La pluie était présente, ce jour-là.  Il faisait froid, et ce n'était pas le noir des vêtements de tous et chacun qui donnait l'impression que rien ne laisserait jamais le monde redevenir chaud. Les larmes qui coulaient sur ses joues, quant à elles, lui brûlaient le visage. Des adieux, des au revoir sans fin, il voyait une partie de sa propre vie enterrée aussi pendant ce cérémonial qui n'avait pas de fin. Lui, tout ce qu'il voulait, c'était serrer sa mère dans ses bras une dernière fois, lui dire qu'il l'aimait plus que tout. C'était pouvoir graver son image dans sa tête pour que jamais il n'ait l'impression de perdre son souvenir. Mais on lui avait interdit de regarder, son père et sa tante l'avaient sermonné pour qu'il reste à distance. Alors il avait obéit. Et son coeur se brisait un peu plus à chaque mot, à chaque seconde. Il n'était pas prêt à lui dire au revoir, pas comme ça, pas maintenant. A quinze ans, on n'est jamais assez prêt pour dire adieu à un de ses parents. Il l'aurait suivie n'importe où, et voilà que la vie la lui retirait. Non. Dans un fol espoir de pouvoir la voir une dernière fois, de pouvoir la suivre encore une fois à l'autre bout du monde, il rompit le silence une fois que la voix du prêtre lui semblait éteinte. « Maman ! » s'écriait-il. « Reviens ! » Continuait-il, en se laissant tomber sur les genoux, abîmant son costume acheté pour l'occasion. Il serra dans sa main le collier qu'elle gardait toujours sur elle, qu'elle lui avait donné quelques jours auparavant. « Je t'aime, je t'aimerais toujours. » chuchota-t-il au collier, comme la promesse de toujours le protéger, la promesse de se revoir. Il ne croyait pas vraiment en Dieu. Mais pour elle, il était prêt à croire qu'une autre vie existait : Elle, elle le méritait, après des années à se battre, la lionne avait usé de son dernier souffle. C'était trop tôt. Elle laissait le plus grand vide dans son cœur, et une peur qu'il n'était pas sûr d'un jour pouvoir appréhender. Il l'avait aimée de tout ses forces pendant des années. Elle était son amie, sa confidente, sa meilleure amie, même, et une mère extraordinaire. Noah n'était pas prêt à la laisser partir. Elle resterait toujours à ses côtés, il s'en faisait la promesse.



« Papa, putain, pourquoi tu fais ça ?! » Il brandit la bouteille de whisky déjà vide, dans laquelle il ne restait pas beaucoup plus qu'un fond d'alcool. Son père était avachi sur le canapé, totalement défait, tombant à moitié au sol, et surtout, puant l'alcool et la transpiration. Ce n'est pas comme ça qu'on espérait retrouver son père quand on avait seize ans. « Allez, lève toi.» Dit-il en le prenant par le bras, et en le faisant aller jusqu'à sa chambre, le mettant dans son lit. Il le déshabilla, le mit en pyjama, et le borda, comme beaucoup trop de soirs. Sauf qu'aujourd'hui, il avait décidé que les choses changeraient. Une fois la porte de la chambre de son père fermée, il alla chercher dans toutes les cachettes possibles de la maison, et il récupéra tout l'alcool possible, et le mit dans un sac en plastique. C'était la seule chose qu'il pouvait faire. Et sa plus grosse erreur, certainement.


« J'aimerais qu'elle soit là pour voir ça. » Un regard à son collier, Noah plongea ses yeux marrons mais clairs dans ceux de sa tante. Elle lui offrit un sourire plein de compassion, et pressa sa main sur l'épaule de son neveu. « Elle serait tellement fière de toi, si tu savais. Mais tu avais beau n'avoir que quinze ans quand elle est partie, elle savait que tu serais diplômé. Elle savait que tu aurais toujours tout ce que tu veux, parce que tu es le jeune homme le plus capable qu'elle ait rencontré. Et trop tête brûlée pour ne pas réussir quelque chose. » Sa tante émit un léger rire à sa dernière phrase, alors qu'elle avait les yeux pleins de larmes, tout comme lui. « Merci. » dit-il en se jetant dans ses bras, faisant tomber son chapeau de diplômé dans son élan. « Merci d'être là, de me soutenir.. Au moins, toi, tu es là.» dit-il en évoquant subtilement son père, sûrement trop occupé avec ses filles de joies qui parcourraient les couloirs de la maison à toute heure du jour et de la nuit depuis quelques temps, amenant alcool et drogue à la maison, la conséquence de la mesure drastique qu'il avait pris quelques années auparavant. Certes, les bouteilles ne restaient pas à la maison, et rien n'était stocké. Mais c'était de sa faute, il le savait. Et aussi (surtout) celle de la faiblesse de son père. Une faiblesse si forte que ni son fils, ni sa sœur ne semblait l'aider à en démordre.


« Je serais médecin. Le meilleur qui soit. Et je sauverai des vies. Plus personne ne perdra sa maman, je t'en fais la promesse. » Assis au coin de la pierre tombale de sa mère, il nettoyait les feuilles qui tombaient dessus, et la poussière qui s'incrustait à cause de la terre. Il venait déposer des fleurs, de jolies roses rouges et blanches, comme chaque année à l'anniversaire de la mort de sa maman. Et cette année, c'était celle de ses vœux pour l'université. Sa décision était venue naturellement, et bien évidemment, comme pour chaque chose importante, il en avait d'abord parlé à sa mère. Ou plutôt à la pierre sous laquelle elle était. Il allait faire médecine, et il était fier d'en parler à celle qui manquait terriblement à sa vie. Il venait la voir toutes les semaines, mais chaque année, cette semaine là, il venait tous les jours. C'était son rituel. Il avait besoin de se sentir proche d'elle, ce sans quoi il serait devenu totalement fou. Elle lui manquait toujours. Et il l'aimait toujours. Maman..


Elle le regardait droit dans les yeux, sur un air de défi, tandis qu'il n'en avait strictement rien à faire. « Dis quelque chose, sinon toi et moi, c'est fini. » Une phrase qui fit doucement rire Noah. Comme s'il allait dire quelque chose. C'était elle qui s'incrustait dans son chez lui depuis quelques jours. Ils n'étaient pas en couple, bien qu'elle semblait avoir du mal à le comprendre. Il avait continué sa vie comme il l'entendait, et quand Lisa était revenue le soir, pendant qu'il passait la nuit avec une de ses nouvelles conquêtes, elle s'était sentie trompée, trahie, alors que lui n'avait jamais fait aucune promesse. Il haussa les épaules. « Vas-t-en alors. » Il s'en fichait. Il avait accepté sa présence simplement pour ne pas être seul, mais il ne supporterait jamais de s'intéresser à une femme. C'était trop dur de se dire qu'aimer les gens, c'était accepter de les perdre. Et entre sa mère morte, et son père en centre de désintoxication, il ne voulait plus s'attacher à personne. Aimer quelqu'un c'était lui donner l'opportunité de lui faire du mal. Il avait trop souffert désormais de l'absence de sa mère décédée, et celle d'un père dépassé par la vie. Il ne voulait pas tomber comme son père. Alors c'était peut-être idiot, mais il avait décidé d'avancer dans la vie en se créant des protections. Et tant pis s'il était pris pour un salaud. Et en regardant sa seule "tentative" de petite amie partir, il n'éprouvait rien. Rien d'autre que du soulagement.


« D'accord, j'ai compris. Ce sont mes cheveux c'est ça ? Ok j'avoue, j'ai pas eu le temps de me doucher » Quelques mots stupides pour draguer une fille de l'hôpital, et pourtant le début de quelque chose qu'il n'avait pas du tout prévu. Quelque chose de radical dans sa vie. Elle. Sans même s'en apercevoir, il lui avait laissé une certaine place dans sa vie, qu'il n'était pas sûr d'assumer un jour. Une approche, une simple approche pourtant. Elle était plus qu'un plan cul régulier, mais il ne s'en rendrait jamais compte. Pas volontairement, pas tout seul. Avec elle, il arrivait à ne penser qu'au positif. Il était pris dans ses filets avant même de s'en rendre compte. Et il était loin de le réaliser. Peut-être qu'au final, c'était l'amour qui pouvait le soigner ?