La dernière fois que tu avais vu Rose, ça ne s’était pas bien terminé. Cette fois, c’était elle, qui était partie, te tournant le dos. A regrets ? Probablement que non. Elle avait l’air déterminée à te rayer de la liste de ses envies. Bon ça, c’était pas nouveau. C’était même quotidien, depuis quelques temps. Plus de nouvelles, tu guettais le moindre bruit pouvant provenir de chez elle qui pourrait te rassurer, mais en vain. Comme si elle avait déjà pris la poudre d’escampette ; à croire que cette courte aventure de voisins voisine n’avais été qu’une illusion : et si tu l’avais hallucinée ?  Quelques messages échangés avec ta sœur, tu avais envie de vomir. Peut-être à cause de ta cuite, qui durait depuis… depuis combien de jours déjà ? Trois, peut-être quatre, t’étais plus sûr, tout ce que tu savais, c’était que la dernière fois que t’avais été sobre, Rose te crachait son venin. Ou du moins, avait des mots plus froids encore que l’Alaska. Venant d’elle, ça t’avait perturbé. Elle, la douce, la belle, celle d’une rare patience t’avait flanqué l’équivalent d’une gifle dans la figure et depuis… tu vivotais, réchauffant ton coeur d’alcool. Ce sont les messages de Nana, qui t’avaient fait desaouler instantanément. Rose allait partir, une nouvelle fois. Tu avais eu raison : elle t’avait fait une promesse qu’elle ne tiendrait pas mais malgré la non surprise de l’évènement… tu te sentais mal à crever. Il fallait que tu fasses quelque chose, pas question de la perdre une nouvelle fois. Mais il y avait un point noir. Ta représentation du lendemain ; jour où Rose avait le mauvais goût de filer. Non. Tu ne jouerais pas sans elle. Mais pour la forme, tu décidais d’aller à la répétition générale de l’après-midi. Tu n’y voyais pas plus clair sur cette situation simplement, tu savais pertinemment que ta brune n’ouvrirait pas la porte si tu y frappais : pas la peine de te fatiguer à essayer. Et puis, pour lui dire quoi, au juste … ? Elle ne te croirait probablement pas. A la recherche d’une solution, tu avais passé ces quelques heures en pilote automatique, jusqu’à l’heure d’aller te coucher. Ou plutôt t’écrouler. Ton metteur en scène avait bien vu, que tu n’étais pas dans ton état normal et s’était empressé de le pointer du doigt : tout devrait être parfait pour le lendemain, tu ne pouvais pas te planter. Comme si tu n’étais pas au courant . Comme si tu en avais quelque chose à faire. Le théâtre était toute ta vie mais pourtant, à cet instant précis, t’en avais pas grand-chose à foutre, focalisé sur ton plan de chevalier blanc : Rose prenait son avion à 8h30, il fallait absolument que tu sois, pour une fois, à l’heure.

Tu finis ta nuit dans le taxi. 8h. Tu te faufilais dans le hall, cherchant la porte où Rose prendrait son avion. Sa silhouette se dessinant devant toi, la nausée te prit le ventre. Cette fois, c’était pas l’alcool, t’en aurais mis ta main à couper ; t’avais rien bu depuis environ 24h.  C’était ta nervosité. Cette putain de nervosité qui s’emparait de tout ton être. Tu réalisais que tu étais en train de la perdre, et ça te rendait malade. Tu fronçais les sourcils, déterminé, tes poings se serrant. Tu prenais littéralement ton courage à deux mains et lâchais, interpellant Rose dans la foule « Rose ! Rose attends. Restes. J’veux pas qu’tu partes. » les yeux embués de larmes, tu déglutissais difficilement. T’avais jamais été fort pour les au revoir, raison de plus pour lui demander de rester.

Pas sans elle. Tu ne repartirais pas sans elle, tu t’en étais fait la promesse. Le coeur lourd, tu t’étais avancé, presque rassuré qu’elle ait gardé ton sweat. Bon, ok, c’était peut-être idiot, mais quelque part… elle était un peu partie avec une partie de toi. Enfin : partie ? Non, pas encore. Tu l’avais appelée et à la voir hésiter, tu avais eu peur qu’elle ne se retourne pas. Ton coeur avait raté un battement, puis deux ; un peu plus et t’aurais fait une attaque. Mais ton heure n’était pas venue. Toi, t’étais destiné à mourir sur scène, comme Shakespeare ou Dalida – deux salles deux ambiances, il en fallait bien pour tous les goûts, non ? Tu déglutissais difficilement en la regardant avancer vers cet avion qui la séparerait de toi. Tu ne pouvais pas t’y résoudre. Alors tu pressais le pas, te faufilant comme tu pouvais, entre les gens que tu poussais et qui à raison, râlaient. Ce n’était pas de l’impolitesse, c’était un cas de force majeure. Ils s’en remettraient. Sur le fil, tu attrapais son bras et la retenais là, à quelques centimètres des portiques. Le temps comme tes gestes restaient en suspends. Tu ne réalisais pas que c’était en train de se passer. A la manière d’une comédie romantique Hollywoodienne, tu mordais ta lèvre inférieure et secouais la tête à sa remarque « Rose, écoute moi, j’veux pas que tu partes. Je… j’suis désolé. Pour tout. Restes avec moi. » ta gorge se serrait tandis que tu serrais Rose contre toi. Comme si ton étreinte allait l’empêcher de prendre la fuite… eh, quoi, qui ne tentait rien n’avait rien, n’est ce pas ?

L’incompréhension était complète. Pourquoi Rose devrait partir ? Pourquoi devrait elle vous abandonner, Athéna, toi, sa maison … ? Surtout toi. T’avais l’impression de perdre une partie de toi, à l’idée qu’elle se fasse la malle. Un abandon de plus. Mieux vaut être seul que mal accompagné ? C’était ce que tu t’efforçais de répondre à qui voudrait bien t’écouter, mais tu ne voulais pas. Tu ne voulais plus. C’était des conneries, tout ça. Un grand jeu d’acteur qui pendant un temps avait fait son petit effet, avait trompé son monde, toi le premier. Mais tu n’étais plus dupe : rester seul te faisait souffrir, il fallait que ça cesse. Parce que rester seul signifiait sans elle. Et que tu ne pouvais clairement pas t’y résoudre. Alors t’as essayé de la retenir. D’abord, en faisant appel à la raison, tant à la sienne qu’a la tienne. C’est là, qu’elle t’a expliqué. Mais tu n’as pas voulu comprendre, tant l’idée d’un départ était douloureuse. Et puis, tu ne comprenais pas : si elle devait récupérer des affaires, pourquoi ne reviendrait-elle pas ? Il y avait sans doute autre chose. Autre chose qui justifierait qu’elle reste là-bas. Avait-elle rencontré quelqu’un d’autre ? L’idée te rendait dingue, mais si elle était heureuse, alors tu serais prêt à faire un effort. A faire au moins un temps, semblant que tout allait bien. Mais elle avait l’air malheureuse et fatiguée. Tout le contraire de ce à quoi tu aurais pu t’attendre. Incompréhension des plus totales, tu déglutissais. Tant pis pour la raison, tu laisserais le coeur prendre le pas sur le reste. Ce qui ne t’arrivait jamais, lorsqu’il s’agissait d’autre chose que d’amitié ou de famille. Même dans ta carrière. Ok, t’avais fait des choix qui te prenaient aux tripes, mais toujours ta tête parlait, jusqu’à t’empêcher de dormir la nuit. C’est là, que t’avais évoqué ton besoin de la voir dans la salle ce soir. Même besoin qu’elle avait interprété comme étant une sorte de chantage… ou pas. Tout était flou. Tu te perdais entre ce que tu attendais, ce que tu pensais qu’elle attendait, et ce que tu imaginais qu’elle attendait vraiment. T’en avais le vertige. Incapable de lutter, tu battais en retraite. Tu faisais quelques pas, avant d’entendre un bruit sourd, qui te fit sursauter et surtout, te retourner. Tu te mis à courir jusqu’à Rose, totalement paniqué en la voyant, morceau de chiffon au sol. Tu t’agenouillais, prenant sa main gelée dans la tienne. Probable baisse de tension. Tu pris une grande inspiration, gardais l’air puis expirais le plus longuement possible pour reprendre ton calme. Elle tremblait et était devenue blanche, terriblement blanche. Sa respiration était rapide, saccadée, il ne t’en fallut pas plus pour comprendre. Pas parce que t’étais un petit génie de la médecine – ça, tes cours séchés attestaient du fait que… non. Mais t’étais passé suffisamment de fois par ces états pour te souvenir « Rose… ma Rose, reste avec moi… respires... » tu l’aidais à se redresser légèrement, posant sa tête sur tes genoux et sortais une bouteille d’eau de ton sac « je suis là… doucement » lançais-tu d’un ton des plus calmes pour essayer de la rassurer du mieux que tu pouvais… Instinctivement, ta main caressait ses cheveux d’un geste lent, comme avec l’espoir de la bercer. Il fallait qu’elle se calme.

Qu’est ce qui avait bien pu se passer pour que vous en arriviez là ? Tu n’en avais aucune idée. Ce que Rose avait vécu intérieurement pour se retrouver à trembler au sol lui appartenait, bien que tu aurais voulu prendre cette douleur sur toi, si ça avait pu la soulager. Tu n’aimais pas la détresse que tu voyais dans son regard, transpirer de tous ses pores. Alors tu avais tenté, comme tu pouvais de la rassurer comme tu aurais aimé l’être, lorsque tu avais traversé des états similaires. Et encore ; jamais tu n’avais eu d’angoisses aussi fortes. La voir pleurer te fend le coeur, faisant monter à leur tour les larmes contre lesquelles tu luttes : non, elles ne sortiraient pas de sous tes paupières. Ta main se serrait doucement sur celle de Rose tandis que l’autre caressait tendrement ses cheveux. Tu ne voulais pas l’affoler, mais son état t’inquiétait. Tu réfléchissais, essayant de retrouver le moindre souvenir de tes cours de médecine. « Rose… est-ce que t’as mal quelquepart … ? » tu n’avais pas vu si sa tête avait heurté le sol, tu avais besoin d’indications de sa part. Tu retirais ton manteau et le pliais pour en faire un coussin qui soutiendrait sa nuque. Doucement, ta main passait dans son cou sous lequel tu glissais ton coussin de fortune et déposais un baiser sur son front avant de lancer « ça va aller. Respires ma Rose. Doucement. Suis moi. » tu lui adressais un sourire et commençais à faire l’un des exercices de respiration que tu utilisais pour te recentrer avant d’entrer sur scène. De quoi faire abstraction du stress et te concentrer : deux en un. Mais tu étais perturbé par ses larmes qui n’avaient de cesse de couler. Tu relever ton regard vers le plafond quelques instants : tu ne devais pas pleurer. Le coeur lourd, tu lâchais, murmurant « c’est rien Rose. Ca va aller… Fais moi confiance... »

Tu ne veux pas la lâcher. En fait, la voir dans cet état te faisait réaliser : ce que tu ressentais, c’était pire encore que ce que tu imaginais. Tu tenais elle, plus que de raison. A y penser, t’avais la haine. La haine contre ce salaud qui avait suffisamment de pouvoir sur son mental malgré l’éloignement pour la mettre dans un tel état. La peur de l’avion peut-être ? Non. Peu de risque. Elle avait changé d’état à l’instant même où tu avais maladroitement évoqué son connard d’ex. T’avais la gerbe, tellement t’étais en colère, mais tu ne pouvais rien lui montrer, inutile de lui transmettre ces sentiments néfastes qui te rongeaient dans cet instant. Tu fermais les yeux, te concentrant sur ta respiration et celle de Rose, que tu t’obstinais toujours à tenter de calmer, peut-être, par la même occasion, que tu tentais de canaliser ton inquiétude. Tu continuais d’observer les réactions de Rose. Pas de réponse à ta question, tu grimaçais, espérant qu’elle ne s’était pas blessée. A première vue, tout semblait aller, du moins physiquement. Elle n’avait pas de bosse ni de bleu et ne réagissais pas mal à ta main sur sa peau. Peut-être aurait elle, demain, des courbatures ou contusions… ?

Sa voix, faiblarde, s’élevait dans l’air et tu l’observais, te concentrant sur le moindre de ses mots. « hey… tout va bien. C’est important, ce que tu dois récupérer ? » important pour elle ou de façon générale, c’était égal. Tu te grattais la tête, réfléchissant quelques secondes avant de proposer, hésitant : « qu’est ce que tu dirais, si… Je venais avec toi ? Est-ce que ça t’aiderait ? Et puis… peut-être qu’on irait plus vite à deux ? » tu lui adressais un sourire bienveillant et te redressais légèrement, t’aurais rompu ce contact pour rien au monde mais tu commençais à avoir des crampes, dans cette posture…

Les promesses en l’air ? Très peu pour toi. Preuve en était ta franchise quant à ta capacité à te caser globalement inexistante. Et pourtant… ça te bouffait de l’intérieur, ce putain de regret qui te rongeait depuis que tu avais lâché ces quelques mots. Plus tu y pensais, moins tu savais si c’était elle ou ton coeur meurtri que tu avais voulu protéger sur le coup. Mais si c’était la seconde option, c’était pire que tout loin d’elle. Voilà pourquoi tu avais proposé de l’accompagner. Le temps était compté, son avion allait s’envoler, mais pas sans vous, comme tu l’avais si amèrement prétendu quelques minutes auparavant. Avant que tout ne s’effondre autour de toi, Rose y compris… littéralement, dans son cas. Lorsque tu revins et la retrouvais sur place, n’ayant pas bougé d’un pouce, tu ne pus cacher ton étonnement et passais ton bras autour du sien « allez ma Rose, allez ! On ne va tout de même pas le rater, cet avion ! Pas après tout ça ! Et puis… y’a pas de temps à perdre : ma femme est en train d’accoucher à Washington ! » tu réprimais un rire, lui adressant un clin d’oeil lourd de sens, pour lui faire comprendre la ruse de laquelle tu venais d’abuser. « Heureusement qu’il y a encore des personnes gentilles en ce bas monde… j’ai presque honte, d’avoir dupé cette pauvre femme. » tu ricanais, moqueur et secouais la tête « j’plaisante. Si ça me permet de m’envoyer en l’air avec toi… j’le referais, si c’était à refaire. » tu riais légèrement, presque toi même gêné par ta propre blague vaseuse et surtout, faite beaucoup trop tôt. Et à sa réponse, tu restais d’abord ébahi « Je… j’ai aucune intention de rentrer sans toi, de toutes façons. » que tu lançais, en lui adressant un sourire et passais ton bras autour de sa taille « Merci ma Rose… » que tu lançais, touché et rassuré par son aveu.

Toi ? Ne pas imaginer comme pouvait être Arno ? Oh, si. Bien sûr que si. Evidemment, il n’était pas la personne qu tu avais le plus croisé dans sa vie, et dans le fond, c’était sans doute une bonne chose : si vous vous étiez fréquentés, nul doute que vous auriez fini par en venir aux mains. Toi, le comédien de ton Etat, tu n’aimais rien chez ce gars. Sa façon d’être, de parler, d’apparaître au monde ; tout était une invitation chez ce pauvre type à être détesté. Et puis, il avait réussi à avoir le coeur de Rose, joué avec et maintenant qu’il était brisé en petits morceaux, il décidait de tout brûler. Littéralement… -- décidément, tout était une question de feu, avec Rose, tu aurais du te méfier ; à trop se rapprocher du soleil, t’allais toi aussi te brûler les ailes. S’être joué de ta belle, c’était bien suffisant pour avoir envie de le dégommer. Ennemi public numéro un sur la liste des gens que t’avais envie de dézinguer. « hey. Ca va, tout va bien. T’as pas besoin de te justifier. » tu adressais un clin d’oeil à Rose et un sourire « imagines-le avec une grosse gastro. Tu verras : il sera bien moins impressionnant. Et puis… Tu vis loin de lui maintenant. Il ne peut plus avoir d’emprise. Ni sur toi, ni sur personne. Et puis… J’suis là moi. J’le laisserai pas t’atteindre. Ni physiquement, ni moralement. Première incartade, patate de forain. » tu ne parlais jamais de la sorte mais rien que l’idée de le croiser te faisait remonter des relents de colère insoupçonnés. T’étais pas le gars le plus violent – ta dernière bagarre remontait sans doute au lycée, mais pour le coup, ta réaction était… épidermique c’était plus fort que toi. Malgré tout, tu prenais sur toi autant que tu pouvais ; tu ne pouvais pas te résoudre à lui transmettre cette négativité qui bouillonnait en toi, putain de bombe à retardement que tu étais.

Une fois sortis de l’aéroport, tu sentais l’envie de rebrousser chemin. Tant chez Rose que chez toi, d’ailleurs. Mais une fois de plus, tu ne montrais rien, te contentant d’être un soutien pour la jeune femme et, pour garder une contenance, tu pris une grande inspiration, un sourire crispé sur le visage lorsque l’homme ouvrit la porte. Tu roulais des yeux, ne pouvant pas t’en empêcher « le ‘culot’ de venir ? T’as ses affaires, Ducon. » tu évitais le regard de Rose, ne sachant pas comment elle prendrait ton intervention. Prendre sur toi. Il faudrait… wait what ? tu ramassais sans aucune raison sa petite attaque mesquine et arquais un sourcil « tu sais ce qu’on dit : tout dans les muscles, rien dans la tête. P’tite bite. » Mesquin ? Ouais. T’étais entré dans son jeu à deux pieds joints et serrais la main de Rose dans la tienne, lui adressant un regard désolé : t’avais clairement merdé. Tu finis par te taire, préférant laisser Rose gérer pour ne pas empirer la situation : t’avais assez fait de mal comme ça. Une fois dans la buanderie, tu t’assurais qu’il ait le dos tourné pour murmurer à l’oreille de Rose « excuses moi. J’voulais pas te mettre dans l’embarras, mais j’ai extrêmement envie de lui casser la gueule à ce crétin. » tu lui adressais un vague sourire et lâchais « alors… est-ce que t’as tout ici ? Il ne manque rien ? Prends ton temps surtout. » conseil qu’on aurait pu croire ironique mais pourtant on ne pouvait plus sérieux : tu voulais qu’elle reparte avec l’intégralité de ses affaires, sans exception aucune.