« L’histoire commença peu après que le Prince et la Princesse ne se rencontrèrent. Ils s’aimaient d’un amour profond et ce dès leur première rencontre. L’amour au premier coup d’œil. Le coup de foudre. Le Prince voulait épouser sa Princesse le plus tôt possible. Ils étaient très jeunes, trop aux yeux de leurs parents, mais ils avaient depuis le début ce sentiment, cette certitude que leurs vies se finiraient côte à côte, s’aimant encore plus au fur et à mesure que les secondes s’écouleraient, comme un sablier qui absorberait des grains d’amour jusqu’à l’infini. Mais la princesse – appelons-la Blanche – découvrit que son ventre était sur le point de s’arrondir pour y porter un bébé, le fruit de leur amour. Lorsqu’elle partagea cette information avec le Prince, nommons-le Samuel, il fut si heureux qu’il lui fit sa demande en mariage sur le champ. Blanche et Samuel allaient donc devenir mari et femme et s’aimer jusqu’à la fin des temps. Les mois passèrent et, comme il fut annoncé, le ventre de la Princesse s’arrondit pour laisser de la place à ce fils qu’elle allait mettre au monde plusieurs mois plus tard. Le mariage fut très vite prononcé, si vite que les parents des deux amants n’eurent qu’à peine le temps de souffler qu’ils dussent déjà les aider à emménager et à préparer la venue de ce petit garçon qu’ils aimeraient tous plus que de raison. » « C’est moi maman, pas vrai ? Parce qu’ils s’appellent Blanche et Samuel dans l’histoire, comme toi et Papa. » « Oui c’est toi mon amour… Le bébé arriva plus vite qu’ils ne l’espéraient. Sept mois et demi après le début de la grossesse de la princesse, le petit garçon naquit enfin, tant attendu par ses parents. Dès ce jour, ils vécurent heureux et dans le plus grands des bonheurs… » Charles marqua une pause de son intérêt, les yeux plissés et les sourcils froncés alors que sa mère finissait l’histoire. Il adorait les histoires de sa maman. Mais celle-ci avait un terrible goût d’inachevé dans la bouche de Blanche, qui essayait tant bien que mal de garder ses émotions cachées lorsqu’elle raconta l’histoire du Prince et de sa Blanche princesse. L’histoire était inachevée, en cours d’écriture et elle n’était pas certaine qu’elle finirait bien. « Mais maman… ton histoire elle est trop courte » « Je sais mon cœur. Mais c’est l’heure d’aller dormir. » Et sans que son petit garçon ne rechignât davantage, il se glissa un peu plus sous ses couvertures tandis que sa mère se relevait afin d’éteindre la lumière et de le laisser tomber dans les bras de Morphée.

L’enfance de Charles fut très calme et paisible, pleine d’amour et d’histoires parfumées. Mais ce n’eut jamais été rien d’autre que le point de vue d’un enfant haut comme trois pommes de cinq ans et demi. Charles ignorait tout des activités illicites de son père, des quelques frictions qui opposaient ses deux parents en dépit de l’amour profond et éternel qu’ils éprouvaient l’un pour l’autre. Il ignorait également que son père filait un si mauvais coton qu’il finirait par le payer au bout du compte…

Pas un mot ne se faisait entendre. Seul le bruit des voitures qui passaient au loin fut perceptible ce jour-là, le bruit du vent dans les arbres, le bruit du mouvement silencieux que provoquèrent les deux-cents personnes qui cheminaient sans un mot derrière le corbillard. Les larmes dévalaient de nombreuses joues, mais celles les plus marquées par la noyade de chagrin étaient certainement celles du garçon qui avançait en tête de file. Une de ses mains étaient ancrée à celle de son père tandis que l’autre était fermement accrochée à celle de Mazikeen, sa tante adorée. Aucune trace de sa mère à l’horizon. La raison de son chagrin. Jamais Charles n’avait connu plus grande peine. Pourtant, plusieurs fois il s’était écorché les genoux, arraché la peau en tombant, pris des ballons dans la tête… Mais nulle douleur n’était comparable à celle qu’il ressentit ce jour précis. Le jour de l’enterrement de sa mère. Une histoire toute bête, une histoire hallucinante. Elle avait sans doute traversé l’esprit occupé. Mais pas autant occupé que ce chauffeur qui roulait à trop vive allure. Incapable de freiner lorsque la jeune femme traversa la rue. ‘‘Partie trop tôt’’. La phrase était notée sur de nombreux tissus et de nombreuses couronnes de fleurs. Mais aucune n’eut jamais autant de poids, aucune ne put jamais autant exprimer la douleur que les larmes dégoulinantes sur les joues de Charles, ou encore le visage fermé de son père. La marche funéraire les mena directement au cimetière où ils durent tous dire au revoir pour la dernière fois à cette femme qu’ils avaient tous aimé plus que de raison et qu’ils mirent sous terre sans jamais la revoir avant.

Si on avait demandé à Charles à ce moment de sa vie quel était son pire souvenir, il aurait certainement répondu que la mort de sa mère et le jour de son enterrement étaient une véritable souffrance. La vérité ne fut jamais loin, mais jamais complète non plus. Peu de temps après cet événement, c’est-à-dire quelques jours à peine pour être exact, son père fut arrêté pour meurtre. Le petit Charles avait toujours ignoré les actes illicites de son papa et n’y aurait jamais cru, surtout pas maintenant qu’il avait dix ans et que la vie lui avait cruellement ôté sa maman. Pourtant, il sembla que la police avait moults preuves justifiant de cette arrestation, des preuves suffisamment tangibles pour que les enquêteurs ne s’intéressent pas davantage à toute cette histoire. Ainsi Charles fut tout seul. Car son père préféra laisser ses droits parentaux afin que la personne la plus apte à s’occuper de lui le prenne en charge. Et ce fut exactement ce qu’il arriva. Mazikeen, sa tante, devint sa tutrice légale. Ils partirent peu de temps après l’arrestation de Samuel à Washington. Charles était plutôt heureux à l’idée de commencer autre part sans être « le fils de celle qui est morte et de celui qui s’est fait arrêter. » D’autant que les spéculations sur l’arrestation de Samuel commencèrent peu à peu à se faire entendre. On entendit de nombreuses hypothèses, chacune aussi farfelue que les autres. Mais le pire que Charles eut à entendre fut que si son père avait été arrêté, ce dusse être car il avait tué sa mère. Si ces deux épreuves n’avaient pas déjà entamé la bonne humeur et la bonne conduite du garçon, c’en était trop. Ce départ lui permettait de se faire complètement oublier, de même que ces ragots qui n’en finissaient plus.

Il sembla alors que toutes ces histoires n’étaient que de vieux souvenirs, de lointains cauchemars. Charles grandit à Washington D.C appréciant les études, le sport, les filles… Et particulièrement une avec qui il fut en couple depuis ses seize ans. Peut-être pas l’amour de sa vie, mais le genre de fille qui ignorât tout de son passé, de sa famille. À l’exception près de Mazikeen et sa carrière d’agent du FBI. Autrement dit, le genre de filles qui plaisait forcément à Charles. Car il avait grandi, loin des rumeurs, des potins et des malheurs qui avaient bercé sa jeune enfance. Désormais, il était un adolescent, pas très loin de ses dix-huit ans et tout semblait aller pour le mieux. Pourtant, un jour, Mazikeen rentra plus tôt du travail après avoir appelé Ezra, son époux. Ils devaient partir. Sa tante était accusée à son tour. Et Charles eut du mal à accepter cela. L’idée d’une relation longue distance avec Hannah, sa copine, était difficile à accepter. Surtout qu’il devait se servir un minimum de ses outils électroniques, à commencer par son téléphone. Hannah et lui gardèrent le contact malgré tout, merci les connexions publiques difficiles à retracer. Mais, un proverbe assure que loin des yeux, loin du cœur. Et si le vingt-et-unième siècle permet bien des prouesses technologiques en matière de conversation vidéo, rien ne remplace une véritable présence. Charles n’était déjà pas particulièrement amoureux de sa petite amie, mais les choses se sont compliquées lorsque ses yeux ont été subitement attirés par une autre fille. Une qui ne semble pas s’intéresser à lui. Pour de multiples raisons qu’il ignore totalement.

***

Dans tout ce malheur, il y a une seule chose qui a toujours été évidente aux yeux de Charles, peu importe qu’il n’ait que dix ans ou qu’il en ait sept de plus. Maturité ou non, qu’il s’agisse de son père ou de Mazikeen, il est persuadé que sa famille est innocente de ses chefs d’accusation. La seule chose face à laquelle il aura du mal à gérer, c’est le retour de son père dans sa vie. Car depuis le temps, il a perdu l’habitude d’être avec lui, de le voir. Et il n’est rien de dire qu’il n’est absolument pas prêt…