteur. Délicatement, je l'attire contre moi, la serrant dans une étreinte protectrice. « C'est fini...je suis là maintenant », je murmure d'une voix rauque en caressant tendrement ses cheveux.

Seule à une table, je sirotais un énième verre. J’étais fatiguée et lasse de la situation que je vivais en ce moment. Anna était partie, je lui avais dit que je terminerais mon verre et que je rentrerai chez moi ensuite. Mais sans m’en rendre réellement compte, perdue dans mes songes les plus profonds, je m’étais un peu éternisée. L’un des hommes avec qui j’avais joué au billard avec Anna tout à l’heure vient me proposer une autre partie. Je décline son offre. Je n’avais plus le cœur à jouer, je repensais sans cesse aux paroles de Milo de tout à l’heure. J’avais mal, mal au cœur. L’envie soudaine de rentrer chez moi et de me glisser dans mon lit me parvient. Alors je me lève, difficilement. J’avais clairement trop bu, par conséquent ma démarche n’était pas assurée du tout. Soudainement, je ressens une vague de chaleur. J’ai chaud, je ne me sentais pas très bien, alors je me dirige aux toilettes pour venir me rafraîchir un peu le visage et tenter de trouver un tout petit regain d’énergie qui me permettrait de rentrer chez moi rapidement. Alors que j’allais sortir des toilettes, un homme entre. Il me regarde, mais je décide de l’ignorer. Je fais quelques pas pour sortir des toilettes mais il se place devant la porte « Où est-ce que tu veux aller comme ça ma belle ? » Son ton ne me plaisait pas du tout, d’autant plus que je n’étais vraiment pas en état « Laissez moi passer... » demandai-je alors. « Pourquoi tu veux partir, on est bien là, non ? » dit-il en s’approchant de moi. Il tend sa main pour attraper mon bras mais je le repousse, toutefois il ne semble pas vouloir s’arrêter, il tente alors de glisser sa main sous mon haut ce qui me révolte au plus au point « Arrêtez ça ! » dis-je en le repoussant maladroitement au vu de mon état d’ivresse et de peur. Mais son regard ne me quitte pas, il s’approche à nouveau de moi sauf que cette fois ci il est interrompu par un main l’interpelant. Soudainement, l’homme est frappé. Sous l’effet de la peur, je me recule jusqu’à me trouver adossée contre un mur, où je me laisse tomber doucement le long de ce dernier.

Puis j’entends une voix familière, c’est Milo. Mais que faisait-il ici ? Il me dit que tout allait bien, qu’il était là maintenant. Il s’excuse même d’avoir mis autant de temps. Sans réellement comprendre je me retrouve dans ses bras et je ressens immédiatement une once de soulagement. Je n’ai pas réellement le temps de répondre que d’autres hommes font irruption dans les toilettes. J’ai mal au cœur, la tête qui tourne, et la situation m’effraie au plus haut point. Je reste stoïque face à la scène qui se déroule ensuite sous mes yeux, Milo entrant dans une violente altercation et battant un par un les hommes qui était venu le défier. J’ai peur pour lui bien évidemment, malgré les mots durs de tout à l’heure. Jamais je ne m’en remettrait si il lui arrivait quelques chose. Essoufflée mais victorieux, Milo revient vers moi. Il s’accroupit à ma hauteur et me serre contre lui. Je ferme les yeux un instant. Je tente de reprendre mes esprits et je me relève doucement « Merci... » dis-je simplement mais le plus sincèrement du monde.

Nous n’attendons pas plus longtemps. Nous quittons les toilettes. Malgré tout je ne peux m’empêcher de prendre un peu de distance avec Milo. Ses paroles résonnant encore fortement dans mon esprit. Alors je prends sur moi, je tente de marcher de manière assurée. Nous quittons l’établissement et une fois dehors j’enfile ma propre veste et redonne celle de Milo. Je suis un peu perdue et presque gênée de la situation. « Je… je ne sais pas comment tu as su où j’étais mais merci... » Une simple coïncidence me paraissait peur probable. « J’espère simplement que tu n’as rien... » dis-je d’une petite voix. Il était déjà malheureux à cause de moi si en plus il se trouvait blessé par ma faute, cela ne ferait qu’accroître la culpabilité qui me rongeait. Je passe une main dans mes cheveux, regardant un peu autour de moi. Je regrettais amèrement d'avoir trop bu ce soir. Et puis me retrouver devant Milo après notre dispute de tout à l'heure me mettait vraiment mal à l'aise. « Il faut que... enfin... je vais rentrer... » dis-je en cherchant mes mots. Et sans attendre, je fais volte face et commence à marcher en direction de mon appartement. J'avais l'impression que mes pas étaient lourds et mal assurés. Mais quelle idée j'avais eu de venir ici ce soir.

Une fois à l'extérieur du bar mal famé, Cassia me rend ma veste d'un geste mal assuré, le bras un peu tremblant. La lumière crue des réverbères se reflète sur son visage pâle, mettant en évidence ses traits tirés et son état d'ébriété avancée. Sa démarche est rendue incertaine par l'alcool et son regard vitreux confirme qu'elle a largement trop bu ce soir.Pourtant, malgré les épreuves qu'elle vient de traverser, elle semble encore préoccupée par mon bien-être. « J’espère simplement que tu n’as rien... «  Me demande-t-elle d'une voix éraillée, son inquiétude perçant à travers le brouillard de l'alcool. « Je vais mieux, ne t’inquiète pas pour moi » je la rassure d'un ton apaisant, tout en la scrutant alors qu'elle commence à s'éloigner d'un pas mal assuré, vraisemblablement pour regagner son appartement. Mais comment pourrait-elle imaginer que je vais la laisser rentrer seule dans cet état après les événements de cette nuit ? L'idée est tout simplement impensable. Sans perdre une seconde, je me mets à courir pour la rattraper en quelques enjambées rapides. « Cassia, attends ! » Je lance d'une voix ferme en me plaçant à ses côtés. « Je vais te raccompagner, ce n'est pas négociable. » Elle semble sur le point de protester mollement, mais se ravise et hoche finalement la tête pour signifier son accord, acceptant mon aide précieuse. De toute manière elle me connaît. Elle sait que je peux être têtu. Délicatement, je lui présente mon bras, qu'elle s'empresse de saisir de sa main tremblante. Je m'assure qu'elle puisse marcher correctement en la soutenant et nous nous mettons en route d'un pas mesuré. Un silence pesant s'installe pendant quelques minutes, seulement entrecoupé par le bruit étouffé de nos pas dans la nuit. Cherchant mes mots, je finis par rompre ce lourd mutisme entre nous. « Anna m'a appelé tout à l'heure... » Je marque une pause, rassemblant mes pensées avec précaution. « J'ai vraiment eu une peur bleue en apprenant ce qui s'était passé, Cassia. Une véritable terreur à l'idée de ce qui aurait pu t'arriver. » lui avouai-je en l’observant. malgré tout ce qui vient de se produire je suis véritablement heureux d’être avec elle, en cet instant. Nous poursuivons notre marche en silence, le poids de cette soirée éprouvante pesant sur nos épaules. Mais un sentiment de proximité et de confiance renouvelées semble lentement commencer à panser les plaies laissées par notre récente dispute et les terribles événements de cette nuit.

Nous arrivons finalement devant son immeuble, la façade vieillie semblant presque vibrer sous les jeux d'ombres et de lumières projetés par les vieuxréverbères de la rue. Cassia s'appuie de tout son poids contre moi, sa fatigue devenue palpable après les épreuves traversées au cours de cette soirée mouvementée. Je peux sentir la chaleur de son corps se presser contre le mien à chaque pas lourd qu'elle gravit, comme si elle cherchait un réconfort et un soutien dans ma simple présence à ses côtés. Nous nous immobilisons enfin devant la porte de son appartement. D'un geste presque naturel, je plonge ma main dans la poche de sa veste qu'elle porte pour en ressortir son trousseau de clés. Nos doigts se frôlent alors brièvement dans cette quête, déclenchant comme une décharge électrique qui contraste avec la douceur presque irréelle de cet instant. Lorsque la porte se referme derrière nous, nous nous retrouvons aussitôt baignés dans un silence accueillant et apaisant. Le couloir n'est éclairé que par la faible lumière qui filtre sous la porte d'entrée, projetant de douces ombres mouvantes sur nos visages. Une force m'attire irrésistiblement vers Cassia et je ne résiste pas à l'envie impérieuse de la prendre dans mes bras, de sentir la chaleur rassurante de son corps contre le mien. J'ai besoin de partager ce moment de paix après le chaos, de me rassurer en la serrant contre moi. Tandis que je l'attire tout contre moi dans une étreinte protectrice, elle lève les yeux pour croiser mon regard. Je ne peux que baisser la tête vers elle, poussé par un désir profond de la réconforter, de lui prouver qu'elle n'est pas seule en ce monde.   Irrésistiblement attirées, mes lèvres se rapprochent des siennes avec une infinie douceur teintée d'un soupçon de désespoir. Chaque centimètre qui nous rapproche est chargé d'une tension palpable, d'une anticipation intense quoique douce. Dans ces instants suspendus, tout mon être semble se concentrer sur elle. J'éprouve un besoin viscéral de m'assurer qu'elle va bien, que les terribles événements de la soirée n'ont laissé aucune trace indélébile sur elle. J'ai besoin de me rassurer moi-même, de calmer enfin le tumulte qui fait rage en moi depuis l'appel paniqué d'Anna. Mon cœur bat à tout rompre, comme s'il tentait désespérément de communiquer avec le sien. Enfin, dans un souffle à peine perceptible, mes lèvres effleurent les siennes avec une infinie tendresse.

Une fois à l’extérieur de l’établissement je me sens soudainement soulagée. Mais rapidement, face à Milo une légère once de tristesse et de colère s’empare de moi. Malgré tout je le remercie pour ce qu’il avait fait car j’avais pleinement conscience que la situation dans laquelle j’étais avant son arrivée aurait très bien pu mal tourner. Très mal tourner même. Naturellement, je m’assure que Milo aille bien, qu’il n’ait pas été blessé lors de son altercation violente avec les hommes présents dans le bar. Sans trop attendre, j’annonce à Milo vouloir rentrer chez moi. Je me met donc en marche pour prendre le chemin de mon appartement. Mais Milo m’interpelle et se place à mes côtés en m’annonçant qu’il allait me raccompagner. Sa proposition est non négociable. Je tente de protester mais aucun mot ne parvient à sortir de ma bouche. Résignée donc, je hoche légèrement la tête. Délicatement il me présente son bras, j’hésite mais finalement je le saisis d’une main tremblante. La fatigue commençait à me peser et les effets de l’alcool ne m’aidaient absolument pas. Nous commençons alors à marcher en silence. Milo finit par m’avouer que c’est Anna qui l’avait appelé tout à l’heure. Je laisse échapper un léger soupire « Je lui avais pourtant dit que je rentrerais après son départ... » Mais cette initiative ne m’étonnait pas d’Anna. Et finalement, elle avait bien fait. Mais l’effet de l’alcool m’empêchait d’avoir un raisonnement clair, cohérent. Milo m’avoue qu’il avait eu une peur bleue en apprenant ce qui s’était passé, peur à l’idée de ce qui aurait pu m’arriver. « Il ne s’est rien passé… C’est sans doute le plus important... » dis-je d’un ton assez détaché, presque inconscient.

Une fois arrivés devant mon immeuble, nous entrons à l’intérieur du bâtiment pour monter jusqu’à l’étage. Une fois arriver devant la porte d’entrée, c’est Milo qui prend l’initiative de sortir mes clés de ma poche de veste. Mon esprit était complètement embrouillée. Nos doigts se frôlent, c’est une sensation tantôt agréable tantôt déconcertante au vu de la situation. Le pilote de ligne ouvre la porte et nous pénétrons à l’intérieur de l’appartement. Le silence est maître. Soudainement, Milo m’attire contre lui. Mais que faisait-il exactement ? Il y a encore quelques heures à peine il me demandait de l’oublier, il me disait que nous n’avions plus rien à nous dire. Mon regard se pose dans le sien, ses lèvres se rapprochent des miennes. Étrangement je reste de marbre face à ce rapprochement. Comment était-ce possible ? Ou bien était-ce un rêve ? Qui sait. Puis lorsque je sens ses lèvres effleurer les miennes je comprends que tout ceci est réel. Soudainement, je panique. Je recule, je place mes mains entre lui et moi comme pour instaurer une distance. « Arrête... » dis-je dans un léger murmure. J’allume la petite lampe de l’entrée, puis je fais quelques pas en arrière entrant ainsi dans la pièce à vivre « Tu ...tu devrais partir avant que je ne te rende encore plus malheureux... » En reculant je viens heurter une chaise et manque de tomber, je me rattrape de justesse tout en lâchant un léger « aie ». « Tu l’as dit toi même, on n’a plus rien à se dire… Alors tu peux partir... » dis-je en retirant ma veste non sans difficulté et en la laissant tomber par terre. « Et puis je... je suis très bien toute seule... » dis-je finalement en allant dans la cuisine ouverte. Je m'appuie sur le comptoir, tentant de retrouver mes esprits, c'était difficile. Je tente alors d'attraper un verre pour boire un peu d'eau fraiche mais je le fais malencontreusement tomber à terre. Ce dernier se brise alors à terre me soutirant un long soupire. Quelle soirée. Difficilement je me met à genoux par terre pour ramasser les morceaux mais mes gestes étaient fébriles et maladroits.