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*Staying alive by the Bee Gees playing*
- Merde. Putain…

Je sors mon téléphone rapidement et raccroche pour couper la sonnerie. C’est ma mère qui m’appelle. Toujours au mauvais moment. J’entends Rain ricaner par-dessus mon épaule. Il a bien vu le nom de “maman” sur mon écran. De toute façon, il y a qu’elle qui à ce numéro. Elle et les membres du gang. Deux téléphones, deux noms, deux vies. Mais je suis pas assez stupide pour emmener mon autre cellulaire quand je suis en mission avec les Serpents. Je tape rapidement un sms à ma mère pour lui dire que je la rappelle, que je suis au travail. Si elle savait ce que je faisais, putain. Non, il vaut mieux pas. Pour elle je suis flic, son fils courageux qui a suivi les traces de son père. Hadriel Saad, fils de Lavi Saad. Si elle savait ce que je faisais actuellement.

Je regarde Rain tabasser le gars que je viens d’attacher à une chaise. On est au milieu d’un entrepôt qui pue l'humidité. C’est un miracle que ce truc tienne encore debout.

- On lui pète quelques doigts ? Ca t’apprendra à voler aux Southside Serpents, connard.

J’lui casse trois doigts. Un à la main droite et deux à la gauche. C’est terrible de se dire que ni le bruit de ses os qui craquent, ni les cris ne m’affectent. Je le fais de sang froid. Il n’existe plus grand chose pour me faire flancher. Plus de dix ans que je fais ce genre de sale boulot. Et croyez-moi, j’avais vu pire. J’avais fait pire. Le genre de truc qui devrait empêcher un homme de dormir la nuit. Alors pourquoi je suis pas insomniaque ? Je le suis parfois. Souvent j’arrive à me rassurer, à me dire que c’est pour la bonne cause, un mal pour un bien, ce genre de connerie. Ça m'aide à dormir. Un jour les Iotas tomberont et j’aurais participé à cette chute.

Enfin ça marchait au début.

C’est en sueur que je me réveille cette nuit. Je déteste rêver de mon père. Parce que ça me pousse à me poser des questions. Est-ce que je l’aime encore ? Est-ce que je l’aimais déjà avant ? J’avais dix ans quand il est mort. Tué en poste lors d’une descente contre un gang justement. Depuis je me suis juré de les faire tomber, tous. Mais j’étais un gosse. Puis, pourquoi je m’acharne sur les Serpents ? Alors que je les connaissais même pas. Si j’ai atterri à Fall River il y a onze ans, c’est parce qu’on m’a affecté là. On s’est sans doute dit qu’on allait envoyer le petit jeune dans une bourgade tranquille. Pas si tranquille si vous voulez mon avis.

Puis quand je pense à mon père comme ça, je suis même pas triste. Est-ce que ça veut dire que je ne l’aime plus ? Ou que je l’ai jamais aimé ? Je deviens un connard sans cœur à force de les fréquenter. Je me fais peur à moi-même. Pourtant, j’aime toujours ma mère, elle est loin, rentrée à Tel Aviv. Elle s’est assuré que j’aie une bonne place dans une bonne école de police avant de partir. C’était trop dur  pour elle, les States, c’était pas chez elle. Si elle était venue c’était simplement pour suivre mon père qui avait été muté à l’autre bout du monde. Si c’est pas de l’amour ça. Tout plaquer pour suivre la personne qu’on aime. Putain, ça se trouve je n’aime pas ma mère non plus. Si je l’aimais vraiment je serais rentré avec elle, non ? Non. Je l’aime toujours et c’est pour elle que j’ai suivi cette voie. Pour obtenir justice à ce qui est arrivé à mon père. Mais il a été tué par un gang à Boston, qu’est-ce que je fou là ? Rien à voir avec les Serpents.

Je peux pas faire marche arrière, c’est trop tard. C’est pour ça que j’aime pas penser à mon père. Ca me fait douter de mon travail ici. Putain de onze année infiltré chez les Serpents et j’ai peur du jour où on va les démanteler. Parce qu’ils sauront, ils sauront qu’il y avait une taupe et que c’était moi. J’ai pas peur qu’ils me retrouvent et me règlent mon compte. Je sais comment ça se passe et je me suis préparé à cette idée. Mais je suis pas prêt pour lire la déception dans leur regard. Surtout pas celui de Rain, putain.

J’arrive pas à dormir parce que je fini par ce constat où je me dis que, aujourd’hui, j’aime Rain plus que mon père. Ou alors c’est l’amour que j’avais pour mon père que j’ai rejeté sur lui quand j’suis arrivé chez les Serpents. Je prendrais volontiers une balle pour mon frère de cœur. Je l’ai déjà fait d’ailleurs. Et, au final, j’étais un gamin paumé aussi quand je suis arrivé chez les Serpents. Ils m’ont accueilli comme une famille. Je peux pas dire que je suis un renard dans un poulailler, parce que les Serpents n’ont rien de bestiole à plume qui n’ont que leur bec pour se défendre. Non, je suis plus une espèce de bombe à retardement. Mais avec un putain de décompte qui n’en fini pas. Parce que je passe mon temps à retarder l’échéance. Je dois exploser. Mais est-ce que j’en ai encore envie ?