Vendredi soir, Dix-neuf heures.
Je venais de rentrer du travail, non chez moi mais chez Andrew. Ce dernier avait décidé de me faire la surprise de venir me chercher à la fin de mon service. Ce geste, aux premiers abords très gentil et respectable, était je pense un subterfuge pour s’assurer que je rentrais sans détour après ma journée. Peu importe, j’étais de merveilleuse humeur aujourd’hui car il était convenu que Milo revienne en ville pour le week-end. Son avion avait déjà du atterrir d’ailleurs. J’attendais son message me prévenant de son arrivée avec impatience. Et ce message arriva. Toutefois, en le parcourant c’est une immense déception qui s’empara de moi. Le message de mon meilleur ami m’indiquait qu’il avait un contre-temps avec sa formation et qu’il ne pourrait donc pas être présent ce week-end comme convenu. J’avais vraiment du mal à cacher ma peine. D’ailleurs Andrew ne passa pas à côté. Je lui avais donc brièvement expliqué la situation. Étrangement, le fait d’évoquer Milo ne semblait pas l’agacer comme à l’accoutumé. Sans doute était-ce le fait qu’il savait que mon meilleur ami était à des centaines de kilomètres de là. Pour toute réponse, je répondis au message de Milo, sans lui cacher ma tristesse de devoir attendre davantage avant de le revoir.


Samedi soir.
Ce soir j’étais conviée à une soirée organisée par une collègue. Initialement j’avais prévu de demander à Milo de m’accompagner s’il le souhaitait mais étant donné les récents évènements, mon invitation tombait à l’eau. L’idée de m’y rendre seule m’était donc venue à l’esprit mais c’est sans oublier la jalousie maladive d’Andrew. Ce dernier n’était pas très enjoué à l’idée que je sorte. Alors pour essayer de l’apaiser je lui avais proposer de m’accompagner. Il avait hésité un bon moment, ce genre de soirée ne l’intéressait pas vraiment, mais il avait finalement accepté. La soirée se déroulait dans un ancien loft aménagé tout spécialement pour l’occasion. Il y avait une piste de danse au centre de l’immense surface, sur les côtés étaient disposés buffets, petites tables et sofas afin de s’installer. Installés sur une des tables hautes, sirotant un coktail, je venais de terminer une conversation avec une collègue. A peine partie, Andrew laisse échapper un soupire « On va encore rester ici longtemps !? Tu sais que j’ai beaucoup de dossier à clôturer avant demain soir... » Typique d’Andrew. « Tu plaisantes ou quoi ? Je n’ai pas envie de rentrer maintenant. On est arrivé il y a même pas une heure... » Il était hors de question que l’on rentre et que je passe ma soirée seule ou alors à le regarder travailler. Andrew n’était pas satisfait de ma réponse, je le voyais à son regard. Mais peu importe.

Un court instant plus tard, Andrew m’interpelle « Ce n’est pas Milo là-bas ? » Je lève les yeux au ciel ne prenant même pas la peine de me retourner. « Je t’ai dit qu’il était resté à New-York ce week-end à cause de sa formation... » dis-je d’un ton las. A croire qu’il voulait remuer le couteau dans la plaie. « Et moi je te dis qu’il est ici et bien accompagné en plus. » Mon sang ne fait qu’un tour. Je me retourne pour vérifier les dires d’Andrew. Mon myocarde a un loupé quand je vois effectivement mon meilleur en compagnie d’Erin. J’étais soudainement complètement perdue. Il m’avait menti. Pour passer du temps avec Erin, alors qu’il ne cessait de me répéter qu’elle ne signifiait rien pour lui. Andrew me sort de mes pensées, il pose avec fermeté sa main sur mon bras pour que je me retourne afin de lui faire face « Tu m’as menti !? » me demande t-il le regard sévère. « Je t’assure que non. Il m’a bien envoyé un message hier en me disant qu’il ne pourrait pas venir... » Je savais ce qu’il se passait dans sa tête. Andrew s’imaginait que je lui avais menti pour le rassurer et que je puisse passer du temps en douce avec Milo. Son regard planté dans le mien semble vouloir déceler une faille. « Maintenant lâche moi s’il te plais. Et tu vois bien qu’il n’est pas venu seul... » dis-je d’un ton assez froid. Voir Milo avec Erin m’avait soudainement énervée au plus haut point. Andrew finit par lâcher mon bras. Il jette un nouveau regard en direction de Milo et d’Erin. « Tu ne vas pas le saluer ? » Incroyable, voilà qu’Andrew voulait que j’aille vers Milo. Sans doute était-il soulagé de voir que le pilote de ligne était accompagné d’une femme. « Plus tard peut-être... » Après tout, si Milo m'avait délibérément menti c'est qu'il ne souhaitait pas me voir.

[Vendredi soir]

L'anticipation du week-end se fait enfin ressentir, apportant avec elle une bouffée de soulagement et d'excitation. La perspective de retourner à Fall River et de revoir Cassia me remplit d'une joie difficile à contenir. Malgré les échanges de messages et les appels qui ont ponctué mon absence, rien ne saurait égaler le plaisir de la tenir à nouveau dans mes bras. Dans une frénésie presque fébrile, je boucle ma valise et range mes affaires, conscient que mon vol pour le retour ne tardera pas à décoller. Ma démarche se fait presque course, portée par l'urgence de ce désir de retrouvailles. L'attente du décollage est empreinte d'une impatience inhabituelle, chaque seconde me rapprochant un peu plus de ce moment tant attendu. L'idée de retrouver Cassia, de partager un baiser, des étreintes, de la taquiner avec affection, occupe mon esprit au point de m'envahir d'une douce torpeur. Ainsi, le temps de vol, qui m'aurait autrefois paru interminable, file entre mes doigts comme s'il n'était qu'un instant fugace, un simple battement de cils dans l'attente de ce qui promet d'être un week-end inoubliable.

Dès mon arrivée à l’aéroport, je me précipite vers le premier taxi disponible, indifférent au coût de la course – après tout, pour elle, aucun sacrifice n’est trop grand. Mon intention était de lui envoyer un message pour l'informer de mon arrivée, mais je me laisse rapidement emporter par une conversation avec le chauffeur. À un feu rouge, un fleuriste attire mon regard ; c'est une évidence, je ne peux envisager de la retrouver sans un geste symbolique. Avec empressement, je me procure un bouquet de roses, symbolisant la profondeur de mes sentiments. « Elle doit être spéciale, pour mériter de telles attentions ! » commente le chauffeur avec un sourire dans le rétroviseur. « Non, c'est moi le véritable chanceux d'avoir quelqu'un comme elle dans ma vie », lui répondis-je, le cœur gonflé d'une affection indéfectible, conscient de la jalousie qu'un tel bonheur pourrait inspirer à d'autres, Andrew en tête.

À mon arrivée sur le parking de l’hôpital, je m’empresse de régler le chauffeur, glissant ma carte bancaire à travers la vitre abaissée. Mes yeux scannent fébrilement les environs, à la recherche de celle qui occupe toutes mes pensées. C'est alors que mon regard se fige, mon cœur se serre. L'incompréhensible se dessine devant moi : Andrew et Cassia, enlacés, un tableau de complicité et de bonheur que je refuse d'accepter. La vision d'Andrew l'embrassant me submerge d'une rage impuissante. « Emmenez-moi loin d'ici, n'importe où, mais je ne peux rester », ordonnais-je au chauffeur, la voix étranglée par un mélange de colère et de désespoir. Mon esprit est en tourmente, pris entre le désir de fuir et l'angoisse de perdre ce que j'ai de plus cher.

Perdu dans le tourbillon de mes pensées, je me retrouve errant dans un taxi, direction inconnue. Sans domicile fixe, le cœur lourd d'un souvenir que je donnerais tout pour effacer, je murmure au chauffeur, « Connaissez-vous un bar dans le coin ? » Une échappatoire, un endroit où l'ombre de Cassia ne viendrait pas hanter chaque instant. « Pour un cœur brisé, j'ai l'endroit parfait », rétorque le chauffeur avec un enthousiasme qui me paraît déplacé.

Le taxi s'immobilise finalement devant un club dont la réputation précède le nom. Un club de strip-tease, vraiment ? Un rire nerveux m'échappe face à l'ironie de la situation. Je m'extirpe du véhicule, les roses destinées à Cassia encore à la main – un symbole d'un amour déchu. « Tenez, gardez-les », dis-je en tendant le bouquet au chauffeur, lui laissant un pourboire généreux. « Ma femme appréciera, merci ! » lance-t-il en repartant, me laissant seul devant cet antre de la perdition.

La porte du club s'ouvre devant moi comme une invitation à l'oubli, un refuge temporaire de la réalité crue de ma situation. La vision de Cassia dans les bras d'Andrew m'obsède, m'empoisonne, mais malgré tout, je franchis le seuil du club. Une décision dictée non pas par le désir, mais par une tentative désespérée de fuir une réalité trop douloureuse à affronter.

L'atmosphère du club est électrisée par des rires sonores et des célébrations bruyantes. Parmi la foule, un groupe particulièrement joyeux attire mon attention. Un jeune homme, visiblement le futur marié, célèbre son enterrement de vie de garçon entouré de ses amis. Ils sont tous manifestement emportés par l'euphorie de l'alcool et de la fête. Malgré ma réticence initiale, je me laisse entraîner par leur enthousiasme contagieux. Après tout, si Cassia trouve sa joie aux côtés d'Andrew, pourquoi me priverais-je d'un moment de déconnexion ?

La soirée se prolonge, emplie de rires et de conversations sans queue ni tête, jusqu'à ce que la réalité de ma solitude me frappe à nouveau. Dans un élan d'imprudence, probablement alimenté par l'alcool et le désarroi, je saisis mon téléphone et compose le numéro d'Erin. L'invitant à me retrouver, je me rends compte que c'est probablement la décision la plus sensée de ma soirée. Dans l'état où je me trouve, la possibilité de terminer la nuit en compagnie d'une inconnue, aussi tentante soit-elle, ne saurait apaiser le vide que je ressens. Erin, avec qui j'entretiens une relation des plus ambiguës, semble être mon unique bouée de sauvetage dans ce tumulte d'émotions conflictuelles.

[Samedi soir]

Allongé, à demi-nu, dans l’intimité de son lit, seul un drap éphémère dissimule la partie inférieure de mon corps. Adossé contre le dossier capitonné, un tumulte d’émotions me retient dans une immobilité pensante. Erin, dans un mouvement fluide, se drape de ma chemise, empruntant sans gêne les contours de mon absence. Son regard m’interpelle, alors qu’elle s’immisce dans l’espace confiné de la salle de bain, laissant derrière elle une invitation à peine voilée. Sa silhouette, à peine dissimulée par l’entrebâillement, lance un appel aussi suggestif que provocant. « Si tu choisis de rester, offre-moi encore un peu de toi… » Ses mots, chargés d’une promesse languissante, traversent l’air.
Cependant, mon esprit est ailleurs, hanté par une image corrosive : Cassia, trouvant refuge dans les bras d’Andrew, semblant s’épanouir dans son étreinte. Cette vision déclenche en moi un ouragan de colère et de jalousie, exacerbant une animosité et une tristesse déjà profondes. Dans un élan désespéré de surpasser cette frustration qui me consume, je me glisse sous l’eau chaude de la douche, à la recherche d’une échappatoire.
Je rejoins Erin, non guidé par le désir, mais poussé par le besoin impérieux d’effacer, ne serait-ce qu’un instant, le spectre de cette scène insupportable. Sous le jet d’eau, nos silhouettes s’entremêlent dans une étreinte dépourvue de passion, un simple palliatif à ma douleur. La vapeur qui s’élève autour de nous est comme le voile brumeux de mes pensées, obscurcissant la réalité et mes sentiments. Dans cet espace confiné, je cherche à me perdre, à oublier, même si au fond, je sais que ce n’est qu’un leurre, un moment de diversion face à l’inévitable vérité de mon cœur brisé.

Arrivés avec un retard notable au lieu de la réception, je me sens totalement déplacé, presque étranger à l'atmosphère festive qui y règne. Mon unique aspiration est de reprendre un vol pour New-York, de m'échapper de ce simulacre de convivialité qui m'entoure. Erin tente de capter mon attention, cherchant à entrelacer nos mains. Je m'évertue à esquiver ses tentatives, occupant mes mains de diverses manières : plongées dans les poches de mon pantalon, saisissant un verre ou engagé dans une conversation anodine.

« Quel retard inhabituel ! » s'exclame l'hôte en s'adressant à Erin. « Vraiment désolée, mais... » Erin interrompt sa justification en se blottissant contre moi, enlaçant mon bras tout en feignant une innocence mal placée. « Nous avons été... particulièrement retenus ce soir » lance-t-elle avec un sourire complice qui me laisse indifférent. Je me retrouve, malgré moi, spectateur de leurs échanges superficiels, flottant à la surface de conversations féminines qui ne suscitent chez moi aucun intérêt.

Le décalage entre ce monde superficiel et le tumulte intérieur que je ressens est saisissant. Chaque sourire forcé, chaque rire partagé ne fait qu'accroître mon désir de fuite, de retour à une solitude qui, bien que pesante, me semble préférable à cette mascarade. Erin, avec ses tentatives de rapprochement, ne parvient qu'à éroder davantage ma patience, me rappelant cruellement l'absence de Cassia, dont le souvenir reste mon seul refuge dans cette soirée interminable.

L'atmosphère de la pièce, chargée d'effervescence sociale, devient soudain oppressante lorsque mon regard s'accroche à une silhouette indésirée. Andrew. La présence de cet homme dans cette salle évoque immédiatement une conclusion inévitable et douloureuse : Cassia doit être là aussi. Comment ai-je pu être assez naïf pour ne pas anticiper leur présence à tous les deux ? L'envie de confronter Cassia, de lui exprimer tout le mépris qu'il m'inspire, me brûle les lèvres, mais je me contrains au silence, refusant de lui accorder la moindre attention.
Elle a choisi de passer son temps avec lui, ce reflet vivant de la manipulation affective. Pourquoi devrais-je alors lui offrir mon regard ou un fragment de mon attention ? Cependant, entre mes désirs et la réalité, le fossé se creuse, et je me retrouve prisonnier de mes propres contradictions. Même en me détournant, mon esprit et mes yeux la recherchent désespérément dans la foule, affamés de sa présence. Elle me manque, d'une absence qui devient insoutenable, surtout ici et maintenant, dans ce lieu où chaque coin semble me rappeler à elle, accentuant le vide laissé par son absence à mes côtés.

La sensation du regard de Cassia sur moi déclenche un réflexe instantané : mes yeux fuient les siens pour chercher refuge sur un point quelconque, même sur une simple mouche. Comment ai-je pu me leurrer à ce point ? Espérer qu’elle le quitterait, pour finalement la voir revenir vers lui. C’est dans ce tourbillon de réflexions amères que la voix d’Erin, distante mais insistante, me parvient. « Milo, viens ! » Son appel, espérant une obéissance prompte, ne fait qu’ajouter à mon irritation. Comme si j’allais accourir avec enthousiasme à sa demande. La complexité de la situation dans laquelle je me trouve est déjà suffisamment pesante, sans besoin d’y ajouter le fardeau d’une mise en scène embarrassante. Je me retrouve piégé dans un labyrinthe de sentiments contradictoires, où chaque mouvement semble alimenter une confusion déjà bien trop dense.

Ce week-end était décidément plein de surprises. Ou devrais-je dire de déceptions. Entre le message de Milo de la veille qui annulait sa visite du week-end et sa présence malgré tout ici, à cette soirée. J’avais du mal à croire qu’il m’avait menti. C’est comme si le monde s’écroulait tout autour de moi. Tout un tas de questions me traversaient l’esprit en ce moment même, mais Andrew qui était à côté de moi ne cessait de m’interrompre dans mes songes. J’étais soudainement rongée par une jalousie intense en voyant Erin se pavaner au bras de Milo. Je bouillonnais intérieurement. Mais la présence d’Andrew m’obligeait à me contrôler. Bien que la vision des deux amants ensemble me brise le cœur je ne pouvais m’empêcher de lancer un regard dans leur direction de temps en temps. Mais ce qui se passait sous mes yeux c’était bien au-delà de ce que je pouvais supporter. « Et si on rentrait ? » demandai-je à Andrew. Après tout c’est ce qu’il voulait il y a quelques minutes à peine. Ce dernier me regarde surpris « Je pensais que tu voulais encore rester. Tu ne sais vraiment pas ce que tu veux... Tu t'en rends compte au moins ? Restons encore un peu, cette soirée me plaît bien finalement... » Sans doute que le fait de voir Milo au bras d’une jolie blonde l’avait calmé. Ou alors avait-il mon malaise face à cette situation ? Andrew se jouait-il de moi volontairement ? Cette pensée me fit froid dans le dos.

Un instant plus tard, je pose mes yeux vers le comptoir du bar. J’y aperçois Milo. Seul. Mon corps décide d’agir s’en prendre le temps de consulter mon esprit. Je me lève du tabouret haut sur lequel j’étais assise. « Je vais me chercher quelque chose à boire. » dis-je à l’attention d’Andrew sans lui laisser le temps de me répondre quoi que ce soit. Je me mets donc en marche vers le comptoir du bar. Je jette un dernier coup d’œil rapide, pas d’Erin en vue. Je viens me placer à côté de Milo. « Un autre mojito s’il vous plaît.» demandai-je alors au barman engagé pour la soirée. Ce dernier me fait signe qu’il avait bien entendu et reprend immédiatement mon verre vide. Je tourne légèrement le visage avant de regarder à nouveau droit devant moi. « C’est fou, vous ressemblez comme deux gouttes d’eau à mon meilleur ami…Malheureusement il a eu un imprévu et a dû rester à New-York pour son travail. » dis-je d’un ton assez froid et distant. J’étais en colère, on pouvait aisément l’entendre au son de ma voix. « A moins qu’il m’ait menti délibérément parce qu’il voulait passer du temps avec son flirt du moment plutôt qu’avec moi... » Oui actuellement c'est ainsi que je voyais les choses.

La soirée se prolonge, mais je me sens déjà étouffé. Erin est là, omniprésente, remplissant l'air de ses mots incessants. Elle parle de tout, mais surtout, elle semble fascinée par le sujet qui me concerne le moins en ce moment : moi. Ses amies accrochent à ses lèvres, et mon nom résonne trop souvent à mon goût. Exaspéré, l'idée de m'évaporer, de disparaître purement et simplement me traverse l'esprit. Mais la réalité est moins romanesque. Je m'éclipse discrètement, me frayant un chemin à travers la foule, non pas pour m'évanouir dans l'obscurité, mais pour échapper à la sphère d'influence d'Erin. Et puis il y a Andrew, dont la simple présence suffit à m'exaspérer au plus haut point. Je ne supporte plus ni sa vue, ni sa voix, ni l'air qu'il respire.

Alors, comme un réflexe, je me réfugie au bar, me retournant délibérément pour faire face à nul autre que mes propres pensées. La solitude me convient mieux que la compagnie forcée. Ici, devant ce comptoir, je ne cherche ni conversation, ni sourire complice. Je veux juste un moment à moi, un moment pour souffler et peut-être trouver le moyen d'oublier ce week-end qui s'annonce comme un cauchemar éveillé.

Perdu dans ma rêverie amer, je commande un mojito, une boisson qui, bien que rafraîchissante, n'a ni la force d'effacer de ma mémoire le goût des lèvres de Cassia, ni la capacité de diluer son souvenir. Alors que je sombre dans mes pensées, une voix familière m'extirpe brusquement de ma torpeur. Pas besoin de me retourner pour savoir de qui il s'agit. Sa voix, je la reconnaîtrais entre mille, même dans l'obscurité la plus totale, même plongé dans le silence le plus absolu. Son commentaire, empreint d'une ironie mordante, arrache malgré moi un sourire. Elle a le don de m'irriter tout autant qu'elle parvient à m'amuser.

« C'est curieux... Vous avez tout d'une amie à moi, en tous points. » Je me lance, esquissant un sourire tout en sirotant mon mojito. « J'avais pour idée de la voir hier soir, mais il me semblait qu'elle ait choisi une compagnie plus... intéressante. » Mon regard se détourne brièvement vers Andrew, marquant ma désapprobation. « Apparemment, elle a une préférence pour la présence de son partenaire actuel... » Ma voix se teinte d'une pointe de déception et d'ironie, dissimulant à peine l'amertume que je ressens face à la situation. La complexité de nos liens tisse une toile d'émotions contradictoires, où chaque rencontre fortuite ravive le souvenir de ce qui aurait pu être, et de ce qui, peut-être, ne sera jamais. La frustration teinte mes paroles alors que je fixe mon verre d'alcool, laissant ma phrase en suspens, noyant mes pensées dans l'amertume de ma situation. Peut-être que ça ne vaut même pas la peine de vouloir changer... Si c'est pour que ça se termine toujours de la même façon... Mes mots s'effilochent, perdus dans le tourbillon de mes réflexions intérieures.

Je laisse échapper un rire cynique, chargé d'ironie. « Après tout, je ne peux pas vraiment lui en vouloir, n'est-ce pas ? Il est l'incarnation même du parfait gentleman ! » L'acidité de ma remarque se veut un baume sarcastique sur la plaie béante que laisse la pensée d'Andrew, cet homme que j'ai peine à associer au moindre attribut de courtoisie ou de noblesse. Ce que je dis est empreint d'une ironie mordante, une critique voilée de ce que je perçois comme son hypocrisie. Dans le reflet de mon verre, je vois se dessiner les contours d'une réalité que je peine encore à accepter : l'ombre d'Andrew planant sur ce qui aurait pu être entre Cassia et moi, transformant chaque pensée amère en une raillerie contre moi-même et les choix que nous avons faits. « Je dois toutefois vous avouer quelque chose... Cette situation me cause une profonde tristesse. » Ce formalisme soudain, ce jeu de vouvoiement, érige un mur invisible entre nous, imposant une distance qui ne dit pas son nom, sans pour autant la concrétiser. Mes yeux se posent sur elle, sur sa silhouette qui se détache avec force dans le décor ambiant. Et là, un frisson me parcourt, annonçant l'orage intérieur qui se prépare. Elle est là, devant moi. Malgré l'orage qui gronde dans son regard, malgré la colère qui semble sculpter ses traits, Cassia ne perd rien de son charme, de cette aura magnétique qui m'a toujours attiré vers elle. Sa présence, même empreinte de fureur, n'en demeure pas moins irrésistiblement attirante.

La tension dans l'air est palpable, mais elle ne fait qu'accroître mon désir, une envie presque palpable de briser cette distance artificielle, de franchir la barrière que nous avons érigée entre nous. Malheureusement l’ombre ou plutôt nos ombres respectives nous empêche de formuler le moindre geste affectueux. Malgré les apparences, malgré ce jeu de masques que nous portons, il y a entre nous un fil indéfectible, une connexion qui, malgré tout, refuse de se rompre.

En voyant Milo au comptoir du bar, seule, j’avais décidé sur un coup de tête d’aller le voir. Apparemment, Erin avait bien voulu le laisser respirer sans elle le temps d’un court instant. Et je ne pouvais définitivement pas quitter la soirée sans avoir été le voir et lui dire ce que j’avais sur le cœur. Alors, une fois arrivée à sa hauteur je m’adresse à lui comme s’il s’agissait seulement d’un homme qui lui ressemblait fortement. Milo rentre dans mon petit jeu, relatant que je ressemblais à une amie à lui. Il continue son récit. Et je comprends rapidement. Je comprends alors qu’il avait bien atterri hier soir comme convenu et qu’il était venu me voir à l’hôpital. Au même moment où Andrew avait décidé de venir me chercher. Instinctivement, Milo s’était mis en tête que j’avais donc une préférence pour Andrew. Fichu destin. Fichu mauvais timing. Mes sourcils se froncent légèrement à l’entente de ses mots. Je laisse échapper un léger sourire « Peut-être qu’elle n’a pas vraiment eu le choix... » J’étais rentré tard du travail toute la semaine, et chaque soir j’avais dû subit les plaintes d’Andrew à ce sujet. Alors hier il avait décidé de venir me chercher afin que l’on puisse passer une soirée ensemble.

Milo continue son petit numéro en me disant, indirectement, qu’il ne pouvait pas m’en vouloir car Andrew était l’incarnation même du parfait gentleman. Bien évidemment, tout de cette phrase était ironique. « Très amusant. C’est fou, tout comme lui vous avez beaucoup d’humour. » Toutefois, ce que Milo ajoute me brise le cœur. A nouveau. « J’ai moi aussi un aveu à vous faire… Cette situation provoque en moi une profonde tristesse également et une incompréhension la plus totale... » Je soupire légèrement et décide finalement de me tourner légèrement afin de regarder mon meilleur ami. Et dire que j’avais rêvé toute la semaine de ce moment où je pourrai le retrouver. Ce n’est pas de cette manière que j’avais imaginé nos retrouvailles. « Arrêtons cela, tu veux bien… ? » je poursuis sur ma lancée « Milo, je suis désolée pour hier soir. Je ne savais pas que tu comptais me rejoindre à l’hôpital. Et je ne savais pas non plus qu’Andrew viendrait me chercher. J’ai terminé très tard tous les soirs de la semaine alors… il a voulu venir me chercher... » Je n’en dis pas plus quant au vrai raison qu’il l’avait poussé à agir ainsi. « Tu aurais du me dire que tu étais arrivé...Cela n’aurait rien changé à notre week-end. J’avais déjà tout prévu, une bonne bouteille de vin, de quoi cuisiner un bon plat de lasagnes. J’avais même prévu de te laisser le côté du lit que tu préfères... »  dis-je d'un ton un peu las. Oui j'avais tout prévu pour que l'on puisse passer un agréable week-end.

Andrew, cette présence constante et oppressante dans la vie de Cassia, se dresse comme une barrière entre elle et la liberté à laquelle elle aspire. Malgré mes doutes et mes inquiétudes, je ne peux m'empêcher de me demander si elle trouvera un jour la force de s'affranchir de son emprise. Ses récents commentaires sur le mauvais timing de nos retrouvailles n'ont fait qu'ajouter à ma préoccupation, semant en moi un sombre pressentiment. Quant à Erin, bien que sa présence soit moins intrusive que celle d'Andrew, elle n'en demeure pas moins une complication supplémentaire dans ce dédale émotionnel. Heureusement, elle semble moins déterminée à s'accrocher, me laissant entrevoir une possibilité, aussi mince soit-elle, de me libérer de son influence.

L'aveu de Cassia, affirmant n'avoir eu d'autre choix la veille, agit tel un coup de poignard, ravivant une douleur aiguë en moi. L'idée qu'Andrew puisse exercer son contrôle sur chaque facette de son existence, même les plus privées, m'est insupportable. Cette pensée seule suffit à alimenter une rage brûlante en moi, me donnant des envies de vengeance que je peine à contenir. Si seulement je pouvais le faire disparaître, effacer sa marque toxique de la vie de Cassia une bonne fois pour toutes. Si j'avais le pouvoir, je l'éliminerais sans hésitation, libérant Cassia de son emprise malveillante pour qu'elle puisse enfin respirer, libre de toute contrainte, libre d'être elle-même sans crainte ni restriction. « Je ne t'en tiens pas rigueur, Cassia... C'est juste que la tristesse de ne pas pouvoir passer ce weekend à tes côtés me pèse. » Ses mots, doux et sincères, parviennent à m'arracher un sourire, malgré l'ombre de mélancolie qui plane sur moi. La considération de Cassia pour les moindres détails, jusqu'à se souvenir de mon côté préféré du lit, révèle à quel point elle me comprend, mieux que quiconque. Cette pensée, aussi réconfortante soit-elle, ne fait qu'accentuer le sentiment d'amertume qui m'habite, exacerbant le manque de sa présence et la chaleur de son étreinte. Son attention pour ces petites choses qui font notre quotidien ne fait que renforcer mon désir d'être à ses côtés, de partager chaque instant, de créer des souvenirs ensemble. C'est dans ces moments-là que je réalise à quel point elle est ancrée en moi, une part essentielle de mon être, rendant chaque séparation plus douloureuse que la précédente.

Je tâche de protéger Cassia de tout supplément de douleur, choisissant de taire les événements de la veille, notamment ceux impliquant Erin. Il n'est pas nécessaire d'aggraver les choses. L'acceptation de notre séparation imminente m'accable, me résignant à la compagnie d'Erin, avec une certaine réticence. Pour alléger l'atmosphère, je lance, avec une pointe d'humour, « Tu sais, je me suis lancé dans le tir... » Un sourire malicieux illumine mon visage. « Et j'ai trouvé une façon plutôt originale de pimenter mes séances d'entraînement ! » Inutile de nommer l'objet de mon inspiration. Cassia comprend sans doute à demi-mot à qui je fais allusion.

Puis, dans un élan de sérieux qui rompt notre légèreté, je me risque à la question qui me taraude l'esprit : « Tu es heureuse avec lui ? » Ce que je brûle réellement de savoir, c'est l'étendue de son malheur à ses côtés. Mais comment formuler une telle interrogation sans verser dans la brutalité ? C'est la subtilité de mes mots qui cherche à voiler la profondeur de ma préoccupation, masquant à peine l'inquiétude sincère qui me ronge à l'idée de la savoir aux mains d'un homme dont je doute tant du bien-fondé.

Comme deux étrangers nous étions entrain d’énoncer tout ce que nous avions sur le cœur. Rapidement, je me rends compte que tout ceci n’était qu’un malheureux quiproquo dû à un très mauvais timing. Car même si Andrew était venu me chercher hier soir, je n’en attendais pas moins l’arrivée de mon meilleur ami. Milo ne semblait pas m’en vouloir, il le disait lui même d’ailleurs. Cela me rassurait quelque peu, mais malgré tout la tristesse de voir notre week-end tombé à l’eau elle, demeure. « Et moi donc, si tu savais... » Je sentais une colère indescriptible au fond de moi de voir s’envoler de doux instants en compagnie de Milo. Ce dernier, sans doute pour alléger l’atmosphère un peu pesante m’avoue s’être lancé dans une nouvelle activité : le tir. Il évoque une potentielle cible. Inutile qu’il en dise plus, je sais très bien à qui il fait allusion. Malgré tout, un sourire apparaît sur mon visage « Je n’ai pas très envie de t’apporter des oranges en prison tu sais... » A ce moment là, le barman dépose devant moi le cocktail que je lui avait commandé quelques instants plus tôt. Je le remercie d’un sourire sincère.

Milo devient soudainement plus sérieux. Il me demande si j’étais heureuse avec Andrew. Bonne question. Étrangement, une réponse me vient très rapidement à l’esprit. Mon regard se pose sur Milo et alors que ma bouche s’entrouvre légèrement pour lui répondre, une voix me coupe. « Milo, te voilà... » Erin. De retour, déjà. Elle vient déposer un baiser sur la joue du jeune homme « Oh, Salut Cassia. » Je détourne le regard un court instant « Salut Erin » dis-je simplement. « Je ne t’avais pas vu. Bon, il faut dire que nous sommes arrivés il y a peu de temps. On a été disons… pas mal occupés aujourd’hui, et on n’a pas vu le temps passé. Si tu vois ce que je veux dire... » dit-elle en gloussant légèrement en lançant un regard à Milo. Quelle horreur. Venait-elle vraiment de me faire comprendre qu’ils avaient passé leur journée au lit ? Apparemment. Je me racle légèrement la gorgé, mi gênée, mi énervée par les paroles de ma collègue. « Oui je vois très bien, merci. » Je bois une longue gorgée de mojito comme pour tenter d’oublier ce que je venais d’entendre. « D’ailleurs… il ne faudrait pas trop qu’on tarde, histoire d’avoir le temps pour un troisième round. » dit-elle en s’adressant à Milo. J’avale légèrement de travers à l’entente de ses mots. Je lève les yeux au ciel. Mais quelle allumeuse. « Excuse moi Erin mais on est en train de discuter. Une discussion sérieuse. Alors si tu pouvais aller faire un tour ailleurs... » Erin semble surprise. « D’accord, d’accord… Je vous laisse, pas la peine d’être désagréable... » dit-elle en faisant demi tour. Certes le ton que j’avais employé n’était pas des plus délicats. Mais j’avais toutes les raisons du monde d’être sur les nerfs.

Je lance un long regard à Milo. « Elle a l’air bien accro... » dis-je un peu amer. Je bois une seconde gorgée quand une autre voix se fait entendre. « Tu en mets du temps pour un simple verre... » Andrew. Je me retourne. Il pose son regard sur mon meilleur ami « Milo... » dit-il pour le saluer uniquement d’un signe de tête. « Oui, mais j’ai croisé Milo alors je suis venue le saluer. Comme tu m’as conseillé de le faire tout à l’heure. » Il acquiesce d’un léger signe de tête. « Tu viens ? Tu es gentille mais je te rappelle que si je suis venu c’est pour être avec toi, pas pour être seul. » Il attrape alors ma main et sous son impulsion je me redresse du comptoir. Je lance un dernier regard à Milo et d’un léger st discret signe de main lui demande de ne pas partir tout de suite.

Cassia possède ce don unique de canaliser l'orage qui gronde en moi, transformant mon tumulte intérieur en une mer calme avec une aisance qui ne cesse de m'étonner. Son humour, évoquant les oranges, dessine un sourire sur mes lèvres, dissipant les nuages sombres de ma frustration. Alors que je me préparais à répliquer, nos échanges sont brusquement interrompus par une intrusion inopportune. Erin surgit, marquant son territoire avec une assurance qui me hérisse. Mon désir le plus ardent est de lui signifier qu'elle n'est pas la bienvenue ici, de lui ordonner de disparaître de ma vue. Le baiser qu'elle dépose sur ma joue est une épreuve en soi, d'autant plus sous le regard de Cassia, et les choses ne s'arrangent guère quand Erin se met à étaler les détails de nos ébats du jour avec une fierté mal placée. Un profond soupir s'échappe de mes lèvres, tandis que je cache mon visage entre mes mains, implorant le silence. Mais comme si nos pensées s'alignaient sans besoin de mots, Cassia intervient avec une autorité qui, loin de me repousser, ne fait qu'accentuer son attrait. Erin, face à ce mur inébranlable, bat en retraite sans demander son reste. Et moi, malgré la tension, je ne peux qu'admirer la force tranquille de Cassia, cette capacité qu'elle a de faire taire les tempêtes, y compris celle qui se déchaîne en moi. Sa présence, même empreinte d'une fermeté implacable, est un baume pour mon âme tourmentée.

L'observation acide de Cassia à l'égard d'Erin, exacerbée par ses récents commentaires, met en lumière son aversion palpable pour elle. Une réaction que je trouve parfaitement justifiée, d'autant plus que nous partageons ce moment ensemble, un instant qui semblait impénétrable jusqu'à ce que l'inévitable se produise. Lui, Andrew, se présente avec cet air de supériorité typique, coiffé de sa mèche impeccable, symbole d'une prétention que je ne peux qu'abhorrer. Mon avantage physique sur lui, qui me permet de le surplomber, est une maigre consolation dans le contexte actuel. Nos précédentes confrontations, notamment celle qui a marqué les esprits sur le palier de mon ancien domicile, me reviennent en mémoire avec une vivacité surprenante.
Le simple fait qu'il prononce mon nom suffit à faire bouillir mon sang. Je m'imagine lui infligeant les pires sévices, le confrontant à une douleur inimaginable, et le condamnant à une souffrance éternelle. Mais je me retiens, conscient que toute escalade ne ferait que blesser Cassia, la vraie victime dans cette équation toxique. « Andrew », je réponds d'un ton glacé, chargé d'une hostilité à peine voilée, prêt à en découdre une fois de plus. Sa manière de s'adresser à Cassia, empreinte d'un mépris et d'une condescendance insupportables, me révolte au plus haut point. Pire encore, il ose l'éloigner de moi, tirant sur les fils de son emprise avec une audace déconcertante. Malgré tout, je ne peux m'empêcher de la suivre du regard, témoin impuissant de cette scène, me demandant jusqu'où il pourrait aller dans sa volonté de domination.

La tentation de suivre Andrew et Cassia est irrépressible, mais mon élan est brusquement interrompu par l'intervention d'Erin, qui se jette à mon cou tel un serpent enlaçant sa proie avec une familiarité déplacée. Elle me couvre de baisers non sollicités, murmurant des promesses doucereuses à mon oreille, des paroles que tout homme serait supposé désirer ardemment. D'un ton distrait, je parviens à articuler « Plus tard, Erin... », espérant ainsi me défaire de son emprise. Visiblement froissée par mon manque d'enthousiasme, elle se retire pour se plaindre auprès de son cercle d'amies. Cet interlude me coûte cher : Cassia et Andrew disparaissent de mon champ de vision.

Mon regard scrute fébrilement l'ensemble de la pièce, une recherche vaine. Leurs collègues, interrogés, se montrent tout aussi ignorants de leur localisation. Soudain, des éclats de voix s'élèvent d'un recoin éloigné, une altercation dont les accents m'en sont étrangement familiers : Andrew. L'agressivité de ses paroles, leur ton tranchant, me transperce. L'urgence me pousse à agir. « Andrew, on te cherche ! » je lance, indiquant du doigt la salle principale, feignant une convocation qui n'existe pas. Bien sûr, c'est une supercherie. Quelle autre excuse aurais-je pu inventer pour le tenir à distance de Cassia ? Entre une ruse et une issue fatale, mon choix est fait. Mais au fond, c'est la détresse de me voir éloigné de Cassia, même brièvement, qui me guide, un sentiment exacerbé par la proximité d'Andrew, cet éternel obstacle entre nous.

Après m'être assuré qu'Andrew, ce nuisible, s'est éloigné et n'est pas à l'affût derrière une quelconque porte, je me dirige vers elle avec une prudence presque théâtrale, triplant mes vérifications pour garantir notre intimité. Approchant doucement, je laisse le revers de mon pouce effleurer délicatement son visage, un geste empreint de douceur et de vérification muette, comme pour me convaincre qu'Andrew n'a pas osé transgresser cette limite. Mes mots, chargés d'un mélange d'espoir et de désespoir, s'échappent dans un souffle presque inaudible, « Quitte-le… Quitte-le, et je suis entièrement à toi… ». Ces paroles sont murmurées avec une telle ferveur, se perdant dans le baiser que je dépose sur son front. Une précaution, certes, pour que nos sentiments restent cachés aux yeux indiscrets, mais aussi une promesse, un serment suspendu dans l'air, chargé de l'urgence de nos cœurs entrelacés.

Cette situation nous procurait une profonde tristesse à tous les deux. Je regrettais réellement que ce week-end de retrouvailles ne se déroule pas comme prévu. Et comme si cela n’était pas suffisant, Erin était déjà de retour au bras de Milo. A croire qu’elle ne pouvait plus se passer de lui. Dans le fond, je la comprenais. Un peu, ou plutôt très agacée par le comportement de ma collègue je lui avais demandé assez brutalement d’aller voir ailleurs en lui expliquant qu’avec Milo nous étions en pleine discussion. Une discussion sérieuse qui plus est. La mauvais timing semblait nous poursuivre. Après avoir été interrompu par Erin, c’est à présent autour d’Andrew de se joindre à nous. Ou plutôt, de me demander poliment de le suivre. Et bien évidemment il commence à me reprocher de l’avoir laissé seul alors que c’est moi qui avait insisté pour venir ici. En temps normal, j’aurais sans doute laissé coulé, mais toute cette situation m’avait vraiment mis dans un état de colère anormal. Alors je rétorque. Bien évidemment, cela ne lui plaît pas et le ton monte entre nous. Fort heureusement nous nous étions éloignés de la salle principale.

Rapidement, Milo arrive, indiquant à Andrew que quelqu’un était à sa recherche. Sans en demander plus, ce dernier s’éloigne afin d’aller rejoindre la personne concernée. Mais je compris vite, que cette personne n’existait pas. Après avoir vérifié avec grande précaution qu’Andrew n’tait plus dans les parages, Milo s’approche de moi. Son pouce effleure mon visage. Ce contact a le don de m’apaiser immédiatement. « Quitte-le… Quitte-le, et je suis entièrement à toi… ». Ces mots j’en avaient tant rêvé ces derniers temps. Et là, pour la première fois je les entendais de vive voix. Un baiser délicat sur mon front. Cette douceur, cette délicatesse j’en avais tant besoin. Je ferme les yeux un court instant « Milo... » Mon esprit était embrouillé par toute cette situation, vraiment. Mes mains viennent se poser sur son torse. Mon visage se relève légèrement pour plonger mon regard dans le sien. Mais en fin de compte, pourquoi réfléchir ? Pourquoi ne pas se laisser aller par ses envies ? Toutefois, je voulais être certaine que le pilote de ligne se sentait prêt « Vraiment… ? Regarde moi, et dis moi que tu te sens vraiment prêt... » J’avais besoin de l’entendre. Mes mains remontent doucement jusqu’à son visage, mes lèvres viennent effleurer légèrement les siennes, attendant la réponse du jeune homme « Oh, pardon » Une femme venait d’arriver dans le recoin où nous nous trouvions. Je sursaute légèrement et recule automatiquement de Milo. La jeune femme repartit aussitôt qu’elle était venue, pensant sans doute interrompre un moment d’intimité.


Dans la foulée, c’est Andrew qui revient. « Je ne sais pas si c’est l’abus de mojito ou le décalage horaire mais en tout cas ça ne te réussit pas… Personne ne me cherchait. » Je ferme les yeux une demi seconde. Andrew n’est pas dupe à ce point là. « Je dérange peut-être ? » demande t-il assez froidement. « Non. Bien sûr que non... » dis-je pour tenter de l’apaiser. « Bon, cette fois-ci il est temps de rentrer Cassia. » Je viens déposer malgré tout un baiser amical sur la joue de Milo, suivit d'un long regard. Un regard qui en disait long sur mon intention de le revoir avant son vol de demain.

La peau délicate de Cassia semble vibrer sous l'effleurement de mes doigts, tandis que je remets avec tendresse une mèche rebelle derrière son oreille, un geste simple mais empli de significations. L'instant où mes lèvres rencontrent son front se charge d'une chaleur réconfortante, me rappelant combien sa présence apaise les tempêtes intérieures qui me tourmentent. Ses mains, petites mais d'une influence immense, trouvent leur place contre mon torse, réveillant un émoi difficile à réprimer. Notre échange est interrompu, non pas par les figures inquiétantes de notre passé commun, mais par une invitée égarée qui s'empresse de s'excuser pour cette intrusion malvenue. Tandis que Cassia prend instinctivement ses distances, je retiens un soupir mêlé de soulagement et de frustration. L'ombre d'Andrew plane toujours sur nous, tel un spectre menaçant, nous rappelant la fragilité de nos moments volés. Nos regards se croisent à nouveau, chargés d'un mélange de désir et de crainte, conscients des dangers qui rôdent autour de notre liaison clandestine.

La brève trêve entre nous s'achève aussi vite qu'elle a commencé, interrompue par l'irruption impromptue d'Andrew. Son arrivée, tel un nuage assombrissant un ciel clair, ramène avec elle tension et malaise. Sa présence est aussi indésirable qu'envahissante, et son commentaire sur l'abus d'alcool ou le décalage horaire me pousse à riposter avec ironie. « Peut-être est-ce l'âge, en effet. À mon grand âge, l'alcool et le décalage horaire mêlés à ta charmante compagnie ne font effectivement pas bon ménage ! » dis-je, un sourire forcé aux lèvres, prêt à tout pour protéger Cassia de son influence toxique.

Sa remarque suivante me démange les poings, mais je me retiens, conscient de la présence de Cassia à mes côtés. « Oh, pourquoi te gêner, Andrew ? Après tout, tu es la star de la soirée, n'est-ce pas ? Tout le monde ici semble captivé par ton... spectacle. » Sa prétention à vouloir ramener Cassia à la maison, comme si elle était un objet lui appartenant, m'irrite au plus haut point. Cependant, le baiser discret qu'elle dépose sur ma joue et le regard échangé en secret me rappellent pourquoi je me plie à ce jeu absurde. Pour éviter d'envenimer la situation et de provoquer une crise de jalousie qui ne ferait que nuire à Cassia, je joue la carte de l'indifférence avec exagération. « Bon, je suppose qu'il est temps pour moi de rejoindre Erin et sa cour. Ne voudrais pas les décevoir, n'est-ce pas ? » Mon ton est suffisamment fort pour que Andrew l'entende, espérant détourner son attention de mon véritable intérêt.

Alors qu'il se retourne, confiant dans sa victoire, je partage avec Cassia un dernier échange muet, un baiser soufflé et un clin d'œil complice, promesses silencieuses d'un demain où nous nous retrouverons, loin des regards indiscrets et des chaînes imposées. Ce soir, je pourrais jouer le rôle qu'Erin attend de moi, mais demain, je trouverai un moyen de revoir Cassia, peu importe les obstacles que nous devrons surmonter.

[Le lendemain – Quatorze heure]

Le brouhaha incessant d'Erin s'élève autour de moi, devenant un bruit de fond auquel je ne prête guère attention. Mes réponses sont automatiques, détachées, tandis que je me laisse entraîner dans la tâche qu'elle me confie avec une fausse jovialité. Lorsqu'elle me tend une caisse d'huîtres avec un air espiègle, me proclamant « l'homme de la maison », je ne peux réprimer un soupir intérieur. Concentré sur l'ouverture des coquillages, son flot continu d'anecdotes superficielles me distrait au point de causer mon inattention fatale. La lame glisse, se plante dans ma main avec une brutalité inattendue. Un juron s'échappe de mes lèvres tandis que je contemple le désastre : mon sang éclabousse mon pantalon, tache ma chemise écarlate.

Saisissant un torchon, j'essaie de contenir l'hémorragie tandis qu'Erin, dans un élan de panique totalement disproportionné pour une prétendue professionnelle de santé, s'égosille à la vue du sang. Son incompétence manifeste me fait lever les yeux au ciel, ma patience s'effilochant à vue d'œil. « Éloigne-toi avec tes inepties, tu vas finir par me donner une crise d'épilepsie ! » m'exclamais-je, agacé. « Appelle un taxi, et n'oublie pas ma valise... Je file à l'hôpital, ensuite à l'aéroport. » Sa réaction est immédiate, peut-être la seule chose pour laquelle je lui suis reconnaissant.

Le taxi me conduit à l'hôpital dans un silence bienvenu, me laissant à mes pensées tumultueuses. Je règle la course avec difficulté, la main toujours enserrée dans le torchon, et pénètre dans le hall d'accueil de l'hôpital. Une part de moi, secrète et inavouée, espère y trouver Cassia. La perspective de sa présence ici, dans ce lieu de soin et de réconfort, m'offre un mince fil d'espoir, un baume potentiel à l'irritation et à la douleur que cette soirée a engendrées.

Ce week-end était vraiment très particulier. Entre le quiproquo de la veille entre Milo et moi et cette soirée qui il faut l’avouer, fut assez spéciale. J’étais partie de cette dernière assez prématurément, la tension montait petit à petit avec Andrew. D’ailleurs, une dispute éclata dès le trajet qui nous ramenait à son domicile. Il continuait d’insister sur le fait que je lui avais menti concernant la présence de Milo. Et la dispute fut davantage virulente en rentrant à son domicile. Andrew entra dans une colère noire, une colère qu’il contrôlait depuis tout à l’heure. Depuis le moment où, quelqu’un à la soirée aurait dit à voix haute se sentir gênée d’avoir surpris deux personnes s’embrasser. Andrew s’était donc mis en tête que ces deux personnes n’était autre que Milo et moi. Certes, son instinct disait vrai mais il était hors de question que je lui avoue une telle révélation. Andrew ne cessait de me répéter qu’il ne voulait pas me perdre, pas encore une fois. Qu’il m’aimait. Ces mots étaient en complète contradiction avec ses gestes qui eux, étaient fermes et brusques. Emprisonnant mon visage de ses mains, ils posent à plusieurs reprises ses lèvres sur les miennes en me répétant encore et encore qu’il m’aimait et que c’est pour cela qu’il agissait ainsi. Ses mains viennent ensuite emprisonner mes poignets, puis mes bras me forçant à le regarder, m’obligeant à répéter encore et encore les mêmes paroles « Non Andrew, il ne s’est rien passé entre Milo et moi ». Cette mascarade continua une bonne demi-heure. Trente longues minutes à supporter ses plaintes, à subir ses étreintes forcés sur moi, à répéter encore et toujours les même mots dans le but de le calmer. Le reste de la soirée, se termina dans la chambre à coucher.

Le lendemain.
Je subissais clairement, dû au manque de sommeil, la journée de travail. J’avais peu dormi cette nuit et les souvenirs de la dispute avec Andrew étaient encore très présents dans mon esprit. Sans doute sur quelques partie de mon corps. Parfois même, j’avais encore l’impression de sentir ses mains qui exerçaient une forte pression sur moi. Sa manière à lui, de me montrer qu’il tenait à moi. « Hey Cassy, ton ami est en salle d’attente... » Je fronce les sourcils. Une once d’inquiétude monte en moi à l’idée de voir Andrew à l’hôpital, encore. « Est-ce que tu peux lui dire que je n’ai terminé. Il le sait pourtant... » dis-je d’une voix las. « Non, je ne parle pas d’Andrew. Mais de ton ami qui vient souvent, tu sais le pilote de ligne. » Sans attendre davantage, je remercie ma collègue de m’avoir prévenue et me dirige avec hâte vers la salle d’attente. J’arrive donc sur le pas de la porte de cette dernière rapidement « Milo !? » Je vois rapidement le torchon imbibé de sang autour de son doigt. Ce n’était pas une simple visite de courtoisie. Je m’approche de lui, le regarde surpris mais surtout inquiet. J’analyse rapidement la situation. Je ne retire par le torchon tout de suite, ce n’était pas le lieu. Mais j’avais bien vu que la blessure avait beaucoup saigné et saignait sans doute encore. « Viens, suis moi... » dis-je en l’incitant à me suivre. Je l'accompagne alors dans une salle individuel. Je ferme la porte derrière nous et invite mon meilleur ami à s'asseoir sur la table d'auscultation « Que s’est-il passé ? » demandai-je alors en prenant soin déjà de me laver les mains avant d'enfiler une paire de gant en latex.

La vision de Cassia dans cet environnement hospitalier agit sur moi comme un baume apaisant, tempérant l'urgence de ma douleur. L'espace d'un instant, je suis figé, absorbé par sa présence rassurante. « Tu es là... » Ces mots s'envolent de mes lèvres, empreints d'un soulagement profond, comme si sa simple présence suffisait à alléger mon fardeau. « J'aurais dû me blesser plus tôt ! » J'essaie de détendre l'atmosphère avec cette tentative d'humour, faisant écho à nos conversations passées, bien que la gravité de ma situation actuelle soit loin d'être aussi dramatique qu'une fracture. Guidé par un instinct profond, je me laisse entraîner par elle, ignorant notre destination. Cassia pourrait me mener à travers les couloirs labyrinthiques de cet hôpital ou même au-delà, et je la suivrais sans hésiter, confiant et serein. Dans cet instant, alors que je marche à ses côtés, la certitude que je la suivrais jusqu'au bout du monde, les yeux fermés, s'ancre en moi avec une force inébranlable.

Dans l'intimité de cette salle de soin, le monde extérieur avec ses complications et ses drames semble s'effacer, laissant place à un havre de paix où seul notre duo existe. Cassia ferme doucement la porte, et je me sens immédiatement plus léger, à l'abri des regards indiscrets et des perturbations. Ici, dans cet espace confiné, c'est elle qui détient l'autorité, son professionnalisme incarné dans le simple geste d'enfiler des gants en latex.

Allongé sur la table d'examen, je l'observe, admirant la manière dont elle prend soin de moi, son attention dédiée reflétant l'affection profonde qu'elle porte à ceux qu'elle chérit. « J'ai dû régler quelques comptes en envoyant quelqu'un faire un long voyage... » lançais-je avec un sérieux feint, une pointe d'humour noir dans la voix pour alléger l'instant. La référence à Andrew est évidente, bien que ce ne soit qu'une plaisanterie amère, un souhait secret exprimé dans un rire. Mais rapidement, je dévie sur un ton plus léger « C'est mon cœur qui est en miettes, faute de t'avoir à mes côtés plus longuement... » C'est une tentative de dédramatiser la situation, de la remplir de légèreté malgré la tension sous-jacente. « En vérité, Erin m’a planté car elle a compris que je n’avais d’yeux que pour toi ! » Encore une fois, je m'écarte de la réalité, préférant tisser un récit moins ordinaire que le simple fait d'un accident domestique banal. Je cherche à capter son regard, espérant y trouver une étincelle de complicité, de compréhension mutuelle qui transcende les mots. Dans ce petit espace, entourés de murs blancs et de l'odeur stérile du latex, je trouve un semblant de réconfort dans son sourire.

Mes yeux scrutent son visage, minutieusement, à la recherche du moindre indice de la présence néfaste d’Andrew. Bien que l’une de mes mains soit hors service, l’autre est prête et capable, brûlant du désir de rendre justice. Mon regard se promène ensuite, s'attardant sur son cou, glissant le long de ses bras, inspectant ses poignets, cherchant la preuve d'un mal quelconque. Lorsque je découvre ce que je redoutais, un grognement s'échappe de moi, pas à cause de la douleur que m'inflige Cassia en retirant la lame, mais de la douleur que révèle sa peau.

« Tu dois probablement savourer ce moment, n'est-ce pas ? M'avoir sous ta coupe, à ta merci ! » Je lance cela sur un ton badin, tentant d'alléger l'atmosphère tandis qu'elle s'affaire à soigner ma blessure. Mais mon esprit est ailleurs, préoccupé. « Que s'est-il passé hier soir, Cassia ? » Je me redresse pour mieux la regarder, mon inquiétude palpable dans ma voix. « Il y a quelque chose... Je te connais trop bien pour ne pas le voir. » Mon insistance se fait plus pressante. « S'il t'a fait du mal, ce ne sera pas moi qui aurai besoin de soins après. » Ma menace est voilée, mais réelle, une promesse sombre dans mon cœur si jamais il osait la toucher. Le contact de l'alcool sur ma plaie me fait grimacer, mais c'est une douleur que je suis prêt à endurer pour elle. « Je sais que tu apprécies cette petite vengeance, mais parlons sérieusement... Qu'est-ce qui ne va pas ? » Ma voix se fait douce, presque suppliant. « Tu n'as pas à rester avec lui, Cassia. Tu as ton propre espace, ta liberté... S'il te plaît, ne reste pas avec cet homme... » Mon appel est teinté de désespoir, une supplication pour qu'elle s'éloigne de lui avant qu'il ne soit définitivement trop tard.

L’annonce de la présence de Milo ici me rempli de bonheur. Toutefois, en constatant de mes propres yeux que la visite de Milo n’était pas une visite de courtoisie, j’ai le cœur en émoi. Et malgré la situation, Milo réussit à plaisanter. Bien qu’un peu amusée, je ne peux m’empêcher de lui lancer un regard assez réprobateur. Ne perdant pas une seconde je l’invite à me suivre. Nous traversons alors quelques couloirs de l’hôpital à la recherche d’une salle de soin disponible. Une fois trouvé, nous pénétrons tous les deux à l’intérieur et j’invite Milo à venir s’installer sur la table d’auscultation. Je prends le temps de ma laver soigneusement les mains avant d’enfiler une paire de gant en latex tout en demandant des détails quant à l’origine de sa blessure. A nouveau plaisante. Tout d’abord en évoquant un règlement de compte avec une tiers personne dont je connaissais parfaitement l’identité. Puis, en me relatant que la cause de cette blessure était Erin et sa jalousie. « Milo... » Comment arrivait-il plaisanter dans cette situation ? Et pourtant, il réussit tout de même à m’extirper un léger sourire. Tout en écoutant les récits imaginaires de mon meilleur ami je retire le torchon de sa main. Le blessure n’était pas très jolie. Je retire la lame et avec une compresse, j’exerce une légère compression pour que le saignement cesse. Milo plaisante sur le fait que je savourais ce moment, il était sous ma coupe, il était à ma merci. Je relève le visage quelques secondes pour le regarder « Oh oui, si tu savais depuis combien de temps j’en rêvais...D’ailleurs, je me demande si je ne vais pas t’enfermer ici pour le reste de la journée... » dis-je en plaisantant à mon tour. Me concentrant à nouveau sur la plaie de Milo, ce dernier m’interrompt à nouveau pour me demander ce qu’il s’était passé hier soir. Question vague. Parlait-il de la soirée ? Il était présent pourtant. Milo donne davantage de précision. Il sentait que quelque chose n’allait pas. « Pour le moment, c’est toi qui a besoin de soins...» dis-je en venant placer une compresse imbibée d’alcool pour désinfecter la plaie. Mon visage à nouveau tourné vers le sien, Milo réitère sa volonté de parler sérieusement et me demande une seconde fois ce qu’il n’allait pas. « Il n’y a rien Milo. Je suis simplement… fatiguée. » Nous étions rentrés tard, et la dispute tout comme la ‘’réconciliation’’ avait elles aussi pris une bonne partie de la soirée et de la nuit. Fatiguée physiquement certes mais aussi émotionnellement. Je connaissais Milo pour savoir qu’il ne se satisferait pas de cette réponse. « On s’est disputé. Il a entendu dire qu’un homme et une femme s’étaient isolés de la foule pour… être seuls. Il a immédiatement pensé à nous. Mais le fait de te savoir à New-York pour le moment et de t’avoir vu accompagné d’Erin a joué en notre faveur. » dis-je pour le rassurer quelque peu.


Milo me fait remarquer que je n’avais pas à rester avec Andrew, me rappelant que j’avais mon propres espace à présent, ma liberté. Il me demande explicitement de quitter Andrew. Sans doute avait-il raison. « Je sais, mais… il ne cesse de me dire qu’il... » Qu’il m’aime, qu’il tient à moi, qu’il ne peux pas vivre sans moi. Milo connaissait la chanson. Je soupire légèrement « Je suis un peu perdue Milo... » avouai-je. Une première sans doute. « Je n’ai pas très envie de parler de lui maintenant... » Une demande implicite, mais essentielle. Je détourne le regard pour me concentré à nouveau sur la main du pilote de ligne. « La plaie est assez profonde. Il va sans doute te falloir quelques points de suture... » annonçai-je au jeune homme.

La délicatesse et l'attention que Cassia porte à chaque geste en soignant ma blessure ne cessent de m'impressionner, révélant l'essence même de son être. Il devient évident pourquoi elle a été appelée vers cette profession, où elle excelle naturellement. Je me contente de la regarder faire, admirant son travail sans vouloir la perturber. L'ironie de la situation ne m'échappe pas : il m'a fallu me blesser pour que nous trouvions enfin un moment tranquille à partager, loin des tumultes causés par Andrew, cet être dépourvu de toute empathie, et Erin, dont la présence envahissante ne fait que compliquer les choses. Ces instants, bien que nés de circonstances peu idéales, deviennent des bulles de répit dans le chaos de nos vies, mettant en lumière combien il est difficile de trouver du temps pour nous, éclipsés par les ombres d'Andrew et les interruptions incessantes d'Erin.

La répartie de Cassia face à mes tentatives d'humour est un baume pour l'âme. Lorsqu'elle menace, avec un sourire en coin, de me retenir prisonnier de ces murs pour la journée, je ne peux m'empêcher de me sentir étrangement rassuré par sa présence. Toutefois, ses évasions et ses réponses énigmatiques concernant Andrew sèment le doute en moi. La fatigue, une excuse bien pratique que j'ai moi-même souvent invoquée, ne suffit pas à apaiser mes inquiétudes. Les murmures sur deux silhouettes s'éclipsant de la foule m'ont atteint, et une part de moi se réjouit amèrement que ce ne soit pas Andrew qui ait dévoilé notre escapade. Ironiquement, Erin, habituellement source de mes frustrations, s'est révélée être un alibi inattendu, apaisant les soupçons d'Andrew. Est-ce là notre destinée, être des amants perpétuellement séparés par les circonstances, vivant d'amour clandestin et de rendez-vous volés ? Cette pensée me tourmente, rendant notre situation encore plus poignante.

L'inquiétude grandit en moi à mesure que Cassia évoque ses interactions avec Andrew, ses mots se suspendant dans l'air, incomplets et lourds de sous-entendus. « Il ne cesse de te répéter quoi exactement ? Qu'il t'aime ? » je questionne, le scepticisme creusant mes traits. « Est-ce là ta conception de l'amour, ou essaies-tu simplement de te convaincre de quelque chose ? » Mon ton se fait plus pressant, reflétant ma frustration face à cette situation répétitive et toxique. Je sais trop bien à quel refrain ces excuses appartiennent. « Tu possèdes ta propre vie, ta liberté, la capacité de choisir... et surtout, quelqu'un qui... » je me stoppe net, réalisant l'inutilité de poursuivre sur ce chemin. À sa demande de changer de sujet, j'acquiesce silencieusement, bien que son annonce sur les nécessaires points de suture me fasse grimacer. « Dans ce cas, un puissant anesthésique s'impose... » je plaisante, lui volant un baiser léger comme le souffle d'une brise. « Ah, voilà qui soulage instantanément ! Peut-être devrais-tu augmenter la dose ? » je suggère, la malice dans le regard. « Et toi, quels sont tes plans pour ce soir ? » je lance, tentant de dissimuler l'urgence de mon vol imminent dans la légèreté de ma question.

Je pouvais aisément ressentir l’inquiétude dans la voix de Milo. Je ne voulais pas qu’il s’inquiète pour moi, je ne voulais pas non plus lui donner raison. Fichue fierté. Milo sait très bien quels sont les mots qu’Andrew utilise pour me faire fléchir, pour me faire rester, pour me faire croire que cette emprise qu’il a sur moi est de l’amour. Milo finit par me demander si c’était cela ma conception de l’amour ou si j’essayais tout simplement de me convaincre de quelque chose. Il visait juste à chaque fois, cela avait même un côté un petit peu agaçant parfois. « Je sais Milo… Je sais déjà tout cela… Je te l’ai dit, je… je suis un peu perdue. J’ai besoin d’un peu de temps pour mettre mes idées au clair... » Etait-ce le commencement d’un changement prochain ? Peut-être.

J’annonce à Milo que sa plaie est profond et que, par conséquent des points de sutures étaient nécessaires. Milo réclame aussitôt un puissant anesthésiant et me vole un baiser. Je me redresse légèrement, « Je veux bien augmenter la dose... » Je viens alors lui voler un baiser à mon tour, un peu plus long que le sien. « Mais tu auras malgré tout besoin de ce genre d’anesthésique... » dis-je en sortant d’un tiroir un petit seringue remplie du produit en question. Je prépare alors le matériel nécessaire pour recoudre la plaie tout en répondant à la question que Milo venait de me poser « Rien de très passionnant pour le moment... » A vrai dire pas grand-chose même. « Et toi, à quelle heure est ton vol ? » Déjà. J’avais encore du mal à accepter que Milo ait été en ville ce week-end et que nous nous soyons à peine vus.

Je reviens près de Milo. Je m’assois sur le petit tabouret à roulette et prends délicatement sa main blessée pour la déposer correctement afin que je puisse recoudre la plaie. « Je vais faire le plus doucement possible mais il se peut que tu ressente un léger pincement... » Délicatement je m’affère à piquer la fine seringue dans la peau du jeune homme. « Tu ne devrais rien sentir mais si jamais, dis le moi. » Je prends ensuite le matériel nécessaire et je commence alors à recoudre la plaie. Quatre points suffirent. Fort heureusement pour Milo, ses mains avaient une grande importance dans son travail. Ce fut assez rapide. « Voilà, c’est terminé. » J’entreprends alors la dernière étape, j’applique sur sa plaie une pansement afin de protéger cette dernière pour les jours à venir.

Le concept du temps m'obsède, oscillant entre la hâte et le désir d'immobilité. Par moments, je voudrais pouvoir accélérer son cours, et à d'autres, souhaiter qu'il se fige, capturant l'instant présent dans une éternité suspendue. Cette dualité est à la fois un supplice et un délice, témoignant de mon entière soumission à son écoulement implacable. La question qui me tourmente sans cesse est de savoir quand Cassia trouvera en elle la force de rompre avec son passé, et quand, de mon côté, je serai enfin prêt à abandonner toutes mes distractions éphémères pour m'engager pleinement à ses côtés. Je rêve d'un futur où le temps sera notre allié, où je pourrai lui avouer qu'elle est ma seule et unique, que rien ni personne d'autre ne compte. Cependant, la distance qui nous sépare actuellement et les complications de notre situation rendent difficile, pour l'instant, la concrétisation d'une relation stable et pérenne. Cette attente, cette incertitude, me pèse, mais renforce aussi ma détermination à œuvrer pour un avenir où le temps nous réunira, libres de toute contrainte, entièrement dévoués l'un à l'autre.

Cassia accueille ma proposition avec un sourire complice et intensifie notre moment par un baiser plus profond, offrant une douceur inattendue en guise d’anesthésie. À cet instant, une pensée fugace me traverse l’esprit : aurais-je dû me blesser plus gravement pour prolonger ce moment privilégié ? Son attention méticuleuse à mes soins m’impressionne, bien que l’apparition de la seringue atténue quelque peu mon enthousiasme. Lorsqu’elle me pique, un grognement m’échappe, mais je ne manque pas de la taquiner. « Je suis convaincu que l’idée de m’infliger de la douleur te séduit. C’est ton petit plaisir coupable, n’est-ce pas ? » dis-je, un sourire en coin. « Mais tu sais, Cassia, la vérité est que tu es le remède à toutes mes maux… » ma voix se fait plus douce, plus sérieuse, alors que je sens la piqûre faire effet, dissipant toute sensation de douleur. « J’espère juste que ma main retrouvera la douceur de tes caresses après cela… » Je ne cache pas mon désir ardent de la sentir à nouveau contre moi, de la toucher, de l’embrasser.

Alors que Cassia s’emploie à soigner ma blessure avec une dextérité qui m’émerveille, je ne peux m’empêcher de l’observer, admiratif de sa délicatesse. « Savourez cet instant, Madame Davis, ce n’est pas tous les jours que vous aurez l’opportunité de me voir à votre merci ! » je lâche en la regardant s’activer. Chaque geste qu’elle effectue, chaque soin qu’elle prodigue, renforce l’intimité de notre échange, un moment précieux que je souhaite étirer indéfiniment.

La perspective de mon départ imminent insuffle une note mélancolique à notre conversation, un sentiment que je m'efforce de dissimuler derrière une façade de légèreté. C'est alors qu'une idée, aussi audacieuse qu'enthousiasmante, me traverse l'esprit, dissipe mes inquiétudes et dessine sur mes lèvres un sourire triomphant. « Hmm... Mon avion décolle demain aux premières lueurs de l'aube... Ce qui signifie que j'ai toute cette soirée de libre. Mais que faire, et surtout, avec qui ? » Je pose la question comme si la réponse n'était pas déjà évidente, teintée d'une fausse incertitude. « Je rêverais de la passer avec toi... Je te promets de ne pas réclamer autant d'anesthésiants cette fois » ajoutais-je, espiègle, capturant ses lèvres pour un nouveau baiser, alors qu'elle finit de poser un pansement avec la plus grande délicatesse.

La vérité, c'est que je suis prêt à reporter mon vol, quel qu'en soit le coût. Peu importe les frais supplémentaires, peu importe les arrangements à faire. Si cela me permet de gagner ne serait-ce qu'un peu plus de temps à ses côtés, alors aucun sacrifice n'est trop grand. Être avec elle, même pour quelques heures supplémentaires, transforme chaque moment en quelque chose d'infinitement précieux. « Si c'est le prix à payer pour être près de toi, alors sache que rien, absolument rien, n'est trop cher à mes yeux. »

La discussion avec Milo se fait de moins en moins bavarde. Et pour cause, je préférais me concentrer sur mes gestes, sur mes mains qui étaient en train de recoudre sa plaie. J’avais toujours été de nature douce et délicate. Deux qualités essentielles pour mon métiers. Mais là avec Milo, je redoublais de vigilance pour être certaine de ne pas lui faire le moindre mal. Malgré tout, Milo continue à plaisanter et un léger rire émane de ma bouche quand ce dernier pense que le fait de lui infliger de la douleur le séduit me plaît. « Un jour il faudra que tu m’expliques comment tu fais pour toujours plaisanter même dans ce genre de situation... » Mais je dois bien avouer que cette une facette de sa personnalité qui me plaisait beaucoup.

Mon meilleur ami m’annonce que son avion décollait demain matin très tôt. Une lueur d’espoir me traverses à cet instant. Il reste vague quant à ce qu’il va faire de sa soirée et surtout avec qui. « H’m h’m… c’est vrai que les possibilités sont infinies... » dis-je pour le taquiner un peu, surtout en ce qui concernait l’identité de la personne avec qui il pourrait passer du temps. Il finit par me dire qu’il rêverai de la passer avec moi. Ses mots me font terriblement chaud au cœur. « Rien ne me ferait plus plaisir Milo... » avouai-je en lui adressant un sourire des plus sincères. Les soins étant terminés, je retire les gants et je jette tout le matériel utilisé avant de me laver une énième fois les mains. « Et au fait, tu comptes m’expliquer la vraie raison de cette blessure ? » Il n’avait cessé de plaisanter à ce sujet, mais finalement je n’avais pas eu le droit à la véritable cause.

Les soins terminés, j’invite Milo à se lever. Nous quittons alors la petite salle de soin. « Je vais te raccompagner jusqu’à la sortie mais avant il faut j’aille prendre quelque chose dans mon casier. Suis moi... » Nous déambulons alors un court instant dans les couloirs. Une fois arrivés aux vestiaires, j’ouvre mon casier pour fouiller dans mon sac à main afin d’y trouver mon trousseau de clé. Nous prenons ensuite la direction de la sortie et j’accompagne de Milo dehors. « Tiens, tu pourras peut-être en avoir besoin... » je lui tend alors la clé de mon appartement. « Je ne dois pas finir tard. Mais si tu souhaites m’attendre chez moi en attendant plutôt que… je ne sais où... » Et par je ne sais où je pensais au domicile d’Erin même d’une autre femme. « Tu es le bienvenu... » dis-je le plus sincèrement du monde. Bien évidemment personne d'autre n'avait la clé, même pas Andrew. Sinon je n'aurai pas fait une telle poposition.

La réplique pleine d'esprit de Cassia me tire un sourire spontané, une lueur d'amusement dans un moment autrement teinté de gravité. C'est vrai, malgré les circonstances souvent sombres, j'ai toujours su trouver un moyen de percer l'obscurité avec une touche d'humour, un éclat de légèreté. C'est ma façon de prendre du recul, d'observer les situations sous un angle différent, moins oppressant. « Comment je fais ? Oh, c'est assez simple en fait. J'imagine Andrew perché sur un arbre, métamorphosé en chimpanzé, lançant des noix de coco aux passants. Tu devrais essayer, c'est étonnamment efficace pour remettre les choses en perspective ! » La plaisanterie roule sur ma langue naturellement, comme si l'humour était devenu mon bouclier, mon mécanisme de défense contre les absurdités de la vie.

La joie indéniable qui m'envahit lorsque Cassia accepte de passer la soirée avec moi est une étincelle dans mon regard, une étincelle que j'espère à l'abri des tourments et des interruptions, en particulier celles d'Andrew. Je l'observe se laver les mains, absorbé par la simplicité de ses gestes, captivé par sa présence. Un sourire insouciant se dessine sur mes lèvres, un sourire que j'essaie vainement de masquer en tournant la tête, tentant de cacher cette bouffée de bonheur. « Oh… Un petit incident domestique, vraiment rien d'alarmant. Ne t'en fais pas, ce n'est qu'une égratignure. » Légèrement, je me redresse, m'approchant d'elle pour capturer ses lèvres dans un baiser tendre, murmurent entre nos souffles partagés « Avec toi, toute douleur s’atténue instantanément. »

En nous dirigeant vers la sortie, Cassia fait un détour par son casier, un prétexte mystérieux qui trouve rapidement sa réponse lorsqu'elle me tend les clés de son appartement. Intrigué, un sourcil haussé, je lui lance un regard plein de questions, auquel je réponds avec espièglerie, « Si ce sont les clés de ton cœur, sache que je les possède déjà. » Ne pouvant résister à l'attraction qui nous lie, je me penche pour voler un autre baiser, avant de plaisanter, « Ah, les voilà ! J'étais sûr de les avoir laissés quelque part. » L'allusion de Cassia à ne pas m'attendre avec quelqu'un d'autre, surtout pas Erin, résonne profondément, une compréhension silencieuse entre nous. En quittant l'hôpital, je croise le chemin d'une de ses collègues qui me salue avec un sourire amusé, il m'apparaît tout le monde voit-il la joie que Cassia apporte dans ma vie aussi clairement que je la ressens ? Notre connexion est-elle si palpable, si visible pour le monde autour de nous ?

Avant de me diriger vers chez elle, je fais un détour par la boutique de fleurs pour sélectionner un bouquet de lys, ses préférés. La familiarité avec laquelle la fleuriste me salue, ayant déjà croisé mon chemin la veille, soulève une remarque sur l'importance de la personne destinataire de ces fleurs. Si seulement elle connaissait l'ampleur de mes sentiments…

Sur le chemin de l'appartement de Cassia, je scrute discrètement les alentours, méfiant à l'idée qu'Andrew puisse rôder ou, dans un excès de paranoïa, avoir recours à un détective privé. Une fois arrivé, je prends soin de retirer mes chaussures, respectant la propreté de son espace méticuleusement entretenu. Le temps me pressant, je me lance dans la préparation des lasagnes, un plat que Cassia avait évoqué la veille, assurant que tout le nécessaire attendait dans sa cuisine. Bien que mes talents culinaires ne rivalisent pas avec les siens, ma survie jusqu'à ce jour témoigne d'une certaine aptitude derrière les fourneaux. Les lasagnes prêtes et enfournées, je m'emploie à soigner la présentation de la table. En fouillant, je découvre deux bougies parfumées que j'empresses d'allumer, apportant une touche d'intimité à l'atmosphère. Il ne reste plus qu'à ouvrir la bouteille de vin choisie par Cassia et à patienter son arrivée. L'anticipation de cette soirée en tête-à-tête fait battre mon cœur d'impatience et de désir.

Milo, du plus lointain que je me souvienne, avait toujours eu un sens de l’humour assez développé, en toutes circonstances. Ainsi, il avait le don de dédramatiser certaines situations. Une qualité très appréciable. Sa cible préférée depuis quelques années n’était autre qu’Andrew. Et là encore aujourd’hui il s’en donnait à cœur joie. « J'imagine Andrew perché sur un arbre, métamorphosé en chimpanzé, lançant des noix de coco aux passants. Tu devrais essayer, c'est étonnamment efficace pour remettre les choses en perspective !» Mais où allait t-il chercher tout cela ? Et surtout, comment ne pas rire à de telles paroles ? Impossible.

Avant de se diriger vers la sortie, je décide de faire un léger détour jusqu’à mon casier. Et une fois dehors, loin de tous regards curieux ou presque, je lui tend les clés de mon appartement. Milo, comme à son habitude, plaisante en précisant qu’il possédait déjà les clés de mon cœur. « Très amusant. C’est une autre clé, qui te sera bien utile je pense... » Un dernier baiser volé et je dois déjà repartir pour terminer ma journée.

Dix-neuf heures. Journée terminée, je rentre donc chez moi avec impatience. L’impatience de retrouver mon foyer mais aussi de retrouver Milo qui, normalement devrait être déjà présent. En pénétrant dans l’entrée, j’aperçois les chaussures et la veste de mon meilleur ami. Un large sourire se dessine alors sur mes lèvres. Je retire mes chaussures, dépose ma veste sur le porte manteau et entre dans la pièce principale. Une odeur divine était présente. J’aperçois Milo en cuisine « Ça sent divinement bon ici... » Je constate qu’il avait cuisiné. Tout comme je constate qu’il avait déjà dressé une jolie table accompagnée de deux bougies. Et comment ne pas remarquer le magnifique bouquet de lys ? Mes yeux pétillent de bonheur. Je m’approche du bouquet déjà placé dans un vase « Elles sont magnifiques Milo... » dis-je en venant humer délicatement une des fleurs. Quel plaisir vraiment de rentrer chez soi et d’être accueillie par autant d’attention. « Tu sais, si je t’ai donné la clé d’ici c’était simplement pour que tu ais un endroit tranquille où tu puisses aller... » dis-je un peu amusée en m’imaginant bien le temps qu’il avait pris pour préparer tout cela. « C’est vraiment très gentil à toi, tu n’étais pas obligé… » dis-je en m’approchant de lui et en déposant un doux baiser à la commissure de ses lèvres. Les limites, les limites… Difficile de les respecter.

La porte s'ouvre avec un grincement caractéristique. C'est elle, Cassia. Inutile de jeter un coup d'œil pour confirmer ; sa présence emplit immédiatement l'espace de son appartement, et, sans même m'en rendre compte, un sourire béat se dessine sur mes lèvres à sa vue. Sa réflexion sur l'arôme délicieux qui flotte dans l'air m'arrache un rire, et je feins de vérifier sous mes bras. « Oh, ce n'est sûrement pas moi alors ! » dis-je dans un éclat de rire.
Observant Cassia inspirer profondément l'odeur des lys, mon sourire s'élargit tandis que je m'appuie nonchalamment contre le cadre de la porte de la cuisine. « Je ne suis pas obligé de faire quoi ? » ma question se dissout dans l'air alors qu'elle effleure à peine mes lèvres. « J'aurais besoin d'un autre de ces anesthésiants » murmurai-je en venant me blottir dans son dos, mes bras l'enveloppant avec une tendresse palpable. L'idée même de ne pas pouvoir la tenir dans mes bras ce week-end me semblait insupportable, et je m'étais préparé à cette éventualité avec une certaine résignation. « Je ne suis pas obligé de quoi, exactement ? » reprenais-je, cherchant à retrouver le fil de notre conversation. « De veiller sur toi ? Mais si je ne le fais pas, qui le fera ? » Certainement pas Andrew. L'idée qu'il puisse incarner le rôle de protecteur me paraît aussi absurde qu'irréaliste. Lui et le concept de prévenance semblent vivre dans deux univers parallèles.

Ces retrouvailles tant désirées... Quelle impatience j'avais de la revoir, de partager avec elle tous ces moments que j'ai accumulés dans mon cœur. Il y a tellement à dire, à vivre, que même une éternité me paraîtrait insuffisante. Soudain, mon téléphone émet une vibration discrète. Une part de moi redoute que ce soit Erin qui cherche à m'atteindre. Pourtant, un souffle de soulagement m'échappe lorsque je réalise qu'il s'agit simplement d'un courriel. Pas n'importe lequel : la confirmation de mon vol repoussé à demain matin, moyennant un coût supplémentaire. Une information que je garde pour moi, préférant envelopper ce moment d'un voile de spontanéité. Pourquoi troubler cette paix retrouvée avec des soucis logistiques ? Cassia n'a pas besoin de savoir, pas maintenant. Ce moment est à nous, et rien, pas même la perspective d'un départ prochain, ne saurait l'entacher.

Le carillon du four annonce que le moment tant attendu est arrivé. Avec un geste empreint de précaution, je m'éloigne momentanément de Cassia pour extraire le plat, désormais prêt, de son antre chaleureux. « Attention, c'est chaud ! » m'exclamais-je, apportant avec précaution notre repas sur la table soigneusement dressée. « Je n'ai peut-être pas ton talent culinaire, mais j'ai tenté de suivre ta recette à la lettre ! » J'espère secrètement que notre dîner ne finira pas en anecdote d'une tentative culinaire malheureuse. Pendant que Cassia, en parfaite hôtesse, se charge de nous servir, je m'occupe du vin, versant dans nos verres un nectar qui promet d'accompagner à merveille les lasagnes. « J'ai comme l'intuition que mes visites vont devenir une habitude... peut-être même dès vendredi prochain ! À moins, bien sûr, que tu aies d'autres plans. » Mon ton se veut léger, espiègle, cachant à peine l'espoir ardent de prolonger ces instants partagés, loin de toute préoccupation extérieure.

Quelle agréable surprise de rentrer chez soi et d’être accueillie avec de délicates attentions. Un magnifique bouquet de fleurs, une table joliment dressée et un repas prêt à être servi. Sans compter que ces attentions ne sont pas dues au hasard. Les fleurs sont des lys, Milo sait que ce sont mes préférées avec les roses. Tout comme il sait que j’aime beaucoup allumer des bougies. Et quant au plat, il a lui même cuisiner des lasagnes apparemment. Plat que je souhaitais lui cuisiner la veille. Pour le remercie je dépose un furtif baiser à la commissure de ses lèvres. Sur le moment je trouvais que c’était un bon compromis pour ne pas dépasser les limites. Nos limites. Mais ce simple et chaste baiser ne semble pas suffire à Milo. Ce dernier vient se blottir derrière moi m’enveloppant avec une incroyable tendresse. Et là dans ces bras, je me sentais frêle et pourtant si invincible. « Attention, si tu continues ainsi tu ne pourras plus jamais t’en passer... » dis-je en riant légèrement mais en étant tout au fond de moi, sérieuse.

Tout ce qu’avait préparé Milo me touchait énormément. Mais je me sentais presque gênée. J’avais l’impression que tout cela semblait naturel pour le pilote de ligne qui souligna le fait que si lui ne veillait pas sur moi, personne ne le ferait. Il est vrai qu’Andrew avait parfois quelques attentions, surtout après une dispute. En général un bouquet de fleurs quelconques et une invitation à dîner dans un restaurant de la ville. Comparés à Milo, ses attentions étaient impersonnelles. Je m’en rendais compte à présent. « Tu sais bien ce que je veux dire... » Oui je voulais dire par là qu’il n’était pas obligé de préparer tout cela. Il aurait très bien pu en profiter pour se reposer après sa semaine de formation. Milo jette un œil à son téléphone. « Tout va bien ? » demandai-je malgré tout. Sait-on jamais. Et dans le fond j'appréhendais une nouvelle qui pourrait écourter notre soirée.

La sonnerie du four retentit. Milo se hâte d’aller retirer le plat du four. Et un large sourire apparaît sur mon visage en voyant ce qu’il avait cuisiné. « Je suis certaine que ce sera délicieux ». Après tout il n’y avait pas de raison. Et puis, Milo consciencieux, avait suivi la recette. Je m’occupe de nous servir pendant que Milo s’occupe du vin. Nous nous installons à table afin de commencer le dîner. Notre dîner. Milo évoque des potentielles futures visites habituelles. « Tu sais que tu seras toujours le bienvenu ici. »  Mon regard s’illumine davantage en l’entendant dire qu’il serait possible qu’il revienne dès vendredi prochain. « Vraiment !? Non… rien de prévu. Je serai libre comme l’air le week-end prochain... » Andrew devait partir trois jours pour un voyage d’affaire. Le timing était parfait.

Je ne me fais pas prier et commence à goûter le plat de Milo. « C’est délicieux. Vraiment... » dis-je pour complimenter le cuisinier de la soirée. Je prends une gorgée de vin et ajoute « Si tes visites sont amenées à devenir une habitude. Tu devrais peut-être garder la clé que je t’ai donné tout à l’heure... » proposai-je à Milo. En tout bien tout honneur. « Étant donné que tu n’as plus ton appartement… Considère cela comme une invitation longue durée... » dis-je un léger sourire aux lèvres. Puis un détail me vient en tête. J'ajoute une petite précision « Et rassure toi, tu es le seul à posséder une clé... » Je pense que cette précision était plus que nécessaire.

Les éloges de Cassia sur ma prouesse culinaire viennent caresser mon ego. Peut-être que je ne suis pas aussi désastreux en cuisine que je le pensais. Observer le sourire de Cassia, la voir s'épanouir le temps d'un repas, cela me remplit d'une joie incommensurable. Ces instants précieux, ces petites victoires du quotidien, je les ai souvent négligés, me perdant dans les bras éphémères d'une conquête après l'autre. Est-ce là, finalement, la véritable essence du bonheur ? Se consacrer à une unique personne ? Ma main trouve naturellement la sienne sur la table, un geste de réconfort, de connexion. « Rien ni personne ne viendra troubler ce moment. Être ici, avec toi, c'est tout ce qui compte pour moi. » C'est une affirmation sincère, un serment silencieux que même l'appel impromptu d'un collègue en détresse ne saurait briser.

Au fil du repas, je me laisse aller à des confidences, partageant les anecdotes de ma semaine, les péripéties liées à mon déménagement, en omettant soigneusement de mentionner les interludes charnels qui l'ont ponctuée, et surtout, mon inscription récente à un club de tir. Si je me suis engagé dans cette voie, c'est avec un objectif précis : neutraliser une menace nommée Andrew. C'est cette unique motivation qui pourrait me conduire à user de violence, à franchir le pas vers des actions irréversibles. L'offre inattendue de Cassia interrompt le rythme tranquille de notre repas, me poussant à poser ma fourchette et à lui accorder toute mon attention. L'idée qu'elle me propose un double des clés de son appartement me touche profondément. « Cassia… Je… » Je me retrouve sans mots, incapable de formuler une réponse immédiate, alors qu'elle ajoute que je serai le seul détenteur de ce précieux sésame. « Ces clés, sont-elles l'ouverture vers ton cœur ? » je réitère, mes doigts effleurant doucement le métal froid. « Sache que tu détiens déjà le mien » murmurais-je, la sincérité teintant mes paroles, mon assiette désormais vide devant moi.

La conversation se poursuit dans une douce harmonie, et je me lève pour débarrasser la table, insistant pour que Cassia se repose. Après tout, endurer la présence d'Andrew est déjà une tâche suffisamment ardue. Je ne souhaite pas qu'elle s'épuise davantage. Dans chaque geste, chaque parole échangée, réside la promesse d'un avenir, peut-être encore incertain, mais résolument tourné vers l'espoir. Je place les assiettes dans l'évier, conscient de la signification profonde de cet échange de clés, symbolisant non seulement la confiance et l'accueil dans l'espace personnel de Cassia mais aussi l'invitation à être une présence constante et réconfortante dans sa vie.

À mon retour de la cuisine, je suis irrésistiblement attiré par Cassia, et je dépose de légers baisers dans le creux de son cou, effleurant sa peau de mes lèvres sans pour autant oser capturer les siennes. « Un jour, promis, tu seras mon dessert ultime » murmurais-je doucement, laissant l'air chargé de promesses entre nous. Je me redresse ensuite, la regardant avec une tendresse renouvelée. « Je vais me rafraîchir sous la douche. Après, mes bras t'appartiennent entièrement pour la soirée. » Je lui assure, avec un sourire, que mon étreinte sera son refuge, où elle pourra se blottir et demeurer aussi longtemps qu'elle le désirera. « Tu pourras y chercher réconfort et chaleur à ta guise » je rajoute, scellant mes mots d'un baiser affectueux sur sa joue, soulignant l'intimité et la complicité qui nous unissent dans ce moment partagé. Je me hâte de rejoindre la salle de bain car je sens qu’un désir fulgurant commence à s’éprendre de moi.

La salle de bain de Cassia demeure à son image. Douce et fragile à la fois. Un peu comme son cœur. J’entre dans la douche. L’eau froide ruisselle le long de mon visage. Si les émotions de la veille n’ont pas réussi à me malmener, celle de ce soir y sont parvenue. L’espace d’un instant, je ferme les yeux en me mordant la lèvre inférieure en repensant aux souvenirs du chalet. Depuis mon retour à Fall River nos émotions n’ont pas cessé de nous perturber. Entre un quiproquo et une distance forcée… Le juste milieu devient plus que difficile à trouver. Contrairement à d’habitude je n’arrête pas le robinet lorsque je m’apprête à me laver. L’eau continue sa course le long de mon torse avant de s’échouer contre le bac de douche. J’ai besoin de quelques minutes de répit. Mon regard balaye rapidement la salle de bain et… L’espace d’un instant j’ai l’impression que le sort continue de s’acharner sur moi. Avec ce petit imprévu, j’ai complètement oublié de prendre ma trousse de toilette, resté dans ma valise. Deux solutions s’offrent à moi. Soit je demande à Cassia de me l’apporter, soit je me déplace moi-même. Si je demande à mon amie de venir le terme « gêne » ne sera pas suffisant pour expliquer la situation plus qu’embarrassante dans laquelle nous nous retrouverons. Si je me déplace, nos regards se croiseront forcément et… Je n’ose pas imaginer la suite. Dans un soupir las, je me décide à appeler mon Cassia. « Cassia ? »Pas de réponse. Elle doit être occupée ou bien ne m’a pas entendu, après tout avec l’eau qui ne cesse de couler rien d’étonnant. Je n’ai pas le choix. Je dois me déplacer. Mais au dernier moment je renouvelle mon appel.

Le dîner se passait merveilleusement bien et tout était délicieux. Milo c’était vraiment débrouillé comme un chef quant à la préparation des lasagnes. Un dîner sublimé par une bonne nouvelle. Milo venait explicitement de me faire comprendre qu’il reviendrait dès vendredi prochain. Et le timing ne pouvait être meilleur sachant qu’Andrew ne serait pas là du week-end à cause du travail. Et c’est tout naturellement, afin d’anticiper ses prochaines visites en ville, que je propose à Milo de garde la clé de mon appartement donnée tout à l’heure. Mon meilleur semble presque troublé par cette proposition. Sans doute était-ce parce qu’il ne s’y attendait pas du tout. Le jeune pilote de ligne me demande si ces clés que je lui offraient ce soir étaient l’ouverture de mon cœur. Belle métaphore. Sans m’en rendre compte, cette passation de clé était sans nul doute un véritable symbole lié à l’évolution de notre relation. « Oui... » Que dire de plus !? Le jeune homme avait bien tout compris. Et je ne pouvais pas nier, le fait que le jeune homme soit le seul à posséder ce double de clé voulait en dire long. Milo précise que me concernant je possédait déjà son cœur. « Je le sais... » dis-jeun léger sourire aux lèvres.

Après le dîner, Milo insiste pour s’occuper de la vaisselle et du rangement. Je tente de protester mais c’est sans compter l’entêtement légendaire de mon meilleur ami. Quand Milo vient me rejoindre du côté du salon il vient déposer de légers baisers dans le creux de mon cou. Cette sensation me fait frissonner et sa douce promesse me fait sourire. « J’en prends bonne note. Et je saurai te le rappeler en temps voulu... » dis-je un sourire malicieux aux lèvres.

Milo étant aller occuper la salle de bain pour se rafraîchir, je me retrouve seule au salon. Je profitais pleinement du calme reposant qui régnait dans l’appartement. Et je me languissais déjà du reste de la soirée. J’avais déjà hâte de retrouver mon lit accompagné de Milo. De pouvoir encore discuter avec lui longuement sur ma journée, sur sa formation, et sur d’autres petits détails de la vie. Hâte de pouvoir m’endormir sereinement à ses côtés. Je sors soudainement de mes pensée en entendant Milo m’appeler. Je me lève du canapé et me dirige vers la porte de la salle de bain. Je frappe avant d’entrer « Milo ? Tu m’as appe-- » Je pénètre dans la salle de bain mais je ne termine pas ma phrase.  Quelle ne fut pas ma surprise en voyant mon meilleur ami complètement nu à travers la paroi de la douche à l’italienne. J’en avais perdu mes mots. « Oh ! Désolée, désolée, désolée... » Je me retourne alors. Sur le moment je pensais avoir mal entendu. « Je… Tu m’as appelé ? Il y a un problème ? » demandai-je toujours le dos tourné pour respecter sa nudité et ne pas me mettre plus mal à l’aise que je ne l’étais déjà.

Lorsque Cassia entre, je suis encore sous l'effet de la douche, l'eau dévalant mon corps. D'un mouvement brusque, je me retourne, tentant maladroitement de préserver une once de décence dans cette situation pour le moins gênante. Comment expliquer, de manière cohérente, que j'ai simplement oublié ma trousse de toilette ? Dans un réflexe, je saisis une serviette, l'enroulant précipitamment autour de ma taille pour éviter de la mettre mal à l'aise. « Euh, oui... Je... » Et voilà que le moment devient encore plus embarrassant, mon corps réagissant de façon imprévue. La blancheur de la serviette ne fait qu'amplifier le malaise. « J'ai oublié ma... » Ma voix se perd en un raclement de gorge embarrassé. Quel comble, moi qui suis d'ordinaire si organisé, me voilà pris au piège d'un oubli aussi banal.

Je m'avance vers elle, veillant à garder la serviette bien en place, priant pour qu'elle ne glisse pas. Quelle ironie, cette fin de semaine semble me jouer des tours à chaque instant. « Ma trousse de toilette » je parviens enfin à articuler, tentant de masquer mon trouble derrière un sourire forcé. Au lieu de me précipiter à nouveau sous l'eau, je reste là, captivé par sa présence. Ses cheveux légèrement ébouriffés, son regard à la fois attentif et distrait, tout en elle m'enchante. Si nos circonstances étaient différentes, si notre relation empruntait les voies du conventionnel, je l'aurais embrassée sans hésiter. Mais c'est là toute la singularité de notre lien : il n'est semblable à aucun autre. Nous avons nos tempéraments, nos frictions, et pourtant, chaque conflit nous rapproche, nous offre une nouvelle perspective sur l'autre. Bien sûr, ce n'est pas la manière la plus douce de communiquer, mais cela rend nos retrouvailles d'autant plus savoureuses. « Je... si jamais tu cherches à me trouver... tu sais où je serai... » Voilà que je me tiens, presque nu devant elle, et c'est tout ce que j'arrive à formuler ? Moi-même, je me désespère parfois.

En entrant dans la salle de bain après que Milo m’ait appelé, je ne m’attendais pas à le voir nu sous la douche. Immédiatement gênée par la situation, je m’étais instinctivement retournée en m’excusant à plusieurs reprises. Pur réflexe. Je ne savais pas dans quel tenue était Milo en arrivant dans la pièce le plus naturellement du monde. Sans doute m’excusai-je d’avoir aperçu certaines parties du corps de mon meilleur ami que je ne pensais jamais voir. Sans perde une seconde, j’en demande plus quant à l’appel de mon meilleur ami. Milo m’indique alors avoir oublié sa trousse de toilette. « Oh... » C’est le seul mot qui réussit à sortir de ma bouche. Entre temps, le jeune pilote de ligne s’était emparé d’une serviette qu’il avait enroulé autour de sa taille. Je me tourne légèrement et ne peux m’empêcher de poser mon regard sur son torse mouillée. Une vague de chaleur s’empara alors immédiatement de moi. « Je… je vais aller te la chercher... » Mon regard a du mal à se concentrer sur autre chose. Finalement il dévie un peu plus bas, et je ressens à nouveau une certaine gêne. Mais Milo devait l’être aussi, sans doute même plus que moi. « Où est-ce que tu as mis ta valise ? » Bon et finalement vu l’urgence de la situation je me retourne à nouveau « Laisse, je trouverai bien... » dis-je en quittant la salle de bain. La valise de Milo était dans la chambre à coucher. J’ouvre cette dernière et m’empare de la fameuse trousse de toilette avant de retourner à la salle de bain. Mon regard reste posée sur le sol « Je te la pose là... » dis-je à l’intention de mon meilleur ami, tout en laissant la trousse de toilette sur le rebord du lavabo.

Je quitte ensuite la salle de bain. Je souris malgré tout amusée par cette situation. Décidément. Et je ne pouvais pas nier que voir Milo ainsi ne m’avait pas émoustillée. Je le laisse terminer de prendre sa douche. Et quand j’entends mon meilleur ami sortir de la salle de bain, je viens à sa rencontre. Je ne dis rien, nous échangeons juste un regard et un léger sourire. J’occupe à mon tour la salle de bain. Cette douche j’en rêvais depuis ce matin. L’eau chaude qui ruisselait sur mon corps détendait mes muscles un par un au fil des minutes.  Je profitais alors de longue minutes de ce moment de détente. Une fois terminée, j’enfilai alors une tenue décontractée pour le reste de la soirée. Une tenue de nuit composée d’un short et d’un débardeur en soie bleu nuit. Je rejoins Milo et vient m’asseoir à ses côtés. Nous échangeons un long regard amusé. « A l’avenir tu devrais peut-être laisser quelques affaires à toi dans la salle de bain. Afin d’éviter un autre oubli et ce genre de… situation. » dis-je en riant légèrement. Je le taquinais bien évidemment. « En tout cas, je suis flattée de voir l’effet que je peux produire sur toi... » dis-je pour le taquiner davantage. Je faisais bien évidemment référence à la réaction de son corps tout à l’heure. « Si je ne me trompe pas, c’est la deuxième fois, non ?  » dis-je en riant légèrement. « Il y a une proverbe qui dit : jamais deux sans trois… Je me demande quand est-ce qu’elle aura lieu... » lançai-je d'un ton léger pour plaisanter un peu.