La boisson coule dans tes veines et efface le peu de lucidité qu’il te reste alors que tu viens de vider ton verre pour la énième fois. Tu n’entends même plus ce que cet homme te rabâche depuis tout à l’heure, alors que tu ne t’intéressais à lui que parce qu’il venait de t’offrir à boire. Tu te forces à rester en sa compagnie uniquement parce que tu ne veux pas rentrer chez toi. Prétextant une garde de nuit, tu as quitté l’appartement plus tôt, étouffant entre ces murs. Voilà bien longtemps que tu gardes en toi toutes ces émotions depuis l’accident, ne t’autorisant pas à l'extérioriser, encore moins alors que Lidye s’y trouve. Ce n’est de toute façon pas ton genre de montrer ce que tu ressens, t’enfermant à double tour dans cette carapace que la vie t’a forcé à forger. Ton doigt tourne sur le dessus de ton verre alors que l’inconnu te proposer une autre tournée avant de finir chez lui. En temps normal, ça ne t’aurait pas dérangé. Tu ne t’attaches pas toi, Jules. Tu n’es qu’un être de passage dans les draps de ces messieurs, juste le temps de prendre quelques minutes de plaisir pour ensuite rentrer chez toi sans regarder derrière toi. Mais ce soir, tu luttes contre tes pensées profondes qui ne veulent pas te donner du répit. T’es épuisée, complètement alcoolisée, triste et en colère. L’inconnu ressemble à Noah et ça te rend folle. Tu as envie de le secouer dans tous les sens, de lui cracher au visage qu’il n’est pas là pour toi comme il le disait si souvent. Pourquoi t’avait-il évité au maximum, se cachant derrière son travail pour ne pas faire face à l’accident ? Bien sûr, tu aurais pu lui dire, mais c’était bien trop te demander. Qui étais-tu pour lui, tu n’avais aucun droit de lui demander de te rendre des comptes.

Sans égard pour la générosité de l’homme, tu t’éloignes du comptoir du bar avec tes affaires et quittes avec difficulté le bar. Tu déambules dans les rues de Fall River sans avoir de destination en tête. L’air frais te mord les joues qui commencent à rougir et tu commences à grelotter parce qu’en pleine nuit, il fait froid et tu n’as rien pris sur toi. T’as l’impression de perdre la tête, tu voudrais faire taire cette voix en toi qui te balance toutes ces vérités que tu rejettes violemment. Prête à exploser, tu presses le pas alors qu’en réalité, tu es toujours aussi lente dans tes mouvements. Les minutes défilent et tu as l’impression d’être dans ta bulle, manquant de tomber à plusieurs reprises. Tes chaussures à présent dans la main, tu continues ton chemin en faisant chaque pas automatiquement alors même que tu n’as aucun itinéraire en tête. Pourtant, tu arrives bien à destination puisque lorsque tu ouvres les yeux, tu te retrouves face à une porte. Noah Little, ce nom inscrit sous la sonnette. Tu ne sais pas ce que tu fais ici et comment tes pieds ont pu te ramener jusqu’ici. Tu ne sais même pas s’il est chez lui ou à l’hôpital. Il est 3 heures du matin et rien n’a de sens pour toi. Ce qui ne t’empêche pas de tambouriner à sa porte, chose que tu n’aurais jamais faite si tu avais été sobre, par respect pour ses voisins. Les secondes défilent, mais c’est comme des heures à tes yeux, alors pensant qu’il n’est pas chez lui, tu laisses tout ton corps se posait contre la porte, comme si tu étais confortablement installée et tu fermes les yeux pour repousser ces pensées intrusives qui revenaient en force.

Ce soir-là avait été difficile. Au travail, tout était allé très vite. Il y avait eu des urgences dans tous les sens, pour changer. D'habitude les urgences n'étaient pas son domaine de prédilection, néanmoins dès qu'ils avaient besoin de renfort, comme ce soir-là, tous les médecins étaient quasiment tous mobilisés. Il avait dû opérer trois patients de plus que ceux prévus, dans le cadre de ces urgences.  Le dernier était un enfant qui avait été renversé. Il avait un hématome cérébral, et le garçon était dans le coma, malgré l'opération qui s'était bien passé. Noah serait volontiers resté au chevet de l'enfant, culpabilisant de la situation. C'est son chef de service qui est venu lui demander de rentrer chez lui, en entrant dans la chambre ou le petit garçon comatait, la machine faisant résonner les bips réguliers des battements de son coeur. Il avait été simplement congédié par son chef de service, lui remerciant sa présence, mais lui indiquant que la relève était arrivée, et qu'il serait mieux chez lui.

Alors, il avait pris ses affaires et avait quitté l'hôpital, non sans aller checker Lidye. Il aurait souhaité que tout soit plus simple en ce moment. Il essayait de se protéger, tout en s'occupant du mieux de son amie. Tout en faisant le nécessaire pour laisser l'affect de côté et être le meilleur neurochirurgien dont elle pouvait avoir besoin. Il s'assit quelques minutes à côté d'elle, en vérifiant ses constantes. Normalement, il n'y avait pas de raison de s'inquiéter. Il resta, de longues minutes, avant de soupirer, et de finalement sortir silencieusement de la chambre, avant de réellement quitter les lieux.

Dehors, la nuit était glaçante, et il était crevé de sa journée, quand,  vers les coups de une heure et demi du matin, il passa la porte de son appartement. Il jeta ses chaussures au hasard, se déshabilla, en semant ses vêtements sur le chemin jusqu'à la douche. L'eau chaude lui donna l'impression de désengourdir ses membres, et de lui enlever certaines douleurs liées à cette fatigue en lui. Il fit durer la douche, en laissant passer le temps. L'eau qui coulait sur sa peau était presque brûlante, et rougissait ses muscles qu'il avait tant travaillés autrefois. Mais tout ce à quoi il pensait, c'était cette sensation qu'ils se relâchaient, relâchant par la même occasion la pression qui l'oppressait. A vrai dire, il aimait son travail plus que tout. Mais c'était si souvent éprouvant. Entre le temps qu'il passait à l'hôpital, il y était depuis six heures du matin, et la charge émotionnelle, c'était loin d'être une promenade de santé.

Sa douche terminée, il enfila un caleçon et alla se glisser dans ses draps, prêt à passer une bonne nuit, qui lui permettrait de se requinquer, et de retrouver des forces pour sa journée off du lendemain. Mais ça, c'était sans compter sur le choix du destin.

Il était à peine plus de trois heures du matin quand il entendit tambouriner à sa porte. Qui pouvait bien venir taper à la porte à cette heure-ci ? Il se frotta la tête, et souffla, avant de glisser une main dans son armoire pour récupérer un t-shirt, puis en se trainant jusqu'à la porte pour ouvrir. En voyant le visage d'une petite rousse, il plissa les yeux. Jules ? Mais qu'est-ce que tu fous là, putain, il est trois heures du matin... Bon, bah entre... Il ouvrit la porte un peu plus, la laissant entrer un peu plus, avant de plisser le nez. Tu pues l'alcool, bordel. remarqua-t-il, avant de lui montrer le canapé, et de s'asseoir face à elle.

Tu es loin d'avoir les idées claires, sinon tu ne te serais pas déplacée jusqu'à la porte de Noah en plein milieu de la nuit et aussi bruyamment. A cet instant précis, t'en as rien à faire des conséquences, ton cœur t'a guidé jusqu'à lui et tu l'as laissé te traîné sans rechigner, puis, ce n'est pas comme si tu contrôlais quoique ce soit. Tu n'es pas sobre pour t'en rendre compte, mais chaque parcelle de ton corps réclame Noah. Ses bras, la chaleur qui émane de son corps, son parfum, la douceur de ses gestes... Tu as besoin de lui, mais tu ne t'autorises pas à te laisser aller vers lui. Tu as peur, complètement apeurée qu'il te quitte à son tour et t'abandonne à ton sort. Foutu passé, foutues personnes qui t'ont montré plus d'une fois que tu n'en valais peut être pas la peine. A cause de ton père, de ton frère et de nombreuses autres figures masculines de ta vie, tu restes persuadées que personne ne s'attacherait à toi et que tu es vouée à être quittée sans cesse.

Tu ne laisses même pas le temps à Noah de te laisser entrer que tu as déjà pris la direction de son salon, cet appartement que tu connais déjà parfaitement pour y avoir été déjà tant de fois. Rien que d'être assise dans un lieu si familier te rassure. tu ne relèves pas sa remarque sur ta consommation de la soirée, pas du tout assez lucide pour dire quoique ce soit. Tu l'observes s'asseoir face à toi, mais cette distance te gêne et tu manques de faire une belle chute pour finalement te retrouver près de lui, tes iris plongées dans les siens. Tu attrapes son visage de tes deux mains glacées et tu marques un silence de quelques secondes, ayant du mal à mettre de l'ordre dans tes idées. "T'es qu'un idiot Noah". que tu lâches tout d'abord, comme une évidence. Du moins, pour toi, parce que toi, tu sais pourquoi tu penses ainsi. Mais lui... Tu constates déjà son air surpris, ne comprenant pas ce que tu essaies de lui dire, mettant sûrement cela sur le compte de l'alcool. "T'avais pas le droit de me faire ça" que tu poursuis innocemment en faisant glisser quelques mèches de ses cheveux sur le côté, délicatement.

Cette petite voix en toi qui te dit clairement que tu joues avec le feu, toi qui est prête malgré toi à lui balancer le fond de ta pensée, mais surtout... Tes sentiments. Sous l'effet de la boisson, tout est si clair à tes yeux à présent. Bien sûr que tu as des sentiments pour Noah. Ils ne sont pas fugaces ou volatiles. Tu l'aimes d'un amour ardent comme tu n'as jamais aimé auparavant. C'est fort et doux à la fois et si indescriptible. Tout ce que tu sais, c'est que tu ne veux pas perdre tout ça. Tu étais si proche de lui avant cet accident et depuis... Tu le voyais à peine, occupé par son travail. Mais ce n'était pas ce qui vous empêchait de vous voir auparavant... Tu n'es pas bête, tu sais qu'il t'évite et tu ne comprends pas pourquoi. Aurais-tu à nouveau dit ou fait quelques chose qui l'aurait fait fuir ? Comme d'habitude que tu penses, te blâmant pour la énième fois. "Tu ne veux plus de moi c'est ça ? Toi aussi tu t'en vas ?" Tu ne te rends même pas compte de ce que tu lui dis, loin d'imaginer la douche froide que ça allait être le lendemain, une fois tes esprits repris.

Lui qui ne rêvait que d'une chose, se reposer, c'était mal barré. Trois heures du matin, et quelqu'un se présentait à sa porte. Enfin, "quelqu'un". Pas n'importe qui, puisqu'il s'agissait de Jules. Une Jules un peu arrosée, qui sentait assez fort l'alcool. Elle n'était pas complètement dans son état normal, et lui n'était certainement pas apte à gérer des états d'âmes amenés par l'alcool. Pourtant, il n'avait pas hésité plus longtemps pour la laisser entrer, cédant à sa présence. Comme à chaque fois, en soi.

Elle ne s'était pas fait prier, et elle avait fini par entrer, le forçant malgré elle, très certainement, à la suivre. Assis devant elle, il la regardait tituber, un petit peu exaspéré. Elle voulait quoi, très exactement ? Ses mains sur les joues de Noah provoquèrent un frisson. La fraicheur et les mains de Jules avaient toujours cet effet sur lui. Mais là, il craignait la suite. Elle semblait bouleversée. Et s'il avait un petit peu d'idée des raisons, il espérait se tromper. Son comportement vis à vis d'elle depuis tout ce temps, c'était une mesure de protection. Pour elle, pour lui, pour les gens qui les entouraient. Pour eux tous.

Néanmoins, dans le but de continuer à se protéger, il décidait de prendre le pli d'être exaspéré. Il attrapa chaque poignet d'une main, et les força à retomber le long du corps de la jolie rousse. De quoi tu parles encore ? T'es pas claire, là, tu parles sous le coup de l'alcool. dit-il en se levant, marquant une distance entre eux, avant d'aller derrière le plan de travail quelques mètres plus loin, et de faire couler de l'eau dans un verre.

Il revint  devant elle, en lui tendant le verre. Tu t'es hydratée j'espère. Demain tu vas avoir une sale gueule de bois. Il se mordait la joue de l'intérieur, en la regardant. Le moment qu'il craignait le plus ne saurait tarder. Elle allait lancer les hostilités sous peu. Il avait refusé le contact avec elle. Avec l'accident, il s'était rendu compte que les sentiments qu'il éprouvait envers Jules n'avaient rien d'amical. Ils étaient empreints d'un amour brulant, qui lui faisait mal dans les os rien qu'à la voir. Mais ils s'étaient promis qu'entre eux, ce ne serait jamais rien de plus qu'une histoire charnelle. Il avait cru la perdre, et la douleur qui avait émané de lui quand il avait vu son corps étendu dans le brancard lui avait fait réaliser que sa promesse de ne jamais tomber amoureux avait été brisée. Et il avait peur de ce sentiment là.

Moi aussi ? demanda-t-il, intrigué de cette phrase, avant de reprendre. C'est pas ça c'est que... Depuis l'accident toi, moi... c'est... différent. Mais était-ce bien judicieux d'aborder le sujet en ces conditions d'alcoolémie ?

Tu ne sens même plus le froid de tes mains maintenant qu'elles sont posées sur le côté de son visage, ce contact te procurant une chaleur inexplicable. Ton myocarde refait des siennes, cognant contre ta poitrine à une vitesse incontrôlable et la profondeur de ses yeux te fait succomber davantage. Maintenant, ça va mieux, il est là, devant toi, tu sens la chaleur de son souffle, tout près de toi. Tu n'as besoin de rien de plus à cet instant précis, du moins, c'est ce que tu penses avec ton esprit toujours embrumé par la boisson. Ce contact que tu désires depuis si longtemps te procurait un bien-être dont tu n'arrives plus à te passer. Pourtant, ce petit plaisir t'est arraché violemment... par lui. Tu ne peux pas lutter contre ce geste qui pousse tes bras à prendre leur position initiale. Tu ne dis rien, laissant le silence flotter dans l'air tellement tu es surprise. Plus rien ne va, tu ne t'es pas trompée et ça te brise le cœur en plusieurs morceaux. Ce rejet est difficilement compréhensible à tes yeux, pire encore lorsqu'il se lève et s'éloigne de toi. Ton myocarde se serre si fort que ta bêtise te fait croire que tu vas mourir sur le champ. Pourquoi fallait-il que tu t'attaches éperdument à cet homme qui semble avoir tiré un trait sur toi ?

Ton regard se durcit instantanément, tu te sens stupide, si stupide... T'es en colère contre toi-même parce que c'est beaucoup plus facile et ça fait partie de cette tendance que tu as depuis ta jeunesse que de t'autodétruire émotionnellement, pensant à chaque fois que le problème dans toutes tes relations chaotiques, c'est toi. Tu laisses Noah te tendre ce verre d'eau que tu ne prendras jamais et détournes ton regard, blessée plus que tu ne voudrais l'admettre. "Comme si t'en avais quelque chose à foutre" que tu lâches en posant ta tête en arrière, elle que tu as du mal à tenir droite et qui te semble être si lourde. Tu fermes les yeux quelques secondes et inspires doucement, comme pour canaliser cette colère qui t'envahit de plus en plus, alors que d'ordinaire, jamais tu ne te serais mise dans un tel état. Tu rouvres les yeux en riant bêtement. "C'est de ma faute, pardon" que tu lâches en te redressant. "J'ai frôlé la mort et ça m'a poussé à croire que... Laisse tomber, je n'aurais pas dû venir ici". C'est le bazar dans ta tête, tu ne sais plus vraiment ce que tu veux dire ou ce que tu veux croire et même si tu as envie de t'en aller de son appartement, loin d'ici, tu n'as pas la capacité physique de bouger d'un poil.

"D'abord ma mère, mon frère ensuite et pour finir en beauté mon père et ce n'est que le début de la liste. Maintenant, c'est toi". Tu ne sais même plus si c'est à lui que tu t'adresses ou si tu te parles à toi-même, juste pour te gifler à nouveau de cette famille chaotique qui fait que tu es la personne d'aujourd'hui. Tu ne sais même plus qui tu es réellement, à vrai dire. "Différent ? C'est quoi, le plâtre que j'ai dû me coltiner des mois ? Les hématomes  ou peut être mes cicatrices ? C'est ça qui a rendu les choses différentes, je ne suis plus assez attirante à tes yeux ?" Tu te remets à rire nerveusement, trouvant ses paroles absurdes et ne comprenant pas en quoi les choses étaient différentes à présent. "Je comprends, je ne peux pas t'en vouloir pour ça, on ne s'est rien promis après tout" que tu lances à nouveau, te parlant à nouveau davantage à toi-même, comme pour te raisonner. Tu dois accepter l'idée que ce n'est pas toujours toi qui mets fin à tes relations charnelles, même si l'idée de ne plus lui plaire t'arrache encore plus le cœur.

Voir Jules faisait tambouriner son coeur dans sa poitrine. Elle était là. Elle était venue le voir. Oui, mais sous le coup de l'alcool. Mais elle était là ! Il l'avait tellement repoussée, en essayant de se protéger, de la protéger elle aussi, après l'accident de voiture qu'il ne se souvenait pas la dernière discussion qu'ils avaient vraiment eue ensemble. A quand datait le dernier contact qu'ils avaient eu tous les deux, seuls à seuls ? Bien trop longtemps, c'était une certitude. Sauf que l'accident avait remis les choses à leur place. Il avait compris ce qu'il éprouvait pour elle. Mais voilà bien trop longtemps qu'il se préservait de tout ça, et là il avait juste mal. Il avait mal de l'aimer, mal de sentir ses émotions s'éveiller dès qu'elle franchissait le pas des portes où il se trouvait. Il avait mal de la savoir si proche, et en même temps si loin. Mais qu'elle soit plus loin et en même temps plus proche, ce serait tout autant douloureux.

Il posa le verre sur le plan de travail. Elle finirait par le prendre. Il claqua sa langue sur son palais en l'entendant parler.  Arrête. Arrête de dire ça. J'en ai pas rien à foutre. Si seulement il n'avait pas peur, si seulement il était capable de lui dire et d'assumer ce qu'il ressentait. Mais comment pourrait-il être quelqu'un de bon pour elle et d'être à la hauteur quand il avait passé toute sa vie à fuir la moindre émotion ?

D'un geste bref, il lui attrapa le poignet d'une main. Qu'elle arrête de se débattre. Qu'elle ne parte pas. Il ne supporterait pas une seconde de plus de son absence, maintenant qu'elle était là. Ne pars pas. Je t'en prie. souffla-t-il, si bas que quelques centimètres de plus auraient empêché la jeune femme d'entendre ce qu'il disait.

Il ne prit pas même la peine de réfuter tout ce qu'elle disait, une chose par une chose. Après tout, il n'était d'accord avec rien, et il savait parfaitement qu'au plus profond d'elle, elle connaissait un bout de la vérité. Il y avait certaines choses qu'on ne pouvait vraiment refuser de voir. Et ce qu'il éprouvait pour elle, tout le monde pouvait s'en rendre compte. Enfin, sauf eux deux, apparemment.

Jules. la somma-t-il une première fois, d'un ton autoritaire. Tu sais que c'est faux. Tu es magnifique. Tes cicatrices, je m'en fiche. C'est juste que.. Pourquoi est-ce que c'était si difficile à avouer, bordel ? Pourquoi est-ce que lui dire l'évidence semblait plus violent que de s'enfoncer un pieux en pleine poitrine...? Oh et puis merde. Sans prévenir, il passa sa main libre dans son cou, et de sa main qui tenait encore son poignet, il l'attira à lui. Il baissa la tête pour l'embrasser, un baiser qui voulait dire tout ce qu'il n'était pas capable de dire à haute voix, en espérant que malgré l'alcool elle arrive à traduire ce que le silence entre eux signifiait.

Pourquoi t'es pas venue plus tôt, Jules ? Pourquoi il a fallu que tu t'enivres de liqueur amères pour trouver le courage de frapper à sa porte et de contempler enfin son visage ? Tu le blâmes lui pour s'éloigner de toi, t'imposer cette distance que tu ne comprends pas et détestes. Mais toi, dans tout ça ? Tu te rends toujours pas compte. C'est pas toi, pas celle qui court après les autres, pas celle qui débarque à une heure si tardive de la nuit à demander des comptes. C'est pas dans ton habitude, ni ton genre, mais t'es là, Jules. Parce que c'est Noah, mais ça, t'es incapable de le voir - encore. Non, là, t'es persuadée que tu ne comptes plus à ses yeux, que cet accident vous a définitivement séparé et que plus rien ne sera plus jamais pareil. Situation que tu prends pour vérité acquise, sentiment inexplicable de frustration qui t'habite. Tu veux pas que la distance s'installe entre vous. Tu sais pas pourquoi et tu veux pas chercher à savoir, là, tout de suite, c'est juste sa présence dont tu as besoin.

Alors ton muscle battant se déchire un peu plus lorsque t'es persuadée de ne plus avoir la même place à ses côtés. "Alors t'es où depuis des semaines, Noah ?" Question qui te brûle les lippes depuis si longtemps, mais que tu n'as jamais osé lui posée, par peur d'entendre une réponse qui ne te satisferait pas. "Laisse moi partir", mots qui sortent d'entre tes lèves, mais l’intonation suppliante avec cet espoir qu'il s'accroche à ton poignet sans ne jamais te lâcher. Contact qui t'électrise à nouveau l'échine et tu constates que de ton côté, rien n'a changé, tu ressens toujours ces mêmes émotions dont tu n'arrives plus à te passer et que personne d'autre n'arrive à te faire ressentir.

"Juste que quoi ?" que tu lui demandes, l'air interrogateur qui se lit aisément sur ton visage alors qu'intérieurement, tu brûles pour l'avoir entendu t'appeler par ton nom.T'as pas le temps de comprendre comment t'en es arrivée là qu'il t'attire vers lui pour écraser ses lèvres contre les tiennes, exactement là où est leur place, que tu penses. Était ce un geste irréfléchi pour la faire taire ? L'empêcher de partir ? Les pensées trop brumeuses et le cœur en vrac, tout ce que tu espères, c'est de ne pas oublier la chaleur de sa main dans ton cou ou encore le goût de ses lèvres une fois sobre. T'es persuadée que tu t'en souviendras, comment ne pas se rappeler de ce tendre contact dont tu rêves depuis si longtemps. Tu ne te débats pas, laissant toute ta force s'évanouir pour te laisser être encerclée par lui. Mieux encore, tu renchéris et profites de la douceur de son épiderme en déposant ta main sur sa joue, déversant ce manque qui venait tout juste d'être comblé. T'en demanderais bien plus si ton état actuel te le permettait, peut être même que tu devrais l'utiliser comme excuse pour être intrépide et sauvage ce soir. Mais tu sais que Noah ne l'autoriserait pas, parce qu'il n'est pas comme les autres, lui.

Quelques centimètres à peine qui séparent vos visages, tes prunelles enfoncées dans les siennes, encore haletante de ce baiser fougueux plein de sens que vous veniez d'échanger. Toi, t'as pas forcément compris ce qu'il tentait de te dire, t'es pas assez sobre pour ça. Mais lui ? Lui, il a compris que t'avais besoin de lui ? Il a compris que tu n'arrives plus à faire comme s'il n'était qu'un homme parmi d'autre dans ta vie ? Sûrement que non, puisque toi-même tu ne t'en rends pas compte. "A quoi tu joues, Noah ?" que tu souffles sans ne jamais quitter ses iris. Te repousser, puis s'accrocher à toi. Est-ce qu'il s'amuse de ton état ? Est-ce qu'il tente de te faire fuir ? Parmi toutes ces interrogations, l'évidence est là : t'es incapable de te dire que c'est peut être parce qu'il a réellement envie que tu restes, parce qu'il s'inquiète réellement pour toi ou encore parce que lui au moins, il sait enfin ce qu'il ressent pour toi.

Elle s'était mise dans un état pas possible, et la voir ainsi lui fusillait le coeur. Il pourrait lui dire ce qu'il voulait, il n'était pas même sûr qu'elle se souvienne de ses mots le lendemain au réveil. Toutefois, Noah ne risquait pas de profiter de son état, et de se comporter comme un connard : elle était mal, elle avait bu, elle était fatiguée, se remettait à peine de l'accident. Il ne risquait pas de profiter de son corps, apprendre à le redessiner avec les cicatrices qui l'ornaient désormais, peu importait l'envie qu'il pouvait en avoir. Elle avait l'impression d'être moche avec, de ne pas être désirables. Il fallait simplement qu'elle apprenne à vivre avec. Et lui, il la désirait elle, peu importait les détails de son corps à assimiler.

Non. dit-il, simplement. Non, il ne la laisserait pas partir. Pas dans cet état. Pas à cette heure-ci. Pas comme ça. Que ça lui plaise ou non, il n'accepterait que le fait qu'elle reste, quitte à ce qu'il dorme sur son propre canapé.

S'il venait de la repousser pour plus, il ne put s'empêcher d'essayer de la retenir. Elle pouvait très bien rester là, dormir sur place sans qu'il ne se passe quoi que ce soit, puis le lendemain, quand elle serait en état, ils pourraient discuter. Il pourrait lui ouvrir son coeur, lui dire ce qu'il ressentait vraiment. Désormais, la non exclusivité ne le satisfaisait plus. Elle allait devoir faire avec, après tout. Alors, il n'avait pas trouvé meilleure solution que de lui montrer à défaut de dire ce qu'elle oublierait : elle oublierait certainement le baiser, et c'était une des milles raisons pour lesquels ils n'iraient pas plus loin.

Je ne joue pas. Il avait fini de jouer. Ses prunelles plongées dans celles de la jeune femme, il ne pouvait pas détacher son regard du sien. Reste dormir ici. Je prendrais le canapé, et demain on en discutera, si tu veux bien ?

T'as perdu ce soir, Jules. T'as beau insisté, ça ne changera rien. Noah ne te laissera pas partir ce soir et même si ta fierté en prend un sale coup, au fond, bien au fond, ça te rassure de le savoir à tes côtés. Tu veux pas être seule, Jules. Ça te fait mal de l'admettre, toi qui est si indépendante et qui rayonne parce que t'as toujours préféré ta propre compagnie à celle des autres - en dehors de Lidye bien entendu. T'as jamais eu besoin de qui que ce soit et tu t'en es toujours sortie toute seule. C'est comme ça que t'es, brave et courageuse, bravant toutes les épreuves de la vie, portant sans sourciller leurs marques sur ton épiderme. Mais pas là. Pas ce soir. Tu veux pas être seule. Tes paroles font penser le contraire, tes regards et ton attitude aussi, mais tu veux pas partir, tu veux pas qu'il te laisse. Alors tu ne lui tiens plus tête, à quoi bon de toute façon, Noah n'est pas prêt à changer d'avis ou à faire de concession.

Il ne joue pas, qu'il annonce sans une once d'hésitation dans sa voix. Perturbant. Déconcertant. Tu ne sais plus vraiment quoi penser de toute ça et il faut dire que le taux d'alcool dans ton sang n'aide en rien à avoir les idées claires. "Nan... Je..." Tu te sens stupide après tout le cinéma que tu viens de jouer devant lui, incapable de lui dire ce que tu souhaites réellement. Pourquoi est-ce que c'est si difficile ? Les mots sont là, prêts à défiler jusqu'à atteindre ses tympans, mais tes lippes ne veulent pas libérer ta parole. T'as peur, Jules. T'as peur d'admettre que tu peux pas te passer de lui, t'as peur de t'accrocher à lui et de prendre le risque qu'il t'abandonne à son tour. Comme ta mère. Comme ton frère. Comme ton père. "Me laisse pas seule, Noah. S'il-te-plaît." Voix presque suppliante, tes yeux se fondent dans ses prunelles. Même là, t'arrives pas à lui dire clairement ce qui te passe par la tête. J'veux pas dormir seule Noah, me laisse pas, reste avec moi. Rien de compliqué en somme, mais t'arrives pas, toujours pas. Et s'il s'éloignait à nouveau comme ces dernières semaines ? Et si tu le perdais ? T'arrives pas à dire un mot de plus, juste tes doigts qui s'avancent et s'accrochent à sa manche. T'as l'impression d'être une enfant, mais tout ça, tu t'en souviendras pas le lendemain, pas vrai ? T'oublieras la chaleur laissée par ses lèvres sur les tiennes, la honte de vouloir qu'il recommence et le manque de sa peau. L'évidence est là, sous ton nez. T'es complètement et irrémédiablement amoureuse de cet homme, Jules. T'auras beau le nier, l'ignorer et faire comme si tes sentiments n'existaient pas, mais ils sont là, plus vrais et sincères que jamais.

Il ne se refusait pas à la laisser partir pour jouer avec elle, mais Noah n'en était plus capable. Ces sentiments qui s'emparaient de son corps et de son cerveau s'imposaient toujours un peu plus fort à lui et il ne pouvait pas accepter qu'elle s'en aille dans cet état. Il ne jouait pas et le lui répéterait autant de fois que nécessaire. Elle semblait l'avoir compris et la situation prit une tournure complètement différente. Dans son regard, il décelait quelque chose d'émouvant et de perturbant. Il ne mit pas longtemps à comprendre quoi, voyant le reflet de ses propres incertitudes dans les prunelles claires de Jules.

Je suis là. affirma-t-il, sobrement, ses bras venant entourer instinctivement les épaules de la jeune femme vers un contact rassurant, dont lui-même ne pouvait pas se passer. Il y avait pourtant dans les paroles de Jules un supplément qui ne le laissait pas de marbre. Qu'il ne la laisse pas seule signifiait probablement qu'il reste là, tout court, sans retrouver le canapé. Je ne bouge pas. Pourtant il se détacha d'elle pour l'observer un court instant. Mais tu as besoin de dormir, Jules. Ce n'était pas l'approche la plus subtile, mais c'était son moyen à lui de lui tendre la main pour qu'elle formule exactement ce qu'elle voulait dire, ce qui lui aurait aimé entendre.

Tu scrutes chacun de ses gestes, bois chacune de ses paroles et fonds dans chacun de ses regards. T'as tenté pourtant, d'oublier, verre après verre, shot après hot. Tous tes tracas, tout ton chagrin, toutes ces pensées qui te hantent depuis bien trop longtemps. Puis, de l'oublier lui, aussi. Mais l'alcool n'a fait qu'amplifier le manque indéniable qu'il t'a laissé en s'éloignant de toi. Et maintenant ? Maintenant, tout ce que tu désires, c'est sentir la chaleur de son épiderme contre le tien. Qu'il t'encercle comme il le fait si bien à l'instant sans ne plus jamais te lâcher. Était-ce trop demander ?

"T'en vas pas" que tu répètes, ne sachant faire la différence entre le rêve et la réalité. Parce que même lorsque Morphée t'accompagne chaque nuit, tu vois son visage et lui demande de te prendre la main, en vain. Mais là, il est à tes côtés Jules. Pourquoi ça ne suffit pas ? Pourquoi t'as l'impression que son image va s'évaporer et que tu vas te réveiller, seule, dans un lit bien trop froid, avant de reprendre ton quotidien. Le croiser de loin dans les couloirs t'es insupportable. Tu ne veux pas de ça. Tu ne veux plus de ça. Alors pourquoi t'y arrives pas, à lui dire à quel point tu as besoin de lui et lui seul. "Reste avec moi" Unique phrase que tu t'autorises à souffler, cinq syllabes que tu lui délivres, incapable de dire quoique ce soit d'autre. La peur est là, présente jusqu'à tes entrailles. Tu veux pas t'endormir, pas pour te réveiller en retrouvant ton monde où il n'est que de passage ces dernières semaines. Tu dévies le regard, honteuse de ne pas être à la hauteur, de ne pas réussir à enfin mettre des mots sur l'explosion d'émotions que tu ressens à son égard. Tu lui fais défaut et tu le sais. Pourtant, tes doigts frêles s’accrochent aux siens délicatement, tu refuses de le laisser partir, rêve ou non.

La fragilité dont elle faisait preuve avait quelque chose d'émouvant à ses yeux. Il la savait fragile, plus encore depuis l'accident au cours duquel il avait craint la perdre plus que toute autre chose. Mais il avait pleinement conscience que désormais, ivre, elle montrait une face triste, une face désespérée. Elle s'ouvrait à lui, même si c'était imbibée de désinhibition par l'alcool.

Il aurait voulu rester ainsi, à la serrer contre lui toute la vie, si ça avait été possible, encore plus maintenant qu'il réalisait combien elle comptait à ses yeux. C'était aussi pour ça qu'il avait -un peu bêtement- décidé de mettre de la distance envers elle : il avait trop mal à risquer encore et encore de la perdre. Et il avait réalisé, ainsi, combien ça lui avait été difficile d'aimer, et de perdre. Il s'était alors souvenu de sa promesse de ne pas s'attacher.

C'est aussi la raison pour laquelle il avait mis cette distance entre eux. Parce qu'il ne saurait tenir cette promesse, et qu'il avait juste envie... non, besoin, de se protéger.

Je reste là. souffla-t-il, en déposant un baiser sur son front, oubliant tout ce qu'il voulait laisser de côté dans ses émotions, en caressant ses cheveux. Tout va bien dit-il, en se laissant aller, doucement, aux bras de Morphée, bien qu'il y préférait largement les bras de Jules.

Le son roque de sa voix te rassure, tu n'as plus besoin d'avoir peur à présent, Jules. Noah a toujours tenu parole, peu importe la situation et le degré de sérieux de ses propos, lorsqu'il s'engage à faire - ou ne pas faire - quelque chose, tu sais qu'il fera tout ce qui est en son pouvoir pour tenir parole. C'est pour cela que tu n'insistes pas davantage, consciente malgré tout que tu peux lui faire confiance. Sa main dans tes cheveux adoucit tes traits crispés et te berce délicatement jusqu'à ce que toi aussi, tu te laisses entraîner par le marchand de sable toquant à ta porte depuis trop longtemps. Si la nuit t'a paru calme et reposante, bien que trop courte à ton goût, le réveil, lui, était à l'extrême opposé.

Aïe. Tes paupières sont lourdes et t'es incapables de bouger la tête les premières minutes tellement elle te fait mal. Complètement perdue, tu essaies de te remémorer la soirée de la veille, de comprendre ce qu'il s'est passé et surtout, d'identifier le lieu où tu trouves actuellement. Tu fermes les yeux plusieurs fois avant de reprendre petit à petit tes esprits, le besoin d'obtenir des réponses à tes questions se faisant urgent. Première tentative de mouvement qui se solde par un échec lorsque tu te rends compte qu'un bras t'encercle. Il ne te faut pas longtemps pour remonter le menton - douloureusement - et te rendre compte qu'il s'agit de Noah. Merde, qu'est-ce que tu fous ici, Jules. Les questions te taraudent et tu te remémores doucement les événements avant de t'arrêter nette. Toute ton attention est attirée par le visage paisible de Noah, à peine illuminé par les quelques rayons de lumière de l'extérieur qui échappent à ses rideaux. La dernière fois qu'elle était ici, avec lui, tu avais tout fait pour t'extirper de là discrètement afin de prendre la fuite au plus vite. Mais là, rien de tout ça ne se produit. Les minutes défilent et tu n'arrives pas à détacher ton regard ce lui. C'est même presque naturellement que tes doigts s'approchent de son épiderme pour repousser doucement quelques mèches de cheveux de son front. Tu n'as pas forcément tous les détails de la veille en tête, mais une chose est sûre, il n'y a aucun autre endroit dans lequel tu souhaiterais te trouver à cet instant précis, réalisant à quel point il te manque. Ce n'est définitivement pas un hasard si c'est vers lui que tu t'es tournée dans cet état. Et ça te frappe instantanément : ses mots, les tiens, puis, ce baiser lourd de sens échangé il y a quelques heures en arrière. Tu ne peux définitivement plus fuir, Jules, il n'y a plus aucune échappatoire à présent.

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