Du plus loin que je me souvienne, j’ai toujours été celui qui se démarque. Le grand, celui qu’on aperçoit toujours en premier sur les photos de groupe à l’école, le costaud à la piscine, quand il faut se mettre en maillot de bain pour faire des longueurs, celui qui impressionne et qu’on hésite à venir embêter. Encore aujourd’hui, j’ai du mal à trouver des costumes à ma taille, heureusement, je finis toujours en sous-vêtements pendant les shows, et mon corps est devenu mon outil de travail, celui pour qui les femmes, et parfois les hommes, paient. Ils paient pour me voir moi me déhancher sur la scène du Starlight ou pour que je les choisisse dans la foule afin de les laisser le caresser. Je n’ai pas toujours fait stripteaseur, loin de là. En fait, rien ne le prédestinait vraiment. Du moins pas grand chose.

Mes parents sont des gens tout ce que j’appelle de plus normaux. Des horaires de bureau, le petit sport du lundi soir, la coiffure le mercredi et la soirée entre copines le samedi. Ne manque plus que la petite soeur pour qu’on donne l’illusion d’une famille parfaite, alors que nous étions loin de l’être. Quand j’étais couché, il arrivait à papa de boire et à maman de raconter combien elle était malheureuse en parlant un peu trop fort au téléphone. Heureusement, il y avait ma grand-mère, chez qui je me réfugiais lorsque rien ne semblait aller bien. Elle me préparait des cookies, et elle me laissait voir la télévision aussi longtemps que je le souhaitais. A l’école, j’avais un niveau moyen, pourtant je faisais sérieusement mes devoirs et j’écoutais en cours. C’est juste que la sauce ne prenait pas, en fait. En parallèle, j’aimais passer du temps dans le jardin, à tondre la pelouse, à arroser les fleurs ou à scier du bois. Petit à petit, je me construis, je fais mes erreurs et mes propres expériences très jeune. Je grandis, que ce soit en taille et en maturité. J’aide à la maison, je fais du football américain avec l’école, les filles me tombent dans les bras. La première vraie copine, c’est évidemment une des cheerleader. C’est une relation qui repose beaucoup sur l’apparence, car nous n’avons pas grand chose en commun, mais nous continuons ainsi tout le long de l’année. Lorsque je la quitte, je me remets en couple derrière, et ainsi de suite jusqu’a la fin du High School.

Après, je ne sais pas ce que je veux faire. Je m’essaye à beaucoup de trucs manuels, mais rien ne m’intéresse vraiment. La relation avec mes parents devient chaque jour plus conflictuelle, je me réfugie de plus en plus vers la seule personne que j’ai réellement envie de voir. Ma grand-mère me conseille de prendre un peu de distance. Ca tombe bien, j’aurai vingt-et-un an à la fin de l’été, et elle connait quelqu’un dans une petite ville qui recherche un serveur pour son bar. J’ai pas d’expérience, mais je bosse le sujet, et j’investis dans cette nouvelle chance qui m’est donnée. Par des relations, je dégote un petit appartement pas mal, mais on sent des magouilles derrière le paiement du loyer. Tant pis, je reste, jusqu’a trouver mieux. J’alterne le service avec la salle de sport juste à coté, et bientôt, j’attire l’oeil du patron du Starlight qui me propose, sous couvert d’humour, de rejoindre la troupe. Je n’avais jamais pensé faire du striptease. Je ne sais même pas danser. Pour autant, je sais bouger, je suis fort, j’attire les regards et les sourires en coin. Il pense que je pourrai faire fureur et je me laisse convaincre. Je suis engagé. Je trouve les premières prestations catastrophiques, mais il me rassure : vu l’état du public, je suis sûr de faire carton plein les fois suivantes. Finalement, ce n’est pas si difficile : j’apprends et j’assimile les chorégraphies qu’on me propose. Ce n’est pas si sorcier de se déshabiller avec gout. Je deviens expert en retirage de pantalons à scratch, en mouvements de bassins exagérés. Je me démarque des autres danseurs par ma chevelure, et ça devient ma marque de fabrique. C’est finalement en dansant que je rencontre Iris.

Je sors d’une relation avec une femme qui a duré trois ans. L’amour fou des débuts a disparu depuis longtemps, et j’ai de toute façon toujours eu beaucoup de difficultés à être fidèle, ce qui commençait à coincer. Iris, elle, elle est en couple, mais le garçon qui l’accompagne me fait très mauvaise impression. Ca commence comme ça : une relation professionnelle qui finit par se poursuivre par des discussions après le travail. Le patron nous colle ensemble pour un numéro parce qu’il trouve que l’on pourrait rendre très bien ensemble. C’est vrai, ça matche vraiment, les gens aiment le spectacle, mais Lenaïck lui, il ne nous aime pas. Lorsqu’ils se séparent, c’est chez moi qu’elle atterrit. J’ai déménagé entre temps de mon studio douteux, mais il n’y a qu’un seul canapé-lit. A force de le partager, notre relation se construit, et le duo professionnel passe en couple dans l’intimité. Pas n’importe quel couple d’ailleurs.

Priorité
Pas de sentiments.
Nuits ensemble.

Trois règles. J’avoue, j’en ai bravé une, une fois, mais je n’en suis pas peu fier. J’ai arrêté de voir cette nana, et je n’en ai jamais parlé à Iris. Il ne s’était rien passé de toute façon. La vie continue, sur fonds de plantes, de retards de loyers, de sport et de chorégraphies qui évoluent. Je me fais tatouer la fleur pour elle. Le patron me confie plus de responsabilités, au fur et à mesure que la troupe évolue elle aussi. J’aime ce que je fais, mais je ne me vois pas persister là dedans toute ma vie. J’aimerai parfois convaincre ma partenaire de tout laisser plaquer pour partir tenir un ranch au Texas mais je ne le fais jamais, parce que elle, elle est heureuse, alors je le suis moi aussi. Je n’ai jamais parlé d’elle à mes parents, et je ne compte pas le faire. Non pas que j’en ai honte ou que je n’ai pas envie qu’ils la connaissent, mais parce que je n’ai rien envie de leur dire ou de leur confier. Nous ne parlons pas de toute façon. Mamie elle, l’accepte, et c’est bien suffisant.

*Possède un tatouage en forme d'iris qui lui recouvre toute l'épaule droite, roule en moto, adore les plantes, ne bois pas et ne fume pas*
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