Tu avais mal, tellement mal de la voir ainsi. Tu aurais voulu l’aider, peu pouvait importer comment, simplement l’aider. Pas parce que tu te foutais d’elle, encore moins par pitié mais parce que tout ton cœur se brisait de la voir aussi malheureuse. Échos à ton propre malheur que tu occultais non sans mal, tu tentais de faire le plus possible pour qu’elle se sente mieux. D’où le fait que tu fasse – un peu comme si de rien n’était. Tu tentais de ramener la douceur dans la violence de vos pensées : si elle était comme toi, nul doute qu’elle aussi morflait. Et puis, il n’y avait qu’a voir l’état dans lequel elle se trouvait, pour voir que quelque chose clochait. Mais tu avais peur. Tellement peur… peut-être qu’à force d’insister, elle ne voudrait plus de toi. Encore moins de ton amitié. Peut-être même que ton contact la rendait mal à l’aise, mais qu’elle ne disait rien, trop polie pour t’infliger un rejet ? Loin de toi l’idée de t’approprier Rose. Elle était l’être humain que tu préférais sur Terre, tu ne voulais pas qu’elle se sente prisonnière en ta compagnie. Tu défaisais ton étreinte légèrement, ton téléphone vibrant, signifiant l’arrivée de votre sauveur de sustentation. « ce doit être le livreur… je reviens ! » avais-tu lancé, lui adressant un sourire bienveillant tandis que tu filais, dévalant quatre à quatre les escaliers. Tu remerciais le livreur, remontais en courant et… manquais de te casser la gueule sur les cartons de ta princesse. Nom de dieu. Tu posais vos menus devant ta porte l’espace de quelques instants, rentrant à la hâte les cartons dans l’entrée de son appartement dont tu refermais la porte. Pas à clés, certes, mais au moins, ses affaires n’étaient plus à la portée de n’importe qui. Cinq minutes avaient passé. Enfin, tu rentrais chez toi, déballant les menus en espérant qu’ils n’aient pas refroidi – du moins pas trop. Tu lui adressais un sourire et lançais « j’ai mis un peu de temps, pardon… tes affaires étaient encore dehors et j’ai eu peur qu’on te les vole ou qu’on te les bousille… j’me suis permis de les rentrer dans ton couloir, pour être sûr que rien n’arrive. » tu lui adressais un sourire et lui tendais un burger et une barquette de frites, avant de lancer : « bon app ma belle ! » ni une ni deux, tu attaquais ton burger, affamé : maintenant que tu y pensais, ton dernier repas datait d’hier midi. Oupsi!

Ne plus penser. Parce que penser te fait souffrir, tu prends le parti de mettre ton cerveau en veille. Comme souvent tu l’avais fait, en fait. A chaque fois que quelque chose était trop difficile à gérer pour toi, tes pensées se mettaient sur off. Parfois si longtemps que tu n’arrivais plus à rien ressentir. Comme c’était le cas d’ailleurs depuis… tu ouvrais de grands yeux, en réalisant. La dernière fois que tu avais réellement aimé, inutile de la ressortir : on se doutait tous de la réponse. Charlie, encore Charlie, toujours Charlie. Tu l’avais aimée à en crever mais t’en avais plus que marre : elle était morte, enterrée, pourquoi fallait il que ton idiot de subconscient ne s’obstine encore et toujours ? T’avais envie de crier, de frapper ton crâne jusqu’à ressentir la douleur, pourquoi pas une lobotomie ? N’importe quoi qui pourrait la sortir de ta tête. Mais on éteignait pas des sentiments de la sorte, mort ou pas dans l’équation. Tu ne le savais que trop bien : tu n’avais plus rien ressenti depuis tant d’années non pas parce que tu étais de marbre, mais pour te protéger de la douleur de perdre quelqu’un qui nous est cher : pas de sentiments, pas de souffrance, CQFD. Tu ne l’étais pas mais pourtant tu le jouais, l’inatteignable.

Une fois de retour avec vos commandes, tu sens que quelque chose ne va pas. Que tu as pris des aises que tu n’aurais peut-être pas du prendre mais pourtant, elle se ravise, préférant te remercier, l’air de rien. Ton coeur se serrait. Il y avait encore de cela quelques jours, elle prenait ton visage entre ses mains et t’embrassait pour moins que ça. Ca te blessait, donnant raison à tous les mécanismes de défense que tu avais pu mettre en place par le passé : et voilà, maintenant c’était certain ; tu avais fait la pire des conneries, en baissant ta garde. T’installant de nouveau contre elle, tu explicitais : « je suis désolé… ils étaient dans le passage, j’me suis pris les pieds dedans et j’me suis dit… c’est que moi, on s’en fout, mais madame Barrow du cinquième, elle, est nettement moins ouverte à l’idée du bordel dans les espaces communs. Et puis… j’ai eu peur qu’on te vole des trucs ou qu’on t’en abîme, en étant aussi maladroit que moi. » tu grimaçais avant de lui tendre son menu, caressant son bras en réconfort, et tu commençais à manger avec appétit. Du coin de l’oeil, tu observais Rose, en train de lutter avec ses frites. La voir manger si peu te déplaisait et t’inquiétait, mais tu ne te sentais pas en droit de lui dire quoi que ce soit… Et pourtant. Tu soupirais, terminant ton repas « t’as pas mangé grand-chose ma Rose… est ce que t’es sûre que tout va bien … ? » avais-tu demandé, inquiet. Ton bras passait autour de ses épaules, la serrant doucement contre toi : toi qui avais voulu mettre de la distance entre vous deux, c’était raté, plus fort que toi, il avait fallu que tu recommences, comme avant, plus ou moins.

C’est naturellement que tu avais rentré ses affaires. Geste bienveillant que n’importe qui en ayant un tant soit peu quelque chose à faire aurait eu. Et pourtant, Rose semblait étonné. Pire encore, elle semblait un brin mécontente. Et après tout, tu comprenais : elle voulait maintenant à peine te faire la bise, comment pouvais tu penser qu’elle serait ok à l’idée de te voir tripoter ses propres cartons ? Tu grimaçais, à peine rassuré par ses mots : probablement la politesse qui parlait : elle ne voulait plus de toi, tu avais compris le message. Sans un mot, tu secouais la tête, la mine sombre. Cette remarque, tu l’avais comprise, tu n’étais pas idiot. Si le but était de te piquer, ça avait marché. Le couteau s’enfonçait encore plus profondément dans la plaie. Tu déglutissais difficilement, putain que t’en avais marre de ce petit jeu entre vous ! C’était pas drôle. Tu soupirais et te défendais, d’un ton assuré, presque vindicatif, pourtant murmuré, comme si le faible volume de ta voix allait adoucir tes propos : « J’ai jamais dit que je ne te voulais pas dans ma vie. C’est toi qui ne veux pas de moi dans la tienne ! » à force de te repousser, elle avait fini par t’en persuader. Pourtant, tu n’avais de cesse d’avoir ces gestes tendres, c’était plus fort que toi. Blessé, tu soupirais lorsqu’elle se lovait contre toi. T’avais envie de vomir, de pleurer, de gueuler mais surtout, de l’embrasser. De sentir sa tête contre ton torse pour l’éternité. Paumé, tu restais là, boudeur, la mâchoire si crispée que t’en avais mal : tu luttais pour ne pas pleurer. sois un homme n’avais tu de cesse de te répéter. Tu caressais son dos, hochant la tête, presque rassuré par ses explications. Tu n’avais clairement pas la force d’argumenter.Sourire sans joie sur le visage, tu arquais un sourcil. Tu ne comprenais pas son jeu, tu n’étais d’ailleurs même pas certain de vouloir y jouer et pourtant t’avais légèrement ri : « sérieusement ? » tu attrapais la frite du bout des lèvres, lui adressant une grimace moqueuse, comme pour détendre l’atmosphère. Si elle savait que ce n’était pas de patates, dont tu avais faim… peut-être se rendrait elle compte que tu la dévorais littéralement du regard.

Comment arrivait-elle à te faire rire même lorsqu’elle te blessait ? Quelque chose n’était pas net. Tu ressentais à la fois ce bien-être et cette douceur dont seule elle avait le secret mais paradoxalement, tu n’avais que rarement eu aussi mal de toute ta vie. Comme une brûlure au fond de ton coeur, que tu n’aurais pas voulu soigner. Qui te consumait lentement mais sûrement : t’aurais même pas voulu que ça change. Incapable de lui en vouloir, tu avais ri légèrement, balayant par la même occasion le sujet de discorde ; elle était la dernière personne avec qui tu aurais voulu – ou même pensé t’embrouiller. Tes doigts jouaient avec les siens et tu secouais la tête « J’suis forcé à rien, quand il s’agit de toi. » comprendrait qui pourrait. Pas encore au stade de lui faire des déclarations, tu tentais au moins d’être aussi clair que possible sur tes intentions. Tu reprenais quelques frites, en avalant quelques unes et à ton tour en présentais une devant sa bouche, un air amusé se dessinant sur ton visage. T’avais passé l’âge qu’on te donne la béquée, pourtant, ce petit jeu avait quelque chose de satisfaisant, lorsque Rose l’orchestrait si bien que tu t’y prêtais sans rechigner. Le coeur serré, tu attrapais un sopalin et essuyais ta main, qui bien vite rejoignait sa joue, encore et toujours attirée par la douceur de sa peau, qui pourtant t’était interdite.

Passer à autre chose. Quelque chose que tu avais appris à faire seulement récemment. Il y avait de cela encore quelques mois, tu avais du mal. En fait, ça t’était même impossible. Tu avais besoin de revenir, encore et encore sur la chose qui t’aurait touché, agacé ou … peu importait. Tout était bon, pour retourner les situations de malaise dans tous les sens. Maniaque du contrôle, tu n’avais jamais réalisé que c’était en voulant avoir la main sur tout que tu te mettais en danger. La capacité de l’être humain à s’adapter, n’était-ce pas là la façon dont l’espèce avait survécu durant tout ce temps ? A trop jouer les psychorigides, tu allais finir par bouffer les pissenlits par la racine. Et ça, tu l’avais bien compris, lorsque tu sortais avec cette fille. juste pour voir. rien de sérieux, mais pourtant, t’avais voulu te guérir en vain tu voulais tellement que ça marche que tu t’en étais rendu malade. L’angoisse s’était emparé de toi, les saignements de nez s’étaient multipliés, trahissant ton mental champ de ruines. T’avais fini par craquer. Quelques mois d’épuisement, de douleur, d’efforts qui t’avaient poussé à te ramasser, les dents en avant, sur le bitume. Blonde virée de ta vie, vacances prises, tu avais repris ta vie à zéro peu de temps avant que Rose ne revienne dans ta vie… Ton cerveau avait beau te crier l’évidence de plus en plus fort, tu avais peur. Peur de ne pas être capable, peur de la blesser autant que tu te savais capable de t’abimer et détruire tes relations. La blonde avait été ton cobaye, tant pis. Mais Rose méritait mieux que ça ; et en attendant d’être capable de lui offrir ce qu’elle méritait, tu préférais laisser couler.

Au bout de quelques instants, elle finit par battre en retraite et avaler sa frite. C’était peu, c’est vrai. Mais au moins, c’était un peu plus : petit à petit, l’oiseau fait son nid. un sourire béat se fichait sur ton visage tandis que Rose se lovait timidement contre toi, qui caressais son bras, pensif. Ta joue se posait doucement contre ses cheveux ; tu profitais de son odeur à laquelle tu étais déjà accro. A ton tour, tu profitais du moment, fermant les yeux. Bon dieu, ce que tu te sentais bien dans cette posture… t’aurais pu y rester des heures.

Il avait suffi de ce "moi aussi" pour que ton sang ne fasse qu'un tour et que Rose ne t'arrache un immense sourire. Déjà ravi a l'idée de la croiser dans le couloir, dans l'ascenseur ou même en bas, a la porte ou dans le hall. Tu t'imaginais, là, relever son courrier ou arroser ses plantes si elle s'absentait, bien que l'idée de ta brune repartant à Boston te fendait le coeur . Bref... Une vie de parfaits voisins, a défaut d'être colocataires , pour ne pas dire plus. Tes doigts jouaient avec le tissus de son haut — le tien, de base, ce qui aurait pu rendre le move étrange. Toujours lové contre elle, tu lui adressais un immense sourire et ne bougeais pas d'un iota, excepté pour attraper ton verre ou son burger que tu lui proposais subtilement —aussi subtile que ta soeur lorsqu'elle tentait de fouiller ta vie amoureuse ! Et qu'elle finit par accepter. Le temps était passé d'une vitesse déconcertante. Juste assez pour pousser ta belle a rentrer chez elle et pour que tu n'aies qu'une envie, péter cette putain de cloison qui vous separait. En attendant de pouvoir le faire, tu t'allongeais contre ce mur, les ronrons de Shaky te berçaient. Mais tu restais suffisamment alerte, à l'affût du moindre bruit qui pourrait ramener Rose, l'espace d'un instant, dans ton jardin secret.