Les choses devenaient peu a peu plus simples entre Rose et toi et pourtant: tout dans ta tête se complexifiait. T'étais conscient de ce que tu ressentais et tu commençais à l'accepter : pourquoi te battre contre l'évidence ? Rose avait une place particulière dans ton coeur et la verité était telle : jamais ton coeur ne pourrais se suffir d'une simple amitié. D'une simple relation voisin-voisine. Comment pourrais-tu t'en contenter alors qu'elle peuplait tes nuits ? La croiser était un supplice. Une douce agonie, petite mort lente que tu chérissais, si tant était qu'elle te permettait de voir cette frimousse adorable dont tu te languissais dès lors que tu fermais ta porte. Combien de fois avais tu voulu parler avec elle, au travers de votre mur commun ? Mais tu ne connaissais pas le morse et pas sûr que le seul mot que tu connaisses "SOS" ne rassure ta princesse. Tu t'étais donc abstenu, favorisant les échanges par SMS.

Ce qui d'ailleurs t'avait vallu de débarquer là, dans ce café où elle t'avait donné rendez-vous. Tu avais cherché un court instant avant de finalement la trouver, lui adressant un léger signe de la main. Une fois a sa hauteur, tu t'étais installé, après avoir déposé un baiser sur sa joue... Mais la belle semblait tendue. Si tendue qu'elle aurait pu te donner son stress. pas question de flancher. Tu déposais ta main sur son bras que tu caressais de ton pousse, geste affectueux destiné à la détendre, un tant soit peu... Mais elle n'en demordait pas. C'était plus fort qu'elle. Tu lui adressais un sourire, nerveux, et finissais par demander, inquiet «qu'est ce qui se passe ma Rose ...? Tu sais que tu peux tout me dire n'est ce pas ?» tu baissais ton regard sur ta main et son bras. Tu avais un sale pressentiment.

Entre nervosité et joie intense, t’aurais jamais cru qu’une annonce de la sorte ne te mette dans un tel état, t’aurais plutôt misé sur la panique, des hurlements, des pleurs peut-être. Mais avec Rose, tu aurais pu affronter n’importe quoi, et avec du recul… tu n’étais plus certain de ne pas vouloir d’enfants. Lorsque Charlie évoquait la question, tu t’enfermais dans un mutisme qui en disait long ou balayais l’éventualité d’un revers de la main. Mais presque douze ans avaient passé. De gamin immature de dix-huit ans, tu te rapprochais furieusement de la trentaine. Bientôt, tu aurais l’âge de ton père lorsqu’il t’avait adopté, tu l’avais d’ailleurs sans doute déjà dépassé et plus t’y pensais, moins l’idée de pouponner te rebutait. Putain, si Athéna te voyait. Si même elle entendait tes pensées là, maintenant ?! Non. Y’avait beaucoup de légendes sur les jumeaux. Les superpouvoirs, les trucs paranormaux, la douleur ressentie de façon exacerbée chez celui qui pourtant ne subissait rien, les préssentiments, mais fort heureusement, la télépathie ne faisait pas partie de toutes ces conneries : pas de doute possible, tes pensées étaient encore en sécurité au fond de ton crâne. Ou presque, car tu avais moins peur de ta sœur que de ce que Rose pourrait trouver au fond de ton regard : et si elle comprenait que cette déclaration te faisait presque plaisir, d’une simple lueur dans ton regard ? Dans le doute, tu baissais les yeux, hochant la tête. Malgré toi, des images de cette soirée venaient te hanter de nouveau, colorant tes joues de nuances pourpres : t’avais chaud, tellement chaud, est-ce qu’ils avaient monté le thermostat, dans ce foutu café ?

Pincement au coeur à sa façon de répondre, tu ne pouvais pas lui en vouloir d’être aussi sèche. Tu venais de la traiter de salope à demi-mot et pourtant, c’était pas ton intention. Tu essayais simplement de connecter tes deux neurones, mais t’étais un putain d’idiot et faire les choses de façon subtile, c’était pas ton truc. Enfin, pour excuse… t’étais en état de choc. Mais pas de ceux, dramatiques qui changent une vie de la pire des manières : là, tu avais l’impression, aussi conne et abusée soit-elle, d’avoir gagné au loto. Sa main se retirant d’entre les tiennes, tu déglutissais, ton regard cherchant le sien, comme en quête de réponses « pardon… j’voulais pas… j’suis juste… J’m’attendais à n’importe quoi mais pas à ça ! je... » tu grattais ta tête et soupirais « écoutes. Je… j’sais pas ce que tu penses de tout ça, mais on était deux ce soir là. Aucun de nous deux n’a l’exclusivité sur la situation, on est tous les deux responsables. » tu choisissais tes mots avec attention. Si un petit bout de vous deux était logé au creux de ses reins, si elle décidait que vous deviez le garder, tu ne voudrais en aucun cas qu’il pense être une erreur. Tu voulais qu’il se sente désiré, en aucun cas tu ne lui ferais vivre ce qu’Athé et toi aviez vécu. L’adoption pouvait être une chose formidable, mais lorsqu’on était celui qu’on abandonne, il y avait de quoi ne plus jamais redonner sa confiance à quiconque. Le coeur serré, tu lançais « une semaine… c’est court… Si je me rappelle bien de mes cours de médecine, enfin… j’veux dire, les deux auxquels j’ai assisté… on pourrait-être certains au bout de… 3 semaines, c’est bien ça … ? » tu tapotais la table du bout des doigts, en pleine réflexion « mais s’il s’avère qu’il y a quelque chose… ? Qu’est ce que tu veux qu’on fasse, ma Rose ? Je… j’forcerai rien. Ni pour qu’on le garde, ni pour qu’on décide de l’inverse » l’idée même d’un avortement te foutait la nausée, mais tu repris « c’est ton corps. Pas le mien. Et quoiqu’il arrive ; j’te laisserai pas seule. Quoiqu’on décide. » tu ne réalisais pas encore que t’étais en train de dire le plus censé et mature que t’aies dit de ta vie. Bordel, t’allais être papa ??! enfin… pas si vite. Tu essayais tant bien que mal de ne pas t’emballer même si mille et une questions se bousculaient dans ta tête : t’étais complètement ailleurs et paradoxalement, plus présent que jamais.

T’avais perdu une occasion de te taire. Mais t’avais, fort heureusement, réussi à rattraper le coup, du moins assez pour que votre discussion ne tourne pas au drame : non merci. T’avais assez donné dans la tragédie, avec ta belle, si bien que Shakespeare – le dramaturge, pas ton chat ; aurait sans doute pu s’inspirer de vous pour l’une de ses pièces : dans le genre amants maudits, on ne faisait pas mieux. Bon, d’accord, vous n’étiez pas issus de clans adverses, vous n’aviez pas la vie de royaumes entre vos mains, vies qu’une union entre vous aurait pu mettre à mal. Mais dans le genre amour à sens unique, tu en tenais une bonne couche. Aussi bonne, d’ailleurs, que le poison que tu t’infligeais à chaque contact avec la brune. C’était douloureux, mais à la fois tellement bon d’être à ses côtés, que t’avais l’impression de virer maso. « le bien qui fait mal », chantait l’autre, dans le lecteur cassettes old school de Charlie. Tu ne comprenais pas toujours toutes les subtilités des chansons qu’écoutait ta frenchie, mais cette phrase en particulier t’avait marqué. Elle tournait en boucle dans ta tête, ces derniers temps et Rose était loin d’être étrangère à ce phénomène.

T’avais du mal à ne pas t’emballer et te demandais par quel miracle t’avais pas encore eu ce problème technique si caractéristique et loin d’être sexy. Comme si tes émotions n’étaient pas assez fortes. Et Rose en remettait une couche en t’expliquant ces craintes qu’elle couvait. Tu encaissais, silencieux, mais t’avais du mal. Malgré toi, les larmes commençaient à monter lorsque tu comprenais : tu n’étais pas à la hauteur pour elle, tu ne le serais jamais. Et elle avait raison : comment avais-tu, dans tes doux délires, imaginer une seule seconde être père, qui plus est, de ses enfants ? Non. Toi, tu n’en valais pas le coup. T’étais bon à partager une paire de draps ou de bras le temps d’une nuit. Contrat à durée déterminée ; qui voudrait de toi ad vitam aeternam ? même ta mère n’avait pas voulu de toi, ça voulait bien dire ce que ça voulait dire, non ? Tu l’avais toi même dit, tu n’étais pas de ceux qu’on marie : rebut parmi les rebuts, tu finirais ta vie seul, alors que t’en avais toujours eu une peur bleue. La gorge nouée, tu mordais l’intérieur de ta joue pour ne pas craquer mais tes larmes se montraient de plus en plus insistantes. La voix tremblante, tu lâchais « on aurait pu être une famille. J’te l’ai dit. Je serai toujours là. Mais visiblement... » ta voix se brisait. Les mots, pêle-mêle de tristesse et de colère ne parvenaient plus à passer la barrière de ta bouche. Un goût de fer s’emparait de ton palais et tu compris instantanément. Tu attrapais à la hâte une serviette sur la table, te levant subitement « faut que je sorte. Excuses moi. » avais-tu lâché d’un ton sec, à la hauteur de la blessure qu’elle venait de t’infliger. Et tu filais dehors, les larmes commençant à rouler sur tes joues : tableau pathétique que tu offrais aux autres clients du café : pleurer en saignant du nez ? Un peu plus et on aurait pensé que tu venais de te faire agresser. Et c’était presque le cas, tant tu n’avais pas su gérer le ras de marée de tes émotions, fragile que tu étais.

Là sur ce trottoir, tu te sentais stupide. Stupide d’avoir pensé qu’un jour tu aurais le courage de dire à Rose tout ce que tu ressentais pour elle. De croire qu’enfin, tu vivrais avec elle toutes ces choses qui peuplaient tes nuits. C’était fleur bleue, nian-nian et ça ne te ressemblait pas – ou plutôt, ça ne te ressemblait plus depuis des années maintenant. Mais lorsqu’il s’agissait de Rose, tu avais l’impression de redevenir celui que tu avais été autrefois. Celui qui s’autorisait d’aimer sans peur du rejet, sans peur de s’écrouler. Parce que lorsque tu étais avec elle, elle te ramenait ta joie. Ta force aussi. Parce que lorsqu’elle était dans les parages, tu te sentais le courage de surmonter n’importe quelle épreuve, même celle qui pourtant, t’avait tant intimidé pendant de nombreuses années. Tu serrais ton mouchoir contre ton nez que tu pinçais. Les larmes roulaient sur tes joues, dans le fond, tu ne comprenais pas pourquoi tu étais si touché. Etait-ce ton égo, qui ne supportait pas de te faire jeter, ou le fait qu’en l’espace de trente secondes, tu avais réalisé que tes perspectives d’avenir changeaient ? Tu fermais les yeux, tentant de faire le vide dans ta tête, mais c’était sans espoir. Dans ton crâne, les pensées allaient à mille à l’heure, tu n’avais d’ailleurs pas le temps de tout saisir : sinon, tu aurais compris pourquoi tu étais si malheureux. T’avais mal, tellement mal que t’avais pas eu la force de répondre à ses injonctions : Elli. A quoi bon t’appeler par ce surnom idiot si elle ne voulait plus de toi dans sa vie ? Tu soupirais, retirant doucement ton mouchoir et te mouchais une dernière fois, essuyant comme tu pouvais le sang sur ton visage. Tu attrapais ton paquet de clopes dans ta poche et t’en allumais une, essuyant tes larmes, détournant le regard lorsque Rose débarquait. Tu n’avais pas envie de lui parler. Tu mourrais d’envie de goûter de nouveau à ses lèvres, mais il faudrait bien te faire une raison. C’était fini, tout était fini. Les mâchoires serrées, tu haussais les épaules, tirant sur ta cigarette et lâchais « S’il te plait Rose. J’veux pas de ta pitié. » rejeter avant de te faire rejeter, tel était ton crédo. Une fois encore, tu allais tout gâcher.