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Owen n’a jamais manqué de rien, ni de l’amour de ses parents, ni de biens matériels. Il se considère comme quelqu’un de chanceux, dont la donne de départ a été gagnante, et il est parfaitement conscient d’être privilégié. Très proche de sa famille, il a bénéficié d’un amour inconditionnel et du respect de ses parents du petit garçon timide et rêveur qu’il était. Si sa sœur a toujours été l’élément perturbateur de sa tranquillité, tous deux ont toujours été très complices. L’environnement extérieur n’a malheureusement pas toujours été aussi bienveillant que son entourage. A l’école, le petit garçon était moqué par ses camarades de classe, jugé « bizarre » car solitaire, préférant passer ses récréations à lire des bouquins qu’à jouer avec les autres. L’entrée au lycée, univers du paraître et de la « coolitude » n’a rien arrangé à sa situation. Exclu et objet de quolibets allant parfois jusqu’au harcèlement, il s’est davantage renfermé sur lui-même, subissant une dégradation croissante de son estime de soi.

C’est la raison pour laquelle il fût particulièrement surpris de découvrir qu’Ava, une fille populaire du lycée, s’intéressait à lui. Sûre d’elle, charismatique et populaire, Ava était aussi différente de lui qu’on pouvait l’être...et l’attrait du soleil est fort à cet âge là, lui qui était perçu comme un rat de bibliothèque insignifiant. La relation avec Ava fût tumultueuse, chaotique et complexe mais l’adolescente exerçait toujours une étrange fascination sur lui. Si elle l’a rejetée à plusieurs reprises, puis repris à d’autre sans qu’Owen n’en comprenne les raisons, le jeune homme finissait toujours par revenir vers elle, très amoureux et rendu aveugle aux signaux contradictoires qu’elle lui envoyait. C’est à cette époque qu’il a ouvert son blog pour publier anonymement ses écrits, lui qui se contentait jusque là d’écrire sur son ordinateur et de verrouiller le fichier avec un mot de passe pour que ses textes ne soient pas lus, surtout pas par sa sœur. A l’adolescence, la sensibilité chez les garçons est incomprise, il fallait rire fort, draguer les filles et ne pas s’appesantir sur ses sentiments au risque d’être considéré comme faible. Logique alors, qu’à une telle période de sa vie il ait gardé ses écrits pour lui. La possibilité de publier anonymement lui permis de faire sauter ce verrou et de pouvoir enfin avoir des retours. A sa grande surprise, ceux-ci étaient très positifs, certains lecteurs, anonymes eux aussi, se reconnaissaient dans ses écrits. Les aventures de son héros romantique devinrent de plus en plus populaires, le guidant, sans qu’il ne s’en rendre réellement compte vers une carrière dans l’écriture, Ce fût un moyen pour le jeune garçon de se sentir moins seul et plus « normal », à une période où il avait l’impression d’être né à la mauvaise époque. Il aurait sans doute été très populaire en tant que jeune premier romantique au XIXème siècle, alors qu’à l’ère moderne, il passait pour un un garçon bizarre et torturé.

Ces allers-retours ont duré jusqu’à l’université. Le jeune homme avait décidé de suivre un cursus de lettres modernes à la fac, assumant enfin en plein jour le goût qu’il avait pour l’écriture. S’il avait enfin fait un choix définitif s’agissant de ses études et de son orientation, il s’accrochait toujours à sa relation tumultueuse avec Ava qui le faisait se sentir vivant et pour laquelle la vie semblait si facile. Alors le jour où elle décida de rompre définitivement, il eut le cœur brisé. Il était resté de longues minutes sous la pluie, devant son interphone, comme un héros romantique ridicule. Il n’y avait que dans les films ou dans les romans qu’il écrirait plus tard en enjolivant les choses c’était classe. Dans la vraie vie on se retrouve bête, les cheveux mouillés qui tombent devant des yeux humides de larmes, les chaussures pleines d’eau qui couinent à chaque fois qu’on fait un pas et le t-shirt qui goutte...pathétique. Il fallut un sacré choc pour le sortir du tourbillon de pensées négatives qui prenait place dans sa tête. Et ce choc ce fût le baiser que Nova. Cette jeune femme qu’il connaissait depuis longtemps, mais qu’il n’avait jamais vu autrement que comme une fille discrète et sympathique, était aussi la colocataire d’Ava. Ce jour là, Nova le surprit en l’embrassant doucement, trop rapidement, en lui donnant son parapluie. Bouleversé par la douceur de ce baiser et par l’envie qu’il avait eut de l’approfondir, il préféra fuir. Les difficultés qu’il éprouva à gérer ses émotions, la peine de coeur, ce sentiment de plénitude coupable qu’il avait ressenti lorsque Nova l’avait embrassé… tout était trop entremêlé, trop confus. Il préféra fuir...

Il quitta Fall River et parti faire sa dernière année à New-York, ville fourmillante. Ce choix de  la grosse pomme en étonna plus d’un, lui qui appréciait le calme et la nature avait fuit dans la ville qui concentrait les foules, les grattes-ciel, le bitume et le stress. C’était peut être justement ce dont le jeune homme avait besoin : quelque chose de radicalement différent, qui ne lui rappellerait pas ce qu’il avait fuit. Trois heures de route, c’était au moins la distance qu’il lui fallait de celle qui lui avait brisé le coeur. La vie à New-York ne lui déplut pas, ce fût l’occasion pour lui de profiter d’une vie culturelle riche et diversifiée, même si ses escapades dans la nature lui manquaient terriblement. Il n’y resta que le temps d’être diplômé et de panser ses blessures. Lorsqu’il fût le temps de faire un choix, il n’hésita pas bien longtemps avant de retourner s’installer à Fall River, la ville qui l’avait vu naître et grandir. Il savait qu’il y recroiserait Ava, et peut-être qu’il le désirait sans oser se l’avouer. Alors une soirée des anciens du lycée fût annoncée, le jeune homme ne passa pas à côté de l’occasion. Il ne la vit pas ce soir là, mais il aperçu Nova, il ne l’avait pas revue depuis longtemps et gardait d’elle le souvenir d’une jeune fille frêle et fragile. Elle avait toujours ce côté rêveur mais elle avait pris en assurance, c’était une femme visiblement accomplie, qui savait ce qu’elle voulait. Cela se voyait rien qu’à son port de tête et à sa démarche. Elle avait toujours pourtant cette maladresse et cette spontanéité touchante, ce petit « je-ne-sais-quoi » qui la rendait profondément humaine. Quelque chose se passa en lui ce soir là, une forme de déclic, il se demandait comment il n’avait pas pu la voir avant. De loin, il la voyait sourire par intermittences, son visage s’éclairant alors d’un air à la fois sincère et malicieux qui fit trembler le coeur de l’écrivain. Il n’osa pas entrer directement en contact avec elle mais il apprit par un ami commun qu’elle travaillait dans une maison d’édition et il décida de lui envoyer anonymement son manuscrit.

Il reçu une proposition de rendez-vous quelques jours plus tard, son roman, largement inspiré de ce qu’il avait vécu lui-même, avait dû lui plaire. Il avait ressentit un stress rarement connu avant ce rendez-vous, et c’était davantage dû à la perspective de revoir Nova qu’à celle de l’opportunité professionnelle que cela représentait pour lui. Elle ne savait pas que c’était lui qui lui avait adressé son roman, ils s’étaient quitté la dernière fois sur ce baiser furtif et il n'avait aucune idée de la façon dont la jeune femme allait réagir. Ou peut être était-il le seul à avoir été ébranlé par ce baiser ? Peut être qu’elle avait cédé à l’impulsion du moment sans que cela n’ait le moindre impact sur « sa vie d’après » ? Leur entretien se passa de manière très professionnelle. Nova lui apprit qu’elle avait proposé son livre pour la publication et qu’il avait été retenu et ils avaient signé un contrat pour officialiser les choses. Ils travaillèrent ensemble à le peaufiner, les conseils de Nova étant très judicieux, il intégra la grande majorité des propositions de modifications qu’elle lui proposa avant de le publier. De la même manière qu’il avait été surpris quelques années plus tôt de voir ses écrits appréciés, il fût le premier étonné du succès de son livre. Il touchait davantage un public féminin que masculin bien sûr, mais savoir que son récit et ses mots plaisaient lui allait droit au cœur. Nova l’aida à prendre confiance en lui pour les dédicaces et interview en tout genre qui constituaient la facette de son métier avec laquelle il se sentait le moins à l’aise. Elle l’aida à façonner son image publique, proche de lui, en effaçant ou en atténuant certains de ses défauts, notamment sa timidité et ses inhibitions, et en jouant sur ses forces. Les lecteurs appréciaient chez lui son authenticité mais aussi son côté modeste, drôle et sympathique.

Il sorti le second tome de ce qui serait une trilogie en 2020 et après une petite pause qu’il s’octroya pour souffler, ce deuxième tome ayant ramené avec lui son lot de mauvais souvenirs et de souffrances, il s’est attelé à l’écriture du troisième et dernier tome de la série. Nova continue de l’accompagner dans ce chemin, vers la clôture du livre dont il doit bien avouer, il n’a aucune idée. Pour la première fois, son roman avait rattrapé la réalité. Il allait devoir finir son œuvre sous la forme d’une fiction et non plus d’une biographie déguisée. Il avait une idée de sa fin idéale, mais elle serait synonyme d’aveux… un aveux qu’il ne parvenait pour l’instant pas à assumer… Qui sait, la vie finirait peut être par le rattraper et par lui amener sa fin sans qu’il ait à l’inventer ?