Je tente encore une fois d’avoir une explication. Je rêvais que Milo me parle, m’explique ce qui s’était passé l’autre jour. Mais rien. Encore une fois. Je commençais vraiment à me dire que la seule explication c’était qu’il pensait tout simplement à Léa pendant ce moment d’intimité entre nous. Milo devait partir. Il devait prendre son avion pour Londres. Malgré l’incompréhension de la situation et la légère tension entre nous je ne peux m’empêcher de lui demander de faire attention à lui. Je dépose malgré tout un furtif baiser à la commissure de ses lèvres en guise d’au revoir. Et je demande également au jeune homme de me prévenir quand il sera arrivé à Londres. Si il le voulait bien, évidemment. Milo me répond simplement qu’il m’enverrait un message. Puis le jeune homme se détourne et quitte la pièce. Je me retrouve seule. Le cœur lourd de voir Milo partir mais aussi du fait de cette situation si complexe entre nous. Je reste un petit moment dans mon bureau, versant même quelques larmes. J’aimerais que tout soit comme avant, que ce moment l’autre jour ne soit jamais arrivé.

Je me reprends. Et je décide de me rendre en salle de pause. Anna était là. Mon amie s’approche de moi et pose une main rassurante sur mon bras en me demandant comment ça allait. « Ça va... » Anna me demande comment s’était passé la discussion avec Milo. Je hausse légèrement les épaules « C’était… bref. Il s’est excusé à nouveau. J’ai essayé d’avoir une explication sur ce qui s’est passé mais… je n’en ai pas eu. » Je m’assois sur le canapé présent dans la pièce. « Maintenant, le voilà parti pour Londres pour presque une semaine... » dis-je d’une voix lasse. « Je suis certaine que ça ira mieux à son retour. En attendant, cette semaine on sort. Et ce n’est pas négociable. Tu as besoin de te changer les idées. » me dit Anna, apparemment déterminée à sortir cette semaine. Et après une courte pause, nous reprenons le service.

Je quitte l’hôpital, chaque pas me rapprochant de la sortie me pèse un peu plus. Mes pensées sont embrouillées, tournées vers Cassia et la tristesse que je lisais dans ses yeux. Je descends les escaliers, traverse le hall sans un mot, le regard fixé droit devant moi, comme pour fuir la réalité de ce que je viens de laisser derrière. Je monte dans ma voiture, claque la portière un peu trop fort, comme si ce geste pouvait apaiser la frustration qui m’étouffe. Le moteur démarre, et je prends la route vers l’aéroport, mais mon esprit est resté avec elle, dans ce bureau, à rejouer encore et encore notre échange douloureux. Chaque feu rouge, chaque ralentissement dans la circulation devient une occasion pour mes pensées de revenir inlassablement vers Cassia. Les regrets me rongent, et je me demande si j’aurais dû dire quelque chose de plus, faire un geste, n’importe quoi pour lui montrer que je tiens à elle. Mais à quoi bon se torturer ? Les choses sont déjà faites, et je n’arrive pas à trouver le chemin pour tout réparer.

À l’aéroport, je m’enfonce dans la foule des voyageurs, chacun absorbé par ses propres préoccupations. L’agitation autour de moi contraste avec le vide intérieur que je ressens. Je passe les contrôles de sécurité, franchis les barrières sans vraiment y prêter attention, comme un automate guidé par une routine bien rodée. J’embarque finalement dans l’avion, et une fois installé, je regarde par le hublot, le paysage défilant alors que nous décollons. Mais je ne vois rien. Mon esprit est toujours avec elle. Le vol est long, et je n’arrive pas à me détendre. Les souvenirs de Cassia envahissent chaque pensée, chaque seconde de ce trajet qui me semble interminable. Je revois son regard, ce mélange de douleur et de résignation, et je ne peux m’empêcher de me demander si elle pense encore à moi, ou si elle a décidé de tourner la page. Je soupire, me passant une main sur le visage, épuisé par mes propres tourments. Une fois à Londres, je récupère ma valise et me dirige vers la sortie. L’air frais de la ville me frappe, et je prends une grande inspiration comme pour chasser ce poids sur ma poitrine. Je sors mon téléphone et compose un message pour Cassia, hésitant sur les mots. Finalement, je me contente de quelque chose de simple, sans marque d’affection, sans chaleur, juste un message factuel. « Bien arrivé à Londres. À plus tard. » J’appuie sur envoyer, mon pouce restant un instant suspendu au-dessus de l’écran comme si j’hésitais encore. Mais c’est fait, et je glisse mon téléphone dans ma poche, le cœur serré.

Les jours passent, rythmés par les obligations familiales et les visites chez mon grand-père. Je m’efforce de rester concentré, mais mon esprit revient toujours à Cassia. La distance n’atténue en rien ce que je ressens, au contraire, elle ne fait qu’amplifier ce vide. Chaque soir, je me retrouve à scroller machinalement sur mon téléphone, espérant un signe, un message de sa part, mais l’écran reste obstinément silencieux. Quelques jours plus tard, je réalise que je ne serai pas de retour comme prévu. Les affaires familiales prennent plus de temps que prévu, et je me résous à lui envoyer un nouveau message. Je compose lentement, pesant chaque mot avec soin, ne voulant pas aggraver la situation. « Je dois prolonger mon séjour. Je ne rentrerai pas comme prévu. » Un message froid, sans promesse, sans cette familiarité qui autrefois était si naturelle entre nous. J’appuie sur envoyer et fixe l’écran, comme si j’espérais que Cassia réponde instantanément, mais rien ne vient.

Pendant ce temps, à l’hôpital, ma mère arrive, le visage crispé par la douleur. Elle s’est brûlée avec le four, une brûlure suffisamment sérieuse pour qu’elle ait besoin de soins. Elle s’assied dans la salle d’attente, tenant sa main rougie avec précaution, essayant de masquer sa gêne. Anna passe devant, l’air occupé, mais son regard accroche celui de ma mère. Elle s’arrête, surprise de la voir là, puis s’approche rapidement. « Madame Davis ? Qu’est-ce qui s’est passé ? » demande Anna avec un mélange d’inquiétude et de douceur, son professionnalisme prenant aussitôt le dessus. Ma mère explique brièvement, minimisant l’incident, mais Anna ne se laisse pas duper. Elle acquiesce, la rassurant, et sans perdre de temps, file prévenir Cassia de la présence de ma mère. En voyant Cassia discuter avec un collègue, Anna s’approche d’elle avec un air grave. « Cassia, je crois que tu devrais venir. Il y a ta belle-mère dans la salle d’attente… »

Les jours sans Milo sont terriblement longs. Je ne cesse de penser à lui, je dors mal. D’être dans cette incertitude me pèse très lourdement. J’avais tout de même eu un message de sa part, comme convenu, pour me dire qu’il était bien arrivé. Un message au quel j’avais répondu. « Merci. Fais attention à toi. » Mais depuis je n’avais pas eu de nouvelles. Je n’avais pas non plus envoyé de message. J’en avais très envie, j’avais faillis le faire à plusieurs reprises même.  Mais qu’est-ce que Milo allait penser ? Et si il préférait recevoir des messages de Léa plutôt que de moi ? Et ainsi, les jours étaient passés. Malgré tout j’avais hâte que Milo revienne. Dans le fond j’espérais toujours une explication. Mais en recevant un message du jeune homme qui m’annonçait qu’il devait prolonger son séjour, mes espoirs s’envolaient soudainement. Quelques mots, un message bref. Presque froid. J’avais malgré tout répondu « J’espère qu’il n’y a rien de grave. Prends soin de toi. ». Je ne savais même pas pour combien de temps Milo allait prolonger son séjour. J’avais envie de le lui demander, mais je n’osais pas.

La journée avait été plus que longue au travail aujourd’hui. Et je sentais les prémices d’une migraine arriver. Je discutais avec une collègue lorsque Anna vint me voir pour m’annoncer que la mère de Milo était en salle d’attente. Surprise, je remercie Anna avant de me rendre en salle d’attente. Robyn était là, assise sur une chaise. « Robyn. » je m’approche alors d’elle pour la saluer chaleureusement. « Est-ce que ça va ? Que vous est-il arrivé ? » demandai-je alors soucieuse. Je m’assois près d’elle et regarde se main. « Je me suis brûlé avec le four en préparant le dîner. » me dit-elle alors. « Venez. » Je l’aide alors à se lever et nous nous dirigeons dans une salle de soin. J’installe alors confortablement Robyn. « Vous ne vous êtes pas loupé… » dis-je en regardant le brûlure de plus près.  Je commence alors à sortir ce dont j’avais besoin pour m’occuper de sa brûlure. Je me désinfecte les mains avant d’enfiler une paire de gants et nettoyer la brûlure. « Je vais vous appliquer un pansement hydratant. C’est très efficace pour ce genre de brûlure. Si jamais je vous fait mal, dites le moi. » Je me montre alors très délicate, encore plus que d'habitude peut-être. Observant de temps en temps Robyn afin de savoir si elle souffrait ou non.

Dans la salle d'attente de l'hôpital, ma mère est assise, le regard perdu dans le vague, tenant délicatement une compresse froide contre sa main brûlée. L'odeur caractéristique des antiseptiques flotte dans l'air, se mêlant à la tension palpable qui émane de chaque patient en attente de soin. Les murs blancs et aseptisés ne font qu'accentuer l'atmosphère impersonnelle du lieu, comme si le temps s'était figé dans cet espace clos. Soudain, le bruit de pas familiers tire ma mère de sa rêverie. Elle relève la tête, surprise de voir Cassia s'approcher d'elle avec douceur, son sourire chaleureux contrastant avec la froideur clinique de la pièce. Ma mère esquisse un sourire timide en retour, visiblement embarrassée par la situation. Sa main tremble légèrement alors qu'elle ajuste la compresse sur sa peau rougie, trahissant sa gêne et sa douleur. « Cassia… je ne pensais pas te voir ici, » murmure-t-elle d'une voix douce mais tendue, ses yeux fuyant brièvement le regard bienveillant de sa belle-fille. Cassia s’assoit près d’elle avec délicatesse, son regard se posant sur la main blessée de ma mère. Une lueur de compassion et d'inquiétude traverse ses prunelles, mais elle la dissimule bien vite derrière un sourire rassurant, ne voulant pas ajouter à l'inconfort de la situation. Ma mère laisse échapper un soupir résigné, tentant de minimiser l'incident avec un petit rire nerveux. « Je me suis brûlée avec le four en préparant le dîner, » explique-t-elle, sa voix se voulant légère malgré la douleur qui transparaît dans chacun de ses mots.

Avec une infinie précaution, Cassia aide ma mère à se lever, sa main soutenant délicatement celle de sa belle-mère. Ce simple geste, empreint de respect et de tendresse, semble apaiser quelque peu les craintes de ma mère. Ensemble, elles se dirigent vers une salle de soin plus intimiste, loin des regards curieux et des murmures indiscrets des autres patients. Une fois à l'intérieur, Cassia guide ma mère vers un fauteuil confortable, l'aidant à s'installer avec mille précautions. Puis, avec un professionnalisme mêlé de douceur, elle commence à rassembler le matériel nécessaire pour soigner la brûlure. Ses gestes sont précis, mesurés, témoignant de son expérience et de sa maîtrise. Pourtant, à aucun moment elle ne perd ce sourire chaleureux qui illumine son visage, cette aura rassurante qui semble apaiser instantanément la douleur et les craintes de ma mère. Pendant que Cassia s'affaire, ma mère l'observe en silence, une lueur d'admiration et de gratitude brillant dans ses yeux fatigués. Elle ne peut détacher son regard de sa belle-fille, fascinée par la grâce et la délicatesse de ses mouvements alors qu'elle applique avec soin un pansement hydratant sur la peau irritée. Chaque geste de Cassia respire la bienveillance, la compassion, comme une promesse muette que tout ira bien. Soudain, submergée par l'émotion, ma mère s'exclame d'une voix vibrante de sincérité « Je suis vraiment heureuse d'avoir une belle-fille aussi talentueuse que toi, Cassia ! » Puis, comme si elle ne pouvait contenir plus longtemps la nouvelle qui lui brûle les lèvres, elle enchaîne avec une excitation palpable « Oh, tu ne devineras jamais ! Milo m'a dit qu'on lui a proposé un poste de pilote de ligne à Londres ! C'est incroyable, tu ne trouves pas ? » Sa voix déborde de joie et de fierté, chaque mot rehaussé d'une intonation enjouée qui trahit son enthousiasme débordant. Ses yeux pétillent d'une lueur presque enfantine, comme si elle tenait entre ses mains le plus précieux des trésors. Son sourire s'élargit à mesure qu'elle livre les détails de cette opportunité inespérée, ses traits s'illuminant à l'idée du brillant avenir qui semble s'offrir à son fils.

Ma mère observe Cassia finir de poser le pansement hydratant avec un soin méticuleux, ses gestes délicats et précis. Elle ne peut s’empêcher de sourire, touchée par la douceur et l’attention que Cassia lui accorde. Une fois le pansement bien ajusté, elle plie et déplie ses doigts, notant que la douleur est déjà moins vive grâce aux soins prodigués. Puis elle lève les yeux vers Cassia, un sourire reconnaissant illuminant son visage. « Merci beaucoup, Cassia. Vraiment, tu es une magicienne ! Je sens à peine la douleur maintenant, » s'exclame-t-elle avec un éclat sincère dans la voix. « C’est rare de rencontrer quelqu’un d’aussi talentueux et délicat. Je n’aurais pas pu être entre de meilleures mains. » Ma mère hoche la tête, toujours émerveillée par la gentillesse de Cassia. « Je ne sais pas comment te remercier. Tu es une vraie perle. Milo a de la chance de t’avoir à ses côtés, et moi aussi. »

Robyn était présente en salle d’attente à cause d’une brûlure. Un accident domestique assez courant. Je m’assure qu’elle va bien, outre sa main douloureuse, avant de l’emmener dans une salle de soin afin de m’occuper d’elle au mieux. Une fois dans la salle, je regarde de plus près sa blessure. Elle ne s’était pas loupé. Mais fort heureusement, un pansement hydratant devrait suffire à atténuer la brûlure. Je me prépare alors et prépare le matériel dont j’ai besoin. J’explique alors à Robyn ce que je vais faire et lui demande surtout de me dire si cela lui faisait mal. Je m’affaire alors à poser le pansement hydratant sur la brûlure de Robyn. Cette dernière m’avoue alors être heureuse d’avoir une belle-fille aussi talentueuse que moi. Les mots de Robyn me touchent énormément. Un léger sourire se dessine sur mon visage. « Vous êtes trop gentille Robyn. Mais ce n’est pas grand-chose... ». Puis la mère de Milo m’apprend que ce dernier lui avait dit qu’on lui avait proposé un poste de pilote de ligne à Londres. Je suis surprise. Je n’étais pas au courant. Milo en avait donc parlé à ses parents mais pas à moi. Pourquoi ? De toute manière je n’avais pas de nouvelles alors pourquoi cela m’étonnait de ne pas être au courant ? Mais à quel moment lui avait-on proposé un poste ? Je pensais que Milo était à Londres pour des raisons familiales. M’avait-il menti ? « C’est… une très belle proposition. Il doit être heureux et fier. Vous aussi... » dis-je en cachant mon désarroi face à cette nouvelle.

Je termine de poser le pansement hydratant. Robyn me remercie, apparemment elle avait moins mal. « Je suis ravie de l’entendre. Laissez le pansement deux jours, sans le mouiller. Un médecin va vous faire une ordonnance pour des anti-douleurs si besoin et une crème cicatrisante à appliquer tous les jours une fois que vous aurez retiré le pansement hydratant. ». Robyn semblait satisfaite, et cela me faisait chaud au cœur. « Vous n’avez pas à me remercier Robyn. Je n’ai fait que mon travail. Et si jamais quelque chose ne va pas, n’hésitez pas à revenir. ». dis-je alors d’une voix chaleureuse. « Milo a de la chance de t’avoir à ses côtés, et moi aussi. » les mots de Robyn font écho dans ma tête. Pour combien de temps serons nous encore ensemble ? Avec ce poste à Londres, quel était notre avenir ? Et puis, à l’heure aujourd’hui je ne saurais définir notre relation. Je ne savais pas ce que Milo pensait, je n’avais pas de nouvelle. J’étais complètement perdue. Mais je tente de ne rien montrer, bien que la nouvelle m'avait abasourdie. Je me lève pour raccompagner Robyn, faisant comme si de rien n'était.

Alors que l'avion survole la ville, je contemple par le hublot les rues familières qui se dessinent peu à peu, minuscules artères palpitantes d'une vie que j'ai laissée en suspens. Londres s'éloigne derrière moi, emportant avec elle son lot de souvenirs empreints de nostalgie, de responsabilités familiales pesantes et de décisions difficiles qui ont marqué cette semaine loin de tout. Mais à présent, alors que l'appareil amorce sa descente vers la piste d'atterrissage, une seule pensée occupe mon esprit : retrouver Cassia et tenter de recoller les morceaux épars de notre relation fragilisée. Les mains légèrement tremblantes, je sors mon téléphone de ma poche, le cœur battant d'une appréhension mêlée d'impatience. Mes doigts courent sur l'écran, composant un message que j'espère ne restera pas lettre morte « Je suis enfin de retour. J'aimerais qu'on se retrouve dans notre café habituel ce soir. Il faut qu'on parle. » Je relis ces quelques lignes une dernière fois, hésitant presque à appuyer sur ‘envoyer’. Finalement, dans un élan de courage teinté de vulnérabilité, je presse la touche fatidique, propulsant mon message dans l'éther numérique. Mon cœur s'emballe, partagé entre le désir brûlant de la revoir et la peur sourde de son silence. Et si elle refusait de me parler ? Si la distance et les non-dits avaient creusé entre nous un fossé entre nous ?

L'avion se pose enfin dans un grincement de tôle et un crissement de pneus. À peine les portes ouvertes, je me rue vers la sortie, mon sac à peine calé sur l'épaule. Je hèle un taxi, pressé de rejoindre mon appartement. Sur le trajet, je ne peux m'empêcher de guetter la moindre vibration de mon téléphone, espérant secrètement une réponse de Cassia. Mais l'écran reste désespérément silencieux, comme un miroir impassible reflétant mes angoisses. Les rues défilent par la fenêtre du taxi, chaque bâtiment familier ravivant en moi un flot de souvenirs. Ici, le parc où nous avions pique-niqué un dimanche ensoleillé. Là, le cinéma où nous nous étions blottis l'un contre l'autre devant un film dont je ne me rappelle même plus le titre. Partout, des bribes de notre histoire commune surgissent, comme pour me rappeler tout ce que j'ai à perdre si je ne me bats pas pour nous. Enfin, j'arrive à l'appartement. Je me rue à l'intérieur, jetant négligemment mon sac dans l'entrée. Pas le temps de m'attarder. Je fonce sous la douche, laissant l'eau brûlante cascader sur mon corps tendu par l'appréhension. Je frotte ma peau jusqu'à ce qu'elle rougisse, comme pour me purifier des tourments accumulés durant cette semaine loin d'elle. En sortant de la salle de bain, j'attrape les premiers vêtements qui me tombent sous la main. Un dernier regard à mon téléphone. Toujours rien.

Pendant ce temps, à l’hôpital, Cassia est plongée dans sa routine quotidienne. Anna s’approche doucement, l’observant d’un regard curieux. « Alors, tu as des nouvelles de Milo ? » demande Anna en s’installant en face d’elle, son ton mi-inquiet, mi-taquin. Anna ne manque rien de l’expression de son amie. « Vous vous êtes parlé depuis… l’autre jour ? » insiste-t-elle doucement, essayant de lire entre les lignes du silence de Cassia.

Décidément la journée fut pleine de surprise. Et pas forcément que des bonnes surprises. La mère de Milo c’était blessée en cuisinant, une mauvaise brûlure. Fort heureusement, d’ici quelques semaines cela ne serait plus qu’un mauvais souvenirs. Mais la nouvelle qui m’avait le plus abasourdie était le fait que l’on avait offert un poste de pilote de ligne à Milo à Londres. Et me fait de l’apprendre de la part de quelqu’un d’autre, n’avait pas été plaisant du tout. Toutefois, j’avais du me concentré sur autre chose pour le reste de la journée.

Le lendemain.
La journée avait été plus qu’intense. Je n’avais pas eu une minute à moi. Entre les dossiers du pôle dédié aux femmes victimes de violences à gérer et le reste, il y avait eu beaucoup à faire. Sans oublier que dès que j’avais un peu de temps, je ne cessais de penser à Milo. Je n’avais toujours pas eu de nouvelles. Et je ne cessais de repenser au fait qu’on lui avait proposé un poste à Londres. Je m’octroie une pause de cinq minutes pour boire un thé en salle de pause. Anna arrive vers moi et me demande si j’avais des nouvelles de Milo. « Non... » dis-je le cœur serré. La jeune femme me demande si nous nous étions parlé depuis la dernière fois. « Non plus. J’ai reçu un message pour me dire qu’il était arrivé à destination. Et un autre pour me dire qu’il prolongeait son séjour. » D’ailleurs ce matin en partant, j’avais oublié mon téléphone portable. « Je suis certaine que tu en auras bientôt. Et je suis aussi certaine que dès qu’il sera de retour en ville, tout ira mieux... » Les paroles de mon amie me touchent mais j’avais du mal à rester optimiste.

Après mon service, je rentrer à mon appartement. Je pose mes affaires et jette un œil à mon téléphone. Ce dernier était éteint. Plus de batterie. Je le mets donc en charge avant de prendre une douche. Un instant plus tard, je sors de la salle de bain, je m’habille rapidement avant de me diriger vers mon téléphone portable. J’étais prête à envoyer un message à Milo pour avoir des nouvelles. Je suis surprise de constater que ce dernier m’avait envoyé un message plus tôt dans la journée. Je lis rapidement le message et mon cœur s’accélère en voyant l’heure déjà avancé. Sans attendre, je me dirige vers l’entrée pour enfiler mes chaussures, ma veste et prendre on sac. Je me rends rapidement alors au café en question. Sur la route je tente de répondre au message de Milo, mais manque de chance je manquais de réseau. Je rageais contre tous ces contre temps. Arrivés devant le café je me dépêche d’entrer et enter en collision contre quelqu’un. « Oh, excusez-moi... » dis-je essoufflée. Je relève alors le visage et m’aperçois qu’il s’agissait de Milo. Il était là. Sans doute, était-il sr le départ. J’étais arrivé à temps. « Milo... » Je replace mon sac à main sur mon épaule « Je… J’ai eu ton message en rentrant. J’avais oublié mon téléphone chez moi et en rentrant il n’avait plus de batterie. Quand j’ai vu ton message j’ai voulu te répondre en chemin mais il n’y avait pas de réseau... » Sacrés rebondissements donc. « Je suis en retard, désolée... » dis-je finalement pour conclure.

J’arrive au café, notre refuge habituel, cet endroit où tant de souvenirs se sont construits au fil des années. L’odeur familière du café fraîchement moulu m’enveloppe dès que je passe la porte, et je me dirige instinctivement vers notre table habituelle, celle près de la fenêtre avec vue sur la rue animée. Un léger frisson me parcourt, mélange de nervosité et d’espoir. Je m’installe, mon regard balayant la salle dans l’attente de voir Cassia franchir la porte à son tour. Le serveur, qui nous connaît bien, s’approche avec un sourire. « Un expresso comme d’habitude ? » me demande-t-il, et j’acquiesce avec un bref sourire. « Oui, merci. Et un thé vert pour Cassia, elle ne devrait pas tarder. » Il hoche la tête et s’éloigne, et je m’installe plus confortablement, jetant un coup d’œil à l’horloge accrochée au mur. Je suis un peu en avance, mais cela ne me dérange pas. J’ai besoin de ce moment pour rassembler mes pensées. Je scrute la rue à travers la vitre, cherchant Cassia du regard parmi les passants qui se pressent sur le trottoir. Mon expresso arrive, fumant et odorant, mais je ne touche pas à ma tasse. Chaque seconde qui passe semble s’étirer, et l’attente devient de plus en plus lourde. Dix minutes passent, puis vingt, et toujours aucune trace de Cassia. Le serveur repasse pour déposer le thé vert de Cassia sur la table, mais sa place reste désespérément vide. Je commence à ressentir un léger pincement au cœur, une sensation familière de déception qui commence à s’installer. J’essaie de ne pas laisser la frustration prendre le dessus, me persuadant qu’elle arrivera d’un instant à l’autre. Peut-être a-t-elle été retenue au travail ? Peut-être a-t-elle changé d’avis à la dernière minute ? Mais plus le temps passe, plus l’idée qu’elle ne viendra pas me semble inévitable.

Pour m’occuper l’esprit et apaiser cette attente devenue insupportable, je sors mon téléphone et commence à rédiger quelques messages.

Message à Clyde : Je suis de retour de Londres. On reprend l’entraînement demain ? J’ai besoin de me défouler un peu…

J’envoie le message sans attendre de réponse immédiate. Je sais que Clyde comprendra. Nos séances d’entraînement sont devenues pour moi un exutoire, une façon d’échapper à la tension qui ne cesse de grandir entre Cassia et moi. Je prends une gorgée de mon expresso, le café est devenu tiède, tout comme l’espoir que Cassia passe cette porte.

Message à Léa : Je suis rentré. Si tu as encore besoin d’aide pour l’appartement, je peux passer ce week-end.

Je m’en veux presque aussitôt après avoir appuyé sur « Envoyer ».

Message à Jay : On se voit au terrain de tennis dimanche ? J’ai besoin de bouger.

Je repose mon téléphone, mais l’écran m’attire sans cesse, dans l’espoir de voir s’afficher une notification de Cassia. Mais rien ne vient. À chaque vibration de mon téléphone, mon cœur rate un battement, mais c’est toujours une réponse anodine, un message de l’un de mes amis, rien qui ne comble l’absence de Cassia à mes côtés. Je tourne la cuillère dans ma tasse vide, les yeux fixés sur la porte du café qui s’ouvre et se referme au gré des allées et venues des clients, mais jamais sur elle. Le serveur passe pour débarrasser ma table, et je finis par hocher la tête en signe de remerciement, mon regard retournant une dernière fois à la rue, comme une prière silencieuse. Je reste là, assis à notre table habituelle, le regard rivé sur la porte du café. Chaque fois qu’elle s’ouvre, mon cœur se serre un peu plus, espérant voir enfin Cassia apparaître, mais ce n’est jamais elle. Les minutes se transforment en heures, et la petite flamme d’espoir qui me maintenait ici commence lentement à vaciller. Je jette un coup d’œil à l’horloge, réalisant que cela fait bien trop longtemps que j’attends, trop longtemps que je me berce de l’idée qu’elle finira par arriver. Le serveur passe une énième fois, un regard compatissant lancé dans ma direction. Je lui fais signe que je vais partir, le sourire un peu forcé. Mon café est froid depuis longtemps, tout comme l’idée que Cassia finisse par franchir cette porte. Je règle l’addition sans vraiment prêter attention au montant, l’esprit déjà ailleurs. Je prends ma veste accrochée au dossier de ma chaise, l’enfile d’un geste lent, presque mécanique. Le thé vert de Cassia reste intact, une marque silencieuse de son absence.

Je pousse la porte du café, le carillon retentit, un tintement léger qui résonne comme une fin de chapitre. Perdu dans mes pensées, je baisse la tête, les mains enfoncées dans les poches de ma veste. Je marche d’un pas lourd vers la sortie, me sentant plus seul que jamais. Mais soudain, un choc inattendu me ramène à la réalité. Je percute quelqu’un de plein fouet, l’impact léger mais suffisant pour me faire relever les yeux en sursaut. « Excusez-moi, je ne regardais pas… » dis-je précipitamment, la tête encore baissée, mes mots se bousculant alors que je m'apprête à reprendre ma route. Mais lorsque je lève enfin le regard, je reste figé sur place. C’est Cassia. Sa silhouette familière se dessine devant moi, essoufflée, visiblement pressée. Elle semble aussi surprise que moi par cette rencontre inopinée. « Je… J’ai eu ton message en rentrant, » commence-t-elle, son souffle encore saccadé. « J’avais oublié mon téléphone chez moi et en rentrant il n’avait plus de batterie. Quand j’ai vu ton message j’ai voulu te répondre en chemin mais il n’y avait pas de réseau… » Sa voix est teintée de frustration, et je perçois qu’elle a vraiment fait l’effort de venir, malgré les circonstances. Elle me regarde, les yeux chargés d’une sincérité désarmante, et je sens toute ma colère retomber instantanément. « Je suis en retard, désolée… » ajoute-t-elle, un léger tremblement dans la voix, comme si elle craignait ma réaction. Je la scrute un instant, absorbant chaque détail de son visage fatigué mais sincèrement désolé. Tout ce que je ressens à cet instant, c’est un soulagement mêlé à un léger regret de lui avoir imaginé des intentions qui n’étaient pas les siennes. Je laisse un sourire adoucir mes traits, essayant de dissiper la tension qui pourrait s’installer. « Ne t’inquiète pas, » lui dis-je doucement, le ton apaisant. « Ce n’est pas grave, je comprends. » Je prends une profonde inspiration, cherchant la meilleure façon de rattraper ce moment que nous avons presque manqué. « Écoute, on peut rester ici si tu veux… ou alors, on peut sortir un peu, marcher et discuter. »

Décidément, aujourd’hui le destin n’était pas avec moi. Entre l’oubli de mon téléphone portable, le manque de batterie puis le manque de réseau, j’avais l’impression que tous les éléments se liguaient pour que je ne retrouve pas Milo en temps et en heure ce soir. En arrivant à l’entrée du café, je bouscule sans le vouloir quelqu’un. Je m’excuse brièvement avant de me rendre compte qu’il s’agissait de Milo. Je sens alors une once de soulagement de voir qu’il était encore là. Sur le départ, certes. Mais encore là malgré tout. Sans attendre, je lui explique mes quelques mésaventures pour arriver ici à temps. Un léger sourire apparaît sur le visage du jeune homme. Il ne semble pas trop m’en vouloir. Il me le confirme d’ailleurs de vive voix, en me disant que ce n’était pas grave, qu’il comprenait. Un léger sourire se dessine sur mes lèvres. Milo propose soit de rester ici, ou bien de sortir et de marcher ainsi que de discuter. « Oui, on peut aller marcher un peu. » Milo avait déjà dû m’attendre un bon moment il n’avait peut-être pas envie de s’asseoir à nouveau à une table. Et puis, nous serions peut-être plus tranquille pour discuter en tête à tête dehors.

Je fais alors demi-tour, suivi de Milo. Nous commençons à marcher l’un à côté de l’autre. « Ton séjour à Londres s’est bien passé ? » demandai-je soucieuse et curieuse. Je n’avais eu que très peu de nouvelles. J’espérais que tout s’était passé comme il le souhaitait là-bas. Malgré le soulagement et le bonheur de revoir Milo, je ne pouvais repenser à cette histoire de poste à Londres. Et au surtout au message qu’il m’avait envoyé plus tôt dans la journée. « Dans ton message, tu disais qu’il fallait que l’on parle... » Mon visage se tourne alors vers Milo. Je sentais le rythme de mon myocarde accélérer légèrement. Je craignais le sujet de discussion à venir. Je me posais tant de questions, je ressentais tant d’incertitude.

Nous faisons demi-tour, quittant le café sans un mot, marchant côte à côte dans le froid léger de la soirée. Le silence entre nous est palpable, presque écrasant, et je sens le poids de ce que nous devons dire peser sur mes épaules. Mes mains restent profondément enfoncées dans mes poches, comme pour me protéger du froid et des émotions qui tourbillonnent en moi. Cassia marche à mes côtés, le regard droit devant elle, jetant de temps à autre des coups d’œil furtifs dans ma direction, comme si elle cherchait à déchiffrer mes pensées sans oser me poser de questions. Nous avançons lentement, les bruits de la ville résonnant autour de nous, mais ils semblent si lointains comparés au silence pesant qui nous entoure. Mes pas sont lourds, marqués par cette hésitation constante entre vouloir parler et craindre les mots qui pourraient en sortir. Cassia brise finalement le silence, sa voix douce et hésitante. « Ton séjour à Londres s’est bien passé ? » demande-t-elle, cherchant visiblement à engager la conversation, à combler ce vide qui s’est installé entre nous.

Je hoche la tête, le regard fixé sur le trottoir devant moi. « Oui, ça s’est bien passé, » dis-je d’un ton neutre, sans m’étendre davantage. Je sens que Cassia attend plus, mais je ne lui parle pas de ma proposition de poste. Ce n’est ni le lieu ni le moment pour ajouter cette nouvelle couche de complications à notre situation déjà fragile. Cassia acquiesce sans insister, ses lèvres se pinçant légèrement, et je sais qu’elle devine que je ne dis pas tout. Elle ralentit un peu, se tournant légèrement vers moi, cherchant à capter mon attention. « Dans ton message, tu disais qu’il fallait que l’on parle... » Sa voix est teintée d’inquiétude, et je sens toute la tension contenue dans cette simple phrase. Elle attend des explications, des mots qui pourraient nous éclairer, mais je me contente de soupirer profondément, continuant à marcher sans la regarder. Je prends une grande inspiration, rassemblant mes pensées avant de finalement rompre le silence. « Mon séjour à Londres… » dis-je lentement, mes mots pesés et mesurés, « Il m’a permis de prendre du recul sur tout. Sur nous, sur ce qui s’est passé. » Je sens son regard se poser sur moi, cherchant à comprendre où je veux en venir. Je continue de marcher, le silence retombant lourdement après chaque mot prononcé. Cassia garde le silence, attendant patiemment que je développe, mais je sens que les mots sont difficiles à exprimer. Ils se bousculent dans ma tête, sans pour autant se mettre en ordre. Finalement, je me tourne vers elle, l’air grave. « Je me pose beaucoup de questions, » finis-je par avouer, la voix légèrement brisée par la fatigue émotionnelle. Je marque une pause, cherchant mes mots, pesant mes doutes et mes peurs. « Sur moi, sur nous… » ajoutai-je, la voix étouffée par l’hésitation. « Sur ce que l’on veut vraiment. Sur ce que je veux… »

Une fois dehors, nous commençons à marcher côte à côte. Je demande à Milo comment s’était passé son séjour à Londres. Je n’avais pas eu de nouvelles durant son absence, et je me demandais si tout s’était passé comme il le souhaitait. Le jeune homme me confirme que son séjour s’était bien passé. Puis soucieuse et curieuse de savoir où nous e étions exactement et surtout curieuse de savoir de quoi Milo voulait me parler, je commence à entamer la discussion à ce sujet. Milo m’avoue que ce séjour à Londres qui avait permis de prendre du recul sur tout. Y compris sur nous et sue ce qui c’était passé. Je sens le rythme de mon myocarde accélérer. Il avait réfléchi, à nous, à notre situation. Mais à quoi avait-il réfléchi exactement ? Mon regard, intrigué mais aussi inquiet se pose sur Milo. J’attends qu’il en dise plus. Le jeune homme m’avoue qu’il se posais beaucoup de questions, sur lui, sur nous. Je sens un léger pincement au cœur. Et si Milo avait changé d’avis ? Et si il regrettait de m’avoir proposé de vivre avec lui ? Et si il avait accepté le poste qu’on lui avait offert à Londres ? « Et qu’est-ce que tu veux exactement… ? » demandai-je d’une voix presque fébrile. L’émotion était forte, je redoutais les annonces que Milo souhaitait me faire. L’attente était trop insupportable pour moi, je finis par reprendre la parole très rapidement « Tu … Tu as l’intention d’accepter le poste que l’on t’a proposé à Londres ? » demandai-je alors sans pouvoir m’empêcher d’attendre plus d’explications. Je voulais savoir. Cette question me brûlait les lèvres depuis l’autre jour. Milo semble surpris que je sois au courant de la proposition qu’on lui avait faite. « C’est ta mère qui m’en a parlé... » dis-je alors pour lui expliquer la manière dont j’avais été mise au courant.

Nous marchons à travers les rues de Fall River, cette ville où chaque coin de rue nous rappelle un souvenir, un moment partagé. Les lampadaires projettent des lueurs orangées sur le trottoir, et le vent frais de la soirée s’insinue sous nos vêtements, rendant l’atmosphère encore plus lourde de ce non-dit entre nous. Je jette des coups d’œil furtifs à Cassia, mes mains toujours enfoncées dans les poches de ma veste, comme pour m’empêcher de céder à l’envie de l’effleurer, de la prendre dans mes bras, de retrouver cette proximité perdue. Cassia reste silencieuse, mais je sens la tension dans chacun de ses pas, comme si elle pesait chacun de mes mots, chaque silence qui s’installe entre nous. Soudain, sa voix s’élève, douce mais teintée d’une pointe de tristesse. « Et qu’est-ce que tu veux exactement… ? » demande-t-elle, et je sens toute la lourdeur de sa question peser sur mes épaules. Ses mots résonnent comme une interrogation lancinante, et je m’arrête de marcher un instant, tournant mon regard vers elle. Elle a l’air fatiguée, épuisée même, et je devine que sa journée a dû être particulièrement longue. Les cernes sous ses yeux, la manière dont elle serre son sac contre elle… tout indique qu’elle porte plus que ce qu’elle ne montre. Je cherche à répondre, mais avant que je ne puisse formuler une pensée cohérente, elle enchaîne, posant la question que je redoutais sans même m’en rendre compte. « Tu… Tu as l’intention d’accepter le poste que l’on t’a proposé à Londres ? » Sa question me frappe de plein fouet. Je ne m’attendais pas à ce qu’elle soit au courant, et cela doit se voir sur mon visage, car Cassia s’empresse de justifier son propos, un peu gênée. « C’est ta mère qui m’en a parlé… » ajoute-t-elle doucement.

Je soupire en détournant le regard, sentant une pointe d’agacement mêlée à la résignation. Évidemment, ma mère n’aurait pas pu garder cette information pour elle. Mon père a probablement dû lui en parler avec enthousiasme, et dans son élan, elle n’a pas vu le mal à le mentionner devant Cassia. De toute manière, tout finit toujours par se savoir. Je laisse échapper un sourire faible, presque ironique, en regardant Cassia, cherchant à rassembler mes pensées avant de répondre. « Ce que je veux ? » dis-je doucement, les yeux rivés sur elle. « Je ne veux pas te rendre malheureuse, Cassia. » Mes mots sont sincères, et je sens ma voix se briser légèrement sous l’émotion. « Lorsque l’on a commencé à être plus que des meilleurs amis… je me suis promis de ne jamais te rendre malheureuse. » Je m’arrête, laissant ma phrase en suspens, comme trop souvent. Les mots restent coincés dans ma gorge, incapables de traduire le tourment intérieur qui m’assaille. Mon regard se perd un instant dans le vide, et je sais qu’elle attend une réponse complète, mais je ne parviens pas à mettre des mots sur ce que je ressens. « Et toi ? » repris-je finalement, essayant de détourner l’attention de ma propre confusion. « Qu’est-ce que tu veux, Cassia ? Affectivement, intimement, professionnellement… Où est-ce que tu en es ? Que veux-tu pour toi, pour nous ? » Je la fixe avec une intensité que je ne cherche même pas à dissimuler, espérant comprendre ce qui se passe dans sa tête, dans son cœur.

Je sens que l’atmosphère est légèrement tendue. Nous devions parler c’est un fait. Mais Milo tarde à me dire ce qu’il pensait au fond de lui. Et je commence alors à me faire tous un tas d’idées. Je demande alors explicitement à Milo ce qu’il voulait. Puis, ne pouvant attendre plus longtemps je lui parle du poste qu’on lui a proposé à Londres. Je lui demande si il avait l’intention d’accepter ce poste. Milo semble surpris, bien évidemment. Je lui avoue alors que c’était sa mère qui m’en avait parlé. Le jeune homme commence par me répondre qu’il ne voulait pas me rendre malheureuse. Sa réponse me surprend un peu. Pourquoi pensait-il une telle chose. Je fronce les sourcils, un peu perplexe par sa réponse. « Tu ne me rends pas malheureuse. » dis-je simplement. Puis Milo me demande que je souhaitais moi. D’un point de vue affectif, intime, professionnel. Il me demande ce que je voulais pour moi, pour nous. Milo ne répondait pas à ma question et l’attente devenait difficilement supportable. Je détourne le visage. Puis fatiguée, que ce soit physiquement ou émotionnellement, je me dirige vers un banc dans un coin tranquille. Je m’assois, passant une main nerveuse dans mes cheveux. « Tu ne réponds pas à ma question. » dis-je tout simplement dans un premier temps. Je soupire légèrement, de lassitude face à cette situation qui semblait délicate « Milo, tu sais ce que je veux. Si j’ai accepté d’emménager avec toi, ce n’est pas pour rien. Ce n’était pas non plus une décision prise sur un coup de tête. » Non c’est parce que j’en avais envie. Pour nous. « Tu sais aussi ce que je ressens pour toi. » J’ajoute alors « Mais ce que je veux aussi c’est ton bonheur. Et je sais que ton travail y contribue beaucoup... ». Avais-je le droit de lui interdire de refuser ce poste à Londres ? Non. Je n’avais même pas le droit de lui en vouloir d’accepter cette proposition. Je savais à quel point son travail était important. Mon regard se pose à nouveau sur le jeune homme « Milo, à présent j'ai besoin de savoir ce que toi tu veux. Ce que tu veux vraiment. » Peu importe la réponse je l'accepterai.

Je reste là, debout face à Cassia, à écouter chacun de ses mots comme si c’était la première fois qu’elle se confiait ainsi. Son ton est calme, mais chaque phrase qu’elle prononce résonne profondément en moi. Elle ne se détourne pas, ne cherche pas à adoucir ce qu’elle a à dire, et c’est précisément cela qui me touche. Elle me parle avec cette honnêteté qui la caractérise, une honnêteté que j’ai toujours admirée, même dans nos moments les plus difficiles.  Cassia finit par s’asseoir sur un banc, ses mains jointes sur ses genoux, le regard un peu perdu dans le vide. Je reste debout devant elle, mes mains toujours enfouies dans mes poches, mais mon attention est entièrement rivée sur ses lèvres, sur ces mots qui défilent et qui me délivrent une vérité que je savais déjà sans vraiment l’admettre. « Milo, tu sais ce que je veux. Si j’ai accepté d’emménager avec toi, ce n’est pas pour rien. Ce n’était pas non plus une décision prise sur un coup de tête. » Sa voix est douce mais déterminée, et je sens le poids de ses paroles dans chaque syllabe. Je reste silencieux, absorbant ce qu’elle vient de dire, puis elle continue, plongeant un peu plus dans cette sincérité qui me désarme. « Tu sais aussi ce que je ressens pour toi. » Ses yeux me cherchent, et je sens toute la profondeur de ses sentiments. Ces derniers jours, j’avais douté, j’avais craint d’avoir tout gâché, mais la voir ainsi, m’expliquant ses peurs et ses espoirs, me rassure autant que cela me met face à mes propres incertitudes. « Mais ce que je veux aussi, » poursuit-elle avec une douceur poignante, « C’est ton bonheur. Et je sais que ton travail y contribue beaucoup… » Un léger sourire se dessine sur ses lèvres, comme une tentative pour alléger la conversation, mais je sens la réalité de ses mots, l’importance qu’ils ont pour elle, pour nous. Je sais que Cassia a toujours voulu le meilleur pour moi, même quand je ne savais pas moi-même ce que cela impliquait.

Puis, elle conclut d’une voix plus ferme, ses yeux accrochés aux miens, cherchant cette réponse qu’elle attend depuis si longtemps. « Milo, à présent, j’ai besoin de savoir ce que toi tu veux. Ce que tu veux vraiment. » Il y a une supplique silencieuse dans sa voix, un besoin de clarté qui me pousse à répondre, mais je me rends compte que je n’ai pas encore toutes les réponses.  Je suis soulagé, heureux même d’entendre ce qu’elle me dit. Cassia m’a toujours été un soutien indéfectible, et savoir qu’elle se tient encore là, prête à m’écouter, à comprendre, apaise quelque peu mes doutes. Je m’approche lentement, m’asseyant à côté d’elle, essayant de rassembler mes pensées. « Moi aussi je veux ton bonheur, Cassia. Je suis heureux avec toi, vraiment. Et… » Je commence doucement, cherchant les mots justes, mais soudain, ma phrase se coupe brusquement. Un bruit strident, une silhouette floue qui surgit de nulle part. Le temps semble se ralentir un instant, puis tout s’accélère violemment. Un cycliste surgit à vive allure, son vélo filant droit vers moi. Je n’ai pas le temps de réagir. Le choc est brutal. Le souffle me quitte instantanément alors que je suis projeté en arrière, mon corps heurtant violemment le sol quelques mètres plus loin. Ma tête percute le bitume avec une force terrifiante, un bruit sourd qui résonne dans mes oreilles. La douleur est immédiate, foudroyante, et tout devient flou autour de moi. Je sens le monde vaciller, une douleur intense irradie à l’arrière de mon crâne. Mes oreilles bourdonnent, et je perçois à peine les cris autour de moi, les voix inquiètes qui se mêlent à l’agitation soudaine.  Je tente de bouger, mais tout me semble confus, irréel. Ma vision se brouille, les contours de la rue, des passants, tout se fond en une masse informe. Mon souffle est court, chaque respiration me brûle la poitrine, et une panique sourde commence à m’envahir. Cassia… Où est-elle ? Mon regard se trouble, cherchant désespérément son visage parmi le chaos qui m’entoure, mais je ne distingue que des ombres mouvantes. Je veux lui dire quelque chose, n’importe quoi, mais mes mots se perdent, étouffés par la douleur qui envahit chaque fibre de mon être. Mon corps refuse de répondre, et je sombre peu à peu dans un flou indescriptible, espérant simplement sentir une dernière fois la chaleur réconfortante de Cassia près de moi.

Assise sur ce banc je commence à me livrer à Milo, sur ce que je pense, sur ce que je ressens. J’espère qu’il en fera de même très bientôt. Finalement, le jeune homme prend place près de moi sur le banc. Milo m’annonce qu’il souhaitait également mon bonheur. Il ajoute être heureux avec moi. Je l’écoute attentivement, souhaitant entendre tout ce qu’il avait à dire. Malgré tout j’avais toujours cette petite appréhension. Puis soudainement, un bruit strident se fait entendre. Quelques cris également. Un cycliste arrive à vivre allure et percute Milo qui est violemment projeté en arrière. Tout se passe très vite, je tente de pousser Milo mais c’est trop tard. Le choc est violent. « Milo ! » dis-je en m’approchant de lui. Le jeune homme est à terre. Je m’agenouille près de lui, « Milo, tu m’entends ? » Mais le jeune homme ne semblait pas réellement conscient. « Appelez une ambulance, vite ! » demandai-je alors à un homme qui s’était approché de nous. Je pose une main délicate sur le visage de Milo « Milo, tu m’entends ? Ça va aller, d’accord ? » Mon regard se pose sur l’homme à côté de moi. Il était en train d’appeler et m’annonce qu’une ambulance était en route. Je jette un regard au cycliste qui était assis pas très loin. Il semblait un peu abasourdie mais ses protections et surtout son casque lui avait éviter le pire. Mon regard se pose à nouveau sur Milo, inconscient. Je sens ma gorge se serrer et les larmes monter. Comment un tel accident avait-il pu arriver ?

Je reste près de Milo, je lui parle mais il ne répondais pas. L’ambulance arrive et il est rapidement pris en charge. Je monte bien évidemment avec lui dans l’ambulance qui nous conduit à l’hôpital. Une fois arrivé, Milo est emmené pour passer des examens en urgence. Et malgré mon statut d’infirmière je suis obligé d’attendre.

Tout est flou autour de moi, comme si je regardais à travers une vitre embuée. Les sons me parviennent de manière étouffée, lointaine, comme dans un rêve dont je ne parviens pas à m’échapper. Une voix résonne quelque part près de moi, mais les mots se brouillent, incompréhensibles, se perdant dans le bourdonnement incessant qui emplit ma tête. Mes paupières sont lourdes, chaque clignement m’épuise davantage, et je sens une vague de fatigue m’envahir, implacable. Finalement, mes yeux se ferment, et le monde autour de moi s’éteint, me plongeant dans une obscurité apaisante, mais inquiétante.

Lorsque je parviens à rouvrir les yeux, la lumière blanche des néons me brûle la rétine, m’aveuglant un instant. Je cligne plusieurs fois des paupières, tentant de m’habituer à la luminosité crue qui envahit la pièce. Je suis allongé dans un lit d’hôpital, les draps blancs tirés jusqu’à ma taille, une perfusion accrochée à mon bras. Le bourdonnement sourd dans ma tête est encore présent, mais j’arrive lentement à me reconnecter à la réalité. Mon crâne me lance, une douleur pulsante qui semble suivre le rythme de mon cœur, et chaque mouvement, même infime, m’arrache une grimace de douleur. La porte de la chambre s’ouvre doucement, et un médecin entre, son expression professionnelle et rassurante. Il s’approche de mon lit, son regard scrutant les moniteurs avant de se poser sur moi. « Vous avez eu de la chance, » commence-t-il d’un ton posé, essayant visiblement de m’apaiser. « Vous n’avez rien de cassé, mais vous avez été percuté violemment par un cycliste. » Ses paroles résonnent dans ma tête, fragmentées, mais je comprends l’essentiel. Le souvenir du choc me revient par bribes, mais tout reste flou, comme un mauvais rêve dont je peine à saisir les contours. Je tente de me redresser légèrement, mais la douleur au crâne me rappelle à l’ordre, me clouant sur le matelas. « Votre petite amie est là, elle vous attend, » poursuit le médecin, un sourire rassurant sur les lèvres. Il se tourne vers la porte et fait signe à quelqu’un d’entrer. Cassia apparaît dans l’embrasure, ses traits marqués par l’inquiétude, mais un léger sourire soulagé se dessine sur ses lèvres en me voyant conscient. Je la regarde, complètement désorienté. Quelque chose ne colle pas. Je fronce les sourcils, cherchant à comprendre ce que Cassia fait là. « Mais… ce n’est pas ma petite amie ? » lâchai-je soudain, la voix pleine de confusion. Cassia me fixe, visiblement troublée par mes paroles, mais je ne parviens pas à saisir pourquoi. « Cassia est juste une amie, ma meilleure amie… Ma copine s’appelle Léa, » ajoutai-je, jetant un regard perdu au médecin puis à Cassia, comme si j’essayais de démêler un puzzle dont les pièces ne s’assemblent plus.

Le médecin lui fait un signe de la main, l’invitant à sortir de la chambre un instant. Il murmure quelques mots à Cassia, mais je ne parviens pas à saisir leur échange, pris dans ma propre confusion. Le médecin lui parle d’une voix douce mais sérieuse, essayant de la rassurer. « Il doit souffrir d’une amnésie rétrograde temporaire, » lui explique-t-il calmement. « C’est assez courant après un choc à la tête. Sa mémoire devrait revenir progressivement, d’ici une semaine environ. Pour l’instant… Il croit être quelques temps auparavant »

Dans l’ambulance qui nous menait vers l’hôpital, j’avais encore du mal à réaliser ce qu’il venait de se passer. Milo réagissait toujours peu. Ma main tremblante ne quittait pas la sienne.Une fois arrivés, Milo avait été emmené passer des examens en urgence. Et à présent, je ne pouvais qu’attendre. Une attente qui me semble interminable. Au bout d’une homme heure, le médecin m’indique que Milo avait terminé de passer ses examens. Il avait au apparemment beaucoup de chance. Il n’avait rien de cassé malgré le choc violent. Je demande alors à le voir et le médecin me conduit à sa chambre. Le médecin entre en premier et parle à Milo afin de le tenir au courant de son état. Il indique à Milo que sa petite amie, moi, était là. J’entre alors dans la chambre. Je suis soulagée de voir Milo réveillé. Un léger sourire apparaît sur mon visage. Mais ce dernier disparaît bien vite lorsque Milo annonce que je n’était pas sa petite amie mais sa meilleur amie. Il ajoute que sa petite amie s’appelait Léa. Je sens un énorme pincement au cœur. Surprise, mon regard se pose sur le médecin. Ce dernier m’incite à le suivre. Nous restons devant le pas de la prote et il m’indique que Mil souffrait d’une amnésie rétrograde temporaire. C’était apparemment courant après ce genre de choc violent. Cette nouvelle m’attriste profondément. « Et… Qu’est-ce que je peux faire pour l’aider ? » demandai-je un peu perplexe. « Soyez présente pour lui. Ne vous inquiétez pas, sa mémoire reviendra d’ici une semaine, petit à petit. » Il me laisse alors seule avec Milo. J’entre à nouveau dans la chambre. Mon regard se pose sur Milo. « Comment tu te sens ? » demandai-je soucieuse malgré tout de son état. « Tu m’as fait une belle frayeur... » dis-je un léger sourire aux lèvres malgré tout. C'était un soulagement de le voir bel et bien éveillé.

Cassia revient dans la chambre, ses pas hésitants et son visage marqué par une inquiétude qu’elle ne parvient pas à cacher. Je remarque immédiatement son expression préoccupée, ses yeux scrutant chaque détail de la pièce comme pour s’ancrer dans une réalité qui semble lui échapper. Je lui souris faiblement, essayant de la rassurer malgré la douleur sourde qui pulse dans ma tête et dans mon dos. « Ça va… Un peu mal à la tête et au dos… » dis-je en me redressant sur le lit, grimaçant légèrement sous l’effort. Chaque mouvement est une épreuve, et je sens mes muscles protester avec vigueur. Je tapote le lit à côté de moi, l’invitant à s’asseoir, espérant qu’un peu de compagnie m’aidera à me sentir moins perdu dans ce décor clinique. Cassia s’installe prudemment, ses gestes lents et mesurés, comme si elle craignait de me brusquer davantage. Je la regarde, sans comprendre l’ombre qui assombrit son regard. Pour moi, tout semble encore normal, et pourtant, quelque chose dans son attitude me pousse à croire que ce n’est pas le cas. Pour détendre l’atmosphère, je reprends la parole, innocent, sans me douter une seconde de la réalité de ma situation. « Tu peux prévenir Léa, s'il te plaît ? » demandai-je sans détour, en toute simplicité. « On avait prévu d’aller au cinéma et au restaurant en amoureux. Et tu la connais… Elle ne supporte pas le moindre retard ! » Je ris légèrement, imaginant déjà Léa, impatiente devant l’horloge, râlant contre le moindre contretemps. Mes mots sont sincères, naturels, mais je ne perçois pas l’effet qu’ils ont sur Cassia. Elle reste figée, sa respiration saccadée, et je remarque à peine le léger tressaillement de ses doigts, crispés sur le drap blanc. Son silence me paraît étrange, mais je mets ça sur le compte de l’inquiétude qu’elle doit ressentir de me voir à l’hôpital.

Je poursuis, ignorant totalement l’ampleur de ce que je viens de dire. « À ton avis, quand est-ce que je peux sortir ? » demandai-je en scrutant la pièce, cherchant des indices sur mon état. « Ah oui… Il me faudra aussi un arrêt de travail du médecin, pour mon boulot. J’ai un vol prévu bientôt ! » Je me redresse un peu plus, luttant contre la raideur de mon dos, et j’essaie de paraître aussi détendu que possible. Pourtant, je sens un léger malaise s’insinuer en moi, un sentiment que quelque chose ne tourne pas rond. Je continue de parler, inconscient du tourment qui traverse Cassia à cet instant précis, de l’incohérence de mes propos qui l’ébranle plus que je ne pourrais jamais l’imaginer. Pour moi, Léa est la personne à prévenir, mon travail et mon prochain vol sont mes priorités. Je ne sais pas encore que dans ce moment précis, je blesse profondément Cassia, et que mes souvenirs erronés l’éloignent encore un peu plus de moi, même si elle reste là, à mes côtés, essayant de faire face avec une résilience admirable.

Je m’appuie contre l’oreiller, essayant de me mettre à l’aise malgré les courbatures qui envahissent mon corps. Un léger sourire se dessine sur mon visage tandis que je regarde Cassia. Je ne comprends pas pourquoi elle semble si tendue, pourquoi son regard paraît si chargé d’émotions contradictoires. Pour moi, sa présence est une évidence, une constante rassurante au milieu de ce chaos d’hôpital.  « Je suis vraiment content que tu sois là, Cassia, » dis-je en la regardant avec sincérité. « Ma meilleure amie, toujours fidèle au poste. » Je lui adresse un sourire, ignorant totalement la déchirure que ces mots peuvent provoquer en elle. « Et toi, comment ça se passe avec Andrew ? » lançai-je d’un ton léger, comme si la réponse m’intéressait vraiment. « J’espère que les choses se sont arrangées entre vous… » Je la fixe, attendant sa réponse, pensant que nous sommes encore dans ces années où elle se débattait dans une relation compliquée avec cet homme qui ne la méritait pas. Pour moi, c’est une question anodine, celle d’un ami qui s’inquiète pour l’autre, mais je ne remarque pas l’expression de stupeur qui traverse le visage de Cassia.

Après les brèves explications du médecin, j’entre à nouveau dans la chambre. Je m’approche de Milo, lui adressant un léger sourire en lui demandant comment il se sentait. Milo me dit qu’il allait bien, malgré un mal de tête et un mal de dos. « Si jamais la douleur persiste, on pourra demander à augmenter la dose des antidouleurs. » dis-je simplement. Milo m’invite à s’asseoir sur le bord du lit. Ce que je fais. Milo me demande si je pouvais prévenir Léa. Mon cœur se serre à sa demande. Il ajoute que la jeune femme ne supportait pas les retards. Mon regard se pose sur Milo. Je ne peux détourner mon regard de lui. Comment lui expliquer ? Je ne réponds pas. Je ne trouve pas les mots. Puis Milo me demande mon avis quand au moment de sa sortie. Il évoque un arrête de travail. Je suis de plus en plus perplexe. J’avais l’impression d’être dans un mauvais rêve. Un très mauvais rêve.

Un sourire se dessine sur le visage de Milo. Mais malgré cela, je sens une once d’angoisse m’envahir. « Je suis vraiment content que tu sois là, Cassia. Ma meilleure amie, toujours fidèle au poste. » Les paroles de Milo pourraient être touchantes mais dans ce contexte précis elle faisait mal. Très mal. Et lorsque Milo évoque Andrew s’en ai trop pour moi. Je me redresse du lit, sans doute un peu trop précipitamment. « Je … Je vais me renseigner. Pour savoir quand est-ce que tu pourras sortir. Et… je vais essayer de contacter Léa. » dis-je alors en m’avançant vers la porte. « Essaie de te reposer un peu en attendant. » dis-je avant de quitter la pièce.

Mes pas me guident instinctivement vers la sortie de l’hôpital. Je trouve refuge sur un banc sur une petite place arborée près de l’hôpital. Je m’assois, abasourdie par la situation et les larmes se mettent à couler toutes seules. Je tentais de me rassurer en repensant aux paroles du médecin mais malgré tout je n’arrivais pas à contenir mes émotions. Je reste ici une bonne demi heure, essayant de me calmer avant de rentrer à nouveau. Je croise le médecin avec qui je discute encore un peu. Puis je retourne dans la chambre. « J’ai vu le médecin. Il souhaite que tu restes ici cette nuit en observation pour s’assurer que tout va bien. » Je m’approche un peu plus, reprenant place sur le rebord du lit. « Milo, tu sais tu as vraiment reçu un choc violent tout à l’heure. » dis-je pour commencer « Ce choc à provoqué une légère amnésie, temporaire... » J’essaie de donner les explications petit à petit « Tu n’es plus avec Léa. Vous avez rompu il y a plusieurs années déjà. En fait, depuis plusieurs mois on est ensemble. Tous les deux… » J’observe la moindre de ses réactions. « Tu… tu m’as même proposé d’emménager avec toi. J’ai commencé à apporter mes cartons dans ton appartement... » J’espérais que ces quelques détails l’aide un peu. « Et pour le travail, tu es  en arrête depuis plusieurs semaines déjà. Il y a eu un terrible accident. Toi et Clyde vous avez disparus plusieurs jours... » Je pouvais aisément lire la surprise sur le visage de Milo.

Cassia est assise à mes côtés, son visage empreint de cette douceur réconfortante qui lui est propre, mais ses yeux trahissent une inquiétude qu’elle ne parvient pas à masquer complètement. Elle m’adresse un sourire forcé, essayant visiblement de garder contenance malgré tout ce que nous venons d’échanger. « Je … Je vais me renseigner. Pour savoir quand est-ce que tu pourras sortir. Et… je vais essayer de contacter Léa » me dit-elle d’une voix douce. Je la regarde se lever précipitamment, ses gestes un peu trop pressés pour être naturels. Je fronce les sourcils, intrigué par son comportement, mais je ne dis rien. Cassia quitte la chambre sans un regard en arrière, ses pas résonnant légèrement dans le couloir, me laissant seul avec mes pensées confuses. Je me laisse retomber contre l’oreiller, fermant les yeux dans l’espoir de trouver un peu de repos. Mais la douleur lancinante à ma tête me maintient en alerte, chaque battement semblant raviver le souvenir du choc. Je tente de m’assoupir, mais c’est peine perdue. Les souvenirs se mélangent, les images se brouillent, et je sens le poids d’une fatigue immense peser sur mes paupières sans parvenir à me soulager.

Je ne sais pas combien de temps s’écoule avant que Cassia ne revienne, mais lorsqu’elle réapparaît enfin, je souris faiblement, heureux de voir un visage familier au milieu de cet environnement stérile et oppressant. Elle s’approche du lit avec un air grave, ses yeux scrutant les miens comme si elle cherchait à évaluer mon état avant de parler. « J’ai vu le médecin. Il souhaite que tu restes ici cette nuit en observation pour s’assurer que tout va bien. » commence-t-elle doucement, prenant soin de choisir ses mots. Je grogne instinctivement, une habitude dont je ne me débarrasserai jamais, surtout lorsque quelque chose me déplaît. « Une nuit de plus ? Sérieusement ? » râlai-je, agacé par cette situation qui m’échappe complètement. « Milo, tu sais tu as vraiment reçu un choc violent tout à l’heure. Ce choc à provoqué une légère amnésie, temporaire... » Sa voix est posée, calme, mais chaque mot tombe comme une enclume dans mon esprit déjà embrouillé. Elle me fixe avec une attention presque maternelle, guettant ma réaction. Elle prend une inspiration profonde, comme pour se donner du courage, puis se tourne vers moi, son regard fixé sur le mien. « Tu n’es plus avec Léa. » m’annonce-t-elle finalement, sa voix teintée d’une mélancolie qui me désarme. « Vous avez rompu il y a plusieurs années déjà. En fait, depuis plusieurs mois on est ensemble. Tous les deux… » Je reste figé, surpris par ses paroles, mon esprit cherchant désespérément à combler les vides laissés par mes souvenirs. Comment est-ce possible ? Comment ai-je pu oublier une chose pareille ? Je hoche la tête, essayant de digérer l’information. Mais ce n’est pas fini. Cassia poursuit, et chaque phrase semble m’enfoncer un peu plus dans l’inconnu. « Tu… tu m’as même proposé d’emménager avec toi. » continue-t-elle, et je la vois jeter un bref coup d’œil à mes réactions, cherchant à comprendre si j’assimile tout ce qu’elle me raconte. « J’ai commencé à apporter mes cartons dans ton appartement... » Je l’écoute, chaque mot résonnant comme une révélation inattendue. Ma surprise est totale, et plus elle parle, plus je me sens étranger à cette réalité qu’elle me dépeint.

Cassia finit par me dire que je suis en arrêt de travail depuis un moment, et que j’ai été victime d’un terrible accident. « Et pour le travail, tu es en arrête depuis plusieurs semaines déjà. Il y a eu un terrible accident. Toi et Clyde vous avez disparus plusieurs jours... » ajoute-t-elle, sa voix se brisant légèrement sur les derniers mots. Je reste muet, incapable de formuler une réponse cohérente. Tout semble irréel, comme si je me retrouvais soudainement dans la vie de quelqu’un d’autre. Je la fixe, bouche bée, ne sachant plus quoi penser. Pour moi, tout cela est trop éloigné de la réalité que je crois connaître. Je me mets à rire nerveusement, secouant la tête comme si je venais d’entendre la meilleure blague du siècle. « Sérieusement Cassia, tu joues vraiment bien la comédie ! » plaisantai-je, encore incrédule. « Ça te va bien ce rôle, mais c’est bon, on peut arrêter là. » Mais son silence, et l’absence de sourire en réponse au mien, finissent par me faire comprendre que rien de tout cela n’est un jeu. L’angoisse me rattrape, la confusion se fait plus pesante, et je me rends compte, avec une pointe de panique, que la réalité a changé autour de moi sans que je m’en aperçoive.

Je regarde Cassia, encore allongé sur mon lit d’hôpital, un mélange d’incompréhension et de gêne me traversant. Il y a quelque chose dans ses yeux, une lueur que je ne parviens pas à décrypter, mais je choisis d’ignorer ce sentiment étrange qui plane entre nous. Pour moi, Cassia est, et a toujours été, cette amie fidèle, celle sur qui je peux compter en toutes circonstances. Je prends une profonde inspiration, cherchant mes mots, essayant de ne pas la blesser, même si je sens que ce que je vais dire ne sera pas ce qu’elle espère entendre. « Cassia, tu sais… Tu es ma meilleure amie. La meilleure. » dis-je en la regardant avec sincérité. « On a toujours été là l’un pour l’autre, et c’est comme ça que je te vois. » Ma voix se veut rassurante, mais je ne réalise pas à quel point mes paroles peuvent la heurter. Je tente de changer de sujet, sentant que l’atmosphère devient lourde et pesante, cherchant à alléger ce moment étrange entre nous. « Tu devrais rentrer, » lui dis-je en souriant faiblement, essayant de reprendre un ton plus léger. « Avant qu’Andrew ne te fasse une scène, tu sais comment il est… Et puis… Si tu as besoin, tu sais que tu es la bienvenu chez moi. Promis je ne ronfle pas et je n’essaierai pas te draguer ! De toute manière, je sais que je ne suis pas ton genre d’homme ! Après tout, nous sommes amis non ? » Je me mets à rire doucement, pensant simplement évoquer une vieille blague entre nous, quelque chose qui aurait pu détendre l’atmosphère. Toutefois je me trompe lourdement. Et je ne le sais même pas.

De retour dans la chambre de Milo, j’informe ce dernier qu’il devait passer la nuit en observation. Je ne suis pas surprise de l’entendre râle suite à cette nouvelle. Puis je décide d’expliquer à Milo que le choc violent qu’il avait subit tout à l’heure avait provoqué une amnésie temporaire. Je lui apprend qu’il ne sortait plus avec Léa. Et que nous étions à présent ensemble. Presque prêts même à vivre ensemble. Milo se met alors à rire nerveusement en me disant que je jouais vraiment bien la comédie. Le jeune homme ne croyait donc pas ce que je venais de lui dire. E même temps, je ne pouvais pas trop lui en vouloir. Il ne contrôlait pas cette amnésie temporaire. Milo affirme que je suis sa meilleure amie. Étrangement, ses mots me font mal. Je ne sais plus quoi dire, je ne trouve plus les mots. Devais-je insister ? « Oui, des amis. Les meilleurs... » dis-je un peu attristée de la situation. Mon regard se pose sur Milo. J’étais prête à insister, à tenter de lui raconter toutes sortes d’anecdotes nous concernant. Mais au même moment le jeune homme me dit que je devrais rentrer. Il me parle d’Andrew. Il ne veut pas que ce dernier me fasse une scène. J’esquisse un léger sourire. Un sourire amer et triste. « Oui, je sais comment il est... » Milo ajoute que si j’avais besoin j’étais la bienvenue chez lui. Immédiatement je pense à mes affaires présentes chez lui, aux cartons encore emballés. « Après tout, nous sommes amis non ? » Mon cœur se serre à l’entente de ces mots. Je me lèvre doucement du lit. « Oui... » Je passe une main dans mes cheveux. « Je vais rentrer. Si tu as besoin de quoi que ce soit, tu n’hésites pas à m’appeler d’accord ? » Mon regard ne quitte pas le jeune homme. « Tu sais Milo, tout ce que je t’ai dit tout à l’heure, ce n’était pas une plaisanterie. » J’ajoute alors « Et je ne suis plus avec Andrew… Je te passe les détails… Mais mon histoire avec lui est terminée. » Je soupire légèrement « On reparlera de tout cela demain. » Je m’approche de lui et dépose un doux baiser sur sa joue. « Repose toi bien. Et si besoin, appelle moi. » A contre cœur je finis par sortir de la chambre.

Sur le chemin qui me menait à mon appartement, je prends le temps d’appeler Clyde pour le prévenir concernant l’accident de Milo et son amnésie. Je lui raconte tout et ce dernier semble pris au dépourvu lui aussi. Je lui demande d’aller voir Milo et d’essayer de lui faire comprendre que son amnésie n’était en rien une plaisanterie. Clyde me promet qu’il ira voir Milo dès le lendemain. Pour prendre de ses nouvelles d’une part et d’autre part pour lui parler.

Je regarde Cassia se lever, son expression est sérieuse, un peu triste, et je sens que ce qu'elle s'apprête à dire est important. Elle hésite un instant, comme si elle cherchait les bons mots pour me parler. « Tu sais, Milo, tout ce que je t’ai dit tout à l’heure, ce n’était pas une plaisanterie. » Sa voix est douce, mais teintée d’une gravité inhabituelle. J’essaie de suivre, mais tout me semble encore flou, comme si les pièces du puzzle ne s’assemblaient pas. Elle marque une pause, le regard un peu perdu, puis continue « Et je ne suis plus avec Andrew… Je te passe les détails… Mais mon histoire avec lui est terminée. » Je la fixe, cherchant dans ses yeux des réponses à des questions que je ne parviens même pas à formuler. Cassia soupire légèrement, un souffle chargé de fatigue et de résignation. Elle semble porter un poids énorme sur ses épaules, et je me rends compte que je suis complètement déconnecté de tout ça. « On reparlera de tout cela demain, » dit-elle finalement, sa voix adoucie par une tendresse qui me touche plus que je ne le laisse paraître. Avant de partir, elle se penche pour déposer un doux baiser sur ma joue, un geste rempli d’affection et de tristesse mêlée. « Repose-toi bien. Et si besoin, appelle-moi. » Je lui souris faiblement, reconnaissant de sa présence, même si je me sens étranger à tout ce qu’elle me raconte. « Merci, Cassia, » murmurai-je, la suivant du regard jusqu’à ce qu’elle disparaisse derrière la porte. Je m’allonge, tentant de trouver le sommeil, mais le repos me fuit. Je tourne et retourne dans le lit d’hôpital, ma tête douloureuse empêchant mes pensées de se calmer. Les souvenirs se bousculent, des images confuses et des flashs incohérents apparaissent par bribes, trop fugaces pour que je puisse les saisir pleinement. Les visages défilent, mais rien ne fait sens. Je me réveille en sursaut à plusieurs reprises, le cœur battant, incapable de trouver un semblant de paix.

Le lendemain matin, je suis encore épuisé, mes paupières lourdes et une douleur sourde me vrillant le crâne. Je me sens perdu, mais l'arrivée de Clyde m'apporte un peu de réconfort. Mon ami, mon copilote, celui qui a toujours été là dans les moments les plus chaotiques de ma vie. Il s’approche avec un sourire qui se veut rassurant, cherchant à détendre l’atmosphère lourde de la chambre d’hôpital. « Cassia m’a prévenu de ce qui t’est arrivé, » explique-t-il, sa voix teintée de cette camaraderie familière qui me manque tant.  Il s’installe sur le siège à côté de mon lit, son regard attentif, et commence à me raconter quelques anecdotes récentes. Il évoque des soirées, des entraînements, des moments qui devraient m’être familiers, mais qui résonnent en moi comme des histoires racontées par un étranger. Ses récits sont flous, lointains, comme si je les écoutais à travers une vitre épaisse, séparé par une distance que je ne peux franchir. Tout semble irréel, comme si le monde avait continué sans moi, et je peinais à rattraper le fil de ma propre existence.

Notre conversation est interrompue par l’arrivée de Léa. Elle entre dans la chambre d’un pas hésitant, ses yeux se posant tour à tour sur moi et sur Clyde. Je la reconnais immédiatement, et par réflexe, je l’accueille avec un sourire que je crois complice. Pour moi, elle est toujours ma petite amie, celle avec qui je partageais des moments tendres et des projets d’avenir. Pourtant, son visage est marqué par une expression de gêne mêlée de tristesse, un mélange d’émotions que je ne parviens pas à comprendre. « Salut, Clyde, » murmure-t-elle avant de s’asseoir à mes côtés, son ton détaché, comme si elle tenait à mettre une distance entre nous. Je tente de capter son regard, cherchant une explication à cette froideur inattendue, mais elle semble ailleurs, perdue dans ses propres pensées. Je suis juste content de la voir, sans comprendre que ce lien qui m’a semblé si fort s’est étiolé depuis longtemps.
C’est alors qu’une troisième personne fait irruption dans la chambre. Une femme que je ne reconnais pas franchit la porte avec fracas, un sourire narquois accroché aux lèvres et des yeux pétillants de défi. Elle s’avance avec une assurance déconcertante, son attitude théâtrale captant immédiatement l’attention de toute la pièce. « Milo, chéri ! » s’exclame-t-elle d’une voix à la fois séductrice et pleine d'accusation, comme si elle venait de découvrir une infidélité insoupçonnée. Elle continue à avancer, se frayant un chemin jusqu’à mon lit comme si cet espace lui appartenait. Je suis totalement pris de court, incapable de réagir face à cette scène surréaliste qui se déroule sous mes yeux. « Alors, tu pensais pouvoir me remplacer comme ça ? Moi, ta maîtresse, celle qui sait tout de toi ? » Les mots fusent, tranchants et absurdes, me frappant de plein fouet. Je suis figé, désemparé devant cette déclaration sortie de nulle part. Je ne la connais pas, je ne comprends pas, mais elle semble sûre d’elle, comme si elle jouait un rôle qu’elle avait répété mille fois. Léa, à mes côtés, laisse échapper un long soupir, visiblement excédée par ce cirque qui prend une tournure incontrôlable. Elle se frappe le front avec la paume de sa main, manifestant une exaspération visible, comme si ce n’était pas la première fois qu’elle assistait à ce genre de drame. « Clyde, appelle Cassia, s’il te plaît, » dit-elle d’un ton résigné, sa voix tremblant légèrement sous l’effet de la frustration.

Clyde acquiesce, sort son téléphone et compose le numéro de Cassia, tandis qu’Erin – c’est le prénom que j’arrive à saisir dans le tumulte de ses accusations – continue son numéro avec une intensité grandissante. Elle se pavane dans la chambre comme une diva contrariée, alternant entre les reproches, les minauderies et les petites piques venimeuses. Chaque mot est chargé d’une théâtralité exagérée, comme si elle jouait devant un public invisible. Elle s’approche du lit, fait semblant d’essuyer une larme imaginaire avant de lancer un nouveau flot d’accusations absurdes. Je regarde cette scène se dérouler sous mes yeux, totalement perdu, incapable de saisir les tenants et aboutissants de ce spectacle grotesque. Mes mains se crispent sur les draps, cherchant un point d’ancrage dans cette réalité qui m’échappe complètement. Tout le monde semble avoir un rôle défini, une place dans ce puzzle incompréhensible, sauf moi. Je suis un simple spectateur de ce chaos, un étranger au milieu de gens qui, manifestement, se connaissent bien plus que je ne le croyais. Mon cœur bat à tout rompre, chaque battement amplifiant mon incompréhension et ma frustration. Les visages, les voix, tout semble flou, sans queue ni tête. Et moi, je reste là, à observer impuissant, un spectateur perdu dans sa propre vie.

La soirée et la nuit furent très maussade. Je n’avais d’ailleurs pas beaucoup dormi. D’une part parce que j’étais inquiète sur l’état de Milo. Et d’autre part parce que je craignais que son amnésie perdure. Il ne semblait vraiment avoir aucun souvenir des derniers mois. Cela m’effrayait au plus haut point. Et je ne cessais de penser à cette discussion que nous avions commencé et que nous n’avions pas terminé. Que voulait me dire Milo exactement ? Allait-il m’annoncer qu’il allait accepter le poste à Londres ? La nuit fut très courte.

Le lendemain matin, j’avais pris mon service très tôt. J’étais passé voir rapidement Milo mais ce dernier dormait encore. Prise dans la tournée de mes patients avec Anna, qui ne cessait d’essayer de me remonter le moral, je suis interrompue par la sonnerie de mon téléphone portable. C’était Clyde. Ce dernier est bref, je comprends rapidement la situation. Je lui indique que j’arrivais le plus rapidement possible. Je sens la colère monter en moi. Il avait fallut que Erin vienne s’emmêler. Lorsque j’arrive devant la porte de la chambre de Milo, cette dernière est ouverte. Clyde était là. Léa aussi. Et Erin. « Erin, tu n’as rien à faire ici. Et arrête de raconter des histoires à Milo. » dis-je simplement avec un ton assez ferme malgré tout. « Qu’est-ce qu’il y a la planche à pain ? Tu es jalouse ? » Je lève les yeux au ciel. Je m’approche d’elle et l’attrape par le bras pour la faire sortir « Sors de cette chambre. Va raconter tes histoires ailleurs... » Cette dernière semble amusée de la situation mais moi cela ne m’amusait pas du tout. Erin sort enfin de la chambre. Mon regard se pose sur Milo. « Ce n’est pas la plus sympathique de tes anciennes conquêtes... » dis-je simplement pour confirmer le fait qu’il avait en effet fréquenter Erin bien que cela n’est pas duré très longtemps. « Comment tu te sens ce matin ? » demandai-je alors soucieuse de son bien être.

Quelques minutes plus tard, la tension dans la chambre monte d’un cran. Cassia entre précipitamment, le visage fermé, clairement agacée par la présence d’Erin. Cette dernière, loin de se laisser intimider, continue son petit numéro, ses remarques venimeuses fusant sans relâche. « Eh bien, je vois que tu n’as pas perdu de temps pour te rapprocher, Cassia. Toujours là, collée à lui, même quand il ne se souvient même pas de toi, » lâche Erin, sa voix dégoulinant de mépris. Cassia s’avance d’un pas ferme vers Erin, son regard glacial, et d’une voix autoritaire, elle lui intime de quitter la chambre. « Erin, tu n’as rien à faire ici. Et arrête de raconter des histoires à Milo. » Erin, loin de se démonter, plisse les yeux et affiche un sourire sarcastique, avant de lancer d’un ton cinglant « Et toi, toujours aussi froide et coincée. On se demande bien ce que Milo peut trouver à une planche à pain comme toi. » Je fronce immédiatement les sourcils, agacé par les paroles d’Erin. Un élan protecteur me traverse. Je déteste que l’on s’en prenne à Cassia, surtout de cette manière mesquine et gratuite. Elle fait un pas de plus vers Erin, lui pointant lui attrapant le bras avec une autorité implacable. « Sors de cette chambre. Va raconter tes histoires ailleurs... » Erin lève les mains en signe de capitulation, feignant l’innocence avant de quitter la pièce en claquant la porte. La tension retombe aussitôt, mais je sens Cassia secouée par cet échange désagréable.

Cassia se tourne vers moi, visiblement épuisée et agacée par la scène qui vient de se dérouler. Elle m’explique, d’une voix où perle une lassitude évidente, qu’Erin n’est qu’une ancienne conquête, une liaison sans importance. Je reste un instant figé, les yeux écarquillés, tentant désespérément de comprendre ce que j’avais bien pu lui trouver. « Ah bon ? J’ai fréquenté ça ? J’étais bourré ? Fou ? Ou drogué peut-être ? » m’exclamai-je, la voix tremblant d’un mélange de sarcasme et de vraie incrédulité, tout en secouant la tête comme pour chasser cette idée absurde. Franchement, je ne vois pas comment une femme aussi insupportable a pu avoir une place quelconque dans ma vie. Tout semble tellement flou, tellement dénué de sens. Comment ai-je pu être aussi idiot ? Je grogne intérieurement, ruminant ces pensées alors que Cassia me lance un regard apaisant, visiblement fatiguée de me rassurer. Malgré ma frustration, je ressens une immense gratitude envers elle pour m’avoir défendu, mais aussi un mélange de gêne. Comment ai-je pu attirer ce genre de personnes dans ma vie ? Cassia mérite tellement mieux que ce cirque ridicule.

Mais la colère et l’agacement montent en moi, et je n’arrive pas à rester calme. Je me débats avec les oreillers, cherchant désespérément une position plus confortable. « Je vais bien, mais j’en ai ras-le-bol d’être ici ! Marre d’être allongé comme un légume, d’entendre ces bêtises et de subir la visite de personnes que je ne veux même pas voir ! » râlai-je, la voix chargée d’irritation. Ma patience est à bout, et je sens l’impatience gronder comme une tempête sous la surface. Léa, debout près du lit, assiste à ma petite scène sans broncher. Elle s’approche doucement et pose une main apaisante sur mon épaule, son regard plein de sollicitude. « Milo, tu dois te reposer, tu n’es pas encore complètement remis. » Elle essaie de tempérer mon agacement, mais ses mots, aussi bienveillants soient-ils, ne font que me frustrer davantage. Je suis un pilote, pas un homme fait pour rester cloué dans un lit d’hôpital ! Clyde, fidèle à lui-même, ne manque pas l’occasion de m’envoyer une pique, son ton mi-amusé, mi-réprobateur. « Léa a raison, mon pote. Tu es peut-être le plus fort des pilotes, mais là, tu es cloué au sol. Tu dois te reposer si tu veux reprendre les commandes. » Je lève les yeux au ciel, exaspéré par ces paroles pleines de bon sens mais qui ne font qu’aggraver ma frustration.  Je laisse échapper un long soupir, roulant des yeux, tout en esquissant malgré tout un sourire en coin. Ils ont raison, je le sais, mais rester allongé, être forcé de me reposer alors que je ne rêve que de reprendre le contrôle de ma vie, c’est insupportable. Ce lit d’hôpital me paraît être une prison, et chaque seconde que je passe ici ne fait qu’alimenter ma rage silencieuse. Je me tourne légèrement, essayant de m’enfoncer dans les oreillers comme pour m’évader de cette réalité étouffante, tandis que mes pensées vagabondent déjà loin d’ici, vers un ciel dégagé où je pourrais enfin m’échapper de cette immobilité forcée.

L’échange avec Erin est tendu. Encore plus que d’habitude. J’étais inquiète vis à vis de la situation que nous vivions avec Milo, j’avais peu dormi et j’étais débordée de travail. Je n’avais donc guère de patience. Une fois Erin dehors, je fais comprendre à Milo qu’il avait fréquenté Erin, quelques temps. Le jeune homme semble surpris. Il demande alors confirmation en demandant si il était ivre à ce moment là, ou fou ou même drogué. Je ressens aisément tout le sarcasme dans sa voix. Je demande au jeune homme comment il se sentait. Il me répond qu’il allait bien mais semble très agacé de devoir rester ici, allongé dans ce lit. J’allais m’avancer vers lui mais Léa me devance. Elle pose une main délicate sur son épaule pour le calmer un peu. Clyde donne raison à Léa, et conseille à Milo de se reposer. « La nuit s’est bien passé. Tes examens sont bons. Tu devrais pouvoir sortir dans la journée. » J’espérais que mes paroles le réconfortent un peu. Je jette un bref coup d’œil à ma montre. « Je dois retourner travailler. Je repasse tout à l’heure. Et si tu as besoin de quoi que ce soit, tu sais que tu peux m’appeler. » Je lui adresse un sourire sincère avant de quitter la chambre.

La journée était passé à toute allure. J’avais croisé à nouveau Milo avec ses parents. Il avait enfin eu l’autorisation de rentrer chez lui. Je regrettais ne pas pouvoir le ramener moi même à son appartement mais je n’avais malheureusement pas le choix. Je lui avais toutefois promis de passer tout à l’heure, lorsque j’aurai terminé mon service. Une fois sortie de l’hôpital, je m’étais arrêté chez moi pour prendre une douche et me changer. J’avais ensuite pris ma voiture pour aller chez Milo. Avant, je m’étais arrêté chez le traiteur italien que l’on aimait tant pour prendre de quoi dîner. Une fois devant la porte d’entrée, je me retrouve à hésiter. Devais-je entrer comme je le faisais avant ? Est-ce que Milo ne trouverait pas cela étrange ? De toute manière il avait du voir mes affaires en plein rangement chez lui, il avait donc du se rendre compte que ce que je lui avait dit la veille n’était pas une plaisanterie. Je frappe à la porte puis ouvre cette dernière. « Milo ? C’est moi... » dis-je en refermant la porte derrière moi. J’aperçois le jeune homme, un léger sourire se dessine sur mes « Comme promis, me voilà. Et j’apporte le dîner. » dis-je en montrant le sac du traiteur italien.