Rose a eu la meilleure idée du siècle. Toi qui adores ce genre d’endroits, t’es sur un petit nuage. Même mieux. Il est rare que tu te permettes de partir à la mer ou ailleurs, alors l’idée même de partir avec Rose… t’es hypé comme jamais. Mais t’es éclaté, heures de vol et incapacité de dormir dans l’avion oblige, gosse à Noël que t’es à l’idée de cette escapade en amoureux. Tu t’extirpes de ta torpeur et fonces la rejoindre dans la démarche du type qui se réveille, plus que malhabile.

« dans l’excès moi ? Jamais, tu sais très bien que non ! » tu ricanes et roules des yeux, moqueur, en la voyant bailler comme jamais. Tu lui tires la langue et serres doucement sa main dans la tienne. Tu hoches la tête : elle a raison, il n’en tient qu’à vous, de faire de ce moment un temps de pause inoubliable, rien que pour vous. Des souvenirs plein la tête et surtout… tu arques un sourcil en réalisant « eh. C’est notre première escapade, toi et moi. » enfin, il y avait bien eu l’aller retour chez Arno, mais tu préfères ne pas y repenser. Une fois à l’extérieur, tu mets tes lunettes de soleil, ébloui par la clarté du jour. « t’as eu raison de me convaincre de sortir ! Il fait trop beau ! » tu poses ton premier pas sur le sable chaud, ça t’arrache un sourire : l’été en avant première. « on va se baigner ? » que tu proposes, plein d’entrain en t’approchant du bord de l’eau.

Il y a quelques semaines de ça, tu n’aurais pas cru partir avec Rose. Pas parce que tu ne l’aimes pas ou que tu détestes chacun des moments passés avec elle, c’est même largement le contraire, mais quand tu penses à ce jour où vous vous êtes embrouillés pour une bête photo, t’as conscience que vous revenez de loin. T’as conscience aussi qu’entre vous, les choses sont loin d’être acquises, alors tu fais des efforts. La photo remisée avec les autres, dans une boite que tu gardes précieusement sur la dernière étagère de ton dressing, a été remplacée par un petit mot à l’attention de Rose, au cas où elle ait l’idée saugrenue de revenir donner raison à sa jalousie en fouinant dans ta coque de téléphone. « Je t’aime jusque dans ma coque, mon amour <3. » as-tu écrit avec ironie, espérant que ça la fasse marrer et surtout : que ça puisse enfin éteindre ses doutes. Au départ, t’étais inquiet : superstition idiote, toi qui étais convaincu que cette photo te portait bonheur, t’étais convaincu que la chance allait finir par te quitter, si tu l’éloignais de toi. Mais t’avais pas besoin de ça. Ou du moins t’en avais plus besoin. Tu réalisais peu à peu que pour Rose, tu pouvais faire tous les efforts du monde. Peut-être pas réussir du premier coup, t’es loin d’être le gendre idéal, mais ça vaut le coup d’essayer, non ?

Bienvenue au Mexique ouais. Elle ne croit pas si bien dire, ta Rose. Tu ne dis rien, mais tu te dis presque que la destination a été choisie volontairement. Du Mexique, tu n’as aucun souvenir, t’étais bien trop jeune, quand vous en êtes partis. Trois ans à peine, là où l’âge de raison est censé se manifester à sept. Et encore. Du haut de tes trente berges, t’es même pas certain qu’il ait su débarquer un jour chez toi. Cependant, ton mauvais esprit concernant ta génitrice pourrait presque te pousser à l’accuser d’un départ précipité et volontaire dans le but de te faire oublier. Mais et si tu voulais te souvenir ?? Well. Loin de toi l’idée de résoudre ta blessure d’abandon là, tout de suite, sous le soleil cuisant. Tu vous imagine mille fois plus à bronzer et siroter une piña colada plutôt qu’à courir derrière un passé qui t’est bien trop douloureux. Ta main dans la sienne, tu cherches un endroit légèrement en retrait où vous pourrez vous poser sans être importuné. Mission impossible et pourtant, tu finis par proposer de laisser vos serviettes là, non loin du bord de mer mais suffisamment pour que les vagues ne viennent pas voler vos affaires. Tu t’étires, souris et déposes un baiser sur son front, avant de lancer, malicieux « le dernier à l’eau fait la vaisselle ce soir ! » un rire enfantin s’échappe d’entre tes lèvres tandis que tu te mets à courir sur la maigre bande de sable brûlant qui vous sépare de l’eau : à cet instant précis, tu ne voudrais être nulle part ailleurs .

Un moment de répit dans le tumulte. Ces dernières semaines ont été plus que mouvementées et tu sais que Rose a besoin de souffler. Toi aussi, d’ailleurs, mais tu ne te plains pas : les derniers stress te concernant étaient si dérisoires qu’il serait risible d’en parler. Oui, tu as oublié un mot, lors d’une représentation, et alors ? Tu l’as remplacé, l’air de rien. Tu aimes jouer ainsi les anguilles. Toujours là où on ne t’attend pas, tu sais rouler sur le côté, glisser entre les doigts de l’adversité. Ni vu ni connu. En tous cas, ces menus tracas ne sont rien à côté de ce qui attend ta Rose. Quand tu y penses, ça te tord le ventre, t’inquiète autant que ça te noue, de la voir aussi tendue. Et en même temps, c’est l’inverse, qui serait étrange et inapproprié : y aller trop détendu ? La meilleure façon de finir derrière les barreaux. Voilà pourquoi, tu te conduis comme un gamin. Il peut être des moments où lâcher prise peut être difficile. Celui-ci n’en fait pas partie. Parce que tu sais pertinemment que demain est incertain. C’est sans doute ça, qui te pousse à agir de la sorte. Ça te fait bizarre : toi qui ne penses jamais aux conséquences, voilà qu’au fond, niché au creux de tes tripes, se cache une peur inavouée de page qui se tourne. Tu ne veux pas que Rose soit jugée coupable, tu as peur pour elle, que tu aimerais garder égoïstement auprès de toi et non dans une cellule. Alors oui : votre séjour, t’as bien décidé d’en profiter, de prendre soin d’elle, et, si des pulsions d’ado un peu stupide se présentent, tu ne les refouleras pas, tant pis ! Tu veux profiter. Et ça commence avec ce jeu débile que tu lances, taquin… tu te mets à courir et surpris, gueules comme pas permis, ta main se posant sur son bras qui t’encercle pour te faire tomber à l’eau. Mort de rire, tu tousses l’eau et l’iode qui se sont emparé de tes voies respiratoires, et tu ricanes « tu sais mon coeur, t’avais juste à me dire que t’avais la flemme de la faire, la vaisselle ! D’autant qu’il y a une machine, dans le B’n’B ! pas la peine de nous tuer ! » tu te marres et l’embrasses dans un baiser humide, et puis tu défais ton emprise « ça va quand même ? J’ai vraiment cru que t’allais te noyer ! » tu réprimes un rire et plonges ton corps entier dans l’eau dans un semblant de planche : le temps est bon, le ciel est bleu… et bon sang, que l’eau est bonne !

À la voir te tirer la langue, tu ricanes. Ça te fait du bien, de la voir rire et sourire. Ces derniers temps, ça a été plus que difficile et en même temps, tu ne vas pas la blâmer. Personne ne sait comment il réagirait à sa place. Pas même toi qui pourtant, es aux premières loges. Tu connais tous les détails de cette histoire. Tu sais aussi les hauts, les bas, les peurs. Et tu comprends que Rose ait difficilement confiance en qui que ce soit, on parle quand même de son avenir, c’est sa liberté, qui est en jeu et dont, paradoxalement, vous venez profiter au maximum, en étant ici. Comme pour vous prouver que la vie est toujours belle et que Rose est toujours aussi libre. Qu’elle le sera toujours. T’as jamais été croyant, encore moins depuis le décès de Charlie (quel dieu serait assez tordu pour faire partir des gens merveilleux de maladie?) mais pourtant, ça fait quelques semaines que tous les matins, tu pries pour le sort de Rose. C’est con, mais rester impuissant, ça te fout la gerbe.

Tu ris en la voyant tousser et hausses les épaules « ben, franchement j’aimerais bien que tu me le rappelle, ouais ! Tu m’as sauté dessus tout d’un coup, comme une sauvage sur l’homme sans défense que je suis ! C’est scandaleux ! » que tu lances, moqueur, en répondant à son baiser par un autre. Tu secoues la tête « ce qui aurait été bête, ça aurait été de ne pas essayer. Tu sais très bien qu’à ta place, je ne me serais pas privé. » tu ricanes. A croire que ton côté gamin, parfois épuisant pour tes proches, mourra avec toi. T’es impossible.

Là, à faire la planche, tu soupires d’aise, bercé par le mouvement de l’eau et le soleil sur ta peau qui frissonne au contact de Rose. Instinctivement, tu attrapes sa main et entrelaces tendrement vos doigts avant de répondre « Moi aussi, ça me fait du bien, d’être ici avec toi. Et tu sais quoi ? On va se promettre un truc. Des escapades comme ça, on en fera encore des milliers. » de l’extérieur, ta phrase pourrait être perçue comme ingénue, le résultat des mots d’un amoureux transi. Mais tu sais que Rose comprendra le sous texte. Tu parles de quand tout sera terminé. Que cette histoire ne sera plus qu’un lointain souvenir.