Les dossiers éparpillés sur la grande table en chaîne de bois, tu tentes difficilement de mettre la main sur ta paire de lunette, en vain. Des heures que tu potasses ces affaires sans vraiment avancer, mais tu t'entêtes à vouloir travailler pour passer le temps. Journée censée être de repos et pourtant tes yeux sont rivés sur ton écran d'ordinateur, les recherches juridiques commençant à t'ennuyer plus que de raison. C'est plus facile, que tu te dis. Te plonger dans le travail te permet de ne pas perdre pied, de ne pas penser au camp choisi par Rowan, à la situation avec ton père qui dure depuis trop longtemps, à tes amis qui te manquent terriblement à l'autre bout de la ville... sans parler d'Ezel. La solitude agrippe à toi et t'encercle de ses bras, tu voudrais la repousser violemment, lui faire comprendre qu'elle n'est pas du tout la bienvenue chez toi, mais ce ne serait que lui ouvrir davantage la porte. Long soupire, tu n'en peux plus. Tu adores ton boulot et tu pourrais effectivement ne faire que ça, mais seulement quand tu peux te concentrer et être efficace, ce qui n'est pas du tout le cas actuellement.

Tu refermes l'écran de ton ordinateur portable et commences à te masser légèrement les tempes. La prochaine fois, il faut vraiment que tu penses à les porter avant de commencer, tes yeux ont parfois du mal à être constamment devant les écrans. Le manoir est silencieux. Trop silencieux à ton goût et même les souvenirs de ta douce mère n'arrivent pas à réchauffer ces murs. Tu as besoin de sortir, de prendre l'air, de voir du monde. Plus facile à dire qu'à faire en réalité, tu ne veux pas trop traîner dans les rues et prendre le risque de tomber sur Ana, Milo ou... Ezel. T'as disparu de la circulation sans ne rien dire à personne, pour les protéger plus que pour les abandonner, mais ils ne le savent pas, eux. Les revoir te briserait le cœur et surtout, tu n'es toujours pas en mesure de leur expliquer tes raisons. Journée maussade, moral dans les chaussettes, la seule personne qui peut être un remède à tes maux n'est autre qu'une rousse solaire que tu n'as pas vu depuis quelques jours. Les appels téléphoniques se sont enchaînés bien sûr, il vous est impossible de rester des journées complètes sans prendre de nouvelles ou vous raconter un tas de choses, encore plus maintenant qu'elle a officiellement la bague au doigt. Ça aussi, tu sais que ce n'est pas évident pour elle alors que ses parents veulent qu'elle n'emprunte que le chemin qu'ils ont dessiné pour elle. Alors tu veux être présente et la soutenir, ce qui signifie... l'accabler de noms de fleurs, de dentelle, de soie, de cristal et tout autre termes que tu adores lui présenter pour bien tenir ton rôle de demoiselle d'honneur et témoin. Armée de plusieurs catalogues de robes de mariées, de ton ordinateur et d'un dossier rempli pour les préparatifs, il ne t'en faut pas beaucoup pour te retrouver devant sa porte et lui signifier ta présence en sonnant tant bien que mal, tes bras étant plus que pris.  

T'as du boulot, beaucoup de boulot, même. Mais toute cette charge de travail ne t'empêche en rien d'être sur tous les fronts s'agissant de l'union à venir de la rousse. Tu prends ton rôle de demoiselle d'honneur et de témoin très à cœur, si ce n'est plus et tu ne te laisses pas de droit à l'erreur. T'as mis du temps à te faire à l'idée que Jake soit l'heureux élu, du moins jusqu'à ce que tu t'autorises à mettre tes a priori sur le côté et d'apprendre à vraiment le connaître, une fois ses intentions claires. Tu t'en veux encore parfois d'avoir été froide et désagréable avec lui, mais c'était pour la bonne cause que tu te dis, tout pour le bonheur de Soleine. La voir si heureuse à son bras te soulage énormément, elle qui a trouvé quelqu'un qui lui apporte l'air frais dont elle a tant besoin dans cette pièce de théâtre qu'elle subit plus qu'elle ne joue au quotidien à cause de ses parents.

Mais ce n'est pas à eux que tu veux penser, mais à cette future mariée que tu es prête à noyer sous les possibilités qui lui sont offertes pour célébrer ce qui est censé être le plus jour de sa vie. En faisais tu trop ? Très certainement, mais c'est le seul moyen que tu as trouvé pour te changer les idées et apporter un semblant de normalité dans ta propre vie. Elle qui est digne d'un film d'action ces dernières années, tu ne peux nier que ces festivités te faisaient également un bien fou. "Ma contribution hebdomadaire, il faut bien que quelqu'un soulage la future mariée et lui facilite la vie !" que tu lui lâches d'un ton enjoué, assez fière de tes dernières trouvailles. Une fois le contact rompu entre vous, tu t'avances pour pénétrer d'autant plus chez elle et déposer le tout sur la table. "J'espère que n'a rien de prévu dans les heures qui suivent, vous êtes toute à moi Mademoiselle d'Artois!". Sourire aux lèvres, les poings fermés sur tes hanches, tu affiches ta détermination avec une pointe d'enthousiasme, l'envie de déjà tout lui déballer que tu retiens difficilement.

Tu ne peux t'empêcher de rire en entendant la rousse réagir et c'est à ce moment-là que tu réalises qu'effectivement, tu en faisais sûrement trop. "C'est pour ton jour! Tout ce que je souhaite, c'est que tout soit parfait et comme tu l'imagines" Tu le sais, toi, tout ce qu'elle a dû endurer et subir pour en arriver là où ils en sont aujourd'hui et c'était loin d'être une partie plaisir, alors tu veux que ce jour soit mémorable et qu'elle s'en souvienne toute sa vie. "Tout ce que tu as à faire, c'est choisir ! Si ça peut te rassurer, j'ai épuisé tous mes choix d'adresse de Fall River et des environs, ce sont mes derniers ajouts de propositions" que tu complètes, un large sourire aux lèvres. Une fois le tout posé sur la table, tu prépares des piles pour que tout soit ranger par catégories pour garder le fil conducteur de ta présentation, esprit rangé et organisé, comme d'habitude.

La manipulation effectuée, tu te tournes vers Soleine en pointant l'index vers elle d'un air enjoué. "Ta première décision est ultra méga importante : j'ai apporté des échantillons de tissus pour les robes de demoiselle d'honneur. La dernière fois que t'as choisi ce que j'allais porter... on était des gamines". Ce qui te rend un peu nostalgique d'ailleurs, de voir à quel point le temps a filé à une vitesse vertigineuse, à quel point vous avez grandi et fais chacune votre bout de chemin. Même si tout n'est pas en ordre, même s'il reste des points noirs sur vos tableaux et même si tout n'est pas rose au quotidien, il n'empêche que vous avez appris et changé pour devenir les deux femmes que vous êtes aujourd'hui. Tout ceci en ayant entretenu votre amitié toutes ces années et ce, malgré les quelques mois de séparation en raison de malentendus. "J'espère que tu n'as pas oublié les essayages de ta propre robe en fin de semaine ?" Un moment que tu attends avec impatience, la voir toute vêtue de blanc va te faire tout drôle, rendant toute la situation bien plus réelle, mais la savoir heureuse avec Jake te suffit pour te dire qu'elle fait le bon choix et que tout ceci contribue à son bonheur.

"Exactement, j'ai besoin de verser ma petite larme en te regardant remonter l'allée jusqu'à l'autel" que tu lui réponds, consciente que tu vas devoir porter tout un stock de mouchoirs. Tu n'es pas vraiment le genre de personne à pleurer à tout va ou à t'émouvoir à la moindre occasion, mais lorsqu'il s'agit des personnes que tu aimes, plus encore s'il s'agit de Soleine, la question ne se pose même pas. Tu te sens si reconnaissante de l'avoir dans ta vie et de pouvoir participer à un tel événement. Quand tu penses qu'à peu de choses près, tu aurais pu manquer cette chance. Il ne te faut que quelques secondes à peine pour l'imaginer : et si Soleine ne s'était jamais présentée dans cet appartement ? Et si elle n'avait pas pris la peine de t'expliquer la vérité ? Ce n'est pas grâce à toi, ni ta rancune si tu peux encore la compter comme l'une des personnes, si ce n'est LA personne la plus proche de toi à l'heure actuelle. "Ma meilleure amie mérite de n'avoir que le meilleur, t'as juste besoin de me dire qu'un truc te dérange pour que je balance le tout et recommence" que tu lui lances en riant, bien qu'elle doit savoir à quel point tu dis vrai. "Mais nous n'avons pas besoin d'en arriver là, je pense qu'il y a largement ce qu'il faut ici". Et ce ne sont pas des mots en l'air, tu vois à quel point la rousse à raison. Il est possible qu'effectivement tu aies abusé des propositions. "Bon d'accord je l'admets, je me suis peut être laissée emportée".

Les souvenirs défilent dans ton esprits à une allure vertigineuse, ce qui te pousse à sourire un peut tristement. L'insouciance du passé te manque, d'une certaine manière. "Bien sûr que tu as bons goûts, tu m'as bien choisi comme meilleure amie !" que tu n'hésites pas à lui répondre, fière de ta réponse. Ce qui ne t'empêche pas de penser comme elle, bien que vous soyez différentes sur beaucoup de chose, Soleine a toujours bon goûts concernant les belles choses et blague à part, tu trouves encore aujourd'hui qu'elle a l’œil, que ce soit pour les choses ou mêmes les personnes. Elle ne t'a jamais abandonnée, pas vrai ? "Tu n'accepterais de toute façon pas que je sois mal habillée pour ton mariage, j'ai amplement confiance en ton jugement !"

"Je savais que j'avais oublié un truc ! La prochaine fois, j'ajouterais une note sur le pare-soleil de ta voiture!" Bien sûr que tu plaisantes, ayant connaissance que tu sais être déraisonnable quand tu le veux. Tu t'approches doucement de la rouquine et te permets de prendre ses mains dans les tiennes avant de lui sourire tendrement. "J'ai encore du mal à le croire parfois, je me disais que passée nos 40 ans, on finirait par se marier toutes les deux par dépit et qu'on aurait la meilleure colocation du monde". Riant à nouveau, tu as pourtant le cœur qui se serre par l'émotion. "Je suis si fière de toi Soleine, de la femme que tu es devenue. Merci de me permettre de le voir de mes propres yeux". Ces quelques mots qui sembleront peut être "de trop" ou mielleux, mais tu te dis que c'étaient sûrement des mots qu'elle n'avait pas entendus depuis longtemps, possiblement pas d'entre les lèvres de sa mère. "Même si je suis persuadée que mon visage est plus lumineux et agréable à voir au réveil que celui de Jake" que tu complètes pour ajouter une petite touche d'humour à la Lennon.

"J'en verse déjà des larmes rien qu'en y pensant" que tu lui réponds en faisant semblant d'essuyer une larme du coin de l’œil. Avec ta douce mère qui ne fait plus partie de ce monde et la sienne, tout aussi absente pour sa fille pour d'autres raisons, il faut dire que vous n'avez pas eu la possibilité de créer ou de maintenir une quelconque relation mère-fille. Encore un des nombreux points communs que partagez, tristement, sur ce coup. À défaut d'avoir ta mère aimante à tes côtés, tu aimes te dire qu'en contrepartie, tu as une personne que tu peux considérer comme une véritable sœur pour affronter toutes les épreuves de la vie, pour te rappeler qui tu es lorsque tu te perds ou encore pour te rattraper lorsque tu t'éloignes bien trop. Cela, Soleine l'avait déjà prouvé à maintes reprises.

"Tu n'imagines pas à quel point ça m'arrange, je vais finir par me mettre tout la ville à dos avec toutes mes exigences, les commerçants tremblent en me voyant entrer dans leur boutique". Bien sûr que tu extrapoles la réalité, mais si tu ne le faisais pas, ce ne serait pas drôle, ni toi. Sans compter que tu n'as pas totalement tort, plus d'une fois tu as senti le regard insistant ou les soupirs d'exaspération des professionnels qui commençaient à désespérer de ne pas pouvoir satisfaire tes demandes un poil irréalisables. "Tu n'imagines pas à quel point ça m'arrange, je vais finir par me mettre tout la ville à dos avec toutes mes exigences, les commerçants tremblent en me voyant entrer dans leur boutique". Tu roules des yeux en repensant.à une ou deux scènes en particulier. "Si la question est de savoir si je suis sur leur liste noire... La réponse est oui". Tu hausses des épaules en levant les mains avec un sourire aux lèvres, assez fière malgré tout de ta chasse aux trésors pour ne lui soumettre que le meilleur pour ce jour si précieux.

"La modestie ne fait pas partie de mon vocabulaire très chère !". Ça te fait du bien, de pouvoir discuter de ces choses-là, de rire à en avoir des crampes au ventre. Bien loin de tous vos tracas de ces derniers mois, bien que la totalité ne soit pas encore tout à fait derrière vous. "Fais gaffe, je prends absolument note de tout ce que tu viens de dire, je pense même retranscrire chacun de ces mots dans un acte authentique signée de ma plume pour que jamais, Ô grand jamais tu ne puisses revenir sur ta parole". Déformation professionnelle indéniablement. Tu imagines déjà la scène et la rousse - qui est à prendre au mot - qui te fait la surprise de ta vie et ce, en grandes pompes.

Tu resserres l'étreinte de tes mains sur les siennes lorsque les choses se calment un peu plus. "Et moi donc, jamais ne j'aurais imaginé qu'on en arriverait jusqu'ici" C'est que ça n'a pas été facile pour toutes les deux dernièrement et l'idée de partager un tel moment ensemble était imaginable à tes yeux il y a de ça encore quelques mois. Mais la rousse n'a pas baissé les bras, venant te chercher jusqu'à ta porte. Tu penses sincèrement que jamais tu n'oublierais son geste et qu'il aura cette grande valeur à tes yeux éternellement. "Je note que tu ne nies pas ou ne me contredis pas ! Promis, je le conseillerais en skin care, histoire qu'il soit aussi éclatant que moi" que tu lui lances tout en repoussant tes cheveux d'un geste théâtrale, digne des publicités pour shampoings. "Blagues à part, on se lance ? Il y a pas mal de boulot à accomplir avant d'en arriver au jour J, ce n'est pas n'importe qui, qui se marie après tout !"